Élections pendant la révolution russe

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Réunion du soviet de Petrograd

De nombreuses élections ont eu lieu pendant la Révolution russe, dans différentes institutions (soviets, comités d'usine, comités de régiment, comités d'armée, doumas municipales, zemstvos...) et sont un des indicateurs permettant de suivre l'évolution des rapports de force, et de comprendre les différences structurelles entre ces institutions.

« Dans l'incommensurable pays bouleversé jusqu'au fond, avec son inépuisable diversité de conditions locales et de niveaux politiques, ont lieu, quotidiennement, des élections : aux doumas, aux zemstvos, aux soviets, aux comités d'usines, aux syndicats, aux comités militaires ou agraires. Et, par toutes ces élections, s'affirme constamment un même fait invariable : la montée des bolcheviks. » [1]

1 Tendance générale

La tendance générale entre les mois de Février et d'Octobre est l'essor des bolchéviks dans toutes les élections. Mais cela s'est fait avec des rythmes différents selon les régions, les types d'institutions, et avec des flux et reflux.

1.1 La situation en Février

En Février, tous les partis sont légalisés à l'exception des forces ouvertement monarchistes. Le parti bourgeois libéral, le parti KD, se retrouve la force la plus à droite sur l'échiquier politique. Il est très fort dans les villes et particulièrement dans les quartiers bourgeois.

Globalement, parmi les classes populaires, on n'aime pas beaucoup les KD, et on vote de façon écrasante pour « les socialistes », mais sans voir les différences entre partis. Le parti socialiste-révolutionnaire (SR) était le plus grand parti, le plus connu à travers le pays, notamment parce qu'il avait réussi à acquérir une influence parmi les paysans, et donc parmi les nombreux soldats qui ont été mobilisés par conscription. Ne s'appuyant officiellement sur aucune classe en particulier mais sur « le peuple », il correspondait bien à la faible conscience de classe et à l'unanimisme de Février.

Les milieux ouvriers sont divisés entre les deux partis social démocrates : menchévik et bolchévik. Ils avaient quelques bastions respectifs, construits difficilement sous le tsarisme, mais la plupart des ouvriers commencent seulement à se positionner. Ce sont les menchéviks qui remportent au début la majorité. La première raison est qu'ils ont plus d'intellectuels disponibles pour se présenter aux différentes élections et pour aller haranguer les ouvriers. Mais cela était aussi dû à leur ligne modérée et unitaire, qui se retrouvait en phase avec l'élan unitaire de Février, qui a vu les ouvriers et les soldats fusionner au moment de l'insurrection, quand les soldats se sont retournés contre le commandement pour se ranger du côté des ouvriers de Petrograd. Voter pour les menchéviks, alliés des SR, c'était confusément voter pour cette alliance.

1.2 Radicalité et inertie

Les ouvriers et soldats étaient bien plus radicaux que les leaders pour qui ils votaient. Au lendemain de Février les soviets ont pris en charge directement de larges tâches qui relevaient de l'Etat (police, justice, ravitaillement...). C'est l'effort délibéré des socialistes conciliateurs qui a persuadé les masses qu'il fallait faire confiance au nouveau gouvernement provisoire bourgeois.

Il y a toujours une certaine inertie dans les évolutions politiques : même si les masses se radicalisent, elles continuent un certain temps à faire confiance aux leaders qu'elles ont déjà commencé à soutenir. Si mon délégué SR ou menchévik dit du haut de son expérience politique qu'il est indispensable de faire une coalition avec le parti KD, il doit avoir raison.

1.3 Les bolchéviks gagnent les ouvriers

Mais assez vite, les bolchéviks vont gagner la majorité dans les concentrations ouvrières : d'abord dans les comités d'usines, puis dans les soviets des quartiers ouvriers, et ensuite même dans les doumas des quartiers ouvriers.

Dans les comités d'usines, les questions à trancher étaient plus concrètes pour les ouvriers. Cela obligeait les réformistes à montrer leur vrai visage (temporisation, respect de la propriété bourgeoise...), tandis que les bolchéviks soutenaient activement les grèves, luttaient contre les lock out... Aux heures de conflits, les ouvriers, sans-parti, socialistes-révolutionnaires, mencheviks, se tournaient vers les bolcheviks.

Dans les soviets, les positonnements politiques plus généraux impactent plus indirectement les masses, et nécessitent une conscience plus aigüe. Par ailleurs, le Soviet de Pétrograd comprend aussi des éléments petits-bourgeois, et surreprésente les soldats par rapport aux ouvriers.

1.4 Renforcement temporaire des SR

Paradoxalement, pendant une certaine période, les SR ont vu leur poids se renforcer dans certaines élections comme les doumas, alors qu'ils commençaient déjà à décliner dans les soviets au profit des bolchéviks.

L'avant-garde des ouvriers et des soldats se dégageait déjà des illusions conciliatrices. Pendant ce temps, les plus larges couches des petites gens de la ville (cocher de fiacre, portefaix, garçon de cour, boutiquier, instituteur...), coupées des soviets et en retard sur leur expérience, commençaient seulement à bouger. Pour eux, les élections à la Douma étaient souvent une première possibilité de se prononcer politiquement. Les couches petites-bourgeoises votaient avec retard pour Kérensky, parce qu'il incarnait à leurs yeux la Révolution de Février qui venait seulement, ce jour-là, de déferler jusqu'à elles.

2 Règles électorales

Les normes d’élection variaient beaucoup selon les villes. A Petersbourg et Moscou, on élisait un député pour 500 ouvriers ; à Odessa, 1 pour 100 ; à Kostroma, 1 pour 25 ; ailleurs il n’avait aucune norme définie.

3 Résultats

3.1 Comités d'usine

Comité d'usine de Poutilov
La première

conférence des comités d'usines de Pétrograd et de banlieue se tient du 30 mai au 3 juin.  Elle adopte la résolution bolchévique par 297 voix contre 21 et 44 abstentions. Une résolution anarchiste recueillit 45 voix.

La seconde conférence a lieu du 7 au 12 août. Elle adopte la résolution bolchévique par 231 voix contre 26 et 22 abstentions. Une résolution anarchiste recueille 8 voix.

À Kiev, à la conférence des comités de fabriques et d'usines, le 20 août, la résolution des bolcheviks fut adoptée par une majorité de 161 voix contre 35, avec 13 abstentions.

Le 18 octobre a lieu la première Conférence panrusse des comités de fabrique et d'usine.La résolution bolchévique obtient 65 voix, la résolution anarchiste 5 voix.

3.2 Syndicats

À la conférence régionale des syndicats de l'Oural qui eut lieu au milieu d'août et qui groupa 150 000 ouvriers, sur toutes les questions les décisions adoptées étaient de caractère bolchevik.

3.3 Soviet de Petrograd

Le 27 février, jour de création du Soviet de Petrograd, un comité exécutif provisoire est formé avec 8 ou 9 membres, dont 2 menchéviks, 2 SR, 2 bolchéviks, 1 interrayons.

Par la suite, sur la base des éléctions, les membres du présidium furent exclusivement des menchéviks ou des SR.

Fin avril, début juin, le rapport de force commence à évoluer rapidement en faveur des bolchéviks. Toutes les élections partielles aux soviets leur donnaient la victoire, et la section ouvrière du Soviet de Pétrograd gagne une majorité bolchévique. Mais dans les séances communes avec les soldats, les bolcheviks étaient écrasés par les délégués SR.

Le 20 juin, le Soviet adoptait une résolution saluant l'offensive Kérensky, mais seulement à 412 voix contre 271 et 39 abstentions. Les bolcheviks avec les petits groupes de gauche des mencheviks et des SR constituent déjà les deux cinquièmes du Soviet.

Les bolchéviks remportent un premier vote au soviet le 31 août, puis un second le 9 septembre, et le 25 septembre, la direction du Soviet fut complètement réorganisée. Le nouveau Comité exécutif compte 13 bolcheviks, 6 SR et 3 mencheviks.

3.4 Soviet de Moscou

Jusqu'en octobre 1917, les SR avaient une audience de masse parmi les ouvriers de Moscou, alors que leur influence sur les travailleurs de Pétrograd était pratiquement nulle.

Au soviet de Moscou, les bolchéviks obtiennent une majorité le 5 septembre, et seront élus comme majorité le 1er octobre.

3.5 Autres soviets

À Cronstadt, le bolchevik Brekman fut élu président du Soviet en août.

Au début d'octobre, à Cronstadt, avait eu lieu la Conférence des soviets de la province de Petrograd. Les délégués des garnisons de la banlieue - de Gatchina, de Tsarkoïe-Selo, de Krasnoie-Selo, d'Oranienbaum, de Cronstadt même - se joignirent aux matelots de la Baltique bolchéviks. Le soviet des députés paysans de la province de Petrograd se rallia aussi à leur résolution.

En Ukraine, très rurale, le parti bolchevik restait, en quantité comme en qualité, faible, se détachait lentement des mencheviks. Même dans l’Ukraine orientale, industrielle, la conférence régionale des soviets, au milieu d’octobre, donnait encore une petite majorité aux conciliateurs.

Enfin il existe des endroits comme la province de Tambov, qui comptait plus de trois millions d'habitants (presqu'autant que Moscou et Petrograd) où une fraction bolcheviste dans le Soviet n'apparaît que peu avant l'insurrection d'octobre.

3.6 Congrès pan-russe des soviets

Le premier congrès des soviets se réunit du 3 au 30 juin. Il regroupe 822 délégués avec droit de vote, dont 283 SR, 248 mencheviks, 105 bolcheviks, 73 sans parti, le reste appartenant à divers groupes socialistes minoritaires. La coalition gouvernementale avec les KD fut approuvée par une majorité de 543 voix contre 126, avec 52 abstentions.

Le congrès élit son Comité exécutif central (VTsIK), qui comprend 104 mencheviks, 100 SR, 35 bolcheviks, 18 socialistes divers. Il est acté que des congrès doivent être convoqués tous les trois mois.

Le 2e congrès des soviets se tient les 25-26 octobre 1917. Les conciliateurs ne représentent qu’un quart des délégués (649 délégués étaient présents, dont 382 bolcheviks et 70 SR de gauche).

Le 3e congrès se tient en  janvier 1918. Les bolchéviks otiennent 61 % des délégués, les SR de gauche obtiennent 125 délégués, contre 7 pour les SR de droite.

Au 4e congrès, en mars 1918, les bolchéviks otiennent 64 % des délégués.

Au 5e congrès, en juillet 1918, les bolchéviks otiennent 66 % des délégués.

3.7 Doumas municipales

Douma municipale de Moscou

Dans les doumas municipales, élues de façon non démocratique sous le tsarisme, des réélections ont progressivement lieu partout au suffrage universel. A la mi-octobre, les doumas avaient été réélues dans 650 villes sur 798.

La Douma du quartier ouvrier de Vyborg eut dès le mois de juin une majorité bolcheviste : parmi les élus : 27 conseillers bolcheviks, 22 pour le bloc des SR et des mencheviks, 4 pour les KD.

En juin ont lieu des élections municipales à Moscou. Les SR ont 375 000 voix (58%), les KD 109 000, les menchéviks 76 000, les bolchéviks 75 000.

La répression des journées de juillet entraîne presque partout un reflux temporaire des bolchéviks, très marqué en certains endroits. À Nijni-Novgorod, ils n'obtiennent que 4 conseillers à la douma. A Kiev, ils n'obtiennent que 6%.

En juillet ont lieu des élections pour les doumas de quartier de Petrograd.

Les élections à la Douma de Pétrograd ont lieu le 20 août (avec beaucoup moins de participation). Sur environ 550 000 suffrages exprimés, il y avait 200 000 voix SR, et près de 200 000 également pour les bolchéviks. Les SR avaient perdu plus de 375 000 voix, et les KD n'ont plus que 110 000 voix. Les menchéviks tombent à 23 000 voix (et leur évolution à gauche s'exprime par le fait qu'ils excluent Tsérételli de la liste des candidats).

Aux élections pour la douma d'Ivanovo-Voznessensk, juste au moment du putsch de Kornilov, les bolcheviks, sur 102 sièges, en obtinrent 58, les SR 24, les mencheviks 4.

À Cronstadt, le bolchevik Pokrovsky devint maire en août.

En septembre, des élections aux doumas de quartier de Moscou ont lieu. Les SR tombent à 54 000 voix, les mencheviks à 16 000, tandis que les bolchéviks montent à 198 000 voix (52%). La bourgeoisie, elle, se maintient : les KD ont 101 000 voix. La garnison vota à 90% pour les bolcheviks, jusqu'à 97% dans les ateliers de l'artillerie lourde. L'abstention est en forte hausse par rapport à juin, en raison des petites gens des villes qui se mettent en retrait.

Les doumas de Tsaritsyne, de Kostroma, de Choula, passent aux bolcheviks. Dans la lointaine et paisible ville de Tomsk, de même qu'à Samara, nullement industrielle, ils se trouvaient à la première place dans la douma.

3.8 Zemstvos

Les zemstvos mettaient plus de temps que les doumas à être renouvelés. En Octobre, beaucoup gardaient encore leur composition élue au suffrage censitaire sous le tsarisme.

Cela n'empêche pas les « démocrates » (bourgeois et socialistes conciliateurs) de représenter largement les zemstvos lors de la Conférence démocratique de septembre, et de proclamer que celle-ci est plus représentative que le congrès des soviets (que les leaders socialistes rechignent à convoquer).

En août le bolchévisme commence à arriver jusqu'aux campagnes. Zoumorine, un paysan de la province de Simbirsk, écrit dans ses Souvenirs : « Des ouvriers parcoururent les villages, faisant de l'agitation pour le parti des bolcheviks, exposant son programme. » Le juge d'instruction du district de Sebèje a ouvert une procédure au sujet d'une ouvrière du textile arrivée de Pétrograd, Tatiana Mikhaïlova, 26 ans, qui, dans son village, « appelait au renversement du gouvernement provisoire et vantait la tactique de Lénine ». Dans la province de Smolensk, vers la fin d'août, comme en témoigne le paysan Kotov, « on prêta l'oreille à la voix de Lénine ». Mais aux zemstvos de cantons ceux que l'on élit sont encore pour l'immense majorité des SR.

En septembre-octobre cela s'accélère. Sur quatre syndics du zemstvo du district de Schlusselbourg, trois bolcheviks furent élus. Dans le zemstvo du district Ligovsky, les bolcheviks réunirent 50% des voix. A Ivanovo-Voznessensk, le « Manchester russe », les bolcheviks dirigeaient toutes les instances jusqu'au zemstvo.

4 Notes