Conférence de Zimmerwald

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La conférence de Zimmerwald est une rencontre de délégués socialistes qui s'est tenue dans le village suisse de Zimmerwald du 5 au 8 septembre 1915, au cours de la Première Guerre mondiale.

L'objectif de la conférence était de rassembler les socialistes fidèles à l'internationalisme et de lutter contre la guerre et contre le triomphe du chauvinisme et du militarisme dans la social-démocratie : les participants voyaient comme du nationalisme la participation à des gouvernements d'Union sacrée dans les pays belligérants.

1 La Deuxième Internationale dans l'Union sacrée

🔍 Voir : Union sacrée.

La Deuxième Internationale se désagrégea dès le début de la guerre. Dans l'Empire allemand, la fraction du SPD au Reichstag vota les crédits de guerre et l'Union sacrée (Burgfrieden) dès le 4 août 1914, contrairement à leur programme et leurs engagements internationaux. En France, les socialistes soutiennent aussi l'entrée en guerre. Il existait cependant des opposants. Mais au début ils ont tous eu tendance à se plier à la discipline de parti. Le 2 décembre 1914, Karl Liebknecht rompt et vote seul contre les crédits de guerre. Il devient le symbole de l'opposition à la guerre, entraînant d'autres à sa suite.

Les socialistes italiens, étant alors dans un pays neutre et ayant maintenu une opposition à l'entrée en guerre, organisèrent une conférence internationale d’information, le 27 sep­tembre 1914, à Lugano (Suisse). Les socialistes suisses apportèrent leur soutien. La conférence de Lugano eut peu d’effet immédiat, mais elle servit de tremplin pour le regroupement des internationalistes l'année suivante.

La première vraie réunion socialiste internationaliste après l'éclatement de la guerre fut la conférence des femmes socialistes en mars 1915 à Berne, suivie d'une conférence de sections de jeunesse (qui affirmera la nécessité de refonder une Internationale sans les chauvins) en avril 1915 à Berne également. Quelques mois plus tard, les socialistes qui ne se reconnaissent plus dans l'action de leur parti se réunissent à Zimmerwald.

2 Délégations

La conférence de Zimmerwald réunit 38 délégués de différents pays d'Europe. Dans certains des pays centraux, ces délégués représentaient des groupes en opposition avec les partis officiels, tandis que dans beaucoup de pays plus petits, les délégués représentaient les directions des partis.

Allemagne. ‑ La délégation représente les divers groupes d'opposition. Etant donné son attitude à l'égard de la guerre, le Parti officiel n'a pas été invité.
France. ‑ Ici également on a dû s'abstenir d'inviter le Parti officiel qui est engagé dans la voie de la politique gouvernementale. Toutefois, des membres du Parti et de la C.G.T. étaient présents. La Fédération des ouvriers des Métaux a envoyé une représentation officielle; de même la minorité de la C.G.T.
Italie. ‑ La délégation représente le Parti officiel et le groupe parlementaire.
Angleterre. ‑ Des délégations de l’« Independent Labour Party » et du « British Socialist Party » étaient assurées. La délégation de l'I.L.P., composée des camarades Jowett et Bruce Glasier, et celle du B.S.P., composée du camarade E. C. Fairchild, n'ont pu se rendre à la Conférence, le gouvernement anglais ayant refusé les passeports. La veille de la Conférence arriva le télégramme suivant : « Impossible obtenir passeports. Saluts chaleureux. Jowett, Glasier. »
Russie. ‑ Délégations officielles du Comité central et du Comité d'organisation du Parti ouvrier social‑démocrate; de même du Comité central du Parti socialiste révolutionnaire. De plus, délégations de la social‑démocratie lettone et du « Bund ».
Pologne. ‑ Un délégué officiel de chacune des trois organisations socialistes de la Pologne russe et de la Lithuanie se plaçant sur le terrain de la lutte de classe.
Roumanie. ‑ Délégation officielle du Parti socialiste.
Bulgarie. ‑ Délégations officielles du Parti ouvrier socialiste de Bulgarie et de sa fraction parlementaire. Les délégations roumaine et bulgare représentaient en même temps la Fédération socialiste interbalkanique.
Suède et Norvège. ‑ Délégations officielles de la Sozialdemokratiska Umgomsfőrbundet.
Hollande. ‑ Délégation officielle du Groupe « De Internationale ».
Suisse. ‑ Délégations personnelles, le Comité directeur du Parti suisse ayant laissé toute latitude aux camarades d'assister à la Conférence.

3 La conférence

Les délégués dénoncèrent la guerre dans un manifeste en plusieurs chapitres dont la Déclaration franco-allemande commune aux socialistes et syndicalistes français et allemands :

« Après un an de massacre, le caractère nettement impérialiste de la guerre s'est de plus en plus affirmé ; c'est la preuve qu'elle a ses causes dans la politique impérialiste et coloniale de tous les gouvernements, qui resteront responsables du déchaînement de ce carnage »

La guerre est un produit de l'impérialisme, du chauvinisme et du militarisme. Ce manifeste appelle également à l'union des travailleurs de tous les pays dans la lutte contre la guerre :

« Il faut entreprendre cette lutte pour la paix, pour la paix sans annexions ni indemnités de guerre. Mais une telle paix n'est possible qu'à condition de condamner toute pensée de violation des droits et des libertés des peuples »

Il va vite apparaître que la conférence comprenait au moins deux tendances distinctes, le manifeste publié reprenant leurs idées communes.

La majorité pacifiste des délégués souhaitait que la conférence serve uniquement à affirmer la volonté de défendre l'idéal internationaliste et de l'opposition à la « guerre impérialiste », et à aboutir à une "paix blanche". Certains voulaient aussi et surtout reprendre comme avant les relations avec l'ensemble de la social-démocratie de la 2e internationale (courant qui sera désigné par la suite comme "centriste").

Une minorité (que l'on appellera la « gauche de Zimmerwald ») menée en particulier par Radek et Lénine, jugeait que la capitulation des dirigeants socialistes devant le nationalisme et la guerre constituait une trahison extrêmement grave. La 2e internationale s'étant donné comme priorité la lutte contre la guerre, cela signifiait la faillite de celle-ci. Pour Lénine, cet échec tragique rendait indispensable la fondation d'une nouvelle internationale, et la rupture totale avec les sociaux-démocrates ayant participé à l'union sacrée. Toutefois, cette minorité voyait dans les résultats de la conférence, c'est-à-dire la réaffirmation de l'internationalisme, un « premier pas » pour la reconstruction du mouvement socialiste après la guerre sur des bases nouvelles. C'est autour de ce courant, mais pas seulement, que se formera l'Internationale communiste (3e internationale).

La gauche de Zimmerwald était cependant traversée par certains débats, par exemple sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (entre les positions de Lénine et Luxemburg notamment).[1]

Certains centristes comme Ledebour attaquent Lénine sur le fait qu'il est facile pour lui de lancer des appels révolutionnaires en tant qu'émigré. Lénine répond, et répondra à nouveau à une remarque de Souvarine sur ce sujet :

« Il s'est passé 29 ans depuis mon arrestation en Russie. Durant ces 29 ans, je n'ai pas cessé de lancer des appels révolutionnaires aux masses. Je l'ai fait de ma prison, de Sibérie, et, plus tard, de l'étranger. Et j'ai souvent rencontré dans la presse révolutionnaire aussi bien dans les discours des procureurs tsaristes, des « allusions » m'accusant de manquer de probité parce que, habitant l'étranger, je lançais des appels révolutionnaires aux masses de Russie. De la part de procureurs tsaristes, ces « allusions » ne sauraient étonner personne. Mais de la part de Ledebour, j'avoue que je m'attendais à des arguments d'un autre caractère. Ledebour a probablement oublié que Marx et Engels, par exemple, lorsqu'on 1847, ils écrivirent leur fameux Manifeste Communiste, lançaient, eux aussi, de l'étranger, des appels révolutionnaires aux ouvriers alle­mands ! La lutte révolutionnaire est souvent impossible sans une émigration des révolutionnaires. »[2]

La conférence publia un manifeste corédigé entre autres par Léon Trotski dénonçant la guerre comme barbarie directement produite par le capitalisme, ainsi que le chauvinisme et le militarisme :

« Quels que soient les responsables immédiats du déchaînement de cette guerre, une chose est certaine : la guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l'impérialisme. Elle est issue de la volonté des classes capitalistes de chaque nation de vivre de l'exploitation du travail humain et des richesses naturelles de l'univers ».

Ce manifeste appelait également à l'union des travailleurs de tous les pays dans la lutte contre la guerre, et dénonçait les dirigeants socialistes ayant abandonné leurs idées. Lénine reprochait à Trotski d'être centriste, et de ne pas s'être associé à la gauche de Zimmerwald.

La conférence débouche sur la création d'une « Commission socialiste internationale » dirigée notamment par Robert Grimm et par Angelica Balabanova en raison de sa connaissance de nombreuses langues européennes.

4 Le mouvement Zimmerwald

La conférence de Zimmerwald va donner son nom à un mouvement.

Les socialistes vont se rassembler par la suite à la Conférence de Kiental du 24 au 30 avril 1916, leur rassemblement prenant une tournure plus révolutionnaire.

4.1 Le Congrès de Stockholm de 1917

Début 1917, un comité de socialistes danois et scandinaves lança un appel à un congrès international à Stockholm, dans un but pacifiste affiché, mais s'adressant en réalité au camp des Alliés. Les dirigeants conciliateurs (SR et menchéviks) des soviets lancèrent un appel similaire et des discussions s'ouvrirent pour que les soviets envoient des délégués à ce congrès. Les bolchéviks s'y opposaient clairement, tandis que l'exécutif de Zimmerwald était divisé : A. Balabanoff était contre, R. Grimm était pour, s'appuyant sur la position prise par les soviets.

Une réunion du Zimmerwald eut lieu à Petrograd, au cours de laquelle tous les Russes affiliés purent donner leur avis : les mencheviks internationalistes de Martov, les SR interna­tionalistes, des bundistes, des sociaux-démocrates hollandais, polonais, roumains, lithuaniens, des Bolcheviks (Lénine et Zinoviev) et des interrayons (Trotski, Riazanov et Ouritski). Deux courants s’opposaient : l’un favorable à la participation, l’autre, majoritaire, partisan du boycott. Bien que personnellement opposée à ce Congrès, Balabanoff estimait que les délégués russes n’étaient pas seuls habilités à prendre la décision, et soutint avec Grimm une alternative, consistant à convoquer une troisième conférence de Zimmerwald avant le Congrès de Stockholm. Cette proposi­tion fut finalement adoptée. Au cours des débats, Trotski apparut comme le plus polémique contre les centristes, alors qu'auparavant il apparaissant comme moins radical que les bolchéviks.

4.2 Le mouvement zimmerwaldien en Russie en 1917

Le 29 avril 1917, Zinoviev proposa à la direction bolchévique de participer à la conférence internationale des zimmerwaldiens fixée au 18 mai à Stockholm. Ce fut adopté à l'unanimité moins une voix, celle de Lénine. Il exigeait la rupture avec Zimmerwald, la majorité avait clairement été gagnée par les indépendants allemands et des pacifistes neutres dans le genre du Suisse Grimm. (Il préconisait seulement de maintenir des liens pour obtenir des informations et mieux réunir la gauche de Zimmerwald). Mais, pour beaucoup, Zimmerwald, pendant la guerre, s'identifiait presque au bolchevisme. Les délégués ne consentaient pas encore à renoncer à la dénomination de social-démocratie (proposée par Lénine dans les thèses d'avril), ni à rompre avec Zimmerwald, qui restait à leurs yeux un lien avec les masses de la 2e internationale. Cependant, la Conférence n'eut pas lieu en raison de ces mêmes conflits intimes de Zimmerwald qui avaient amené Lénine à rompre avec celui-ci. La politique de boycottage, repoussée à l'unanimité moins une voix, se réalisait ainsi en fait.[3]

Grimm, qui s'est rendu en Russie, a secrètement tenté de négocier une paix séparée entre l'Allemagne et la Russie, mais le 26 mai un de ses télégrammes est intercepté et publié. Cela déclenche aussitôt un scandale, les alliés critiquant vivement cette entorse à la neutralité suisse. Cela conduit même le premier congrès pan-russe des soviets (dirigé par les socialistes conciliateurs et pro-guerre) à se prononcer pour l'expulsion de Grimm. Cette affaire fut largement utilisée par les réactionnaires pour discréditer le mouvement Zimmerwald.

Zimmerwald restait un symbole de scandale anti-patriotique pour les réactionnaires. Ainsi lors de la Conférence d'Etat de Moscou (août 1917), Milioukov accusa le ministre Tchernov (SR) qui « avait été en personne à Zimmerwald et à Kienthal et y avait présenté les motions les plus dolentes ». Avant de devenir ministre de la guerre impérialiste, Tchernov avait effectivement signé certains documents de la gauche de Zimmerwald, c'est-à-dire de la fraction de Lenine.

Pendant l’été, les difficultés sans fin provoquèrent l'ajournement de la conférence zimmerwaldienne comme du Congrès de Stockholm. La tension entre Bolcheviks et Indépendants allemands ne cessa de monter à propos de Stockholm. Les Bolcheviks n’étaient pas tous d’accord. Après que les Alliés aient refusé d’accorder un passeport aux délégués en partance pour la Suède, même aux socialistes, pourtant majoritaires, Kamenev proposa un changement d’atti­tude. Lénine tenait à ce qu’il n’y ait aucun compromis. Son point de vue l’emporta.

Une conférence du mouvement Zimmerwald s'ouvrit le 5 septembre à Stockholm. Elle rassemblait des bolchéviks, des menchéviks plus ou moins à gauche, des Finlandais, des Polonais (dont Radek), des Roumains, des Bulgares, des Américains, des social-démocrates opposants d'Allemagne et d'Autriche, des Scandinaves et des Suisses. Un des deux délégués américains était Ahsis, un Letton de Boston (représentant un petit groupe de slaves émigrés, la Ligue de Propagande Socialiste, qui faisait de la propagande bolchévique à l'intérieur du mouvement socialiste états-unien), l'autre était James Eads How, organisateur de la communauté hobo.

Suite à cela, avec de grandes difficultés de financement, la gauche de Zimmerwald fonda un premier journal en allemand, la revue Vorbote. Il avait d’abord été convenu que la rédaction du Vorbote serait composée de représentants des deux groupes : Roland Holst, Pannekoek et Radek pour le groupe hollando-polonais ; Lénine et Zinoviev pour le CC russe. Mais Radek s'arrangea pour éliminer de la rédaction Lénine et Zinoviev, qui restèrent simples collaborateurs.[4]

5 Le chant de Zimmerwald

Zimmerwald est le titre d'un chant communiste faisant référence à cette conférence. Il a été écrit en 1936 par des militants trotskystes français affirmant leur fidélité aux idées internationalistes.

Pionniers rouges, marchons en colonnes,
Nos pas martèlent le sol ;
Drapeaux rouges éclatants au soleil du couchant
Emergeant de la houle des blés,
Nos pas sur le sol semblent dire en cadence :
Tu guideras nos pas, Zimmerwald.

Là-bas, émergeant de la plaine,
Paysan reprend haleine,
De la guerre a souffert bien qu’il n’ait pas de terre,
Aujourd’hui c’est toujours la misère ;
On entend sa faux qui chante dans les blés :
Tu guideras nos pas, Zimmerwald.

Sortant éreinté de la mine,
Regagnant son noir coron,
Le mineur que l’on croise et qui lève le poing
Dit : le monde va changer de base.
Le pic sur le sol, qui creuse le charbon :
Tu guideras nos pas, Zimmerwald.

Voici un régiment qui passe.
Bétail marchant vers la guerre.
Dans les rangs des yeux clairs fixent notre drapeau
Mais l’officier oblige à se taire.
Au reflet des fusils le soleil a écrit :
Tu guideras nos pas, Zimmerwald.

Partout la parole de Lénine,
De Liebknecht et de Rosa
Retentit dans les champs, les casernes, les usines,
L’ennemi est dans notre pays ;
Si la guerre éclate, le bourgeois à abattre
Sera écrasé par Zimmerwald.

Écouter le chant Zimmerwald : http://www.chambre-claire.com/PAROLES/Zimmerwald.htm

6 Documents d'époque

7 Notes et sources