Révolution des tulipes (2005)

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La révolution des Tulipes est le nom donné à l'insurrection du 24 mars 2005 au Kirghizistan, qui vit la chute d'un gouvernement de bureaucrates corrompus, remplacé aussitôt par une autre clique de bureaucrates. Elle fait partie de cette vague de "Révolutions de couleur" parmi les ex-républiques soviétiques.

1 Contexte post-soviétique particulier

Contrairement aux républiques post-soviétiques voisines, où le Kremlin avait mis en place un appareil bureaucratique central rénové, renforcé et préparé à la restauration capitaliste au cours des années 1980, la bureaucratie du Kirghizistan fit le saut dans le système capitaliste en étant divisée. Les privilèges, réels, des bureaucrates ne leur permettaient pas de constituer un capital privé. C’est donc les fonctions étatiques, assurant le contrôle des mécanismes de la privatisation et des finances de l’État, qui constituent la voie privilégiée d’une rapide accumulation primitive du capital, en particulier dans un pays peu industrialisé et ne disposant pas de nombreux directeurs d’entreprises, premiers candidats à leur appropriation privée. L’histoire du Kirghizistan indépendant (depuis le 31 août 1991) c’est celle des luttes au sein de la nouvelle élite bureaucratique, largement issue de la couche des « lettrés », qui s’est trouvée à la tête de l’État en 1990. Luttes dans lesquelles la population salariée, grande perdante de l’appropriation privée des biens publics, intervient cycliquement en perturbant le jeu.

2 Les événements

2.1 Crise sociale, révoltes et classe politique de rechange

De juin à août 1990 des affrontements populaires à Och et Uzgen, provoqués par une montée du chômage (22,8 % de la population locale) et le déficit de logements, transformés en conflit ethnique entre Kazakhs et Ouzbeks, réprimés par une intervention de l’armée soviétique, ont ouvert la voie à un Mouvement démocratique du Kirghizistan, formé par des intellectuels et des bureaucrates intermédiaires. Cette opposition a exigé la destitution d’Absamet Masaliyev, vieux membre du Bureau politique du PCUS, président du Soviet suprême de la République. En octobre 1990, le Soviet suprême s’est avéré incapable de choisir le président de la République — un nouveau poste créé dans le cadre des réformes du régime — entre les deux candidats issus de la nomenklatura traditionnelle, Masaliev et le premier ministre kirghize Apas Jumagulov.

C’est un candidat « hors concours », Askar Akayev, membre du parti mais non de la plus haute nomenklatura, président de l’Académie kirghize des sciences, considéré initialement comme un libéral, qui a été choisi. Élu président du Kirghizistan indépendant lors d’une élection incontestée en décembre 1991, il a constitué son administration en puisant parmi ses amis intellectuels, déstabilisant ainsi les élites bureaucratiques traditionnelles.

2.2 Présidentialisme autoritaire d'Akayev

Rapidement, une partie des intellectuels libéraux ont déchanté, alors qu’Akayev orientait le régime vers un présidentialisme autoritaire. Favorable aux privatisations[1], il s’est fait octroyer, ainsi qu’à ses proches, des privilèges spéciaux par le Parlement, dont il s’est assuré le contrôle. Désorientée idéologiquement et divisée, l’opposition « démocratique » n’a pas été capable de s’affirmer. En 1992, le plus grand parti oppositionnel, Erk (Liberté), s’est divisé en deux, Erkin (conservateur) et Ata-Meken (Patrie, qui a rejoint l’Internationale socialiste), alors que la vieille élite bureaucratique reconstituait le Parti communiste. Les ressources budgétaires diminuant à la suite des privatisations, les possibilités d’accumulation privée des membres de l’élite se réduisaient et les tensions politiques se sont accrues. Au milieu des années 1990, le mécontentement social a commencé à croître, car la paupérisation de la population s’aggravait [2]

Akayev a cependant réussi à se faire réélire en 2000 — les élections auraient été falsifiées. En mars 2002, il a fait tirer sur les manifestants qui protestaient à Jalal-Abad contre l’arrestation d’un député. En mai, la police a brutalement dispersé une manifestation similaire à Bichkek. Un mouvement populaire, plus large que l’opposition politique traditionnelle, exigeant sa démission commence à se développer. Son mandat arrivant à expiration en 2005, Akayev s’est mis à préparer une succession dynastique, faisant élire au Parlement son fils Aidar et sa fille Bermet [3]

2.3 Révolte populaire, révolution d'élites

Mais il a préjugé de ses forces. Une semaine après les élections législatives, le 18 mars 2005, les manifestations massives ont débuté à Jalal-Abad, à Och, à Toktogul, à Pulgon et finalement à Bichkek, la capitale. La population a occupé les locaux administratifs, séquestré les dirigeants régionaux. L’opposition parvint à s’unifier autour de Rosa Otounbayeva, ancienne ministre, et de Karmanbek Bakiyev, ancien Premier ministre. Le 24 mars 2005, les opposants se sont emparés du siège du gouvernement et de la télévision, le président Akayev s’est enfui. Les forces de police se sont dispersées ou ont rejoint les opposants. Le Premier ministre a démissionné, les élections de mars ont été annulées, Kurmanbek Bakiyev a été nommé Premier ministre et président par intérim, puis élu président lors de l’élection de juillet 2005. La « révolution des tulipes », au cours de laquelle les opposants auraient bénéficié de l’aide matérielle occidentale, venait de l’emporter.

3 Un régime semblable

Il s'avéra que Bakiyev a rapidement suivi le chemin de son prédécesseur, écartant ceux qui l’avaient mis au premier plan, pratiquant le népotisme et la corruption, contrôlant les médias, assassinant les opposants, et bien sûr privatisant à tour de bras...

La situation sociale ne fit que se dégrader pour le prolétariat kirghize, accentuant les conflits ethniques au Sud et la tension Nord-Sud, et la défiance contre le régime qui allait conduire à une nouvelle révolte populaire en 2010.

4 Intérêts impérialistes

La décomposition de l’Union soviétique a conduit l'impérialisme étatsunien à prendre pied dans plusieurs des États issus de cette décomposition.[4] Les bureaucrates russes convertis en richissimes hommes d’affaires préfèrent d'ailleurs mettre leur argent à l’abri en Occident, plutôt que de miser sur le développement de la Russie sur une base capitaliste. Comme en Géorgie ou en Ukraine, la Révolution de couleur au Kirghizistan a conduit à l’éviction d’équipes liées à Moscou et au remplacement par d’autres plus favorables à Washington.

Toute cette région, située à un carrefour stratégique entre la Russie, l’Inde et la Chine, proche de surcroît de régions pétrolifères, est le théâtre d’une sourde lutte d’influence entre les États-Unis et la Russie. Au Kirghizistan, les Etats-Unis possèdent notamment la base aérienne de Manas, ce qui les rend nettement moins regardants sur les droits humains que vis à vis de l'Iran.[5]

5 Notes et sources

Source principale : Un article d'Inprecor, N° 560-561, avril-mai 2010

  1. Il a clamé : « Bien que je sois communiste, mon attitude fondamentale est en faveur de la propriété privée. Je crois que dans le domaine économique ce n’est pas Karl Marx mais Adam Smith qui a accompli la révolution. » (Christian Science Monitor du 10 janvier 1991)
  2. Cf. Glenn E. Curtis, Kirghizistan, a country study, dans Lydia M. Buyers (éd.), Central Asia in Focus : Political and Economic Issues, Nova Publishers, New York 2003.
  3. Après un début de carrière diplomatique, Bermet Akayeva devint manager des entreprises familiales en 2000. En 2005, elle a été élue députée, lors d’une élection qui a été annulée pour fraude après la « révolution des tulipes ». La candidature de Rosa Otounbayeva, ancienne ministre des Affaires étrangères et vice-premier ministre (en 1992, puis en 1994-1997), enfin diplomate (en 2002-2004 à la tête de la mission de l’ONU en Géorgie), fondatrice du parti oppositionnel Ata-Jurt, dans la même circonscription a été invalidée par une loi appropriée, exigeant que les candidats aient résidé sur le territoire national au cours des cinq années précédant l’élection. En 2007, Bermet Akayeva est parvenue à revenir au Parlement !
  4. Lutte de Classe, n°93 (Décembre 2005)
  5. Article paru sur le World Socialist Web Site