Force de travail

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La force de travail est un concept fondamental du socialisme scientifique, qu'il est important de dissocier du "travail" pour comprendre l'exploitation des salariés sous le capitalisme.

1 Définition

La force de travail est la "capacité à travailler", et non pas un travail concret particulier. C'est un concept qui recouvre une réalité bien réelle, puisque c'est la force de travail qui est la marchandise que doivent vendre les travailleurs salariés à leurs employeurs capitalistes.

Lors de l'embauche, le patron achète (via le salaire) le droit à disposer de la force de travail de l'employé, pour une certaine durée. Au cours de cette durée, le travailleur se met à l’œuvre sur les moyens de production du capitaliste (machines-outils, ordinateurs...), et créé une certaine valeur (qui appartient au propriétaire des moyens de production). Sur cette valeur, il y a assez pour que le capitaliste puisse payer les salaires, mais il y a également une survaleur qui se transforme en profit lorsque les marchandises sont vendues.

Pour le patron, la force de travail est donc une marchandise dont la valeur d'usage est de créer de la valeur. 

2 Valeur de la force de travail

Comme toute marchandise, la force de travail a une valeur d'échange, qui correspond ici au salaire. Cette valeur moyenne est déterminée par des lois sociales : loi de la valeur, loi de l'offre et de la demande, et rapports de forces entre les classes exploitée et exploiteuse.

« La valeur d'un homme, son estimation, est, comme pour toutes les autres choses, son prix, c'est-à-dire exactement ce qu'on en donne pour l'usage de sa force. » Thomas Hobbes, Léviathan

« Il faut de toute nécessité qu'un homme vive de son travail, et que son salaire suffise au moins à sa subsistance ; il faut même quelque chose de plus dans la plupart des circonstances ; autrement il serait impossible au travailleur d'élever une famille, et alors la race de ces ouvriers ne pourrait pas durer au-delà de la première génération. » Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776

2.1 Loi de la valeur

Selon la loi de la valeur, la valeur de la marchandise « force de travail » dépend du temps de travail socialement nécessaire qu'il faut pour la produire, c'est-à-dire dans ce cas la somme des valeurs des marchandises nécessaires (nourriture, logement, chauffage...) à sa "reproduction" au sens large : repos pour être disponible le jour suivant, mais aussi élevage/éducation des enfants (futurs prolétaires). Comme des féministes marxistes (théorie de la reproduction sociale) l'ont souligné, la reproduction de la force de travail ne repose pas seulement sur des marchandises, mais également sur du travail domestique, nécessaire pour transformer des marchandises (cuisiner, coudre...) et pour tout ce qui est « travail du care » (vis-à-vis du/de la conjoint·e et des enfants). Or ce travail est très majoritairement effectué par des femmes.

Il serait impossible que les salaires descendent durablement en dessous de cette valeur socle : le patronat a besoin d'une main d’œuvre en vie !

2.2 Loi de l'offre et de la demande

De même, comme pour toute marchandise la valeur de la force de travail est modulée par la loi de l'offre et de la demande. Ainsi si la main d’œuvre est plus rare dans un secteur donné, il y une tendance à la hausse des salaires, et inversement. Dans une situation de chômage de masse (comme depuis le tournant néolibéral), le rapport de force des travailleur·ses est globalement plus bas que dans une période de plein emploi.

Il peut arriver que dans certaines circonstances (une énorme réserve de main d'œuvre disponible à l'emploi pour les capitalistes), la valeur de marché des salaires descende en dessous de ce qu'il faut à des travailleurs pour vivre. Mais c'est applicable uniquement pour des emplois sans qualifications nécessaires, car un capitaliste refusera de perdre du temps (donc de l'argent) à refaire la formation.

2.3 Lutte des classes

La principale différence avec toutes les autres marchandises, c'est que la force de travail dépend aussi de la capacité des travailleurs à s'unir pour imposer collectivement "un peu plus que le minimum vital" donné par la loi de la valeur, et pour être partiellement protégé des variations au grès du marché capitaliste ( contrats de travail, conventions collectives, hiérarchie des normes...).

Le syndicalisme et les luttes ouvrières constituent la première arme des prolétaires pour tenter au moins de défendre leurs conditions de travail, au mieux de les améliorer. Il n'y a en soi aucun salaire ni conditions de travail "décents", ce n'est que la norme sociale donnée à un lieu et une époque donnée. Dans un pays comme la France, certains dispositifs comme les négociations annuelles obligatoires sont venues institutionnaliser le fait que la création de richesse devait être redistribuée puisque l'économie est en croissance. C'est ce qui permet notamment de maintenir à peu près stable le partage de la valeur ajoutée.

3 Une marchandise achetée par les capitalistes

La base de l'analyse de l'exploitation capitaliste chez Marx repose sur la distinction entre la force de travail et le produit du travail. Les deux ne coïncident pas, et n'ont pas de raison d'avoir la même valeur. Les capitalistes payent (salaire) pour disposer d'une dépense de force de travail donnée, pendant par exemple une journée. Tout ce qui est produit par la dépense de cette force de travail, qui s'effectue dans les locaux et sur les machines de l'entreprise, appartient au patron.

« Le produit est la propriété du capitaliste et non du producteur immédiat, du travailleur. Le capitaliste paie, par exemple, la valeur journalière de la force de travail, dont, par conséquent, l'usage lui appartient durant la journée, tout comme celui d'un cheval qu'il a loué à la journée. L'usage de la marchandise appartient à l'acheteur et en donnant son travail, le possesseur de la force de travail ne donne en réalité que la valeur d'usage qu'il a vendue. Dès son entrée dans l'atelier, l'utilité de sa force, le travail, appartenait au capitaliste. (...) Le produit de cette opération lui appartient donc au même titre que le produit de la fermentation dans son cellier. »[1]

4 Une marchandise pas comme les autres

La force de travail n'est pas une marchandise comme les autres. Certains marxistes soulignent même que ce n'est « pas une marchandise à proprement parler », bien qu'elle ait « la forme d'une marchandise imaginaire »[2].

Marx souligne que la notion même de force de travail implique la nécessité de préserver celle-ci pour être disponible à nouveau le lendemain. Il y a donc conflit entre deux « légitimités » :

« Comme on le voit, à part des limites tout élastiques, la nature même de l'échange des marchandises n'impose aucune limitation à la journée de travail, et au travail extra. Le capitaliste soutient son droit comme acheteur, quand il cherche à prolonger cette journée aussi longtemps que possible et à faire deux jours d'un. D'autre part, la nature spéciale de la marchandise vendue exige que sa consommation par l'acheteur ne soit pas illimitée, et le travailleur soutient son droit comme vendeur quand il veut restreindre la journée de travail à une durée normalement déterminée. Il y a donc ici une antinomie, droit contre droit, tous deux portent le sceau de la loi qui règle l'échange des marchandises. Entre deux droits égaux qui décide ? La Force. »[3]

5 Notes et sources

Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865