Armée

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Une armée est une bande d'hommes (avec une partielle et récente féminisation) organisée pour permettre à un État de faire la guerre, ou, en cas de guerre civile, à un camp de l'emporter.

L'armée permanente est une partie de l'armée régulière composée exclusivement de militaires et de volontaires, l'autre partie est l'armée de réserve (réservistes volontaires).

1 Armées avant le capitalisme

Marx et surtout Engels se sont intéressés aux rapports matérialistes entre la production et l'armée, et au rôle de la force (c'est à dire des armées, d’État ou populaires) dans l'histoire.

Marx relevait par exemple :

Bacon fait très bien ressortir comment l'existence d'une paysannerie libre et aisée est la condition d'une bonne infanterie : « Il était, dit-il, d'une merveilleuse importance pour la puissance et la force virile du royaume d'avoir des fermes assez considérables pour entretenir dans l'aisance des hommes solides et habiles, et pour fixer une grande partie du sol dans la possession de la yeomanry ou de gens d'une condition intermédiaire entre les nobles et les cottagers et valets de ferme... C'est en effet l'opinion générale des hommes de guerre les plus compétents... que la force principale d'une armée réside dans l'infanterie ou gens de pied. Mais, pour former une bonne infanterie, il faut des gens qui n'aient pas été élevée dans une condition servile ou nécessiteuse, mais dans la liberté et une certaine aisance. Si donc un État brille surtout par ses gentilshommes et beaux messieurs, tandis que les cultivateurs et laboureurs restent simples journaliers et valets de ferme, où bien cottagers, c'est-à-dire mendiants domiciliés, il sera possible d'avoir une bonne cavalerie, mais jamais des corps de fantassins solides... C'est ce que l'on voit en France et en Italie et dans d'autres pays, où il n'y a en réalité que des nobles et des paysans misérables... à tel point que ces pays sont forcés d'employer pour leurs bataillons d'infanterie des bandes de mercenaires suisses et autres. De là vient qu'ils ont beaucoup d'habitants et peu de soldats. » (The Reign of Henry VII, etc. Verbatim Reprint from Kennet's England, éd. 1719, Lond., 1870, p. 308.)[1]

2 Armées sous le capitalisme

Avec la généralisation du mode de production capitaliste s'est généralisé le passage au modèle des armées permanentes. Ceci pour plusieurs raisons :

  • Hausse de la technicité des armements, nécessitant comme dans tout corps de métier une spécialisation accrue (division du travail).
  • Le capitalisme, hautement interconnecté, souffre bien plus des interruptions de la production que les régimes antérieurs. Dans ce contexte, il est dangereux de miser sur la levée en masse.
  • Dans les pays impérialistes, le souvenir des guerres totales (impliquant des mobilisations de la plupart de la population) s'est éloigné, et les guerres actuelles sont très majoritairement des guerres de police dans les pays dominés. Pour cette fonction, une armée permanente est plus efficace et adaptée qu'un modèle de mobilisation générale.

En 2010, les États ont consacré 1 630 milliards de dollars à l’armement : cela suffirait largement à faire disparaître la faim dans le monde, et à éradiquer bien des maladies. C’est le signe flagrant de la décadence de ce système, qui fabrique de plus en plus de moyens de destruction, et de moins en moins de moyens de production nécessaires à satisfaire les besoins de l’humanité.

3 Exemples historiques

Tous les exemples historiques montrent que toute réelle révolution sociale implique une rupture avec l'ancienne armée (comme plus généralement avec l'ancien État, dont elle est la colonne vertébrale), et un armement du peuple.

3.1 La confédération helvétique

Depuis le Moyen-Âge, la Suisse s'est constituée d'abord comme une alliance d'autodéfense en cas d'agression extérieure, cette autodéfense ne devant pas être assurée par une armée permanente, mais par la mobilisation générale des hommes. Aujourd'hui encore, cela marque le pays : le service militaire est obligatoire, le pays est le 3e au monde où le nombre d'armes par habitants est le plus élevé[2]... Une boutade y est d'ailleurs courante : « La Suisse n’a pas d’armée, elle est une armée ! ».[3]

3.2 Révolution américaine (1763-1783)

Les États-Unis se sont libérés de la tutelle du Royaume-Uni par une guerre d'indépendance, dans une période d'intenses luttes de classe. En effet, les états-uniens ne représentaient pas un bloc homogène, et les classes possédantes étaient dans leur grande majorité en faveur du statu quo. C'est pourquoi le processus de création d'une armée nationale n'a pu se faire qu'en mobilisant largement les classes populaires, ce qui a ouvert toute une période de démocratisme radical et d'armement du peuple.

Comme en Suisse, ce passif historique a de fortes conséquences aujourd'hui : le pays est celui où le nombre d'armes par habitant est le plus élevé au monde. [2]

3.3 Révolution française (1789)

Les remarquables grands capitaines de la Révolution et de l'Empire français débutaient, presque constamment, en enfreignant la discipline, en désorganisateurs. Le futur maréchal Davout, quand il était le lieutenant d'Avout, pendant de longs mois, en 1789-1790, dissolvait la discipline "normale" dans la garnison d'Aisdenne, en chassant les commandants. Par toute la France eut lieu, jusqu'au milieu de 1790, un processus de totale décomposition de la vieille armée. Les soldats du régiment de Vincennes contraignaient leurs officiers à faire table commune avec eux. La flotte expulsait ses officiers. Une vingtaine de régiments soumirent leur commandement à des violences de divers genres. À Nancy, trois régiments jetèrent en prison les officiers. À partir de 1790, les tribuns de la Révolution ne cessent de répéter, à propos des excès de l'armée : « C'est le pouvoir exécutif qui est coupable de n'avoir pas destitué les officiers hostiles à la Révolution. » Il est remarquable que, pour la dissolution de l'ancien corps des officiers, se soient prononcés aussi bien Mirabeau que Robespierre. Le premier songeait à rétablir le plus tôt possible une forte discipline. Le second voulait désarmer la contre-révolution. Mais tous deux comprenaient que l'ancienne armée ne pouvait plus durer.

3.4 Commune de Paris (1871)

Afin de défendre la ville contre les réactionnaires versaillais, le Comité de salut public de la Commune mis sur pied une armée défensive, composée pour l'essentiel d'ouvriers et de petits-bourgeois.  Mais, mal armés, mal encadrés et peu aguerris aux techniques de la guerre (ils n'ont pour exemple aucune stratégie), les révolutionnaires fûrent promptement écrasés durant la Semaine sanglante.

3.5 Essor du militarisme japonais

Suite à la révolution Meiji (1868), le Japon se constitue rapidement en État-nation moderne. En même temps que l'État bourgeois se renforce, il voit apparaître des mouvements démocrates (et social-démocrates) qui contestent le chemin pris. Ainsi dans les années 1890, des députés au parlement (par exemple Nakae Chômin et Ueki Emori) pensaient qu'une armée entièrement contrôlée par l'État était dangereuse pour le peuple, et défendaient des armées locales, voire des milices populaires.

3.6 Sous la révolution russe (1917-1922)

Trotski décrit dans son Histoire de la révolution russe comment la lutte de classe (généraux et officiers contre soldats/paysans) et la lutte contre l'impérialisme (revendication de la paix contre intérêts de l'Etat russe) a travaillé les rangs de l'armée. Il raille les illusions des libéraux et surtout des réformistes qui oublient que toute révolution sociale conduit à une dislocation de l'armée.

En Russie, de nombreux contre-révolutionnaires (les Blancs), appuyés par les États occidentaux et japonais, attaquèrent les Soviets acquis à la suite de la révolution. Face à ce danger, Trotski mis sur pied l'Armée rouge. Il raconte à quel point, au niveau des formes, la nouvelle armée a en grande partie consisté à rebâtir la discipline détruite dans l'ancienne armée :

« Les comités, dans les vieux régiments, s'étaient formés comme des incarnations de la révolution même, du moins dans la première étape. Dans les nouveaux régiments, le principe même des comités ne pouvait être toléré, en tant que principe de décomposition. Les malédictions envoyées à l'adresse de la vieille discipline retentissaient encore que déjà nous commencions à en établir une nouvelle. Après avoir recouru aux volontaires, il fallut, à bref délai, en revenir à la conscription forcée ; après les détachements de partisans, il fallut avoir une organisation militaire exacte.  »[4]

L'Armée rouge ainsi créé a été d'une efficacité suffisante pour gagner la guerre civile. Cependant, elle en est sortie fortement bureaucratisée et vidée de toute démocratie interne...Trotski écrit en 1923 : « La nécessité d’entretenir une armée permanente est également une autre source importante de bureaucratisme. »[5]

3.7 Révolution espagnole (1936-1939)

🔍 Voir : Révolution espagnole.

Face au putsch franquiste, de nombreux espagnols vont se soulever au sein du front unique afin de défendre la république et la démocratie. Mais c'est justement les dirigeants bourgeois républicains qui vont précipiter la chute du régime et la mort des révolutionnaires. En particulier, une réforme agraire radicale et l'indépendance du Maroc auraient coupé les fascistes de leurs soutients paysans arriérés et des mercenaires africains.

3.8 Révolution yougoslave (1941-1945)

Sur l'ensemble des officiers de l'ancienne armée, seuls 4,1% se retrouveront dans la nouvelle armée. Parmi les officiers de la nouvelle armée, 90% sont membres du Parti communiste yougoslave.

4 Perspective communiste

Seule une société débarrassée des conflits de classe, de la misère et du profit, pourra se passer des armes et des dépenses d’armement. Cependant la question de l'armée dans la période de transition révolutionnaire est délicate, car un mouvement socialiste qui supprimerait immédiatement toute armée prendrait d'énormes risques de se faire écraser, et à l'opposé, les sacrifices à faire au nom de la discipline (au front et à l'arrière au service du front) ont souvent été de puissants facteurs d'autoritarisme et d'affaiblissement de l'énergie révolutionnaire.

4.1 Points de vue des communistes révolutionnaires

4.1.1 Peut-on épurer l'armée ?

L'énorme majorité, sinon la quasi-totalité des cadres de l'armée sont de droite, réactionnaires ou au moins conservateurs. Ceux qui se prétendent démocrates, en cas de putsch de la droite préfèrent disparaître plutôt que de briser l'armée en s'y opposant.

Épurer signifie-t-il exclure tous ceux-là ? Mais alors il ne reste plus personne et cela revient dans les faits à dissoudre et briser l'armée ou cela signifie-t-il seulement - comme l'entendent les partis de gauche quand ils en parlent - se défaire des plus réactionnaires ou des plus compromis d'entre les cadres ? Mais alors c'est ne rien changer de fondamental et maintenir pour l'essentiel ce corps dont la défense des intérêts de la bourgeoisie est la raison d'être, c'est maintenir donc tous les dangers de putsch et de coup d'État.

4.1.2 Peut-on démocratiser l'armée ?

On ne peut pas plus démocratiser qu'épurer l'armée de la bourgeoisie. En France, tous les cadres de cette armée ne sont pas des grands bourgeois. Une bonne partie d'entre eux est issue de la petite bourgeoisie. Les hommes de troupe le sont, eux, de la classe ouvrière ou de la paysannerie. Mais un paysan, un petit-bourgeois ou un ouvrier qui passe sous l'uniforme et y fait carrière, abandonne les idées de sa classe et les attaches avec elle pour devenir un soldat c'est à-dire un instrument dans les mains de l'état-major. C'est encore plus vrai s'il devient officier. La formation et la discipline auxquelles il est soumis, et qui ont fait largement leurs preuves plus que centenaires, n'ont pas d'autre but.

Coupés du reste de la population laborieuse durant leur service militaire, encasernés hors de tout contrôle et de tout droit de regard de cette population, ces soldats comme ceux de carrière sont entièrement soumis à leurs officiers. Seuls face à ceux-là ils n'ont pratiquement aucun moyen de s'opposer à leur volonté.

4.1.3 Peut-on gagner les soldats à la révolution ?

Il est très difficile d'imaginer une révolution victorieuse, surtout avec l'armement moderne, sans basculement au moins d'une partie significative de l'armée. Dans une situation révolutionnaire, les masses en mouvement sont tellement nombreuses que de nombreux soldats hésitent, puis refusent de réprimer.

Néanmoins, dans de nombreuses situations, la légitimité du pouvoir est chancelant, mais ce qui manque, c'est une claire alternative. Car pour des soldats, désobéir à l'Etat peut être lourd de conséquences si finalement cet Etat se restabilise. Et par ailleurs, de nombreux facteurs jouent sur l'hésitation, et dans certaines circonstances, le fait que le camp populaire soit armé est nécessaire, pour riposter aux franges les plus réactionnaires-loyalistes, et achever de faire basculer les autres.

« Bien entendu, si la révolution ne gagne pas les masses et l’armée elle-même, il ne saurait même être question de lutte sérieuse. Bien entendu, l’action dans l’armée est nécessaire. (...) Mais nous ne serions que de pitoyables pédants, si nous oubliions qu’au moment de l’insurrection il faut aussi employer la force pour gagner l’armée. »[6]

4.1.4 Vers une armée socialiste

La seule armée populaire et démocratique serait celle que formeraient tous les travailleurs en armes, hors des casernes, sans gradés tout-puissants ni hiérarchie professionnelle mais avec l'armement et l'instruction militaire sur les lieux de travail ou d'habitation et des chefs élus et révocables, à tous les échelons.

Certes une armée moderne, qui comporte obligatoirement des blindés, de l'aviation, des armes de toutes sortes d'une haute technologie doit avoir des stocks d'armement et aussi des techniciens capables de servir ces armes.

Mais mettre les stocks et les dépôts sous la garde des travailleurs en armes, soumettre leur utilisation par les techniciens à l'approbation des représentants des travailleurs est parfaitement possible. Car il est finalement plus facile aux travailleurs qui fabriquent les armes et les munitions, les moyens de transport et les communications, qui bien souvent les entretiennent, de soumettre l'état-major et le corps des officiers tout entier à un tel contrôle, qu'aux soldats du contingent isolés et privés d'information.

De toute façon, sans un tel contrôle, inutile de parler de démocratisation de l'armée.

5 Notes et sources