Directions syndicales

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Le siège de la CGT à Montreuil

La bureaucratie au sommet des syndicats est un des obstacles aux progrès du mouvement des travailleurs et par extension à la révolution socialiste. C'est un phénomène général depuis la fin du 19e siècle, qui touche tous les syndicats.

1 La bureaucratisation

La bureaucratisation n'est pas un accident de parcours qui arrive à quelques syndicats simplement par erreur humaine. C'est un phénomène général.

Même les syndicats qui ont été à l'origine créés par et pour les travailleurs se sont retrouvés à pactiser avec les capitalistes et parfois tout faire pour sauver leur système. C'est avant tout dû au développement d'une couche privilégiée parmi les travailleurs, qui est liée matériellement à la bourgeoisie et préfère défendre ses intérêts immédiats que l'ensemble de la classe. Cette couche - l'aristocratie du travail - est celle qui dirige les syndicats, à la fois parce qu'elle a plus de facilité à gravir les échelons, et parce que la pression corruptrice de la bourgeoisie transforme en général "ceux d'en bas" qui atteignent le sommet. Il se développe alors une vraie séparation entre la tête et la base des syndicats, même si en temps de paix sociale relative, la base fait confiance à la direction. Tout ceci créé les conditions pour une bureaucratisation des syndicats, avec tout ce que cela signifie en terme d'étouffement de la démocratie interne : muselage, répression ou explusion des voix critiques, peur des actions trop "spontanées" de la base...

La bureaucratisation est étroitement liée à l'intégration des syndicats à l'appareil de l'État capitaliste. Trotski faisait l'analyse suivante peu avant sa mort :

« Il y a un aspect commun dans le développement ou, plus exactement, dans la dégénérescence des organisations syndicales modernes dans le monde entier : c’est leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d’Etat. Ce processus est également caractéristique pour les syndicats neutres, sociaux-démocrates, communistes et anarchistes. Ce fait seul indique que la tendance à s’intégrer à l’Etat n’est pas inhérente à telle ou telle doctrine, mais résulte des conditions sociales communes pour tous les syndicats. (...)

A l'époque actuelle, les syndicats ne peuvent pas être de simples organes de la démocratie comme à l'époque du capitalisme libre-échangiste, et ils ne peuvent pas rester plus longtemps politiquement neutres, c'est-à-dire se limiter à la défense des intérêts quotidiens de la classe ouvrière. Ils ne peuvent pas être plus longtemps anarchistes, c'est-à-dire ignorer l'influence décisive de l'Etat sur la vie des peuples et des classes.

Ils ne peuvent pas être plus longtemps réformistes, parce que les conditions objectives ne permettent plus de réformes sérieuses et durables. Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat. »[1]

Dans certains cas, l'intégration à l'État se fait au sens propre, certains dirigeants syndicaux étant directement fonctionnaires de l'appareil d'État (principalement dans les États autoritaires, mais pas seulement). Le plus souvent dans les démocraties bourgeoises, cela se fait plus indirectement, par un mécanisme que Gramsci appelait « corruption-fraude », qui faisait que les bureaucrates prennent spontanément des positions conservatrices, et identifient leurs fins à celles de l'État.[2][3]

2 Exemples

2.1 Allemagne

En Allemagne, les partis socialistes sont apparus avant que n'apparaissent un mouvement syndical puissant. Mais au début du 20e siècle, les organisations syndicales se développent et se centralisent rapidement. De par leur influence idéologique et le fait qu'ils aient la plupart du temps été les premiers organisateurs du mouvement ouvrier, les cadres du parti social-démocrate (SPD) gardèrent un certain temps un rôle dirigeant. On considérait alors « la social-démocratie allemande » comme un ensemble, constitué de toutes les organisations (associatives, syndicales...) et dirigé politiquement par le SPD.

Mais les syndicats montèrent en puissance et dépassèrent le parti. En 1895, année de la mort d'Engels, les syndicats social-démocrates n'atteignaient que 300 000 membres et étaient concurrencés par les syndicats dirigés par des libéraux et des catholiques, tandis que le SPD avait un poids électoral de 1 500 000 votes (19,7%). En 1900, ils étaient devenus la première puissance syndicale, avec 600 000 membres, et en 1904 ils dépassaient le million. En 1906, ils comptaient 1 689 709 membres, contre 384 327 pour le SPD.

Au congrès du SPD en 1906, la direction et les syndicats décident de mettre sur un pied d’égalité les deux organisations (« parité »). Dorénavant, les décisions essentielles devront être prises en commun. Kautsky se contente d'amender la résolution (de Bebel) pour qu'elle souligne « la nécessité absolue [que les syndicats soient] gouvernés par l'esprit de la social-démocratie ». Luxemburg ironise sur cette parité en la comparant à un paysan (le syndicat) qui dirait à sa femme (le parti) : « Quand nous sommes d'accord c'est toi qui décide, sinon c'est moi. »[4]

Début 1910 à nouveau, des grèves massives apparaissent spontanément, à la fois économiques (contre les patrons) et politiques (pour réclamer le suffrage universel). Rosa Luxemburg se met alors à critiquer durement la passivité de la social-démocratie, qui ne cherche pas à pousser le mouvement en avant.[5] Kautsky lui fait alors une réponse qui cautionne la politique majoritaire.[6] En privé, Kautsky s'irrite contre Luxemburg, qui ferait peur aux syndicalistes avec son gauchisme, et qui nuirait à « son influence » sur les syndicats, celle « des marxistes ».[7] Les idées de Luxemburg et de Liebknecht, celles de l'aile gauche de la social-démocratie, ont pourtant de l'écho à ce moment-là car il apparaît que les méthodes purement parlementaires et de négociation syndicale sans rapport de force ne permettent de rien obtenir : pas d'avancée sur le droit de vote, de nombreux ouvriers soumis à la répression patronale et judiciaire, impuissance face au militarisme lors notamment de la crise d'Agadir...

Lors des élections de 1911, la social-démocratie est unie en apparence, mais ce n'est plus réellement sous le leadership politique du SPD, mais cela devient en réalité une alliance entre la bureaucratie syndicale et la bureaucratie du SPD dirigée par Ebert.

2.2 France

La trahison de juin 1936 en France, en partie par la direction de la CGT.

Lors du grand mouvement contre la réforme des retraites de sarkozy en 2010, les syndicats ont tout fait pour ne pas que la contestation déborde le cadre des manifestations périodiques, malgré les millions de manifestants qui répondaient à l'appel et la forte légitimité du mouvement (plus de 70% de soutien). Sur le plan des revendications, ni la CFDT ni la CGT n'ont voulu afficher clairement le mot d'ordre de retrait de la loi, se bornant à demander des négociations pour "une autre réforme". Surtout, face à la revendication montante de la grève générale comme seule solution pour imposer la défaite au gouvernement, la direction de la CGT s'y est fortement opposée.

« La question n’est pas de durcir [le mouvement] mais d’obtenir des inflexions en matière économique et sociale » Bernard Thibault[8]

Début 2013, alors que la colère gronde parmi beaucoup de travailleurs contre les licenciements, le ministre "socialiste" de l’Intérieur, Manuel Valls, exprime très clairement quel doit être le rôle des syndicats : « La colère des ouvriers doit être canalisée par les syndicats » [9]

On peut observer un soupçon de connivence de Laurent Berger (CFDT) et Jean-Claude Mailly (FO) avec Pierre Gattaz (Président du MEDEF), après que ces deux syndicats aient signé l'accord Unédic, contre lequel les intermittents et précaires se battent en juillet 2014.

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En avril 2016, Hollande s'apprête à nommer Le Paon président d'une agence contre illettrisme, et Stéphane Lardy (haut responsable de FO) à l'IGAS (inspection générale des affaires sociales), comme Chérèque précédemment. C'est une planque qui leur rapporte environ 10 000 € par mois.[10]

En avril 2018, le congrès de FO voit une forte opposition se lever contre Jean-Claude Mailly, suite à la ligne très conciliatrice dans la lutte contre les ordonnances de Macron contre le code du travail. Il doit céder la place[11]. En juin 2018, Mailly est recruté en tant que « senior advisor » par Alixio, la société Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy.[12]

En janvier 1921 le journaliste Jean-Bernard Gervais publie un témoignage sur son passage à la Confédération de la CGT en tant que conseiller en communication. Il y décrit un fonctionnement méprisant de Philippe Martinez et de son équipe sur les exécutants, un recrutement basé sur le népotisme familial plutôt que sur les compétences ou l'investissement dans les luttes, une absence de soutien aux syndicalistes qui sont première ligne, et dénonce plus largement la bureaucratisation et l'intégration à l'État.[13]

2.3 Algérie

L'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) est complètement inféodée au régime algérien.Le 14 février 2019, alors que le dictateur Bouteflika (physiquement paralysé mais servant de marionnette des dignitaires du régime) est fortement contesté, le secrétaire général de l'UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, déclare :

« Le moudjahid [combattant] historique Abdelaziz Bouteflika doit passer avec la majorité absolue le 18 avril, et nous punirons ceux qui n’emmèneront pas leurs familles voter. »[14]

2.4 Royaume-Uni

La trahison de la grande grève anglaise de 1926 notamment par les bureaucrates du TUC.

2.5 États-Unis

La trahison des grèves étatsuniennes des années 1930, notamment par la direction conservatrice de l'AFL.

2.6 Chine

En 2010 en Chine, des hommes du syndicat unique ont tabassé des grévistes, qui dénoncent ces "prétendus syndicalistes" qui préfèrent recourir à la violence "au lieu de défendre les intérêts collectifs des travailleurs".[15]

2.7 Grèce

Le 17 mai 2013, jour d'examen, les syndicats d'enseignants prévoient une journée de grève. Le gouvernement interdit la grève, mais la base syndicale veut à 92% maintenir la grève. Mais au sommet de l'appareil syndical, on en a décidé autrement : le président refuse de soumettre au vote la question de la grève ou non, et à la place soumet la question de savoir s'il y a un soutien populaire suffisant pour l'assumer... De nombreux représentants de sections locales protestent, rappelant qu'ils n'ont de mandat que pour voter la grève. Ainsi une majorité (57) vote blanc (et 18 oui, 9 non), et sous ce prétexte, le vote est annulé.[16]

2.8 Venezuela

La Confédération des Travailleurs du Venezuela (CTV), principale centrale syndicale, est proche du parti Action démocratique. Sa bureaucratie, fortement coupée des aspirations de la population, et même financée par les États-Unis (par le biais de la National Endowment for Democracy), a pris parti pour les putschistes de droite dans leur tentative de coup d'État contre Chavez en 2002.

De son côté le régime chaviste a progressivement mis en place une autre centrale, l'Union nationale des travailleurs (UNT) à partir de 2003.Cette centrale syndicale est devenue aussi acritique envers le chavisme que la CTV l'était avec les gouvernements néolibéraux qui l'ont précédé.

2.9 Afrique du Sud

De même que le Parti communiste sud-africain est profondément lié au parti de gouvernement (l'ANC - African National Congress), les grandes confédérations pratiquent à outrance la collaboration de classe.

Récemment, lors des violentes grèves de mineurs en 2012, cela est clairement apparu à de nombreux travailleurs, qui ont alors fait éclater leur colère contre le National Union of Miners (NUM).[17]

3 Notes et sources

  1. Léon Trotski, Les syndicats à l'époque de la décadence impérialiste, 19 août 1940
  2. Antonio Gramsci, Le jacobinisme "à l'envers" de Charles Maurras, Cahiers de prison
  3. Antonio Gramsci, Notions encyclopédiques et thèmes de culture - L'initiative individuelle, Cahiers de prison
  4. Carl Emil Schorske, German Social Democracy, 1905–1917: the development of the great schism (1955, Harvard University Press)
  5. Rosa Luxemburg, The Next Step, Dortmunder Arbeiterzeitung, Mars 1910
  6. KarI Kautsky, Was nun? (Et maintenant?), Neue Zeit, 8 avril 1910
  7. Karl Kautsky, Lettre à David Riazanov, 16 juin 1910
  8. Europe 1, 23 mars 2010
  9. Europe 1, Valls : La colère des ouvriers doit être canalisée par les syndicats, 7 février 2013
  10. http://social.blog.lemonde.fr/2016/04/06/des-nominations-qui-tombent-a-pic-pour-des-syndicalistes-de-la-cgt-et-de-fo/
  11. Le Parisien, FO : avant son départ, Jean-Claude Mailly tente d’éteindre l’incendie… et règle ses comptes, 26 avril 2018
  12. Le Parisien, L’ex-FO Mailly rejoint le cabinet d’un ancien conseiller de Sarkozy, 18 juin 2018
  13. Vidéo de présentation du livre sur Le Média : La direction de la CGT a-t-elle trahi les travailleurs ?
  14. https://www.monde-diplomatique.fr/2019/04/A/59712
  15. http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/06/05/le-combat-des-salaries-d-honda-pour-toute-la-chine_1368294_3234.html
  16. http://greece.greekreporter.com/2013/05/16/teachers-will-not-strike-during-exams/
  17. Afrique du Sud : les mineurs quittent en masse le syndicat NUM, octobre 2012