Dématérialisation de l'économie

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La dématérialisation de l'économie est le fait de réduire la consommation d'énergie et de ressources naturelles dans la production et l'échange. Cela a un intérêt évident dans une perspective écologiste.

1 Dématérialisation ?

Dématérialisation est un terme trompeur, puisque dans la plupart des domaines (biens de consommation courants, nourriture...) la dématérialisation de la production, et encore moins du produit final est tout simplement impossible. Tout au plus, il s'agit de réduire la part de matières premières consommées pour une même quantité produite, auquel cas on devrait plutôt parler d'efficacité.

L'expression a déjà plus de sens dans le cas de l'information, mais là encore c'est abusif, car on peut seulement rendre le support de l'information moins "lourd", mais pas transformer celle-ci en "idée pure". L'information a toujours un support matériel, en comprenant la matière au sens large, avec ses aspects corpusculaires (noyaux, électrons...) et ondulatoires (rayonnement électromagnétique...). Que ce soit une lettre déplacée ou un courriel transitant par les impulsions électriques ou le rayonnement du Wifi, c'est toujours dans le même monde immanent que les échanges se déroulent.

Le terme de dématérialisation est souvent employé pour décrire des modes d'échange supposés demander moins d'industrie lourde, moins de déplacement de matière, et donc moins d'énergie. Étant donné les fortes difficultés actuelles à produire de l'énergie sans alimenter l'effet de serre ou menacer l'humanité d'une catastrophe nucléaire, étant donné que bon nombre de procédés industriels actuels sont générateurs de pollution, il y a donc un réel enjeu écologique.

2 Le mythe de la Nouvelle Économie

Avec le développement de l'informatique (et autres NTIC[1]), on a depuis la fin des années 1990 beaucoup parlé de Nouvelle Économie. La plus-value serait réalisée non plus principalement dans l'industrie par les marchandises, mais dans le secteur tertiaire par les services.

2.1 Poids et consommation du tertiaire

🔍 Voir : Tertiarisation.

C'est un fait que dans un pays comme la France, le secteur tertiaire est devenu le principal employeur avec plus de 70% des travailleurs, loin devant l'agriculture et l'industrie. Mais l'image d'Épinal du travail de bureau n'impactant pas l'environnement ne correspond pas à la réalité. Certes les NTIC en elles-mêmes ne représenteraientque 2% des émissions européennes de gaz à effet de serre[2]. Mais le secteur tertiaire inclut entre autres les transports et les centres commerciaux, qui sont hautement énergivores. Or les transports et le bâtiment (chauffage, climatisation, ventilation, éclairage...) représentent en France autour de 70% de la consommation énergétique.

« il n’est pas sûr que le tertiaire d’aujourd’hui soit moins consommateur que l’industrie d’hier. L’INSEE met en effet dans les services nombre d’activités parfaitement énergivores ou dévoreuses d’espace, à commencer par les transports (routier, maritime ou aérien), les zones commerciales en périphérie de ville (et les accès routiers associés) [...] »[3]

De plus, dans bon nombre de cas, la distinction industrie / tertiaire paraît totalement arbitraire : un emploi de manutentionnaire sera "tertiaire" dans l'entrepôt d'un hypermarché, mais "secondaire" dans l'entrepôt d'une scierie, un technicien réparateur sera dans l'industrie s'il travaille à Renault, et dans les services s'il travaille à Véolia Eau...

2.2 Tertiarisation et industrialisation

Il est important de dissiper les mythes sur la désindustrialisation. La progression du secteur tertiaire ne s'est pas faire "au détriment" de l'industrie, mais elle en est le prolongement. Il suffit d'ailleurs de remarquer qu'elle ne s'est produite que là où existe déjà une industrie performante, et en premier lieu dans les pays impérialistes. Sans la profusion de biens permise par l'industrie, il ne pourrait y avoir autant de services dédiés à la formation (enseignement, consulting...), à la conception (architecture, ingénierie...), au négoce (grandes surfaces, vente en ligne...), ou encore au nettoyage des locaux de ces entreprises. Cela se vérifie lorsqu'une entreprise comme Téléperformance s'occupe du service-après-vente de Toshiba, lorsqu'une SSII[4] comme Altran travaille pour EADS, ou encore lorsque Microsoft réalise l'essentiel de son chiffre d'affaire avec des entreprises, qui elles mêmes ont besoin d'une industrie. Il faut d'ailleurs remarquer qu'il s'agit bien souvent d'externalisation : là où avant les techniciens, agents d'entretien ou ingénieurs étaient intégrés aux usines, la course à la rentabilité a poussé à la sous-traitance.

Si la proportions -voire dans certains pays le nombre- de travailleurs de l'industrie a diminué, c'est essentiellement en raison des prodigieux gains de productivité qui ont pu être réalisés dans ce domaine. En revanche dans les services les gains de productivité sont beaucoup plus difficiles à obtenir. En conséquence, la tertiarisation doit plutôt être vue comme un indicateur de l'industrialisation.

« il est beaucoup plus facile d’augmenter d’un facteur 10 la cadence d’une machine d’embouteillage à emploi quasi-constant - ou le nombre de containers chargés sur un bateau à emploi quasi-constant - que de multiplier par 3 le nombre d’enfants confiés à une assistante maternelle (600 000 emplois en France en 1998) ou à un enseignant du primaire et du secondaire (900 000 emplois). Il sera tout aussi ardu de multiplier par 3 - sans recourir à des machines - le nombre de m2 nettoyés en une journée par un agent d’entretien (1 000 000 d’emplois ; première profession en France) ou encore le nombre de clients qu’un vendeur peut servir par jour (1 000 000 d’emplois)… L’industrialisation massive doit donc assez logiquement déboucher sur une augmentation des flux matériels… et de l’emploi dans le tertiaire. ».[3]

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2.3 Intensité énergétique / matérielle

Certains discours d'économistes bourgeois un peu plus sérieux mettent l'accent sur l'amélioration technique, affirmant qu'elle permettra d'alléger le coût écologique de la croissance. On peut notamment étudier certains indicateurs :

  • l'intensité matérielle du PIB : masse de matières premières consommées par une production donnée (elle baisse par exemple si le recyclage augmente)
  • l'intensité énergétique du PIB : quantité d'énergie consommée par une production donnée (elle baisse par exemple si l'efficacité énergétique augmente)
  • l'intensité carbone de l'énergie : quantité de CO2 émise par une production d'énergie donnée (elle baisse par exemple si le recours aux énergies fossiles diminue)

Ces ratios sont effectivement en légère baisse au niveau mondial, suite aux investissements dans l'efficacité énergétique et les quelques législations étatiques allant dans ce sens. Il est d'aileurs notable que ces indicateurs sont très liés au niveau d'investissements productifs : en Chine, l'intensité énergétique a été divisée par 4 entre 1971 et 2006[5], tandis qu'elle augmentait de 25% en Afrique. Mais le fait est que cette efficacité ne suffit à dessiner une issue dans le cadre du capitalisme.

La question n'est d'ailleurs pas nouvelle, puisqu'elle rejoint directement celle du "découplage" entre la croissance économique et la consommation des ressources naturelles, notamment énergétiques. Déjà en 1972, le fameux rapport du Club de Rome s'alarmait de la consommation toujours plus grande du "capital naturel" (au lieu d'un cantonnement aux "intérêts", renouvelables) et prévoyait une catastrophe à long terme. Avec le temps, cette approche s'avère de plus en plus crédible. C'est pourquoi la bourgeoisie "éclairée" tente de concilier "la croissance" (et, implicitement, le cadre de la production capitaliste) et les ressources, en prônant un découplage énergétique : parvenir à faire reposer les gains de points de PIB sur autre autre chose que la consommation d'énergie. Par exemple avec la Déclaration de Carnoules pour multiplier par 10 l'efficacité énergétique[6]. Mais pour faire un tel saut qualitatif, il faudrait de très grands investissements, qui ne sont pas rentables pour les capitalistes.

Le fait incontournable, c'est que la consommation d'énergie est sans cesse en augmentation, que ce soit au niveau mondial ou au même dans les pays avec les plus faibles "intensités énergétiques". Car les capitalistes, s'ils se félicitent de parvenir à réduire les dégâts occasionnés par 1 $ de profit, n'en cherchent pas moins à gagner toujours plus de dollars de profits. En plus de cet effet volume, la concurrence engendre une quantité inestimable d'absurdités dans la sphère de la production et des échanges. On peut notamment citer les problèmes de l'obsolescence plus ou moins programmée, les profondes lacunes dans l'interopérabilité, la superposition de nouveux marchés (publicité, achats en ligne...) plutôt que le remplacement des marchés antérieurs, ou encore le fait que le système mondial (avec notamment les brevets) pousse les pays périphériques à une consommation élevée d'énergie fossile pour s'industrialiser...


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3 Enjeu écologique réel

Ce constat ne signifie pas qu'il n'y a rien à tirer des technologies actuelles. Au contraire, la "dématérialisation" recèle un potentiel énorme, à la fois écologique et social, qui pourrait probalement s'épanouir pleinement dans le socialisme.

3.1 Sophistication et effet de seuil

Il n'est pas évident en soi qu'un colis de plusieurs DVD va consommer plus d'énergie pour son transport qu'un réseau d'ordinateurs branchés en permanence sur Internet. Il faut non seulement prendre en compte l'énergie consommée directement par les terminaux de l'information (les ordinateurs, les téléviseurs, les smartphones...), mais aussi l'ensemble des intermédiaires du réseau (les serveurs...), et enfin la part d'énergie consommée et l'impact environnemental de la production et du transport de tous les moyens nécessaires (ordinateurs, câbles électriques...). En revanche, il est clair qu'au delà de certains effets de seuils, il devient tout à fait rationnel de fonctionner en réseau, avec une concentration des coûts matériels/énergétiques dans l'infrastructure, et un allègement des terminaux de l'information.

C'est au fond la même logique que pour les transports collectifs. Même si leur rentabilité financière est en général faible, le seuil au delà duquel ils deviennent écologiquement préférables à des automobiles / motos est très vite atteint.

Il est difficile de savoir où nous en sommes vraiment aujourd'hui, mais il paraît probable que la plupart des effets positifs de "dématérialisation" sont largement compensés par l'énorme gaspillage de matière (et de travail humain !) des rapports sociaux capitalistes. Des indicateurs existent pour tenter de penser "globalement" ces bilans entropiques/écologiques, comme l'énergie grise ou le bilan carbone, mais ils requièrent un tel travail de systématisation pour signifier quoi que ce soit de valable, qu'ils ne peuvent servir que de paravent idéologique à la destruction engendrée par le système.

Une étude de l'Ademe[7] montre que le coût énergétique des courriels et autres utilisations courantes d'Internet est beaucoup plus élevé que d'intuition. Mais elle montre aussi une chose simple : envoyer un mail à 10 personnes au lieu d'une seule multiplierait par 4 l'impact environnemental, et non par 10 (contrairement au courrier classique). C'est une illustration de "l'effet de seuil".

3.2 Perspective socialiste

Sans se hasarder à prédire ce que décideraient les travailleurs unis dans un processus révolutionnaire, il est possible de dessiner des perspectives que rendrait possible l'abolition du capitalisme.

  • La réduction de la production nécessaire
  • La réduction bien plus franche de l'intensité carbone de l'énergie
  • La réducation franche de l'intensité énergétique de la production et des échanges
    • Transfert massif des technologies les plus efficaces avec coopération internationale
    • Mise à disposition libre et facile des oeuvres intellectuelles et artistiques numérisables par Internet
    • Regroupement facile de plusieurs cartes (à puce, magnétiques...) en une
    • Développement d'Internet, du cloud computing, clients légers...

Il est intéressant de s'intéresser particulièrement à la question de l'argent. Son support, la monnaie, est dores et déjà dans un stade très avancé de dématérialisation, car cela convient mieux à la fluidité des capitaux. C'est totalement le cas au niveau des plus importants flux financiers, beaucoup moins au niveau des paiements quotidiens (Cartes bleues et systèmes Monéo encore pas systématiques). Il est probable que dans les premiers temps, une révolution socialiste accélèrerait fortement ce processus pour des raisons de praticité, d'échanges facilités entre pays... Et ce faisant, dans un contexte de prospérité, elle rendrait très vite la question de l'abolition de l'argent purement symbolique.

4 Notes et sources

  1. Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication : l'information, la micro-électronique, les logiciels, le commerce en ligne...
  2. Etude BioIS pour la Commission Européenne, Impacts of Information and Communication Technologies on Energy Efficiency, 2008
  3. 3,0 et 3,1 Jean-Marc Jancovici, La dématérialisation de l’économie : mythe ou réalité ?, 2007
  4. Société de Services en Ingénierie Informatisée
  5. Source : Alternatives économiques
  6. http://oputaing.free.fr/carnoules-fr.html
  7. Ademe, Analyses de Cycles de Vies des Technologies - Courriers électroniques, requête Web, clé USB : quels impacts environnementaux ?, 2011