Mouvement ouvrier et socialisme au Japon
Le socialisme et le mouvement ouvrier au Japon se développent à la fin du 19e siècle. Ils ont une histoire influencée par le contact avec les occidentaux, mais aussi inspirée par une réinterprétation de traditions philosophiques locales.
Tout d'abord, comme en occident, le socialisme émerge à partir du mouvement démocrate - et en critique de ses limites - comme l'a notamment souligné un des premiers intellectuels socialistes, Shūsui Kōtoku. Or ce mouvement, nommé Mouvement pour la liberté et les droits du peuple, c'est constitué de cette manière.
Toshihiko Sakai, socialiste et futur fondateur du premier Parti communiste, expliqua que sa génération s'était formée en lisant les écrits de ces premiers démocrates japonais. Pour certains historien comme Saburō Ienaga, il y a une filiation entre les démocrates de La société des amis de la nation (Minyûsha) à la fin des années 1880 et les premiers socialistes des années 1900. Ainsi le journaliste de la Minyûsha Matsubara Iwagorô publia une série de reportages sur la misère sociale dans les bas quartiers. C'est dans ce courant que l'on évoqua aussi pour la première fois en 1890 le Premier mai comme jour de célébration des luttes des travailleur·ses. Cependant c'est une minorité seulement des activistes de ces courants qui devinrent des socialistes.
Dans les années 1900, un moine zen anarchiste, Uchiyama Gudō, écrivait :
Il y a trois sangsues qui sucent le peuple : l'empereur, les riches et les grands propriétaires terriens... Contrairement à ce que voudraient nous faire croire vos maîtres d'école et d'autres individus, l'empereur, grand patron du gouvernement actuel, n'est pas le fils des dieux. Ses ancêtres sont venus d'un coin de Kyûshû, tuant et volant en chemin...
Arrêté en 1909, il fut pendu en janvier 1911.
Quelques années plus tard, la jeune anarchiste Fumiko Kaneko, arrêtée sans raison en 1923 après le grand séisme,remit aussi en question l'empereur en déclarant à ses juges : « Si l'empereur est un dieu, alors pourquoi ses soldats doivent-ils mourir ? »
Une des critiques les plus radicales de l'idéologie impériale fut développée par le socialiste Ikki Kita. Il démonta notamment l'aura de continuité immémoriale de l'empereur, en soulignant la faiblesse des empereurs pendant les siècles du shogunat. Ikki Kita devint cependant dans les années 1930 un théoricien du socialisme d'Etat, évoluant vers l'ultranationalisme.
Lorsque la guerre russo-japonaise éclate en 1904-1905, la plupart des anciens démocrates sont devenus des nationalistes qui soutiennent l'impérialisme japonais, et seuls les socialistes font entendre des voix opposées. Le Heimin shinbun (journal socialiste de la Heiminsha) publie une Lettre au parti socialiste russe, qui sera traduite en russe dans l'Iskra puis dans les principales langues occidentales par l'Internationale ouvrière. Ce fut dans ce contexte que Katayama Sen et G.V. Plekhanov, se rencontrent au congrès d'Amsterdam de l'Internationale, et se donnent une poignée de main qui fut un fort symbole d'internationalisme.
Bibliographie
Pierre-François Souyri, Moderne sans être occidental, Aux origines du Japon d'aujourd'hui, Gallimard, 2016