Crise des années 1970

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Ce que l'on désigne généralement par crise des années 1970 est davantage d'une période de ralentissement progressif de l'économie capitaliste qu'une crise au sens propre (ponctuelle). C'est une période qui marque la fin de la forte croissance des années 1945-1975 (Trente glorieuses), la fin du « compromis fordiste », l'émergence de luttes de classes importantes, et finalement la montée en puissance du néolibéralisme.

1 Contexte historique

Dans la Grande dépression des années 1930, l'Etat a dû s'impliquer bien plus directement pour conforter ses capitalistes, avec des nationalisations (sous le Front populaire...) ou par le dirigisme fasciste. Les idéologies sont alors plus politiques qu'économiques, et très différentes, mais le libéralisme est en net recul. La Seconde guerre mondiale, boucherie majeure, fut la prolongation de cet interventionnisme, avec, comme lors de la précédente guerre, un fort dirigisme étatique.

Lorsque la paix revient, la démocratie bourgeoise est remise en place dans beaucoup de pays, mais l'interventionnisme reste très fort. C'est à la fois rendu nécessaire par les besoins de la reconstruction et de la reconversion vers une économie de paix, et parce que les dirigeants craignent le mouvement ouvrier et s'empressent de mettre en place des programmes sociaux (Etat-providence). Économiquement, c'est alors l'apogée du courant de pensée regroupé autour de John Maynard Keynes : le capitalisme a besoin d'être régulé. Bien que la propriété privée soit garantie, d'importants secteurs sont parfois nationalisés, comme en France, et un certain nombre de régulations sont mises en place, même au niveau international.

La prospérité et la croissance qui règnent alors pendant plusieurs décennies ("Trente glorieuses") laissent penser à beaucoup que la doctrine keynésienne permet d'atteindre le point d'équilibre d'un capitalisme désormais à visage humain. Les tenants de plus de libéralisme (et symétriquement les marxistes) sont de moins en moins audibles.

Mais les conditions économiques favorables créées par la guerre (capital détruit ou massivement dévalué) n'étaient pas éternelles, et le capitalisme n'a pas d'équilibre possible.

2 La crise des années 1970

2.1 Retournement économique

A la fin des années 1960, le taux de profit tend à baisser dans les pays impérialistes. Les investissements productifs, autour desquels est orientée l'économie, se font moins rentables.

Les gains de productivité ralentissent, et tendent à augmenter moins vite que les salaires réels, car la combativité ouvrière, tend au contraire à augmenter par rapport aux années 1960. Cela provoque une forte inflation.

La croissance ralentit alors que l'inflation augmente (stagflation), alors que la théorie économique dominante prévoyait que l'une et l'autre allaient de pair.

En conséquence le chômage de masse commence à réapparaître dans les vieux pays impérialistes.

2.2 Financiarisation et monétarisme

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Avec la diminution de la rentabilité industrielle, les investisseurs se sont progressivement concentrés sur le secteur financier. Mais celui-ci était fortement réglementé.

Les Etats-Unis sont particulièrement touchés avec la perte de valeur du dollar. C'est pourquoi en 1971, ils annulent les accords de Bretton Woods. Puis les taux de change flottants remplacent les taux fixes. La finance n'a plus ce centre régulateur qu'étaient les Etats-Unis. Chaque Etat va alors tendre à "libérer" ses marchés financiers plus ou moins rapidement, réagissant en réalité davantage aux pressions des capitalistes qu'à une idéologie.

Il faut trouver un nouveau modèle... Un des consensus qui va rapidement se dessiner est la lutte contre l'inflation, ce qui va conduire au dogme monétariste. Pour cela, les Banques centrales seront déclarées "indépendantes".

2.3 Les « chocs pétroliers »

La crise des années 1970 (il s'agit davantage d'une période de ralentissement progressif de l'économie que d'une crise - ponctuelle) n'est pas réductible aux « chocs pétroliers » comme certaines périodisations le laissent entendre. Néanmoins il s'agit d'un facteur non négligeable dans la mesure où le renchérissement du pétrole vient peser sur le taux de profit (augmentation du coût du capital constant).

Avant les années 1970, les puissances impérialistes avaient un sentiment de toute puissance et de contrôle sur les ressources naturelles où qu'elles soient dans le monde. Par exemple elles disposaient comparativement à aujourd'hui d'un pétrole très peu cher, parce que les compagnies pétrolières occidentales ne payaient quasiment rien aux pays dominés dans lesquels elles opéraient.

Pourtant dans le sillage de la décolonisation, une vague de revendications monte dans les années 1960. Les pays dominés exportateurs de pétrole créent en 1960 l'OPEP, qui est accueillie avec mépris par les occidentaux. Le Financial Times ne lui donne par exemple que «  deux ans d’espérance de vie ». Elle monte pourtant en puissance progressivement. En 1969, après son arrivée au pouvoir en Libye, Khadafi impose de meilleures royalties à une compagnie américaine (l’indépendant Occidental petroleum), ce qui stimulera à son tour les revendications des autres pays de l'OPEP.

Les trusts du pétrole profiteront bien évidemment de cette situation pour augmenter largement leurs prix.

2.4 Augmentations des conflits politiques

Cela ouvre une période d'accentuation des luttes de classe, d'autant plus que la classe ouvrière s'est massifiée et que les jeunes (jeunes travailleurs et étudiants, dont la composition sociale est plus populaire suite à la massification des universités) se radicalisent contre le capitalisme ou au moins ses effets (crises écologiques, impérialisme...).

Ainsi en plus de la contestations entre ouvriers et patrons à l'intérieur des entreprises, s'ajoute une opposition entre une partie importante de la population et les actionnaires. Des actions militantes se multiplient pour venir dénoncer les activités des entreprises au sein même des assemblées d'actionnaires.

En 1971, David Rockefeller déclare : « Il est à peine exagéré de dire que le business américain fait aujourd’hui face à la plus grande défaveur publique qu’il ait connue depuis les années 1930. On nous accuse de détériorer la condition des travailleurs, de tromper les consommateurs, de détruire l’environnement et de léser les jeunes générations. »

Cela provoque des réactions anti-intellectuels chez des idéologues bourgeois. Ainsi Irving Kristol, Norman Podhoretz ou Arthur Shenfield théorisent que l'hostilité anticapitaliste diffuse provient d’une “new class”, vague classe moyenne, “intellectuelle” mais massifiée et donc au rabais, composée « d'intellectuelloïdes ». [1]

2.5 Crise idéologique

La crise des années 1970 vient remettre en question le paradigme dominant, celui d'un capitalisme régulé suivant les préceptes keynésiens.

Réagissant d'abord dans la logique keynésienne, les gouvernements tentent des plans de relance, qui restent vains. La grande bourgeoisie et les politiciens à leur service cherchent alors des solutions.

3 Notes

  1. Cf. Grégoire Chamayou, La société ingouvernable, 2018