Rosa Luxemburg et les bolchéviks

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Rosa Luxemburg a polémiqué au début du XXème siècle avec les bolchéviks, puis elle s'est exprimée de manière assez brève sur la Révolution russe, avec les données dont elle disposait. De nombreux commentateurs ont voulu lui prêter un point de vue "démocratique" opposé aux "excès" des bolchéviks. Une thèse pas bien solide.

1 La conception du parti

Entre 1902 et 1904, elle polémique contre Lénine sur sa conception du parti de "révolutionnaires professionnels".[1] Sur ce point, cela a toujours été une faiblesse de sa part de pas saisir le lien dialectique entre parti et mouvement ouvrier. Pour elle, le parti naît quasi naturellement du mouvement des masses, il est en quelque sorte son auto-centralisation organique :

«En vérité, la social-démocratie n'est pas liée à l'organisation

de la classe ouvrière, elle est le mouvement propre de la classe ouvrière». Conséquence: «Le centralisme de la social-démocratie ne saurait être autre chose que la concentration impérieuse de la volonté de l'avant-garde consciente et militante de la classe ouvrière vis-à-vis de ses groupes et individus. C'est, pour ainsi dire, un

'auto-centralisme' de la couche dirigeante du prolétariat »[2]

Lénine lui répond dans un article de la même année[3] qu'elle fait un exposé métaphysique du dilemme centralisation/autonomie, et passe à côté de l'enjeu du Congrès qui a mené à la scission entre aile révolutionnaire (bolchévik) et opportunniste (menchévisme) du POSDR.

Le Parti social-démocrate allemand était né progressivement, à la fois en tant que mouvement ouvrier de masse et d'abord syndical, et en tant que mouvement socialiste avec formation et appropriation progressive de la théorie marxiste. Cela pouvait donner l'impression à une marxiste allemande que tel était l'invariant processus de formation d'un parti. Pourtant les faits ont parlé, et dans certaines circonstances de crise révolutionnaire, les décisions judicieuses de militants communistes aguerris peuvent s'avérer cruciales. Rosa Luxemburg disait :

« Les erreurs commises par un mouvement ouvrier véritablement révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l'infaillibilité du meilleur "comité central". »[4]

Au contraire, l'expérience politique de la lutte des classes en Allemagne ne sera des "plus fécondes et plus précieuses" que grâce à l'action politique du "meilleur des "Comité central"", celui de l'Internationale communiste formée par les bolchéviks. Cinq ans durant, en effet, cette politique a rendu possible la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire de masse dans un pays capitaliste industrialisé, doté d'un puissant mouvement ouvrier. Cette expérience est incontournable pour se donner les moyens théoriques et politiques du combat pour la construction du parti nécessaire.

2 Le défaitisme révolutionnaire

Les spartakistes comme les bolchéviks font partie de la gauche socialiste opposée à la guerre impérialiste de 1914 et qui se réunit à la conférence de Zimmerwald. Mais ils rejettent le défaitisme révolutionnaire, dont la perspective lancée par Lénine est la "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile".

Dans la brochure Junius qu'ils éditent en 1916, ils déclarent "ni en Allemagne, ni en France, ni en Angleterre, ni en Russie, le prolétariat ne peut faire sien le mot d'ordre : victoire ou défaite, un mot d'ordre qui n'a de sens véritable que pour l'impérialisme" et militent pour la "paix" imposée par la lutte du prolétariat. Le pacifisme est évidemment une valeur socialiste, mais posé ainsi de façon métaphysique il n'appuie pas sur la principale contradiction du moment qu'est la guerre et la colère sociale qu'elle engendre. Cette confusion ne facilite pas la rupture, pour le moins, avec la vieille social-démocratie, "majoritaires" (SPD) comme "indépendants" (USPD).

3 La Révolution en Russie

3.1 Éléments importants

Rosa Luxemburg écrit en 1918, pendant son emprisonnement,La Révolution en Russie.[5] Alarmée, la presse bourgeoise était en pleine diffamation contre les bolcheviks, et Rosa disposait nécessairement d'informations parcellaires et douteuses.

Par ailleurs, ce texte n'a pas été publié de son vivant, mais par Paul Levi, alors en rupture avec l'Internationale Communiste. Plusieurs éléments confirment qu'elle n'avait pas voulu que ce texte soit publié, et qu'elle avait dépassé ce point de vue.[6][7][8]

« Deux proches compagnons de Rosa Luxemburg, le communiste polonais Adolf Warski et la dirigeante du KPD Clara Zetkin, vont réagir à cette publication en arguant que la brochure représentait un point de vue erroné que Rosa Luxemburg avait dépassé, par son expérience de la révolution allemande, vers la fin de l’année 1918. Les deux publient dans la Rote Fahne (quotidien du parti communiste allemand) du 22 décembre 1921 une déclaration commune qui affirme : « Ni Rosa Luxemburg ni Leo Jogisches n’étaient d’avis de publier cette critique écrite pendant l’été 1918… Nous constatons en outre que, dans les questions les plus importantes, le contenu de la brochure ne correspond pas au point de vue que Rosa Luxemburg a soutenu publiquement après sa sortie de prison et jusqu’à son assassinat. »[9]

Mais dès son origine et par la suite, il a principalement été cité pour défendre l'idée que Rosa Luxemburg était "une vraie marxiste" contrairement à Lénine et Trotsky.

Les autres points, sur lesquels la plupart des marxistes sont d'accord pour parler d'une erreur de Rosa Luxemburg, sont plus rarement évoqués...

3.2 Les "deux mots d'ordre petit-bourgeois"

Dans sa brochure, Rosa critique également des décisions bolchéviques qui sont communément considérées comme suivant la "volonté populaire". Elle s'en prend aux "deux morts d'ordre petit-bourgeois" que seraient :

  1. le partage des terres par les paysans : elle pense que cela va former une couche petite-bourgeoise qui se dresser

contre les mesures socialistes en matière agricole.

  1. le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : elle considère que c'est une concession inacceptable au nationalisme.

On le voit, Rosa Luxemburg est loin de défendre simplement "l'avis de la majorité" en toute circonstance.

3.3 La dissolution de l'Assemblée constituante

Le point qui cristallise le plus de critiques est certainement la dissolution de l'Assemblée constituante. Elle est comprise partout comme la dissolution de la démocratie bourgeoise, et c'est bien le cas.

Le fait est que les bolchéviks alliés aux SR de gauche avaient l'assentiment populaire avec eux, et que la Constituante ne représentait pas cet état de fait.[10] Les soviets ouvriers et paysans qui s'étaient auto-organisés un peu partout représentait la nouvelle démocratie socialiste, et il aurait été alors absurde de s'incliner devant une forme politique dépassée, représentant la résistance bourgeoise et non la volonté des masses travailleuses.[11]

Au moment où elle écrit, Rosa Luxemburg ne connaît pas suffisamment la situation en Russie pour saisir la responsabilité historique des bolchéviks et leur devoir de ne pas reculer.

3.4 Les formes de démocratie

Il y a donc une opposition non pas entre la démocratie "en général" et la tyrannie des bolchéviks, mais une lutte entre la démocratie soviétique naissante et les forces qui voudraient en rester à la forme bourgeoise de la démocratie. Cette lutte est inséparable de la lutte de classe dans un tel moment, et s'inscrit dans la dictature du prolétariat.

Et Rosa Luxemburg elle-même reproduira les choix tactiques des bolchéviks, bien que ce fut un échec. Ainsi s'exprimait elle à propos de l'Assemblée (à laquelle le SPD voulait absolument limiter la révolution)  pendant la Révolution allemande :

« L'Assemblée Nationale est un héritage suranné des révolutions bourgeoises, une cosse vide, un résidu du temps des illusions petites-bourgeoises sur le « peuple uni », sur la « liberté, égalité, fraternité » de l'état bourgeois.
[...]
Il ne s'agit pas aujourd'hui d'un choix entre la démocratie et la dictature. La question qui est mise par l'histoire à l'ordre du jour, c'est : démocratie BOURGEOISE ou démocratie SOCIALISTE. Car la dictature du prolétariat, c'est la démocratie au sens socialiste du terme.» [12] Die Rote Fahne

4 Notes et sources

  1. Que Lénine expose notamment dans Que faire? et dans Un pas en avant, deux pas en arrière.
  2. Questions d'organisation de la social-démocratie russe, Rosa Luxemburg, 1904
  3. Un pas en avant, deux pas en arrière, Réponse à Rosa Luxemburg, Lénine, 1904
  4. Questions d'organisation de la social-démocratie russe, Rosa Luxemburg, 1904
  5. La Révolution en Russie, Rosa Luxemburg, 1918
  6. C'est notamment ce que rapporte Clara Zetkin, proche de Rosa, dans un livre qu'elle a publié en 1921 "Um Rosa Luxemburgs Stellung zur russischen Revolution".
  7. Voir aussi cette lettre à Adolf Warski.
  8. Voir aussi les Remarques critiques sur la critique de la révolution russe de Rosa Luxembourg de György Lukács.
  9. Rosa Luxemburg et la démocratie socialiste, Michael Löwy
  10. Comme l'ont montré des travaux récents, la faction de droite des SR a réussi à faire élire environ 380 délégués à la constituante sur le ticket SR (contre environ 40 SR de gauche), alors que les SR de gauche, pro-bolchéviks, avaient la majorité à la base du parti.
  11. Lire également le récit de John Reed dans Dix jours qui ébranlèrent le monde.
  12. Die Rote Fahne, 20 novembre 1918