Darwinisme

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Le darwinisme désigne la théorie de l'évolution des espèces élaborée par Charles Darwin au 19e siècle. Ce fut une formidable découverte scientifique dans le domaine de la biologie, mais aussi plus généralement un énorme progrès de la pensée matérialiste.

1 Historique

1.1 L'évolution des espèces

Darwin ne fut pas le premier à émettre l'hypothèse que les espèces vivant sur Terre évoluent. Cette idée était présente chez des penseurs de l'Antiquité (Chouang-Tseu, Lucrèce, Démocrite, Epicure...). Le penseur grec Anaximandre pensait par exemple que les premiers êtres vivants étaient sortis de l'eau, Empédocle envisageait une évolution "aveugle" et mécaniste...

Si ensuite en Occident le dogme chrétien condamne comme hérésie tout ce qui s'écarte du fixisme, de nombreuses théories évolutionnistes fleurissent dans la civilisation arabe. Dans son Livre des Animaux, Al-Jahiz (776-868) parle d'une évolution articulée sur la lutte pour l’existence, la transformation d’espèces et l’influence de l’environnement naturel. L'hypothèse de la sélection naturelle comme moteur de cette évolution sera réaffirmée à maintes reprises (Ali ibn Abbas al-Majusi (Xème), Nasir ad-Din at-Tusi (XIIIème) ...).

En Europe, ce n'est que vers le XVIIIème siècle que le dogme fixiste se fissurera, notamment sous l'effet des découvertes paléontologiques. En réaction, Cuvier tente de faire intervenir Dieu non pas moins mais davantage avec sa théorie catastrophiste. Maupertuis et Buffon émettent eux de hypothèses évolutionnistes, mais sans réelle rigueur.

Le premier grand théoricien scientifique de l'évolution sera Jean-Baptiste Lamarck. Il postule en 1809 que les espèces s'adaptent en fonction de leurs besoins : l'utilisation ou la non-utilisation répétée d'organes entraîne leur croissance, leur régression, etc...

1.2 La sélection naturelle

Charles Darwin n'a donc pas proposé sa thèse au milieu de nulle part, mais, dans un contexte où les idées évolutionnistes se répandaient, il a avancé une théorie cohérente pour expliquer ce processus. Le XIXème siècle transformait le monde à une vitesse jusqu'alors jamais atteinte, et légitimaient la recherche de théories nouvelles. En particulier, l'industrie minière sortait de terre de nombreux fossiles et ossements, témoins du passé du passé d'une Terre plus ancienne que les 6 000 ans affirmés dans la Bible.

Darwin est avant tout l'auteur d'un immense travail de synthèse des nouvelles connaissances botaniques et biologiques (un voyage de 5 ans autour du monde), d'une correspondance assidue avec les grands savants de son époque, et d'une audace intellectuelle qui l'a amené à une découverte fondamentale : la sélection naturelle. Car si le darwinisme est comme la théorie de Lamarck un transformisme, il repose sur le processus "aveugle" de la sélection naturelle. Pour schématiser : si l'intérêt d'un long cou est de pouvoir atteindre les herbes hautes[1], la girafe n'a pas un long cou à force de le tendre de génération en génération, mais parce que celles qui l'avaient trop court étaient désavantagées pour se reproduire.

Toute la biologie moderne s'appuie sur les découvertes et la théorie de Darwin. Les techniques et les champs scientifiques nouveaux comme la génétique sont venus compléter notre compréhension de nos origines et de celles de nos ancêtres ou cousins vivants...

1.3 Transmission des caractères acquis

Un grand débat oppose régulièrement ceux qui postulent que les caractères acquis peuvent se transmettre héréditairement à ceux qui pensent que c'est impossible. Plusieurs néo-darwiniens ont notamment réduit le lamarckisme à cette idée. Or c'est injuste, car il faut savoir qu'aussi bien Darwin que Lamarck pensaient que les caractères acquis se transmettent. Car en soi, cette idée n'est pas incompatible avec la sélection naturelle.

Les expériences conduites depuis et surtout les progrès en biologie (distinction des cellules somatiques et germinales, ADN...) ont montré qu'a priori la sélection naturelle est prépondérante. Génétiquement, les caractères acquis ne se transmettent pas, car ils ne modifie pas les gènes. En revanche, une discipline récente, l'épigénétique, a prouvé que certains caractères acquis peuvent se transmettre, sans que le génome soit modifié dans son contenu. Ces changements seraient même réversibles.

2 Implications philosophiques

2.1 Du matérialisme au marxisme

Le darwinisme est basé sur l'observation de la nature, et sur la théorisation d'une explication qui réside dans la nature elle-même, et non pas en dehors ou au dessus. C'est donc un matérialisme. Et pour ce point fondamental, qui fut la base permettant de libérer la compréhension humaine de l'idéalisme, il rend hommage à son prédécesseur Lamarck :

« Le premier, il rendit à la science l'éminent service de déclarer que tout changement dans le monde organique, aussi bien que dans le monde inorganique, est le résultat d'une loi, et non d'une intervention miraculeuse. » Darwin, à propos de Lamarck[2] 

Darwin lui-même affirmait croire encore en Dieu, mais c'est un fait que sa théorie affaiblit le dogmatisme religieux. Mais plus qu'à un simple athéisme, le matérialisme est une clé pour l'émancipation humaine. En effet, si nous pouvons comprendre d'où vient le corps dont nous sommes faits, nous pouvons tenter de comprendre comment s'est forgée notre conscience, ce qui la détermine. Plus, nous pouvons appliquer le raisonnement matérialiste à l'histoire et aux sociétés humaines, ce qui est l'objet même du marxisme

Marx et Engels avaient lu l'ouvrage de Darwin et ils le considéraient comme le complément dans le domaine biologique de leur vision dynamique de l'histoire humaine. Même si la rumeur selon laquelle Marx se proposait de dédier le Capital à Darwin est fausse, la persistance de ce mythe montre qu'il est possible d'y croire.

2.2 Darwinisme social ?

C'est en lisant Malthus et sa thèse selon laquelle les hommes devraient lutter pour une nourriture trop rare que l'idée vint à Darwin de la sélection naturelle. Cela ne change rien au fait que Darwin ne partageait pas la justification de la domination bourgeoise faite par Malthus. Les domaines n'ont d'ailleurs rien en commun. Le darwinisme se borne à décrire comment les meilleurs caractères permettant la survie dans la nature ont pu se transmettre (y-compris les caractères grégaires d'entraide soit-dit en passant), sans y inclure une once de vision normative.

Qu'importe, certains cyniques idéologues bourgeois ont utilisé la "sélection naturelle" contre la classe laborieuse, le plus souvent comme justification par la méritocratie de la hiérarchie sociale. Une idéologie de classe qui n'a rien de commun avec la démarche matérialiste de Darwin. Ironiquement, c'est cette même démarche qui permet au socialisme scientifique de démonter cette stupidité : l'accumulation du capital permet à la bourgeoisie de se préserver de la sélection naturelle, et les prolétaires sont victimes non pas de la nature, mais de rapports sociaux historiquement imposés. C'est l'évolution de la société humaine elle-même qui montrera si cet état de fait est dans "l'ordre des choses", ou si le capitalisme sera balayé avec son caractère "devenu réactionnaire".

3 Position des religions

3.1 D'une impossible adaptation...

Les religions se sont évidemment montrées très hostiles à cette théorie qui contredit de plein fouet leur dogme créationniste et finaliste, et instille le matérialisme dans les consciences. Mais dans les pays industrialisés, le développement de l'instruction scientifique, l'anticléricalisme bourgeois et le mouvement ouvrier ont beaucoup affaibli l'audience des Eglises, qui ont dû modérer leurs critiques. 

En 1996, le pape Jean Paul II admet que l'évolution des espèces ne doit pas être vue comme "une simple hypothèse". Mais il ajoute qu'il faut se méfier des « théories de l’évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ». En clair, la concession pour beaucoup de catholiques est : "d'accord, le corps de l'homme est le produit d'une évolution, mais son âme éternelle est insufflée par Dieu".

Certains courants tentent même d'aller plus loin et de désamorcer le différend. En mars 2009, l'Eglise catholique a organisé à Rome un colloque: « L’évolution biologique : faits et théorie. Une évaluation critique, 150 ans l'origine des espèces  », à l’occasion duquel un certain Mgr Gianfranco Ravasi a déclaré : « Il n'existe aucune incompatibilité entre la théorie de l'évolution et le message de la Bible ou la théologie ». Des apologies similaires ont lieu chez les penseurs musulmans.

3.2 ...à une réaction assumée

Mais les courants les plus intégristes de toutes les religions sont toujours prêts à reprendre l'initiative. Ainsi, particulièrement depuis plusieurs années, plusieurs attaques idéologiques plus ou moins directes ont eu lieu.

Aux États-Unis les fondamentalistes chrétiens veulent que le récit de la création soit enseigné à "égalité" avec la théorie de l'évolution.

En 2007, un livre financé par un intégriste, millionnaire Turc, l’Atlas de la création,  érigeant la théorie de l’évolution comme le mal absolu, a été envoyé gratuitement dans un grand nombre d’établissements scolaires du monde.

De façon plus sournoise, certains abandonnent le fixisme traditionnel et théorisent le "dessein intelligent" : certes il y a eu évolution du monde vivant, mais c'est que Dieu en est le chef d'orchestre. Les propagandistes de cette thèse s'appuient souvent sur un discours à la forme pseudo-scientifique pour récupérer et inverser le prestige de la science au profit de la foi religieuse.

4 Anthropocentrisme

La Bible, tout en soumettant l'homme à Dieu, entretient une vision extrêment anthropocentrique et finaliste de la nature : celle-ci serait faite pour répondre à nos besoins. En brisant ce mythe et en le remplaçant par une système avec des lois immanentes mais sans but, Darwin a profondément blessé l'orgueil humain, et en particulier celui des classes dominantes.

Mais un certain nombre de préjugés demeurent, comme l'idée que l'homme est "le plus évolué", "l'aboutissement de l'évolution". Evidemment on doit considérer que la conscience qui a émergé avec homo sapiens sapiens est un saut qualitatif remarquable. Mais gare aux fausses déductions : nous avons 26 000 gènes, tandis que le riz en a 50 000 !

5 Sexisme

Dans son livre La descendance de l’homme, Darwin a écrit que « les facultés d’intuition, de perception rapide, et peut-être d’imitation de certaines femmes sont des caractéristiques des races inférieures, et donc d’un état passé et inferieur de la civilisation. »

Ou encore « L'homme est plus puissant dans le corps et l'esprit que la femme. Et à l'état sauvage, il la maintient dans un état de servitude beaucoup plus ignoble que ne le fait le mâle de tout autre animal. Donc, il n'est pas surprenant qu'il ait acquis le pouvoir de sélection. »

Plus personnellement, il décrit le rôle de la femme dans le mariage comme « compagnon constant (amie dans la vieillesse) qui fera preuve d'intérêt, objet à affectionner et avec lequel on peut jouer – en tout cas mieux qu’un chien – à domicile, et quelqu'un qui prend soin de la maison ».

6 Notes et sources

http://www.npa-debatrevolutionnaire.org/Marx-Darwin

Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, Friedrich Engels, 1883

Les tâches de l'éducation communiste, Trotski, 1923

Darwinisme et marxisme, Anton Pannekoek, 1912

  1. Cette explication classique est en fait partielle : le long cou permet aussi de voir venir de plus loin les prédateurs...
  2. Charles Darwin, L'origine des espèces, 1859