Agenda 2010

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L’agenda 2010 (dont les réformes Hartz) est le nom d’une vague de contre-réformes menées en Allemagne par la coalition SPD-Verts entre 2003 et 2005. Il s'agissait principalement d'augmenter les profits des capitalistes allemands (et donc leur compétitivité) en "flexibilisant" le travail et en comprimant les salaires, y compris la part socialisée (assurances sociales).

1 Motivations

Après la chute du mur et la réunification, l'Allemagne se trouvait dans une situation économique dégradée. Les importants transferts de l'Ouest vers l'Est et le boom de l'activité ont beaucoup augmenté les "coûts salariaux" et la dette publique au début des années 1990. Les excédents commerciaux ont fondu et la balance des transactions courantes de l'Allemagne est même devenue négative à partir de 1991 et jusqu'en 2000.

A partir du milieu des années 1990, la bourgeoisie allemande décide de se lancer dans une vigoureuse politique de compétitivité en s'en prenant aux travailleurs. Ironiquement c'est le Parti social-démocrate allemand sous Gehrhard Schröder qui va mener le plus radicalement cette lutte de classe (les conservateurs de la CDU ont bien sûr soutenu les mesures).

2 Mesures et prétextes

Le SPD prend directement ses conseils de Peter Hartz, directeur du personnel de Volkswagen, où il s'était fait connaître en flexibilisant les horaires. Un paquet de lois  sont votées entre 2002 et 2004, connues sous le nom de lois Hartz :

  • Hartz I : incitation à la formation professionnelle des chômeurs, suivis individuellement
  • Hartz II : instauration des minijobs (contrat précaire, moins taxé et court à moins de 400 € par mois) et midjobs (entre 400 € et 800 €)
  • Hartz III : restructuration de l'agence nationale pour l'emploi et des agences fédérales pour l'emploi
  • Hartz IV : flicage des chômeurs sans précédant : réduction des allocations à 364 € par mois au delà de 12 mois, réduction pour ceux qui refusent d'être embauchés en dessous de leur qualification, réduction en fonction des revenus des parents ou enfants des chômeurs, possibilité de les embaucher à 1 € de l'heure...

Pour justifier ces mesures, le gouvernement va notamment stigmatiser le "chômage volontaire".

Le gouvernement va aussi prendre une série de mesures destinées à favoriser ses capitalistes au détriment des autres pays... et au détriment de ses propres travailleurs. Il a ainsi augmenté la TVA (sur le principe de la "TVA sociale"), et instauré une "taxe écologique". 

Anecdote ironique : Peter Hartz a dû démissionner le 10 juillet 2005 à la suite d'une affaire de corruption.

3 Luttes défensives

Ces contre-réformes sont passées plutôt facilement. C'est la réforme Hartz IV qui a provoqué le plus de réactions. En particulier en ex-RDA, il y eut des manifestations hebdomadaires le lundi, par analogie avec les Montagsdemo des années 1980 contre le régime est-allemand. La bureaucratie syndicale, extrêmement versée dans la collaboration de classe en Allemagne, a tout fait pour éviter toute réaction des travailleurs.

Cette mobilisation a contribué aux revers électoraux de la majorité de Gerhard Schröder en 2005. « Hartz IV » est devenu très impopulaire en Allemagne... même un bourgeois philanthrope, Götz Werner, s'est élevé contre ce qu'il estime être du travail forcé, anticonstitutionnel parce que l'esclavage est prohibé par la déclaration universelle des droits de l'Homme...

4 Conséquences

4.1 Dégradation sociale et inégalités

Suite à ces mesures, le chômage a effectivement baissé, de 10,4 % en 2005 à 7,3 % en 2008, mais au prix de conditions très détériorées :

  • un emploi sur trois n'est désormais ni à plein temps ni à durée indéterminée
  • un sur dix est un minijob (moins de 400 € par mois)
  • 2,5 millions de personnes travaillent pour moins de 5 euros de l'heure dans un pays qui n'a pas de Smic
  • le pourcentage des emplois à bas salaires[1] a progressé de 6 points pour se situer au niveau des pays anglo-saxons (+20% de travailleurs pauvres entre 2006 et 2010, dans les entreprises de plus de 10 salariés)
  • la part des salariés couverts par des conventions collectives a baissé de 76 % à 62 % en dix ans et ces conventions ne concernaient plus que 40 % des entreprises allemandes en 2008.
  • les syndicats ont concédé de multiples dérogations aux conventions collectives de branche au niveau des entreprises (Öffnungsklausel).

Pourtant, l'Allemagne est un des deux seuls pays impérialistes (avec le Japon) où le volume d'heures travaillées a baissé au cours des années 1990. Mais ce volume de travail réduit a été partagé entre un plus grand nombre de salariés, au moyen des temps partiel et des petits boulots - qui touchent principalement les femmes.

Ainsi le taux d'emploi des 15-64 ans a fortement augmenté, passant de 66 % à 71 % entre 2005 et 2008 (65 % en France en 2008), mais convertie en "équivalent temps plein", cette hausse est en fait une stagnation (+1,5 point dans la décennie 2000).

Avec les nombreuses exonérations, le nombre d'emplois qui contribuent au financement de la protection sociale était en 2011 inférieur de 2 millions à ce qu'il était en 1991. Cela aurait pu conduire à une forte hausse de la dette publique... mais parallèlement l'Etat a conduit une politique de rigueur si forte que celle-ci est restée stable.

Quant à la situation des chômeurs, elle s'est dégradé : le pourcentage des chômeurs indemnisés a chuté de 80 % en 1995 à 35 % en 2008.


Autre effet : l'augmentation rapide des inégalités. 10 % des foyers les plus riches détiennent 53% de la richesse privée du pays en 2012, contre 45 % en 2002. Symétriquement, la part détenue par les 50% des foyers les plus modestes est passée de 4 à 1%.

4.2
CoûtTravailFranceAllemagne.png
Coût du travail et part des salaires en baisse

Par toutes ces mesures, la bourgeoisie allemande a réussi à faire chuter le coût du travail : les salaires et les assurances sociales ont globalement stagné. Entre 2000 et 2006, les salaires réels dans le secteur privé ont diminué de 2,8%, alors qu’ils augmentaient de plus de 8% en France, de 14% au Royaume-Uni...

Or, la productivité a augmenté au même rythme que dans les autres pays capitalistes, ce qui a conduit à une forte baisse du coût salarial unitaire, et à une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée encore plus marquée qu'ailleurs.

4.3 Compétitivité et néomercantilisme

Du point de vue de son objectif d'améliorer la position du capitalisme allemand, ces mesures sont une réussite. Vis-à-vis de ses partenaires commerciaux européens, l'industrie allemande a réalisé ainsi l'équivalent d'une dévaluation de près de 20 % depuis 1995. Sur la période 2000-2006, l'Allemagne avait gagné 6 points de compétitivité sur le Royaume-Uni, 8 sur la France.

Les résultats apparaissent particulièrement depuis l'éclatement de la crise de 2008 :

  • L'industrie allemande est puissante et exporte beaucoup. Sa résistance à la crise financière de 2008 a été meilleure (la chute a été plus marquée en 2009 du fait de la forte flexibilité, mais cela permet justement aux patrons de faire moins de pertes...).
  • L'Allemagne est le pays européen qui s'en sort le mieux dans la crise de la dette : ses taux d'intérêt ne s'envolent pas - et diminuent même puisque la demande tend à se reporter sur les obligations allemandes.

Cette réussite augmente l'influence politique de l'Allemagne, qui se confirme comme impérialisme dominant de l'Union Européenne. Cette expérience est un démenti aux (néo-)keynésiens : la relance ne fonctionne pas. Beaucoup se plaignent que le "modèle allemand" n'est pas généralisable, parce qu'il fonctionne au détriment des autres. C'est en partie vrai, mais c'est justement le fruit des contradictions du capitalisme ! La richesse n'est tout simplement pas généralisable dans un système d'exploitation. Ce qui rend d'autant plus nécessaire le renversement de ce système en contradiction avec l'intérêt de la majorité salariée.

L'Allemagne s'appuie sur une politique néomercantiliste. La consommation des ménages a stagné entre 2000 et 2008, alors qu'elle augmentait de 20 % en France. Le ratio importations sur demande intérieure a quasiment doublé, passant de 23 % à 44 % entre 1995 et 2008, et la part des exportations dans le produit intérieur brut (PIB) a bondi de 25 % à 47 % en dix ans. A partir de 2002, l'économie allemande a dégagé chaque année des excédents dans ses échanges de biens et de services avec le reste du monde compris entre 5 % et 7 % de son PIB. Et sa croissance a été tirée aux trois quarts par cette contribution externe.

5 Notes et sources

Un modèle qui ne fait guère envie, Alternatives économiques, mars 2011

  1. Salaires inférieurs à deux tiers du salaire brut médian horaire, soit moins de 9,20 euros en 2007 en Allemagne.