Révolution russe (1905)

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En 1905 eurent lieu d'importants soulèvements dans toute la Russie qui faillirent mettre à bas le régime tsariste. Pour les révolutionnaires socialistes, cet épisode est riche d'expériences, notamment sur l'opposition menchéviks / bolchéviks au sein du POSDR.

La répression et l'expérience qui s'ensuivit créa les conditions de la révolution russe de 1917.

1 1905: Quand la révolution devint possible

« Il nous faut une petite guerre victorieuse » afin de renforcer le régime tsariste et d’arrêter la montée de l’agitation, confie le ministre russe de l’Intérieur au ministre la Guerre, faisant référence à la guerre contre le Japon dans laquelle s’engage la Russie en 1904. Mais cette guerre ne tarde pas à devenir la plus impopulaire de l’histoire russe jusqu’alors. Plusieurs meetings, manifestations, grèves se font l’écho de revendications démocratiques et d’achèvement de cette « guerre ruineuse et criminelle » dans laquelle la Russie, qui vantait alors sa supériorité militaire, s’enlise. Le 17 décembre 1904, quatre ouvriers sont renvoyés des usines Poutilov, industrie de la défense nationale. Devant le refus de la direction de les réintégrer, les salariés se mettent en grève le 3 janvier. Plus gros complexe industriel de St-Pétersbourg, ce sont alors 13 000 ouvriers qui tiennent tête à la direction. Le mouvement s’étend aux entreprises voisines : le vendredi 7 janvier,100 000 grévistes paralysent la région. Le lendemain, ils sont le double. La capitale est privée de transports, d’électricité, de journaux.

2 La révolution est en route

Gapone, pope (religieux orthodoxe) et président de l’Union des ouvriers d’usine de Saint-Pétersbourg (mutuelle ouvrière sous autorité du Tsar) rédige une pétition à Nicolas II qui recueille plus de 150 000 signatures. « Nous, ouvriers de la ville de Saint-Pétersbourg, nos femmes et nos enfants, et nos vieux parents invalides sommes venus à toi, Sire, chercher justice et protection. Opprimés et réduits et à la misère, (...) nous en sommes arrivés à ce moment terrible où mieux vaut mourir qu’endurer plus longtemps d’insupportables souffrances. » Elle énumère les revendications suivantes : amnistie, libertés civiques, salaire normal, remise progressive de la terre au peuple, convocation d’une assemblée constituante élue au suffrage universel, ensemble de mesures politiques, économiques et sociales destinées à lutter « contre l’oppression du travail par le capital » et s’achève par : « Sire ! Ne refuse pas d’aider Ton peuple ! Abats la muraille qui Te sépare de Ton peuple ! Ordonne que satisfaction soit ordonnée à nos requêtes, fais-en le serment et Tu rendras la Russie heureuse ; sinon, nous sommes prêts à mourir ici-même » Cette pétition à elle seule révèle toutes les confusions dans les esprits d’un peuple qui se soulève. Comme la décision prise d’aller la remettre au Tsar, ce sont des milliers d’ouvriers, conduits par Gapone, qui convergent alors vers la place du Palais d’Hiver, portant des icônes et chantant des cantiques. 40 000 hommes de la troupe tsariste chargent la foule, faisant plus de 1 000 morts et 2 000 blessés. Cette date est restée connue sous le nom de ‘dimanche rouge’.

2.1 Répression et radicalisation

La réaction est cependant immédiate : dès le lendemain, les étudiants organisent des collectes de fonds pour les victimes du massacre et font de porte-à-porte qui se transforme en propagande anti-gouvernementale. Les ouvriers de Saint-Pétersbourg prolongent leur grève. Plusieurs autres centres industriels se mettent en grève par solidarité. Une révolution s’opère dans les esprits : Gapone lui-même affirme aux ouvriers qui l’ont suivi qu’ « il n’y a plus de Dieu ni de Tsar ». Dans tout le pays s’élaborent des revendications, au travers de réunions et de constitutions de syndicats. La liberté de la presse est un fait accompli, la police n’osant plus réagir. Dans l’action, une organisation de masse apparaît : les célèbres soviets de députés ouvriers, assemblées de délégués élus dans les entreprises. Là se débattent et se décident les grandes orientations de la lutte. Le mouvement ouvrier produit un effet d’entraînement sur les paysans qui s’engagent à leur tour dans la lutte avec un vaste mouvement au printemps 1905, non seulement économique, mais aussi politique. Dans les provinces non russes, des soulèvements réclament l’indépendance. La combinaison des grèves ouvrières dans les villes et du mouvement paysan dans les campagnes ébranle alors le plus ‘ferme’ et le dernier appui du tsarisme, déjà contesté pour sa sale guerre : l’armée. La plus célèbre ces révoltes militaires est celle du cuirassé Prince Potemkine qui démarre au mois de juin.

2.2 Réformes ou révolution

En août, face à la situation, le Tsar annonce la création d’une assemblée représentative. Il signe également la paix avec le Japon car il ne peut plus assurer le coût économique et politique de la guerre. Calcul illusoire : le peuple n’est plus disposé à accepter un os à ronger. Comme il en a plus ou moins confusément l’intuition, l’annonce de cette Douma constitue le dernier verrou protégeant l’autocratie. Qu’il cède, et le régime lui-même se trouverait remis en cause. Telle est l’atmosphère d’espérance révolutionnaire et de rejet de l’autocratie qui explique la grève générale d’octobre. Le mouvement atteint en effet son apogée au cours de l’automne 1905. Environ un million de personnes sont en grève en octobre. « À bas la monarchie tsariste ! Vive la République démocratique ! Vive la révolte armée ! » Tels sont les mots d’ordre à travers la Russie de dizaines de soviets qui assument de plus en plus le rôle d’un gouvernement révolutionnaire provisoire. Il apparaît à un nombre croissant d’ouvriers que l’aboutissement de la révolution dépend de la lutte armée.

3 La contre-révolution est en route

Le 17 octobre, le Tsar publie un « manifeste des libertés » dans lequel il déclare les libertés individuelles et publiques, le suffrage universel et l’association du pays au pouvoir législatif. Le lendemain, à Saint-Pétersbourg, c’est un déferlement de drapeaux rouges dans les rues de la ville qui accueillent la nouvelle. Mais ce manifeste s’accompagne également d’une volonté plus ferme de rétablir l’ordre. Ainsi commence une vague de négociations et de promesses pour calmer le jeu, accompagnée de la répression quand cela ne suffit pas : dans plusieurs endroits, les insurrections sont écrasées et les dirigeants systématiquement fusillés ; des expéditions punitives sont organisées: destructions de villages, scènes collectives de fouet, exécutions sommaires…Il s’agit pour la classe dirigeante de semer la division et la terreur dans un mouvement qu’elle a d’abord espéré voir s’essouffler. Les forces les plus conservatrices relèvent la tête et organisent des contre-manifestations patriotiques qui déploient icônes religieuses et drapeaux tricolores. Les Juifs constituent leur cible favorite, comme sous le Tsar quelques mois auparavant pour essayer de détourner le mécontentement populaire. Les pogroms se multiplient, faisant des dizaines de milliers de morts, sous la complicité, au moins passive, du gouvernement. Ce climat donne une justification au Tsar pour restaurer la loi martiale. Début décembre, les 267 délégués du soviet de Saint- Pétersbourg sont arrêtés et le soviet dissous. Une insurrection a lieu à Moscou : 8 000 ouvriers armés résistent pendant 9 jours au gouvernement du Tsar. Mais les forces de l’ordre reprennent le dessus. La révolution est faite de courants trop disparates pour tenir tête au gouvernement tsariste.

3.1 Les leçons de 1905 pour les révolutionnaires

La Russie ne compte que quelques milliers de révolutionnaires début 1905, regroupés depuis peu dans un même parti. La révolution de 1905 va éclaircir et mettre au test les conceptions différentes à l’intérieur de leur organisation, entre les mencheviks et les bolcheviks : si les deux pensent au départ, selon la théorie marxiste orthodoxe, que le niveau de développement en Russie ne peut conduire dans un premier temps qu’à une révolution démocratique, les mencheviks en concluent que ce sont les libéraux (la bourgeoisie naissante) qui doivent en assurer la direction (comme ce fut le cas lors des révolutions française et anglaise), alors que les bolcheviks affirment que seule la classe ouvrière, en s’alliant avec les paysans, peut accomplir cette tâche.

3.2 Des opportunités à ne pas manquer

Peu avant les événements de 1905, les libéraux prennent l’initiative d’une campagne pour la démocratisation du pays. Les mencheviks poussent la population à y participer. En janvier 1905, quand les événements populaires surgissent, ces mêmes libéraux estiment que le changement, la révolution est impossible car le peuple n’est pas suffisamment éduqué. De leur côté, les bolcheviks et les mencheviks sont, dans un premier temps, hostiles au soulèvement : comment soutenir une manifestation qui paraissait tenir autant de la procession religieuse que de la démonstration politique, pour remettre au Tsar de toutes les Russies une requête au style révérencieux ? Mais alors que, sous la pression populaire, les mencheviks se joignent au mouvement, les bolcheviks ne sont qu’une quinzaine à défiler à Saint-Pétersbourg le jour du dimanche rouge. Pendant des mois, Lénine se bat contre le sectarisme des militants à l’égard des événements et des formes confuses qu’ils prenaient. En fait, les révolutionnaires n’ont joué qu’un rôle négligeable dans les premiers mois de 1905. Il faut attendre l’automne pour qu’au travers des soviets se développe l’alliance entre les militants socialistes et le monde ouvrier en grève.

4 Donner une direction

Milioukov, dirigeant du parti libéral, le parti Cadet, affirmera alors que « la classe ouvrière avait à tel point lié son sort à celui du parti social-démocrate [les révolutionnaires], que le parti cadet n’y avait plus le moindre accès ». Le danger que représente pour les libéraux cette situation les amène à accueillir favorablement les promesses de démocratisation que fait le Tsar en août, contre le sentiment général populaire. Et les mencheviks commencèrent à y voir un danger : il ne fallait pas effrayer les libéraux et les exclure de ce combat. Ainsi s’amorce entre les dirigeants des deux fractions un débat crucial : faut-il aller jusqu’à prendre les armes ? Selon Plekhanov et les mencheviks, la situation ne le permet pas ; face à la répression du gouvernement tsariste, il paraît tout aussi insensé de vouloir s’affronter. Il n’y a qu’un pas vers la conclusion qu’ils tirent peu de temps après : l’échec de la tentative révolutionnaire démontre la validité de la politique par étape (et donc, de la politique réformiste). Pour Lénine, et les bolcheviks, le développement de la révolution russe conduit inéluctablement à une lutte armée entre le gouvernement du Tsar et les ouvriers. Aussi soutiennent-ils le soulèvement de Moscou. Et de la défaite de la révolution ils concluront à un défaut de préparation, de coordination et d’organisation. Ce qui manquait à la révolution, « c’était d’une part, la fermeté, la résolution des masses trop sujettes à la maladie de la confiance et, d’autre part, une organisation des ouvriers social-démocrates à même d’assumer la direction du mouvement, de prendre la tête de l’armée révolutionnaire et de déclencher l’offensive contre les autorités gouvernementales» Ce fut la leçon de cette extraordinaire année pour les dirigeants révolutionnaires : pour Lénine, l’évolution générale du capitalisme allait conduire à l’élimination de ces deux défauts. Et 1917 allait lui donner raison.

Vanina Giudicelli
(L'Etincelle n°28)

5 Livres

  • Lénine, Lettres de loin, éditions sociales
  • François-Xavier Coquin, La révolution russe manquée, éditions complexes
  • Marcel Liebman, Le léninisme sous Lénine, éditions seuil
  • Pierre Broué, Le parti bolchevik, éditions de minuit
  • L. Trotsky, Bilan et perspectives