Bonapartisme

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Le bonapartisme est un concept marxiste qui désigne une forme de gouvernement bourgeois autoritaire, qui se place en apparence au dessus des conflits de parti pour mieux maintenir un ordre menacé.

Dans le langage courant, le bonapartisme désigne le courant politique inspiré de l'Empire de Napoléon 1er.

1 Origine historique et définition

La révolution française, de 1789 jusqu'en 1799, a été une période d'instabilité politique. Si elle a permis à la bourgeoisie de réellement déblayer la voie vers sa domination économique et la constitution d'un État à son service, la représentation politique était tiraillée entre jacobinisme et réaction. C'est cette situation qui a permis à Napoléon Bonaparte d'avoir un tel soutien des classes possédantes et de larges masses (en particulier la paysannerie) au nom du rétablissement de l'ordre.

La bourgeoisie a à nouveau eu recours au bonapartisme en 1851, en raison de l'instabilité de la Deuxième république. C'est ce que Marx décrit dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, à propos du Second Empire de Napoléon III. Marx et Engels ont également qualifié de bonapartisme le régime de Bismarck. Dans La guerre civile en France (1871), Marx généralise le bonapartisme :

En réalité, c'était la seule forme de gouvernement possible, à une époque où la bourgeoisie avait déjà perdu, -  et la classe ouvrière n'avait pas encore acquis,  - la capacité de gouverner la nation.[1]

Le 12 avril 1890, Engels écrivait à Sorge: « Tout gouvernement actuel devient, nolens-volens, bonapartiste. »

Plus tard, Trotski contextualise cette observation et établit un lien avec la dynamique économique :

« Ce fut plus ou moins vrai alors pour une longue période de crise agraire et de dépression industrielle. Le nouvel essor du capitalisme à partir de 1895 environ affaiblit les tendances bonapartistes, le déclin du capitalisme après la guerre les renforça extrêmement. »[2]

Trotski résumait ainsi la définition du bonapartisme :

« Par bonapartisme, nous entendons un régime où la classe économiquement dominante, apte aux méthodes démocratiques de gouvernement, se trouve contrainte, afin de sauvegarder ce qu’elle possède, de tolérer au-dessus d’elle le commandement incontrôlé d’un appareil militaire et policier, d’un "sauveur" couronné. Une semblable situation se crée dans les périodes où les contradictions de classes sont devenues particulièrement aiguës : le bonapartisme a pour but d’empêcher l’explosion. »[2]

A propos de la généralisation de l'emploi d'un terme qui historiquement a d'abord désigné un cas précis :

« Le terme de bonapartisme déroute une pensée naïve (à la Tchernov). Car il évoque à la mémoire le modèle historique de Napoléon, de même que le terme de césarisme évoque le modèle de Jules César. En fait, ces deux termes sont depuis longtemps détachés des figures historiques qui leur ont donné leur nom. Quand nous parlons de bonapartisme, sans déterminatif, nous avons en vue non pas l'analogie historique, mais la définition sociologique. Ainsi le terme de chauvinisme a un caractère aussi général que celui de nationalisme, quoique le premier mot vienne du nom du bourgeois français Chauvin et le second de nation.»[2]

2 Bonapartisme et fascisme

La notion de fascisme n'est pas, pour les marxistes, un fourre-tout dans lequel on doive mettre tous les régimes autoritaires. Le fascisme est un écrasement du mouvement ouvrier, que le grand capital peut réaliser en s'appuyant sur un parti de masse basé sur la petite-bourgeoisie radicalisée. En arriver à ce degré de violence fait courir des risques à la bourgeoisie, cela peut notamment provoquer un sursaut révolutionnaire du prolétariat. Par ailleurs, contrairement aux chimères qu'il répand pour mobiliser sa base plébéienne, le fascisme gouverne in fine au service du capital financer. La conséquence, c'est que le fascisme ne conserve pas longtemps cette base de masse, et dégénère en bonapartisme.

Sous le bonapartisme la démocratie bourgeoise est sérieusement limitée (parlement fantoche...), les divisions dans la classe dominante sont suspendues pour mieux centraliser le pouvoir dans l'exécutif, mais ce type de régime, s'il s'appuie sur des relais dans les masses (plébiscites...), ne s'appuie pas sur l'activité d'un mouvement de masse dirigé violemment contre les organisations ouvrières (milices...).

Le schéma que dégage Trotski est que dans certaines circonstances (crise économique...), l'instabilité politique tend à favoriser la transformation de la démocratie bourgeoise en bonapartisme, et tend à ouvrir une situation pré-révolutionnaire. Selon l'issue de la lutte des classes, cela peut alors conduire à la victoire fasciste, la révolution prolétarienne. Le bonapartisme semble donc être une forme transitoire, entre le fascisme et la démocratie bourgeoise (et potentiellement vers la révolution).

Trotski analysait cependant qu'il n'y avait pas une symétrie totale entre le bonapartisme pré-fasciste et post-fasciste :

« A la différence du bonapartisme préventif ou préfasciste [...] qui reflète l'équilibre extrêmement instable etéphémère entre les camps belligérants, le bonapartisme d'origine fasciste (Mussolini, Hitler, etc. ), qui s'est nourri de la destruction, de la désillusion et de la démoralisation des deux camps des masses, se distingue par sa bien plus grande stabilité. »

2.1 Exemples

Lénine et Trotski considéraient que le gouvernement provisoire de Kerensky, après la chute du tsar en 1917, était un embryon de gouvernement bonapartiste.

En Italie, le gouvernement bonapartiste de Giovanni Giolitti, à l'époque de la grève des métallurgistes de septembre 1920, avait tenté de gouverner avec l'appui des socialistes et la tolérance des fascistes.

Dans l'Allemagne, avant la victoire des nazis, Brüning avait gouverné avec des « pleins pouvoirs » que lui avait accordés le Reichstag entre mars 1930 et mai 1932. Puis le hobereau Franz von Papen avait été chancelier de juin à décembre 1932, et le général Kurt von Schleicher, qui avait vainement tenté de s'appuyer sur les syndicats et de diviser le parti nazi.

En France, le gouvernement Doumergue 2 (février-novembre 1934) qui fait suite à la crise du 6 février 1934, était un gouvernement d'union nationale de type bonapartiste.

A propos du régime de Pilsudski en Pologne, il y eut un débat entre Trotski (pour qui c'était un régime fasciste) et ses partisans en Pologne qui étaient partagés sur la question (Herschl Stockfisch pensait que c'était un régime bonapartiste).

A l'inverse de cette démarche de caractérisation précise, l'Internationale stalinisée a employé la notion de fascisme indistinctement : pour le régime de Primo de Rivera, de Chang Kaï‑chek, Masaryk, Brüning, Dollfuss, Severing, le roi serbe Alexandre... Par exemple en 1932, Thälmann (dirigeant du KPD) est extrêmement confus au sujet du gouvernement Papen, en le caractérisant comme fasciste à un moment, puis en parlant de "danger fasciste" à un autre moment. Trotski commentait :

« En ignorant les différences sociales et politiques entre le bonapartisme, c'est-à-dire un régime d' "union sacrée" fondée sur une dictature militaro-policière, et le fascisme, c'est-à-dire un régime de guerre civile ouverte contre le prolétariat, Thälmann se prive de toute possibilité de comprendre ce qui se passe sous ses yeux. »[3]

3 Bonapartisme "sui generis"

Trotski parlait de "bonapartisme sui generis", c'est-à-dire un "bonapartisme d'un genre particulier", à propos de la présidence de Cárdenas (1934-1940) au Mexique.

« Dans les pays industriellement arriérés, le capital étranger joue un rôle décisif. D'où la faiblesse relative de la bourgeoisie nationale par rapport au prolétariat national. Ceci crée des conditions particulières du pouvoir d'État. Le gouvernement louvoie entre le capital étranger et le capital indigène, entre la faible bourgeoisie nationale et le prolétariat relativement puissant. Cela confère au gouvernement un caractère bonapartiste sui generis particulier. Il s'élève pour ainsi dire au‑dessus des classes. En réalité, il peut gouverner, soit en se faisant l'instrument du capital étranger et en maintenant le prolétariat dans les chaînes d'une dictature policière, soit en manœuvrant avec le prolétariat et en allant même jusqu'à lui faire des concessions et conquérir ainsi la possibilité de jouir d'une certaine liberté à l'égard des capitalistes étrangers. »[4]

Trotski compare Cárdenas à Abraham Lincoln et à George Washington, pour ce que ces derniers ont accompli aux Etats-Unis par rapport à l'Angleterre. Contrairement au bonapartisme classique, Trotski considère le bonapartisme sui generis comme progressiste.

Trotski semble généraliser cette analyse deux ans plus tard :

« Comme le rôle principal dans les pays arriérés n’est pas celui tenu par le capitalisme national, mais par le capitalisme étranger, la bourgeoisie du pays occupe, du point de vue de sa position sociale, une position insignifiante et disproportionnée en rapport au développement de l’industrie. En prenant en compte que le capital étranger n’importe pas de travailleurs, mais qu’il prolétarise la population native, le prolétariat du pays commence très tôt à jouer un rôle plus important dans la vie du pays. Dans ces conditions, le gouvernement national, dans la mesure où il essaie de résister au capital étranger, est obligé à des degrés divers de s’appuyer sur le prolétariat (…). Les gouvernements des pays arriérés, c’est-à-dire coloniaux et semi-coloniaux, ont partout un caractère bonapartiste ou semi-bonapartiste, et diffèrent les uns des autres en ceci : quelques-uns s’orientent dans une direction démocratique, en cherchant appui parmi les travailleurs et les paysans, alors que d’autres instaurent une forme de gouvernement proche de la dictature militaro-policière (...). La tutelle de la part de l’Etat (sur les syndicats) est dictée par deux tâches auxquelles il doit faire front : attirer à lui la classe ouvrière, en gagnant ainsi un soutien pour résister aux prétentions excessives de l’impérialisme, et en même temps, discipliner les travailleurs en les mettant sous contrôle d’une bureaucratie. »[5]

Dans ce cas, le gouvernement s'appuie donc sur le prolétariat au détriment de la bourgeoisie compradore, en renforçant le capitalisme d'État. Il s'agit d'une politique résistant partiellement à l'impérialisme. Dans ces circonstances, le gouvernement cherche à associer les syndicats ouvriers à la gestion d'entreprises nationalisées, pour renforcer son assise. Trotski estimait qu'il ne fallait pas refuser par principe les bribes de gestion ouvrière que cela peut apporter, tout en luttant contre la bureaucratie dans les syndicats et en maintenant l'indépendance de classe et la bataille révolutionnaire.[6]

Cette catégorie a été utilisée par certains courants trotskistes pour caractériser divers gouvernements : celui de la Bolivie du début des années 1950, celui de Péron (Argentine), celui de Hugo Chavez.[7]

4 Bonapartisme soviétique

Trotski parlait également de bonapartisme soviétique.

Que signifie le "régime personnel" de Staline et où prend-il son origine? Il est, en dernière analyse, le produit d'une vive lutte de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie. A l'aide de l'appareil bureaucratique et policier, le pouvoir du "sauveur" du peuple et de l'arbitre de la bureaucratie, en tant que caste dirigeante, s'est élevé au-dessus de la démocratie soviétique, la réduisant à sa propre ombre. La fonction objective du "sauveur" est de sauvegarder les nouvelles formes de propriété, en usurpant la fonction politique de la classe dominante. [...] L'offensive des forces plébéiennes ou prolétariennes contre la bourgeoisie dirigeante et de même l'offensive des forces bourgeoises et petites-bourgeoises contre le prolétariat dirigeant peuvent aboutir à des régimes politiques tout à fait analogues (symétriques). Tel est le fait incontestable que le terme de bonapartisme permet on ne peut mieux, de faire apparaître. [...] A l'époque de Lénine, le bonapartisme soviétique était une possibilité; à l'époque de Staline, il est devenu une réalité.[2]

Il indique d'ailleurs qu'une analogie historique peut être faite entre le régime napoléonien et le régime soviétique, car « ces deux régimes sont venus à la suite de grandes révolutions et en ont été les usurpateurs. »

5 Notes et sources