Dette publique

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La dette publique d'un pays est le total des dettes de l'État, des collectivités territoriales et des organismes publiques (Sécurité sociale...) d'un pays envers les banques, entreprises ou autres États. La dette de l'Etat représente généralement la majeure partie de la dette publique d'un pays. L'endettement des États auprès des grands capitalistes est l'un des symptomes les plus importants de la domination bourgeoise. C'est également l'un des mécanismes essentiels de la domination impérialiste sur les pays dits "du Sud".

1 Le rôle de la dette publique

La dette publique est liée au capitalisme depuis son origine, et en particulier à l'Etat bourgeois, ce qui faisait dire à Marx :

« La dette publique, en d’autres termes, l’aliénation de l’État, qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain, marque de son empreinte le capitalisme. La seule partie de la prétendue richesse nationale qui entre réellement dans la propriété collective des peuples modernes, c’est leur dette publique. »[1]

Les plus puissants détenteurs de capitaux profitent des besoins de financement des Etats pour acheter des actifs (bons du Trésor ou autres obligations), et la stabilité de ces institutions en fait des produits rentables. Les variations de cette stabilité, ou la comparaison entre pays, permet depuis le début à ces grands capitalistes de spéculer et de s'enrichir. Mais aucun enrichissement de ce genre ne serait possible s'il n'y avait pas création de richesse, c'est pourquoi le coeur du capitalisme reste l'exploitation des travailleurs. Les rentiers de l'Etat, qui donnent l'illusion comme tous les rentiers de créer de l'argent à partir de l'argent (A-A'), récupèrent en fait une partie de la plus-value extraite dans la production. Mais cette impression, combinée au fait que la dette publique, via l'impôt, a beaucoup pesé sur les salariés, la petite-bourgeoisie, et la paysannerie, donne parfois l'impression que la dette est le problème majeur.

Marx reconnaissait qu'il y avait là une logique spoliatrice propre des grands argentiers, mais n'y voyait pas la cause première, qui restait dans les rapports d'exploitation :

« Comme la dette publique est assise sur le revenu public, qui en doit payer les redevances annuelles, le système moderne des impôts était le corollaire obligé des emprunts nationaux. Les emprunts, qui mettent les gouvernements à même de faire face aux dépenses extraordinaires sans que les contribuables s'en ressentent sur-le-champ, entraînent à leur suite un surcroît d'impôts; de l'autre côté, la surcharge d'impôts causée par l'accumulation des dettes successivement contractées contraint les gouvernements, en cas de nouvelles dépenses extraordinaires, d'avoir recours à de nouveaux emprunts. La fiscalité moderne, dont les impôts sur les objets de première nécessité et, partant, l'enchérissement, de ceux-ci, formaient de prime abord le pivot, renferme donc en soi un germe de progression automatique.(...) La grande part qui revient à la dette publique et au système de fiscalité correspondant, dans la capitalisation de la richesse et l’expropriation des masses, a conduit une foule d'écrivains, tels que William Cobbett, Doubleday et autres, à y chercher, à tort, la cause première de la misère des peuples modernes. »[1]

2 Mécanismes de l'endettement public

La dette publique varie au cours de l'histoire, suivant des processus souvent similaires et que l'on peut résumer ici.

2.1 Cadeaux fiscaux

La première cause de l'endettement public sont les nombreuses défiscalisations dont bénéficient les grands groupes capitalistes, y compris les banques auxquelles recourent ensuite les États pour leurs emprunts. En guise d'exemple, on estime qu'en France ceux-ci paient en moyenne trois fois moins d'impôts que les PME (en poids relatif). Il faut ajouter à cela les gros marchés publics à l'utilité sociale plus que douteuse, ou les subventions qui sont accordées de façon tout à fait routinière par l'État ou les collectivités, qui bénéficient principalement aux grands groupes.

2.2 Plans de relance et renflouements

Mais au delà du copinage entre les cercles du pouvoir et le patronat, l'État bourgeois a l'importante tâche de faire tout ce qu'il peut pour garder à flots l'économie. Cela se traduit souvent par des plans de relance, qu'il faut comprendre comme de vastes injections de liquidités pour perpétuer les conditions de l'accumulation.

Les grands renflouements de banques auxquels on a pu assister suite à la crise financière de 2008 ne sont qu'un cas extrême de ce rôle de sauvetage des banques qui revient à l'État. La servilité des gouvernements, aussi bien de droite que sociaux-démocrates, a éclaté au grand jour au cours de ces gigantesques déblocages de millions, parfois sans la moindre condition.

2.3 Guerres

Les guerres sont un exemple extrême de "plan de relance". Elles offrent aux bourgeoisies belligérantes une occasion parfaite de s'enrichir, exclusivement aux frais de leur prolétariat. Les États empruntent alors massivement pour passer commande, voire pour nationaliser temporairement et orienter l'industrie vers la guerre. Ainsi le record historique d'endettement de la France a été atteint pendant la Seconde guerre mondiale, à hauteur de 140% de son PIB.

3 Positionnements politiques sur la dette publique

3.1 L'hypocrisie réactionnaire

Les partis au service de l'ordre capitaliste, qui sont les premiers à engendrer l'endettement de l'État, sont souvent ceux qui préconisent ensuite de réduire drastiquement les dépenses publiques pour "retrouver un équilibre". Leur discours visant à se poser comme gestionnaires "bons pères de famille" peut leur donner hélas un semblant de crédibilité. Mais dans les faits, comme il est impensable de rendre la fiscalité plus progressive (sous peine de fuite de capitaux), ou de cesser de subventionner des entreprises (sous peine de baisse d'activité et perte d'emplois), ce sont toujours des dépenses sociales qui sont réduites.

Les sociaux-démocrates déploient des trésors d'ingéniosité pour prétendre faire mieux avec moins, et la droite procède à des coupes franches et privatisations, quand ce n'est pas l'inverse.

3.2 Les demi-mesures

Certains refusent les politiques d'austérité sans remettre en cause qu'il faille payer la dette. Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche défendent un audit de la dette publique pour distinguer une partie qui serait illégitime et une partie légitime.[2] C'est également la position d'ATTAC. Mais Mélenchon ajoute que l'inflation est un moyen de dévaloriser les actifs que détiennent les créanciers[3] (en taisant que l'inflation est aussi... nuisible à l'ensemble des travailleurs).

3.3 La répudiation de la dette

Le seul mot d'ordre révolutionnaire est celui de répudiation de la dette. En effet, il faut affirmer que celle-ci est illégitime, comme résultat d'une politique de classe. Une telle revendication n'est bien entendu pas applicable par un gouvernement s'inscrivant dans le cadre du capitalisme. En ce sens donc, c'est une revendication transitoire. Dans le cas d'un État impérialiste, qui possède des titres sur la dette de nombreux pays dominés, les communistes doivent également mettre en avant l'annulation de la dette. C'est, parmi d'autres, un bouleversement profond qui serait parmi les politiques internationalistes les plus concrètes.

L'annulation de la dette publique figurait parmi les « revendications immédiates » du Parti ouvrier français.[4] Une des premières mesures de la Révolution d'Octobre victorieuse a été de renier la dette contractée auprès des puissances européennes par l'État tsariste.

4 Pays dominés par la dette

La question que l'on nomme couramment dans la presse la "dette du Tiers-Monde" est un peu spécifique, parce qu'il est un des moyens de l'oppression impérialiste sur ces pays. En effet, depuis les années 1970, les États d'Afrique ou encore d'Amérique Latine ont été largement poussés à s'endetter pour importer des marchandises en provenance des centres impérialistes. Rapidement par la suite, les taux d'intérêts se sont envolés (passant souvent de 7% à près de 18%), forçant ces mêmes pays à s'endetter à nouveau ne serait-ce que pour payer les intérêts de la dette... Ce mécanisme d'usure est tel que ces pays ont déjà virtuellement payé plusieurs fois le montant de leur dette initiale : entre 1980 et 1992, ce sont 1 672 milliards de dollars qui ont été versés, pour une dette qui s'élevait en 1980 à 567 milliards...

Ceci étant dit, il faut se garder d'un schéma Nord-Sud simpliste : l'Union Européenne elle-même est constitué d'un coeur de puissants impérialismes, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Bénélux, et d'une périphérie qui s'avère de plus en plus victime de la crise (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne... - les fameux "PIGS").

Face à la question de la dette, les communistes révolutionnaires doivent adopter deux revendication symétriques :

  • au sein des pays endettés : la répudiation de la dette (comme le fit notamment la Russie révolutionnaire en 1917)
  • au sein des pays détenant une grande part des dettes étrangères : l'annulation de la dette (ce qui un internationalisme direct et concret)

5 Historique

5.1 Origines

Les premières formes de dettes publiques naissent à Venise et Gênes au Moyen-Âge, puis se généralisent en Europe au XVIIème siècle. C'est alors le temps des premières manufactures et du commerce colonial, et la République bourgeoise des Pays-Bas est la première à inaugurer ce système. Le néerlandais Johan de Witt (1625-1672) exalte dans ses Maximes comme un système utile pour faire trimer les salariés.

Au cours du développement du capitalisme en Europe, les différentes "banques publiques" ou "banques nationales" (ancêtres des banques centrales actuelles) se sont constituées. C'étaient essentiellement des associations de puissants banquiers privés qui obtenaient en accord avec l'Etat le privilège de lui prêter l’argent du public.

Par exemple : la fondation de la Banque d’Angleterre en 1694. Celle-ci commença à prêter son argent au gouvernement à un taux d’intérêt de 8 %, en même temps, elle était autorisée par le Parlement à créer de la monnaie pour le même montant sous forme de billets de banque qu’on lui permit de mettre en circulation.

5.2 20e siècle

Après la révolution d'Octobre, le gouvernement soviétique annula la dette publique héritée du tsarisme auprès des puissances étrangères, ce qui fut aussitôt un sujet de conflit majeur avec ces dernières.

En 1939, Trotski écrit au sujet du Mexique : « Il n’y a eu aucune révolution socialiste. La situation internationale ne permet même pas l’annulation de la dette publique. Le pays, répétons-le, est pauvre. Dans de telles conditions, il serait presque suicidaire de fermer les portes au capital étranger. Pour construire le capitalisme d’Etat, il faut le capital ».[5]

Sur le long terme, la dette publique est liée à la santé de l'accumulation capitaliste. Ansi au début du 20e siècle, à mesure que les pays impérialistes s'enfonçaient dans la suraccumulation, la dette a eu tendance à s'élever jusqu'à un fort niveau dans les années 1930, et à s'envoler avec les dépenses de la Seconde guerre mondiale. La longue période favorable à l'accumulation dans l'Après-guerre a par contre conduit à une réducation généralisée des dettes.

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Dans les années 1980, les principales puissances impérialistes sont à nouveau engluées dans une crise latente de suraccumulation. Cela va engendrer une chute des investissements et de la croissance, donc une hausse du chômage, et au niveau des admnistrations publiques, cela entraîne une tendance à la baisse des recettes fiscales. Mais pour maintenir leurs profits, les capitalistes vont parasiter de plus en plus les Etats, notamment en les poussant à baisser leurs impôts, à leur emprunter avec intérêts... C'est pourquoi la dette publique va connaître quasiment partout une hausse continue jusqu'à nos jours.

Contrairement aux discours réactionnaires, le problème n'est pas que "nous vivons au dessus de nos moyens" 'explosion des dépenses). C'est fondamentalement le capitalisme qui provoque une accumulation de richesse d'un côté et une socialisation des dégâts (via le salaire socialisé et la dette publique en particulier). Les dépenses ont au contraire tendance à être partout comprimées, en détruisant le "filet social" qui peut rester pour les travailleurs : selon l'OCDE les dépenses dans la zone euro sont passées de 50,4 % du PIB en 1990 à 46,1 % en 2008.

Pour certains idéologues du néolibéralisme, c'était d'ailleurs clair depuis le départ, le déficit public devait amener à détruire l'Etat-providence :

« Le déficit engendré par la baisse des impôts apparaît comme un formidable moyen de pression pour contraindre l’État à rétrécir. Il n’y a en vérité aucun autre moyen que cette pression » [6]

Mais réduire les aides sociales aussi rapidement que le capitalisme se dégradait aurait été pratiquement impossible sans attiser de révoltes du prolétariat, d'où la tendance générale dans les pays impérialistes à l'accumulation d'une forte dette publique.

5.3 Crise de 2007-2010

La crise de 2007-2010 entraîne une augmentation rapide de la dette publique dans de nombreux pays.

  • directement, du fait des milliards dépensés en sauvetage des capitalistes ou plans de relance
  • indirectement, du fait de la baisse d'activité qui réduit les recettes fiscales

Depuis 2008, l'endettement des Etats-Unis a augmenté de 2 000 milliards de dollars, celui de l'Italie de 300 milliards d'euros, celui de la France de 300 milliards. Mais c'est dans les pays fragilisés de la périphérie de la zone euro que la dette publique pèse le plus sur l'économie. La Grèce en particulier ouvre une nouvelle composante de cette crise, la crise de la dette publique.

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6 Notes et sources

La dette publique, question névralgique de la lutte des classes en Europe, François Chesnais, Novembre 2010