Capital financier

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Le capital financier est la fusion du capital bancaire et du capital industriel. C'est pour Lénine et la plupart des marxistes après lui la forme dominante du capital au « stade impérialiste ».

1 Capital et capitalisme financier

Souvent, des courants réformistes dénoncent le "capitalisme financier" au lieu du capitalisme tout court, ce qui a une profonde signification. Ils ciblent la domination des spéculateurs, des rentiers, des banquiers, etc, et y opposent plus ou moins explicitement de bons entrepreneurs capitalistes, qu'il faudrait libérer d'une finance parasite.

Le terme de "capitalisme financier" a parfois été employé par des marxistes révolutionnaires, comme Boukharine, qui pensait que le capitalisme financier a succédé au capitalisme industriel, lui-même ayant succédé au capitalisme marchand. Mais Boukharine, comme Lénine, pensait que cette évolution historique était irréversible et que seule la révolution socialiste pouvait être opposée au capitalisme financier.

2 Conception classique

2.1 Formation du capital financier

Au 19e siècle, on distinguait couramment le capital bancaire du capital industriel. Le premier consistait pricipalement en un intermédiaire du second, en mettant à disposition de celui-ci des sommes d'argent (inactif) rassemblées en une somme résultante prête à être investie (actif).

Mais au fur à mesure que les meilleurs concurrents fusionnaient ou absorbaient leurs rivaux, le capital s'est concentré : les industries sont devenues avant tout d'immenses machines à profit maîtrisant des secteurs entiers, et quelques grandes banques possèdent une part toujours plus étendue de tout le capital mondial. Ces banques ont désormais pour principale raison d'être de valoriser leur capital en prêtant à l'industrie, mais en entretenant des rapports de plus en plus directifs (participation aux conseils d'entreprises, création des sociétés par action, naissance de l'actionnariat...). C'est cette "interpénétration" (Boukharine) entre capital bancaire et capital industriel qui constitue la forme dominante actuelle du capital, que l'on nomme le capital financier.

2.2 Base économique de l'impérialisme

Se basant en grande partie sur des ouvrages déjà publiés comme ceux de Hilferding ou du bourgeois anglais Hobson, Lénine écrivit en 1916 son célèbre ouvrage de vulgarisation sur l'impérialisme. Il mit en relation les transformations profondes dans l'infrastructure (concentration du capital et domination du capital financier) et certaines caractéristiques nouvelles de la société contemporaine (colonialisme, aristocratie ouvrière...).

« Au fur et à mesure que les banques se développent et se concentrent dans un petit nombre d'établissements, elles cessent d'être de modestes intermédiaires pour devenir de tout-puissants monopoles disposant de la presque totalité du capital-argent de l'ensemble des capitalistes et des petits patrons, ainsi que de la plupart des moyens de production et de sources de matières premières d'un pays donné, ou de toute une série de pays. [...] Le XXe siècle marque le tournant où l'ancien capitalisme fait place au nouveau, où la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général. » [1]

2.3 Rentiers, spéculateurs...

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Il est important de préciser que le « capital financier » de Lénine est a priori différent de ce qu’on appelle aujourd’hui « secteur financier » (banques, marchés financiers, rentiers…) qui ne manie que du capital-argent.

Mais Lénine parle des deux aspects. Il écrit qu'une « oligarchie financière » se forme au sein de la bourgeoisie, « frappant la société tout entière d'un tribut au profit des monopolistes. » Il trouve symptomatique que « dans tous les pays capitalistes » apparaît une littérature de « critique petite-bourgeoise de l’oligarchie financière ».

Il dénonce « la classe ou, plus exactement, de la couche des rentiers […] qui sont tout à fait à l'écart de la participation à une entreprise quelconque et dont la profession est l'oisiveté. » Il fait l’observation suivante :

« C'est avec un relief sans cesse accru que se manifeste l'une des tendances de l'impérialisme : la création d'un 'État-rentier', d'un État-usurier, dont la bourgeoisie vit de plus en plus de l'exportation de ses capitaux et de la 'tonte des coupons'. [c’est-à-dire de l’encaissement des dividendes] »

Ailleurs il est plus affirmatif : « La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l'hégémonie du rentier et de l'oligarchie financière. »

Son livre L’impérialisme fait une large place à la dénonciation des spéculateurs et de leurs « tripotages », leur corruption, l’opacité des comptes, les méthodes amorales pour ruiner les concurrents... L’Internationale communiste dénonce aussi « messieurs les bourgeois qui ont pris l'habitude de doubler, de décupler leurs dividendes dans l'espace de quelques jours, au moyen de spéculations savantes »[2]

3 Aux origines de la conception classique

3.1 Karl Kautsky

Les écrits de Karl Kautsky avant 1914 ont eu une grande influence sur la social-démocratie, y compris sur Lénine.

En 1898, Kautsky expliquait le militarisme allemand par les intérêts des « éléments précapitalistes » de la classe dirigeante (seigneurs féodaux et junkers). Il a rapidement ajouté que certains capitalistes aussi (secteur minier, ferroviaire...) avaient intérêt à investir à l'étranger, et demandaient la protection militaire pour garantir leurs profits.

En 1900, Kautsky écrit que ce sont les financiers, et non les industriels, qui ont intérêt au colonialisme[3], pour y trouver des "sphères d'influence" pour exporter leur "capitaux superflus". Certaines formulations semblent déjà montrer qu'il prônait une convergence d'intérêts entre de bons capitalistes industriels et les travailleurs face au capital financier :

« On dira certainement aux classes laborieuses et aux industriels qu'il s'agit [par le colonialisme] d'étendre leurs marchés; mais la diminution de l'exportation de marchandises anglaises vers les colonies anglaises, le très faible utilité du Tonkin et de l'Algérie pour l'industrie française, l'importance toujours plus insignifiante des colonies allemandes pour le développement industriel allemand, prouve combien cela est simple bavardage. [...] Le seul à tirer profit de l'établissement de colonies, de la politique d'expansion moderne, est le capital financier »

A l'inverse il disait :

« L'industrie allemande et l'industrie anglaise sont mutuellement dépendantes, et une interruption dans les relations commerciales des deux pays aurait les effets les plus désastreux sur leur développement économique. [...] En outre, l'intérêt supérieur qu'a l'industrie des deux pays dans l'ouverture des marchés, encore plus ou moins fermés, entraîne de nombreux points de contact. A l'inverse, le capital financier est par nature fortement monopoliste. »

Kautsky défend que le militarisme est soutenu par les « rois de la finance moderne [qui] dominent les nations directement par des cartels et des trusts ». Il estime que les industriels eux n’ont pas intérêt aux guerres (à cause des impôts, des ruptures des échanges...), mais que « la finance domine de plus en plus l'industrie. »

A cette époque on observe aussi de plus en plus la spéculation. Bernstein la considère comme une maladie infantile du capitalisme, Kautsky la pense durable.

3.2 John Hobson

L’analyse[4] parue en 1902 de John A. Hobson, un intellectuel libéral anglais, a marqué les théoriciens social-démocrates. Il soutient qu’en raison de la sous-consommation des ouvriers, les financiers préfèrent investir dans des colonies (en s’appuyant sur les militaires), transformant en États-rentiers l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Belgique...

Les milieux universitaires ont été beaucoup plus critiques que Lénine. Pour eux[5] :

  • Hobson n'est pas rigoureux et n'a pas réussi à démontrer le lien entre exportation de capitaux et annexion.
  • Selon eux, les annexions avaient plutôt des motifs politiques qu'économiques.
  • Il y aurait une tension entre les deux thèses du livre : la théorie de la conspiration des financiers et l'explication par la sous-consommation.
  • La thèse de la finance comme force majeure de l'impérialisme ne serait pas démontrée empiriquement mais serait déduite de l'idée que puisque l'impérialisme n'est pas favorable à la nation tout entière, il doit être favorable à quelqu'un.

3.3 Rudolf Hilferding

🔍 Voir : Le capital financier.

Rudolf Hilferding avait pour ambition de réévaluer totalement Le capital de Marx au regard des évolutions du capitalisme. Son livre, Le capital financier[6], est quasiment fini dès 1905, même s'il ne le publiera qu'en 1910.

« Le capital financier est donc un capital dont disposent les banques et qu'utilisent les industriels. ».

A tort ou à raison, beaucoup ont retenu que Hilferding avait décrit la domination de la banque sur l'industrie.

« Comme le taux d'intérêt, dans les conditions capitalistes développées, change peu et que le taux de profit, par contre, baisse, le pourcentage de l'intérêt par rapport au profit, donc au bénéfice de l'entrepreneur, par conséquent la part prélevée par les capitalistes inactifs au détriment des capitalistes productifs s'accroît dans la même proportion. C'est là un fait [...] qui explique l'influence croissante du capital portant intérêt, donc des manques, et qui est un levier puissant de la transformation du capital en capital financier. »[6]

Il y affirme que le capital financier (monopoles industriels et bancaires) attise un protectionnisme offensif et s’appuie sur l’Etat pour assurer ses investissements plus rentables à l’étranger. Mais il dit à la fois que le capital financier « veut non pas la liberté, mais la domination » (ce que retiendra Lénine), et qu’il crée une possibilité de dépassement des rivalités si l’Etat intervient (ce que retiendra Jaurès).

3.4 Boukharine

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Boukharine précise que le capital financier « ne doit pas être confondu avec le capital-argent, parce qu'il est simultanément du capital bancaire et industriel. »[7]

4 Analyses chez Marx

Les capitalistes du début du 19e siècle étaient la plupart du temps à la fois des patrons donnant des ordres à leurs salarié-e-s et les propriétaires de leur capital. Marx analysait déjà à son époque que le patron-entrepreneur percevait dans son profit à la fois une part en tant que propriétaire et une part en tant qu'exploiteur direct.

A la fin du 19e siècle, ces deux aspects ont tendu à se séparer, avec l'apparition des sociétés par actions. On a alors le PDG de l'entreprise qui orchestre l'exploitation de ses salarié-e-s, tandis que le capital de l'entreprise appartient à des actionnaires. Ces actionnaires ont droit à des dividendes prélevés sur le profit que le PDG a extorqué.

5 Critiques

L'étude de Hobson a été critiquée sur le lien qu'elle fait entre secteur des "financiers" et politique impérialiste.

Beaucoup de commentateurs ont par la suite reproché à Hilferding d'avoir généralisé son étude à partir de l'exemple de l'économie allemande et autrichienne de l'époque, fortement cartellisée.

Par ailleurs, il faut noter que Hilferding (suivi sur ce point par Lénine), a fait un mauvais pronostic en prédisant la perte d'importance des bourses.

Pour certains il y a une ambigüité chez Lénine entre les deux sens de "capital financier".[8]

5.1 Claude Serfati

C. Serfati considère que Le Capital financier est un ouvrage majeur, mais critique l'idée de Hilferding d'une « fusion entre capital industriel et capital bancaire ». Pour lui, le capital financier devenu dominant, c'est le capital rentier, qui produit (croit produire) de l'argent à partir de l'argent (A-A' suivant les notations de Marx). Etant donné que la plus-value est en réalité extorquée dans la production réelle, ce capital est parasitaire.[9]

« Depuis 2007, des gens tout à fait ‘sérieux’ tels que des responsables de la Banque d’Angleterre (je pense par exemple à Andy Haldane) mettent en garde contre l’illusion que le secteur financier créé de la valeur (ils appellent cela la valeur ajoutée). Ils nous rappellent également que de nombreuses innovations financières sont sans ‘utilité sociale’ bien que très lucratives pour le secteur financier lui-même. »

Serfati décrit les groupes industriels comme « des groupes financiers ayant des activités industrielles ». Il pense que la motivation première du capital étant le profit, cela ne coïncide pas forcément avec l'accumulation productive parce que la rentabilité de l’investissement productif est généralement lente et incertaine, « parce qu’il y a de la concurrence, parce qu’au moins dans certaines circonstances de taux de profit jugé insuffisant ». Alors qu'à l'inverse, le capital financier est dans une position de force confortable pour réclamer, par exemple, des remboursements sur des dettes publiques, des dividendes...

« Le but le plus complet du capital, même si il faut passer par P (moyen de production/force de travail), c’est que A’ soit plus grand que A. Le P n’est qu’un intermédiaire entre le capital initialement investi et le capital qui est généré à la fin du processus. »

Serfati s'inscrit dans la théorie classique, mais distingue plusieurs « configurations historiques » :

  • Jusqu'en 1939, l’impérialisme classique.
  • Dans l'après-guerre, l’impérialisme structuré politiquement et économiquement par les États-Unis. Le taux de profit élevé permet de donner la priorité à l'accumulation productive. Le capital financier est dompté.
  • A partir des années 1990, l'époque de la mondialisation dominé par la finance. La « résurgence du capital financier depuis les années 1980 a pour point de départ les difficultés de mise en valeur du capital productif. »

6 Notes et sources

Jorge Eduardo Niosi, Le contrôle financier du capitalisme canadien, 1980, 2ème édition en 1981

  1. L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine, 1916
  2. 2ème congrès de l’Internationale communiste, Manifeste, 1920
  3. Karl Kautsky, Germany, England and the World­Policy, The Social Democrat, août 1900
  4. J.A. Hobson, Imperialism : A study, 1902
  5. Voir notamment la préface de J. Townshend au livre de Hobson.
  6. 6,0 et 6,1 Rudolf Hilferding, Le capital financier, 1910
  7. Boukharine, Imperialism and World Economy, 1915
  8. Workers' Liberty, Marxisme et impérialisme, 2014
  9. Claude Serfati, Qui s’intéresse encore à l’impérialisme français ?, 2016