Mouvement ouvrier et socialisme au Japon

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Groupe de socialistes japonais en 1901. Au centre, Naoe Kinoshita. Le deuxième en partant de la droite est Katayama Sen. Les deuxième et troisième en partant de la gauche sont Abe Isoo et Shūsui Kōtoku.

Le socialisme et le mouvement ouvrier au Japon se développent à la fin du 19e siècle, conséquence différée de la restauration Meiji et de l'essor du capitalisme. Ils ont une histoire influencée par le contact avec les occidentaux, mais aussi inspirée par une réinterprétation de traditions philosophiques locales.

1 Origines

Des premières organisations socialisantes éphémères apparurent, comme le Parti social de l'Orient, fondé en 1882 à Shimabara. Animé par Tarui Tōkichi, il prônait une « doctrine de l'égalité » et la « propriété collective des biens du Ciel », et reçut un petit écho quand il milita pour un partage équitable des terres entre paysans. Des tireurs de pousse-pousse, ruinés par les trains et tramways, fondèrent le shakaitō (jeu de mot entre parti socialiste / parti des voituriers), lui aussi aussitôt dissout par les autorités. En 1889 Kobayashi Yohei fonda un Mouvement pour le retour au temps des dieux, mouvement idéaliste anarchisant prônant un retour à un âge d'or sans propriété ni souverain.

Tout d'abord, comme en occident, le socialisme émerge à partir du mouvement démocrate - et en critique de ses limites - comme l'a notamment souligné un des premiers intellectuels socialistes, Shūsui Kōtoku. Ce mouvement, nommé Mouvement pour la liberté et les droits du peuple, s'est lui-même constitué à la fois par influence occidentale et par réinterprétation de traditions locales (classiques chinois ou japonais). Toshihiko Sakai, socialiste et futur fondateur du premier Parti communiste, expliqua que sa génération s'était formée en lisant les écrits de ces premiers démocrates japonais. Pour certains historiens comme Saburō Ienaga, il y a une filiation entre les démocrates de La société des amis de la nation (Minyûsha) à la fin des années 1880 et les premiers socialistes des années 1900. Ainsi Matsubara Iwagorô, journaliste de la Minyûsha, publia une série de reportages sur la misère sociale dans les bas quartiers. C'est dans ce courant que l'on évoqua aussi pour la première fois en 1890 le Premier mai comme jour de célébration des luttes des travailleur·ses. Cependant c'est une minorité seulement des activistes de ces courants qui devinrent des socialistes, celle qui cherche de nouveaux cadres de pensée. Ainsi Shūsui Kōtoku publie en 1900 un Requiem pour le Parti de la Liberté, qu'il considère désormais comme corrompu.

Un autre des cheminements vers le socialisme fut celui de certains militants influencés par le courant unitarien du christianisme (Naoe Kinoshita), notamment des étudiants qui étaient allés étudier aux États-Unis (Katayama Sen, Takano Fusatarō, Abe Isoo).

Dans les années 1890, les prémisses de l'industrialisation capitaliste se font surtout avec l'emploi de femmes et d'enfants, ce qui change avec l'apparition d'une industrie lourde tournant 1900. Le mouvement ouvrier commence à émerger, des premières sociétés d'entraide ouvrières se forment. Elles tenaient en général à l'écart les intellectuels socialistes dont elles se méfiaient. Cependant le besoin d'avoir des relais, notamment à l'échelle nationale et au parlement, va inciter comme ailleurs l'alliance avec le socialisme.

2 Les premiers combats (1890-1910)

2.1 Critiques du système impérial

Dans les années 1900, un moine zen anarchiste, Uchiyama Gudō, écrivait :

Il y a trois sangsues qui sucent le peuple : l'empereur, les riches et les grands propriétaires terriens... Contrairement à ce que voudraient nous faire croire vos maîtres d'école et d'autres individus, l'empereur, grand patron du gouvernement actuel, n'est pas le fils des dieux. Ses ancêtres sont venus d'un coin de Kyûshû, tuant et volant en chemin...

Arrêté en 1909, il fut pendu en janvier 1911.

Quelques années plus tard, la jeune anarchiste Fumiko Kaneko, arrêtée sans raison en 1923 après le grand séisme,remit aussi en question l'empereur en déclarant à ses juges : « Si l'empereur est un dieu, alors pourquoi ses soldats doivent-ils mourir ? »

Une des critiques les plus radicales de l'idéologie impériale fut développée par le socialiste Ikki Kita. Il démonta notamment l'aura de continuité immémoriale de l'empereur, en soulignant la faiblesse des empereurs pendant les siècles du shogunat. Ikki Kita devint cependant dans les années 1930 un théoricien du socialisme d'Etat, évoluant vers l'ultranationalisme.

2.2 Combats autour de la mine d'Ashio

La mine de cuivre d'Ashio

Depuis les années 1880, la mine de cuivre d'Ashio est exploitée de façon industrielle et devient l'une des mines les plus importantes au monde. Mais sa direction n'a aucune considération pour les conséquences pour l'environnement et les travailleurs. Rapidement, des pollutions massives dans les campagnes alentour provoquent des stérilisation des champs, qui ruinent les paysans locaux.

Un combat de longue haleine fut mené pour la cause de ces paysans, dirigé par Shōzō Tanaka, qui est considéré aujourd'hui comme un précurseur de l'écologie. Ce militant qui était aussi député popularisait la lutte, et dénonçait l'indifférence des capitalistes et de l'État. Il reçut le soutien de nombreux socialistes, même s'il reprochait à ceux-ci de se préoccuper davantage des ouvriers que des paysans.

Dans les années 1900, un syndicat inspiré par le Manifeste communiste, sans lien avec les syndicats officiels, est constitué à la mine sous le nom d’Association fraternelle des mineurs du Japon. La fin de la guerre russo-japonaise entraîne une dégradation de la condition ouvrière et une vague de grèves. Ne pouvant obtenir les améliorations qu’il voulait par la négociation, le syndicat lance une grève pour le relèvement des salaires et contre les conditions d’exploitation des ouvriers. Elle dure du 4 au . Le propriétaire de la mine, soutenu par le ministre de l’Intérieur Hara Takashi qui y possède des intérêts, fait appel à l’armée. Les ouvriers rouent de coups un des directeurs, s’emparent d’armes et de dynamite qu’ils utilisent pour faire sauter certaines installations. Les combats durent plusieurs jours et font plusieurs morts, dont le directeur de la mine.[1][2]

Cette grève est emblématique pour le mouvement ouvrier au Japon, et par la suite, la mine reste un haut lieu des luttes sociales.

2.3 La question ouvrière

En parallèle de l'industrialisation du Japon, qui fait notamment de Tokyo une ville moderne, des paysans sont appauvris et des ouvrier·ères se retrouvent dans une condition misérable. Comme ailleurs au même moment, le contraste avec le luxe du monde bourgeois choque. Un des ouvrages marquants de l'époque fut celui de Yokoyama Gennosuke, La société des bas-fonds (1899). Ouvrage proche à certains égards de celui d'Engels sur la Situation de la classe laborieuse en Angleterre, il est considéré comme un des premiers travaux de sociologie au Japon.

« L'opinion est préoccupée par le Parlement, par la corruption des députés, par le dernier roman à la mode ou le dernier tournoi de sumo. Personne ne s'intéresse le moins du monde à ceux qui constituent la majorité de notre peuple, je veux dire les couches sociales inférieures, personne ne prend garde à la situation terrible des ouvrière. »

Une figure marquante de cette époque est Kikue Yamakawa. Bien qu'issue d'une famille favorisée, elle fut révoltée par les conditions de vie dégradantes des ouvrières du textile, et devint socialiste puis communiste. Elle fut également féministe, mais très critique du mouvement féministe dominant, dominé par des femmes bourgeoises et qui soutenait l'impérialisme japonais.

Dans le textile au début du 20e siècle, 80% des employé·es étaient des femmes, la plupart de très jeunes filles issues de la campagne (20% avaient moins de 14 ans). Elles doivent subir des cadences de travail infernales, vivent dans la promiscuité et souffrent de carences alimentaires, des milliers sont emportées par la tuberculose. Un ouvrier qui avait épousé l'une d'elle, Hosoi Wakizo, publia en 1925 un ouvrage qui devint un classique littéraire, La tragique histoire des ouvrières (Joko aishi).

C'est en 1897 qu'est explicitement évoqué pour la première fois le « mouvement ouvrier » et le terme de « travailleurs », dans un texte (L'appel à l'éveil des travailleurs), écrit par Katayama Sen et Takano Fusatarō. Ils appelèrent et aidèrent à la constitutions de mutuelles / syndicats, dans les chemins de fer (jusqu'à plusieurs milliers), la sidérurgie et l'imprimerie. L'État réagit immédiatement en 1900, en interdisant les syndicats.

Des luttes ont lieu contre l'aurgmentation des prix du gaz et des transports en 1906. En 1907 eurent lieu des grèves et des conflits violents dans les mines, les usines d'armement, les arsenaux maritimes... Les revendications socialistes commencent à se diffuser dans la classe ouvrière des provinces. Des militants comme Kanson Arahata les sillonnent avec des bibliothèques ambulantes, et des clubs socialisants se forment.

Des divergences de vue étaient présentes parmi ces organisateurs du mouvement ouvrier :

  • Katayama Sen avait lu Saint-Simon, Fourier, Marx, et était partisan d'une alliance étroite des syndicats avec le socialisme, sur le modèle européen ; il publia en 1901 Le mouvement ouvrier japonais ;
  • Takano Fusatarō pensait qu'il ne fallait pas être si radical et plutôt s'organiser sur le modèle de l'AFL états-unienne ; il publia Correspondance ouvrière japonaise de Meiji. La naissance des syndicats ouvriers.

La plupart des premiers leaders faisaient parti de classes intermédiaires, samouraïs de rang inférieur (Toshihiko Sakai, Abe Isoo, Naoe Kinoshita), du milieu des notables de villages (Katayama Sen), commerçants (Shūsui Kōtoku, Hitoshi Yamakawa)... Le seul à être issu du milieu des artisans, Takano Fusatarō, était le plus éloigné du socialisme).

En parallèle, l'évidence des inégalités obligeait certains bourgeois à s'en préoccuper, ce qui stimuler ce qu'on l'appeler un courant réformateur bourgeois. En 1898 un groupe d'universitaires de Tokyo commença à se réunir pour réfléchir à la question sociale, et se constitua en 1907 en Société japonaise de politique sociale (très inspiré de la Verein für Socialpolitik). Leur préoccupation était de limiter les pires excès du capitalisme pour assurer sa stabilité, et constituer une troisième voie entre laissez-faire et socialisme. Ce courant était suffisamment modéré et proche de l'État pour avoir contribué à l'adoption de timides lois de protection des droits des travailleurs dans les années 1910.

2.4 L'immoralité du capitalisme

Les premières critiques sociales sont fortement basées sur l'immoralité du capitalisme. Comme l'écrit Shūsui Kōtoku dans L'essence du socialisme (1903), « les vertus nationales ont été supplantées par la lutte vicieuse pour l'appât du gain », ce qui mène à la « banqueroute morale ». Sa critique morale est tournée contre les riches et les nobles « dégénérés et corrompus », pas contre les miséreux : « Pour ne pas être condamnés à mourir de faim, les hommes n'ont plus qu'à se faire voleurs et les femmes à se prostituer. »

Kōtoku reste vague sur la force sociale qui pourrait renverser le capitalisme. Il croit aux shishi, les « samouraïs pleins de résolution » qui ont fait la révolution Meiji, des hommes de vertus qui ont une vision, capables d'agir pour le bien du peuple. Une vision qui s'inscrit clairement dans un modèle hérité des classiques chinois, du sage qui sait reconnaître le bien commun au delà des intérêts particuliers. Toshihiko Sakai évoquera lui-même l'importance qu'avaient pour lui l'héritage confucéen, comme pour bien d'autres à cette époque.

2.5 Tentatives d'organisations

L'essor du socialisme ne démarre vraiment qu'après la guerre sino-japonaise (1894-1895). Le nombre de conflits sociaux passe de 11 en 1895 à 27 en 1896 et 116 en 1897.

Les militants socialisant de divers horizons (christianisme unitarien, mouvement démocrate) commencent à se regrouper en 1898 dans des « sociétés de recherche sur le socialisme ». Ils réfléchissent au positionnement par rapport au mouvement socialiste international, lisent les quelques journaux dans lesquels la critique sociale apparaît (le Mainichi shinbun, le Yorozu chōhō...).

En 1901, ils fondèrent le Parti social-démocrate, adhérent à l'Internationale ouvrière sur des bases proches du SDP allemand. Le lendemain, les autorités dissolvent le parti.

En novembre 1904 des chrétiens humanistes et des socialistes fondent la Heiminsha (Société du peuple), dont le premier combat est contre la guerre avec la Russie. C'est un des premiers groupes à comporter un nombre significatif de femmes, comme Fukuda Hideko, ancienne leader du mouvement démocrate, Endō Kiyoko et Nishikawa Fumiko. La Heiminsha fut interdite en 1905, quand elle commença à rencontrer trop d'écho pour le pouvoir.

En janvier 1906, un nouveau parti socialiste légal est fondé. Mais le mouvement est divisé et se scinde dès février 1907 en deux :

Le parti est aussitôt après interdit. La majorité de gauche évolue vers l'anarchisme : on lit Kropotkine, Shūsui Kōtoku, exilé aux États-Unis, se rapproche des IWW...

Le socialiste (et futur anarchiste) Sanshirō Ishikawa publie en 1907 une Histoire du socialisme au Japon.

2.6 Internationalisme

En pleine période d'émergence de l'impérialisme, le programme du Parti social-démocrate de 1901 revendiquait le pacifisme et le désarmement. Les socialistes étaient parmi les seuls à s'opposer au militarisme. Au début de la guerre contre la Chine (1894), certains pensaient encore que le Japon modernisateur pourrait contribuer à l'indépendance de la Corée et au réveil de la Chine. Le cours de la guerre acheva de révéler les ambitions expansionnistes de la classe dirigeante.

La critique du nationalisme réactionnaire vient d'abord de chrétiens humanistes comme Kanzō Uchimura, qui soutient que le bon patriotisme va de pair avec un amour universel. Shūsui Kōtoku, publie en 1901 un livre intitulé L'impérialisme, le spectre du 20e siècle.

Lorsque la guerre russo-japonaise éclate en 1904-1905, la plupart des anciens démocrates sont devenus des nationalistes qui soutiennent l'impérialisme japonais, et seuls les socialistes font entendre des voix opposées. Le Heimin shinbun (journal socialiste de la Heiminsha) publie une Lettre au parti socialiste russe, qui sera traduite en russe dans l'Iskra puis dans les principales langues occidentales par l'Internationale ouvrière. Ce fut dans ce contexte que Katayama Sen et G.V. Plekhanov, se rencontrent au congrès d'Amsterdam de l'Internationale, et se donnent une poignée de main qui fut un fort symbole d'internationalisme.

Au Japon les socialistes et les pacifistes dénoncent cette guerre comme une guerre de ceux d'en haut, étrangère aux intérêts de la nation.

2.7 Démocratie et répression

Lors de l'intronisation de l'empereur Meiji le 7 avril 1868, une Charte du serment fut promulguée, promettant une ère de débats ouverts dans le pays et une adoption de lois et d'une constitution. Mais pendant près de 30 ans la bureaucratie impériale freina la libéralisation politique réclamée par les démocrates.

Promulgation de la Constitution de 1889

En 1889, l'État se dote finalement d'une constitution, fruit d'un compromis au sommet. Elle faisait officiellement de l'Empereur le leader suprême (celui-ci conservant un très fort pouvoir), bien qu'en pratique le Premier ministre soit le chef du gouvernement. Elle créé également une diète impériale (parlement) composée d'une chambre basse et d'une chambre haute (dominée par la noblesse). Mais les élections se font au suffrage censitaire, et l'État n'accorde que très peu de libertés publiques.

L'obtention du suffrage universel était bien sûr une revendication importante des socialistes, sujet sur lequel ils rejoignaient les démocrates. Plus généralement, ils militaient pour les droits démocratiques, car la répression était très forte dans le Japon de Meiji et freinait l'organisation de la classe.

En mai 1910, la police brise un complot de militants socialistes et anarchistes visant à assassiner l'empereur, et en profite pour organiser un vaste coup de filet, arrêtant plusieurs centaines de militant·es dont l'implication n'a jamais été étayée, notamment Shūsui Kōtoku, Kanno Sugako. et Uchiyama Gudō. Ces trois figures et d'autres, en tout 12 militant·es, furent pendus pour crime de lèse-majesté, et 14 autres condamnés à perpétuité. Il s'ensuivit un tournant répressif : les militants furent étroitement surveillés, la plupart des ouvrages socialistes ou anarchistes furent interdits... Les années 1910-1918 furent appelés l'ère d'hiver du socialisme japonais.

3 Ère Taishō (1912-1926)

Les grandes émeutes du riz de l'été 1918 relancent le socialisme.

En , une nouvelle grève éclate à la mine d'Ashio, soutenue par Heibei Takao[3].

Le Parti communiste japonais est fondé le 15 juillet 1922, mais restera interdit jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le suffrage universel sera finalement acquis en 1925.

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4 Bibliographie

Pierre-François Souyri, Moderne sans être occidental, Aux origines du Japon d'aujourd'hui, Gallimard, 2016

  1. T. Takahashi, « Esquisse du mouvement syndical au Japon », initialement publié en 1909 dans un journal de Chicago, consulté le 19 janvier 2011
  2. J.-P. V., « La situation des classes laborieuses au Japon », Échanges no 109, été 2004, publié le 8 mars 2005, consulté le 19 janvier 2011
  3. Notice du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, mise en ligne le 11 janvier 2011, consultée le 19 janvier 2011