Collégialité

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La collégialité est le principe d'une direction assumée par un groupe de personnes (le collège) ayant le même statut et assumant les décisions prises par la majorité de ses membres. C'est un principe démocratique qui a pour but de limiter l'arbitraire du pouvoir.

Dans le fonctionnement théoriquement le plus démocratique, les membres du collège sont élu-e-s sur la base de la proportionnalité. Mais les membres du collège peuvent être aussi être désignés.

1 Exemples

1.1 Gouvernements et institutions bourgeoises

Les parlements sont des directions collégiales, par opposition au président.

D'autres organes reposent sur ce principe :

  • le Conseil fédéral suisse[1]
  • le gouvernement collégial de Nouvelle-Calédonie[2]
  • le « Collège des Bourgmestre et Échevins » en Belgique (représentants légaux d'une Commune)

1.2 Institutions religieuses

Le principe de collégialité a été introduit dans l'Église au cours du concile Vatican II. Il provient des notions de presbytérium et de collège apostolique tels qu'ils étaient connus dans l'antiquité chrétienne.

Toutefois, l'abus de collégialité a été critiqué par les traditionalistes catholiques comme étant une sorte de « syndicalisme clérical », une façon de se substituer à l'autorité hiérarchique plutôt que d'y participer avec enthousiasme.[3]

Cette réserve face à la collégialité exprimée est parallèle à la critique de l'horizontalisme liturgique.[4]

1.3 Mouvement ouvrier

La plupart des organisations du mouvement ouvrier revendiquent un fonctionnement démocratique, mais le principe de collégialité n'est pas systématique. Dans de nombreux débats, ce principe est mis en balance, ou articlé, à la notion de « dictature » au sens romain.

Un débat important eut lieu dans le parti bolchévik au pouvoir dans la jeune Russie soviétique, au sujet de la collégialité dans les entreprises. La majorité autour de Lénine a instauré/soutenu la direction personelle, soutenant que ce mode d'organisation était plus efficace, et donc plus à même de développer les forces productives. Des oppositionnels ont alors défendu le principe de collégialité, en lien avec l'autogestion.

Par exemple, le Conseil des Commissaires du Peuple a pris en 1918 un décret sur « La centralisation de la direction, la protection des chemins de fer et l'élévation de leur capacité de transport », que les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires dénonçaient en l'appelant « décret sur les pouvoirs dictatoriaux ».

Le 28 avril 1918, Lénine publie une brochure intitulée Tâches immédiates du pouvoir des Soviets, dans laquelle il défend le principe de la direction personnelle des entreprises.

« Les représentants conscients (ou, pour la plupart, sans doute inconscients) du laisser- aller petit-bourgeois ont voulu voir dans l'attribution de pouvoirs « illimités » (c'est-à- dire dictatoriaux) à des individus un abandon du principe de la collégialité, de la démocratie et des principes du pouvoir des Soviets. Çà et là, on a vu les socialistes-révolutionnaires de gauche développer contre le décret sur les pouvoirs dictatoriaux une propagande qui était tout bonnement infâme car elle en appelait aux mauvais instincts et à l'esprit petit-propriétaire (...) La soumission sans réserve à une volonté unique est absolument indispensable pour le succès d'un travail organisé sur le modèle de la grande industrie mécanique. Elle est deux fois et même trois fois plus indispensable dans les chemins de fer »[5]

Lénine ne concevait pas cette direction personnelle comme un rejet de la démocratie :

« Il nous faut apprendre à conjuguer l'esprit démocratique des masses laborieuses, tel qu'il se manifeste dans les meetings, impétueux, débordant, pareil à une crue printanière, avec une discipline de fer pendant le travail, avec la soumission absolue pendant le travail à la volonté d'un seul, du dirigeant soviétique. »

Ce débat se poursuite encore quelques années. Les 10-21 janvier 1920 eut lieu le Troisième Congrès pan-russe des Conseils Économiques Régionaux. Dans un discours, Lénine déclara que «  le principe collégial (...) représente quelque chose de rudimentaire, valable seulement dans une première étape, quand il faut construire à partir de zéro (...). Le passage à un travail pratique est lié à l'autorité individuelle.C'est le système qui, plus que tout autre, assure la meilleure utilisation des ressources humaines ». En dépit de cette exhortation, l'opposition aux idées de Lénine et de Trotsky gagnait lentement du terrain. Le Congrès vota une résolution en faveur de la gestion collective de la production.

Les Conférences régionales du Parti à Moscou et Kharkov se prononcèrent contre «  la direction d'un seul », ainsi que la fraction bolchevik du Conseil Central Panrusse des syndicats lors de ses réunions de janvier et de mars. Le 15 mars 1920, le bolchévik Tomski présente ses thèses pour la séance de la fraction du Conseil central des syndicats de Russie. Le point 7 de ces thèses incluait la collégialité dans la direction :

« Le principe fondamental de la structure des organismes de régulation et de direction de l'industrie, le seul principe capable d'y assurer la participation de larges masses ouvrières sans-parti par l'intermédiaire des syndicats, c'est le principe actuellement en vigueur de la direction collective de l'industrie depuis le Bureau du Conseil Supérieur de l'Economie Nationale jusques et y compris la direction d'usine. La direction personnelle de certaines entreprises ne doit être tolérée que dans des cas particuliers, après accord entre les Bureaux du Conseil Supérieur de l'Economie et du Conseil Central des Syndicats de Russie ou du Comité central des Fédérations syndicales correspondantes, et à la condition expresse du contrôle par les syndicats et leurs organismes des administrateurs investis de pouvoirs personnels.» [6]

Dans un discours au 9e congrès du parti (mars-avril 1920)[7], Lénine est opposé aux défenseurs de la direction collective, et critique sévèrement ce point des thèses de Tomsky. Il leur reproche de rester dans « des discussions de principe assez inopportunes », au lieu de s'appuyer sur des faits en comparant l'efficacité des entreprises à direction personnelles et de celles à direction collective (qui existaient encore). Lénine s'agace de perdre du temps, soulignant que cette question a été tranchée « par le Comité exécutif central, qui a spécifié que la démocratie socialiste soviétique n'est nullement en contradiction avec le pouvoir personnel et la dictature, que la volonté d'une classe est parfois réalisée par un dictateur, qui parfois fait à lui seul davantage et est souvent plus nécessaire ». Il conclut : « Si nous ne rejetons pas cette erreur, nous n'atteindrons pas nos objectifs économiques.  »

Dans Terrorisme et communisme (mai 1920), Trotsky soutient :

  • que la direction unipersonnelle n'est pas contradictoire avec la démocratie ouvrière, puisqu'elle venait d'être votée par le 9e congrès du parti bolchévik
  • qu'elle n'est pas contradictoire avec l'esprit d'initiative ouvrière, puisque les ouvriers sont au pouvoir via la représentation des syndicats dans les organes de planification de l'économie, via le contrôle de l'administration par les administrés eux-mêmes...
  • que la direction collégiale est moins efficace car elle dilue les responsabilités des dirigeants
  • que la direction des entreprises ne doit pas être considérée comme une école, mais comme une tâche de spécialiste[8]

Certains secteurs du parti ou des syndicats accusent Trotsky de vouloir appliquer la militarisation qu'il a appliqué dans l'Armée rouge au travail, auquel elle ne convient pas.

Dans son Testament, Lénine commente les qualités et défauts des dirigeants du parti, et s'inquiétait du risque de scission pour cause de conflits entre eux. Pour limiter le poids des chefs et pour que les qualités des uns corrigent les défauts des autres, il proposa d’élargir le comité central pour en garantir le caractère collégial.

2 Notes