Abstraction
En science, l'abstraction n'est pas l'opposition entre l'abstrait et le concret. Abstrait et concret sont dialectiquement liés. L'abstraction permet de s'éloigner de la réalité concrète, réduite à nos sens (empirisme, observation), afin de définir les phénomènes globaux constituant ainsi un cadre théorique. L'abstraction peut se définir comme un processus mental de décomposition/classification mais de telle manière que chaque partie du tout (notion de base ou cellule) soit significative et représentative du tout (unité ou sphère). L'abstraction est une méthode du passage de l'abstrait au concret. Ou pour citer dire autrement, selon Paul Langevin, « le concret est l'abstrait rendu familier par l'usage. »[1]
Étant donné que notre langue alphasyllabaire et phonétique issue de notre évolution cuturelle figée par l'enseignement traditionnel génére une pensée spontanéement abstraite en opposition avec le globalisme confus de l'enfant et contre son devenir formel par méthode globale, il y a une nécessacité d'utiliser de la méthode d'abstraction afin de retranscrire le réel. C'est l'application des démarches dialectiques en science.
1 Notions philosophiques
En philosophie classique, la notion d'abstraction consiste à construire ou séparer certains aspects d'une chose (Herbert Spencer) ou d'une représentation par l'attention (Jonh Stuart Mill) afin d'en saisir des caractéristiques communes :
« L'abstraction est donc l'opération qui isole, pour les considérer à part, certains éléments d'une représentation qui ne sont pas donnés séparément dans la réalité »
Manuel de philosophie, A. Cuvillier, éd. Armand Colin, 1947, t. 1 - Introduction générale - Psychologie, p. 481
Dans ce cas, la pensée abstraite est regardée avec méfiance, par son éloignement de la pensée réelle ou concrète (Joseph Joubert) :
Avant que l’abstraction soit devenue pour l’esprit une chose qu’il puisse se représenter, et même concevoir, que de temps il lui faut ! Par combien de retouches il faut fortifier cette ombre ! Combien de gens se font abstraits pour paraître profonds ! La plupart des termes abstraits sont des ombres qui cachent des vides.
Pensées (~1780-1824), Joseph Joubert, éd. Librairie Vve Le Normant, 1850, t. 1, p. 321 ([intégral sur Wikisource])
Cependant,
L'idée abstraite n'est pas, [...], un simple « extrait » de la représentation concrète, une « idée partielle », un résidu appauvri de la perception. L'abstraction véritable est tout autre chose que cette pseudo-abstraction qui n'est guère qu'une attention toute spontanée, prêtée à certains caractères de l'objet perçu tels qu'ils sont donnés dans l'intuition sensible.
Manuel de philosophie, A. Cuvillier, éd. Armand Colin, 1947, t. 1 - Introduction générale - Psychologie, p. 487
L'abstraction proprement dite, celle qui forme les concepts, est INSÉPARABLE DE LA GÉNÉRALISATION.
Manuel de philosophie, A. Cuvillier, éd. Armand Colin, 1947, t. 1 - Introduction générale - Psychologie, p. 487
2 Démarches dialectiques en science
2.1 L'abstraction en acte
En science, l'abstraction est une habilité à mettre à jour la globalité d'un phénomène inaccessible aux sens (sphère, tout) à partir de l'étude d'éléments du tout (cellules, parties abstraits du tout). Les cellules sont ainsi représentatives et significatives de la sphère (Pascal, Hegel, Marx...). Dans ce cas, en science moderne, l'abstraction est considérée comme une faculté de compréhension plus riche des phénomènes.
Ce processus mental est utilisé par les scientifiques de la lignée scientifique d'Hegel dont Marx.
Dans le livre d'Angel Rivière, la psychologie de Vygotsky (édition La Dispute) à la page 7 :
« [...] sur le plan méthodologie, il convient d'élaborer un type d'analyse en unités non décomposables, c'est-à-dire qui intègre les différents aspects significatifs de la conduite humaine. A ce propos, Vygotsky indique : "Par unité de base nous entendons des produits de l'analyse tels qu'à la différence des éléments ils possèdent toutes les propriétés fondamentales du tout et sont des parties vivantes de cette unité qui ne sont plus décomposables [...] »(Vygotsky, 1985, p. 36)
Or, chez Alexandre Zinoviev, on retrouve également la même chose avec unité de base = cellule et tout = sphère.
Ainsi, en géologie, dans l'étude de lames minces (partie d'un tout ou cellule) issues d'un même bassin (le tout ou sphère), si on rate en effet un seul minuscule grain de quartz anguleux présent seulement dans une unique lame mince parmi moult autres lames sans de grain quartz anguleux, la détermination de la nature du bassin et de son histoire va être fausse. On en générera de fausse généralité.
Ce minuscule et unique grain de quartz d'une unique lame mince détruit toute l'histoire des milliers d'autres lames minces (micro et millimétrique) du même bassin (kilométrique). Dans la langue populaire, on parle souvent de jeter son grain de sable afin de détruire des généralités hâtives, spéculatives et idéologiques. Ce qui met en avant les erreurs d'une vérité considérée comme absolue. Ainsi, mettre en avant les erreurs est plus efficace que d'apporter une autre vérité ; ce qui fait que la vérité est l'erreur.
Par ailleurs, l'observation stricte de millier de lames minces, comme le font souvent les gens sur leur quotidien et de nombreux historiens, ne suffit pas. Généralement, on fait le tri et on nie ce qui est dérangeant pour nos vérités absolues ou nos généralités. On en oubli que les faits bien que réels ne font pas des faits scientifiques (c'est le premier principe d'épistémologie).
Ainsi, pour comprendre les choses et surtout ne pas faire d'erreur ("le succès"[2]), il faut aller voir le bassin en son entier, puis revenir aux lames minces et vis-versa. Abstraire ou Classifier de telle façon que l'histoire du bassin observée dans les lames minces soit significative et représentative de l'histoire du Bassin global.
Les cellules (après abstraction/classification) doivent être significatives et représentatives de la sphère et vice versa.
Alexandre Zinoviev appelle cela "méthode du passage de l'abstrait au concret" d'après sa thèse en 1954 sur la "logique complexe" du Capital de Marx. Il l'utilise sur sa société (URSS) caractérisée par son aspec globalement communaliste formant ainsi une sphère communautaire.
Marx a utilisé cette méthode d'abstraction sur sa société caractérisée par ses aspects professionnels. Mais, cette sphère professionnelle est encore aliénée au privé (sphère communautaire mère) de la propriété des moyens de productions et de services (sphère professionnelle fille).
Pour construire leurs théories sociologiques liées dialectiquement (« AZ <> KM »), ils partent tous deux des petits rien de la vie quotidienne et non pas des phénomènes spectaculaires que l'on généralise hâtivement et qui conduisent à des conclusions absurdes reprises le plus souvent idéologiquement. Cette unité des antagonistes « AZ <> KM ») développe une dynamique émergeante « communalisme moderne (AZ) <> modernisme commun (KM) » que l'on peut qualifier de communisme individuant.
On retrouve entre autre les mêmes méthodes d'abstraction ou démarches dialectiques chez Darwin, Wegener et Stephen Jay Gould entre autres
2.2 L'abstraction dans l'histoire des sciences
2.2.1 Paul Langevin
- P. Langevin, La Notion de Corpuscules et d'Atomes, Hermann, Paris, 1934, p.44-46.
- In La nature dans la pensée dialectique, Eftýchios Bitsákis, éd. L'Harmattan, 2001, p. 293
- P. Langevin, La Notion de Corpuscules et d'Atomes, Hermann, Paris, 1934, p.44-46.
- In La nature dans la pensée dialectique, Eftýchios Bitsákis, éd. L'Harmattan, 2001, p. 294
2.2.2 Alexandre Zinoviev
- La maison jaune, Alexandre Zinoviev, éd. Julliard/L'Age d'Homme, 1990, t. 2, p. 397
- in The 2012 Alexandre Zinoviev Birthday Book, entrevue d'Alexandre Zinoviev par J.J. Lafaye en 1991 à Munich, éd. blurb, 2012, p. 39
2.2.3 Stephen Jay Gould
- Le renard et le hérisson : Pour réconcilier la science et les humanités (?), Stephen Jay Gould, éd. Points, 2012, p. 341
2.2.4 Bertell Ollman
- La Dialectique mise en œuvre, Le processus d'abstraction dans la méthode de Marx, Bertell Ollman, éd. Syllepse, 2005, p. 24
3 Bibliographie de référence
- Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Qui pense abstrait?, Hermann, 160p., 2007
- Karl Marx, Le Capital
- Alexandre Zinoviev, Method visxoždenija ot abstraktnogo k konkretnomu : avtoreferat dissertaci (La Méthode du passage de l'abstrait au concret : sujet de thèse), Moscou, 1954
- Bertell Ollman, La dialectique mise en œuvre - Le processus d'abstraction dans la méthode de Marx, syllepse, 140p, 2005.
Emploi
4 Notes et références