Religion

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche

Les religions sont des systèmes de croyances jouant un rôle plus ou moins important en politique selon leur poids social.

1 Considérations théoriques

1.1 Généralités

Pour le socialisme scientifique, d'essence matérialiste, le phénomène religieux est une aliénation et parfois une idéologie dont se parent certains mouvements.

En premier lieu c'est une contrainte socialement imposée ou auto-imposée qui pose toute une série d'interdits et de prescriptions irrationnelles, qui nuisent le plus souvent au libre épanouissement de l'individu et de la société.

Ensuite concernant les religions dominantes (religions d'Etat notamment), c'est un pouvoir autoritaire spécial octroyé à un clergé qui constitue une aile de la classe dirigeante. Ce pouvoir s'autojustifie par une soi-disant connaissance privilégiée et un rapport plus intime que le simple croyant (a fortiori que l'impie) avec le divin.

Plus fondamentalement, c'est une illusion idéaliste qui consiste pour l'homme à inverser la réalité du monde et à voir son créateur dans l'abstraction, alors que toute abstraction naît d'abord d'un terreau matériel. "L'homme fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme.[1]"

Cette illusion joue le plus souvent un rôle clé dans des sociétés marquées par la domination. Elle un versant réactionnaire : apaiser les esprits vaincus, les convaincre de la délivrance prochaine dans l'au-delà, et surtout, qu'ils n'ont pas de pouvoir et surtout pas de légitimité pour agir dans la transformation sociale. Mais elle exprime parfois aussi des mouvements protestataires (diggers, quakers, théologie de la libération...). Le marxisme, en permettant de comprendre cette double nature (réactionnaire ou protestataire de la religion), est de ce point de vue en rupture avec une vision linéaire de l'histoire héritée des Lumières. Dans une société donnée, la religion n'est pas toujours du côté de la réaction et le matérialisme du côté du progrès ; ainsi, Engels parle en ces termes du rôle révolutionnaire joué par le protestantisme en Angleterre au XVIIe siècle, contre le matérialisme hobbesien :

"Avec

Hobbes, le matérialisme apparut sur la scène, comme défenseur de l’omnipotence et des prérogatives royales ; il faisait appel à la monarchie absolue pour maintenir sous le joug ce puer robustus sed malitiosus [enfant vigoureux mais fourbe] qu’était le peuple. Il en fut de même avec les successeurs de Hobbes, avec Bolingbroke, Shaftesbury, etc ; la nouvelle forme déiste ou matérialiste demeura, comme par le passé, une doctrine aristocratique, ésotérique et par consequent odieuse à la bourgeoisie... Par conséquent, en opposition à ce matérialisme et à ce déisme aristocratiques, les sectes protestantes qui avaient fourni son drapeau et ses combattants à la guerre contre les Stuarts, continuèrent à constituer la force

principale de la classe moyenne progressive[2]..."


1.2 Genèse de la pensée marxiste de la religion

1.2.1 Chez Marx

On cite souvent une phrase de Marx comme étant la quintessance de sa pensée en matière de religion :

"La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple.[1]"

Cependant, il est insuffisant d'en rester là, car :

1. Cette métaphore n'est pas propre à Marx : on la trouve chez nombre d'auteurs, y compris Kant ou Feuerbach. Heinrich Heine écrit en 1840 :

"Bénie soit une religion, qui verse dans l'amer calice de l'humanité souffrante quelques douces et soporifiques gouttes d'opium spirituel, quelques gouttes d'amour, foi et espérance."

Et en 1843, Moses Hess écrit :

"La religion peut rendre supportable [...] la conscience malheureuse de la servitude [...] de la même façon que l'opium est d'une grande aide dans les maladies douloureuses[3]."

2. Cette phrase apparaît, chez Marx, dans la "Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel", un article de 1844, époque à laquelle il est encore néo-hégélien : Marx voit la religion comme une aliénation de l'essence humaine, selon une analyse assez anhistorique qui ne fait pas appel aux classes sociales. En 1846, dans L'idéologie allemande, il engage pour la première fois une étude proprement marxiste de la religion comme fait social, et en particulier comme l'une des multiples formes de l'idéologie.

A ce titre, la critique marxiste de la religion en fait quelque chose qui peut s'expliquer à partir des rapports sociaux, avec lesquels elle forme une totalité :

"Il est clair que tout bouleversement historique des conditions sociales entraîne en même temps le bouleversement des conceptions et des représentations des hommes et donc de leurs représentations religieuses[4]."

1.2.2 Chez Engels

Peut-être à cause de son éducation piétiste, Engels a accordé au phénomène religieux beaucoup plus d'attention que Marx lui-même.

Engels, en bon matérialiste, analyse dès 1850, avec son ouvrage La Guerre des paysans, les religions et les postures religieuses comme des idéologies liées à des classes sociales. Ainsi, en étudiant la naissance du protestantisme en Allemagne au début du XVIe siècle, il repère trois camps en présence, chacun étant identifié à la fois par une certaine base sociale et par une idéologie religieuse propre. Ainsi, cette crise religieuse met aux prises :

  • un camp conservateur catholique, qui rassemble les prélats, les grands nobles et une bonne partie des princes de l'Empire germanique ;
  • un camp luthérien, bourgeois modéré, qui rassemble la bourgeoisie urbaine et la petite noblesse ;
  • un camp révolutionnaire, protestant et millénariste sur un plan religieux, plébéien et paysan d'un point de vue social.

Cependant, pour éclairantes que soient de telles analyses, Engels ne résiste pas toujours à la tentation du réductionnisme, et réduit souvent les diverses croyances à de simples déguisements d'intérêts religieux. Il prétend ainsi que Thomas Münzer, chef des paysans révolutionnaires allemands, dissimulait ses convictions révolutionnaires sous une phraséologie chrétienne qui parlait plus à la masse des paysans. La dimension spécifiquement religieuse et mystique du millénarisme münzérien semble lui avoir échappé.

De même, certaines analyses d'Engels sur le calvinisme semblent reprendre l'idée que la religion constitue un simple masque occultant la véritable nature d'une idéologie de nature politique. Ainsi, Engels écrit que dans la révolution anglaise du XVIIe siècle, "le calvinisme s'avère être le véritable déguisement religieux des intérêts de la bourgeoisie de l'époque[5]."

Engels a une approche dialectique de la religion, attentive aux deux aspects et au deux rôles, conservateur et protestataire, de la religion, mais en mettant souvent l'accent sur le second aspect. Ainsi, il met en lumière sa dimension anticipatrice et utopique de l'idéologie religieuse de Münzer :

"Sa doctrine

politique correspondait exactement à cette conception religieuse révolutionnaire et dépassait tout autant les rapports sociaux et politiques existants que sa théologie dépassait les conceptions religieuses de l’époque. [...] Ce programme, qui était moins la synthèse des revendications des plébéiens de l’époque, qu’une anticipation géniale des conditions d’émancipation des éléments prolétariens en germe parmi ces plébéiens, exigeait l’instauration immédiate sur terre du Royaume de Dieu, du royaume millénaire des prophètes, par le retour de l’Eglise à son origine et par la suppression de toutes les institutions en contradiction avec cette Eglise, prétendument primitive, mais en réalité, toute nouvelle. Pour Munzer, le royaume de Dieu n’était pas autre chose qu’une société où il n’y aurait plus aucune différence de classes, aucune propriété privé, au aucun pouvoir d’Etat étranger, autonome,

s’opposant aux membres de la société[6]."

On est là très loin d'une théorie de la religion comme reflet de la société : elle n'est pas l'expression des conditions existantes, mais une anticipation géniale des théories communistes de l'avenir.

2 Dans l'action politique

2.1 Vers la critique sociale

Pour combattre les superstitions religieuses, il s'agit d'abord et avant tout de combattre les causes qui les font naître. C'est ce qui a amené le jeune Marx a élargir la critique de la religion, alors cheval de bataille des jeunes-hégéliens, à la critique politique.

"Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé a une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole. [...]
La critique de la religion désillusionne l'homme, pour qu'il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu'il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui se meut autour de l'homme, tant qu'il ne se meut pas autour de lui-même."[1]

2.2 L'attaque "métaphysique" de la religion

Ce passage par la critique sociale n'est pas un "plus" mais une condition nécessaire. Car la simple opposition "métaphysique", dans la sphère des idées, de la religion, peut s'avérer inutile, voire contre-productive. "les persécutions sont le meilleur moyen d'affermir des convictions indésirables !"[7] prévenait Engels, face à des communards émigrés qui voulaient "abolir la religion".

C'est pourquoi il faut non pas se battre non pas contre les croyants mais contre la misère. Non pas pour l'athéisme mais pour la laïcité.

2.3 Attitude envers les mouvements religieux

Le plus souvent, la lutte socialiste contre l'influence de la religion doit déboucher sur une opposition aux mouvements religieux réactionnaires. Cependant cela n'a rien d'un principe métaphysique. Selon les situations, certains mouvements qui s'expriment par des idées empreintes de religion peuvent être progressistes (la lutte des palestiniens par exemple).

De manière générale, la tâche des marxistes doit être de s'opposer à son propre impérialisme ou à sa théocratie. Pour un marxiste d'Iran, renverser la "République islamiste" est la priorité. Pour un marxiste états-unien, empêcher une agression US y compris sur des prétextes de lutte contre l'intégrisme est la priorité. Lorsque la bourgeoisie réactionnaire utilise les préjugés racistes pour diviser les exploités "nationaux" et immigrés, la dénonciation de cette stigmatisation (loi sur le voile, loi sur la burqa...) doit être implacable et passer avant l'attaque des supersitions des populations immigrées. Il est important de s'attacher à déceler les positions de classe derrière les phénomènes religieux. Il est évident qu'en France par exemple, l'islam est majoritairement implanté dans la frange immigrée de la classe ouvrière, et que les ultra-catholiques représentent une fraction de la bourgeoisie réactionnaire.

3 Cas concrets

3.1 Christianisme primitif

Le christianisme primitif est né dans un contexte très différent du nôtre, que Friedrich Engels a essayé d'étudier dans son ouvrage Contributions à l'Histoire du Christianisme primitif

Avant cela, il avait écrit, en 1882, un texte intitulé "Bruno Bauer et le christianisme primitif", où il suggérait que la religion chrétienne naissante avait recruté ses premiers adeptes parmi les esclaves romains. En remplaçant les différentes religions païennes locales détruites par l'Empire, le christianisme a été la première religion universelle possible.

En 1894-1895, dans Contributions à l'Histoire du Christianisme primitif, Engels formule une analyse sociologique plus nuancée des premiers chrétiens : Engels y  écrit que le christianisme primitif recrute non seulement parmi les esclaves, mais aussi parmi les hommes libres déchus des villes, les affranchis et les petits paysans criblés de dettes. Comme il n'existait pas de voie d'émancipation commune pour des gens si divers, seule la religion a pu leur offrir un rêve commun, un espoir commun.

L'intérêt d'Engels pour le christianisme primitif vient aussi de deux facteurs politiques contemporains :

1. La mémoire du christianisme primitif reste présente dans les mouvements révolutionnaires, des hérésies médiévales aux premiers mouvements communistes allemands (Wilhelm Weitling), en passant par la guerre des paysans du XVIe s.

2. Engels constate un parallélisme structurel entre christianisme primitif et mouvements socialistes contemporains : dans les deux cas il s'agit de mouvements de masses opprimées, qui proposent une libération imminente de l'esclavage et de la détresse. La différence essentielle tient à ce que les socialistes se battent pour une libération immanente, dans le monde et dans la vie, alors que les premiers chrétiens envisagent la délivrance dans l'au-delà. Mais même cette différence n'est pas toujours aussi tranchée qu'il y paraît : Thomas Münzer, le grand dirigeant de la guerre des paysans allemands du XVIe s., voulait faire advenir le royaume de Dieu sur terre.

3.2 L'essor du protestantisme

Voir page détaillée : Réforme protestante

Le protestantisme est une religion chrétienne apparue en Allemagne au XVIème siècle, à la suite d'un schisme avec l'Eglise catholique. Son développement est concomittant de celui du capitalisme, et l'analyse des rapports entre ce mode de production et cette religion a fait l'objet de commentaires de la part d'auteurs marxistes, à commencer par Marx lui-même, mais aussi d'auteurs non marxistes, comme Max Weber

3.3 Anticléricalisme

Voir page détaillée : anticléricalisme.

Du temps de l'Ancien Régime, lorsque la chrétienté était clairement l'idéologie de la classe noble, la bourgeoisie avait une action progressiste en repoussant l'obscurantisme, même si l'opposition à l'Eglise, puissante, se faisait prudente. C'est pendant la Révolution française et surtout en 1793 avec le fort mouvement populaire de la Commune, qu'éclate la première grande vague d'anticléricalisme.

L'attitude de la bourgeoisie face à la religion, encore ancrée dans les masses et formidable instrument de domination, s'est faite plus variable et ambigüe par la suite. C'est pourquoi l'anticléricalisme est longtemps resté une question de positionnement épineuse pour les socialistes.

3.4 Les mouvements islamiques

Les courants se revendiquant plus ou moins de l'islam sont issus d'un contexte historique donné. On peut distinguer notamment :

  • Les théocraties (l'Iran issu de la révolution de 1979) : le conservatisme des classes possédantes fusionnées avec le haut clergé s'expriment dans l'islamisme.
  • Les mouvements réactionnaires, principalement dans la période 1950-1970 contre les nationalistes arabes plus aux discours ou moins socialistes (Nasser, Ben Bella...).
  • Les mouvements s'appuyant sur des causes progressistes comme la résistance à un envahisseur (Liban, Afghanistan, Irak, Palestine...) ou à une oppression ethnique (les mouvements se nourrissant de la situation des immigrés en Occident). Lorsque les forces de gauche font défaut, il peut être nécessaire de former un front unique avec ces mouvements, à certaines conditions. Au Royaume-Uni, le rapprochement entre le SWP et le MAB est par exemple très controversé.


4 Notes et sources

4.1 Notes

  1. 1,0 1,1 et 1,2 Karl Marx, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, Introduction, 1843
  2. Friedrich Engels, Introduction à l'édition anglaise de Socialisme utopique et socialisme scientifique, in K. Marx, F. Engels Sur la religion, op. cit., p. 297-298.
  3. Cité par Michaël Löwy, "Karl Marx et Friedrich Engels comme sociologues de la religion" 2000.
  4. Karl Marx, Friedrich Engels, "Compte-rendu du livre de G. F. Daumer, 'La religion de l'ère nouvelle...'", 1850, SR, p. 94.
  5. Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, in K. Marx, F. Engels, Sur la religion, Paris, Editions sociales, 1960, p. 259.
  6. Karl Marx, Friedrich Engels, Sur la religion, Paris, Editions sociales, 1960, p. 114.
  7. Friedrich Engels Le programme des émigrés blanquistes de la Commune, 1873

4.2 Sources