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*[[Michaël Löwy]], "Karl Marx et Friedrich Engels comme sociologues de la religion", 2000.

Version du 9 avril 2012 à 01:08

Les religions sont des systèmes de croyances jouant un rôle plus ou moins important en politique selon leur poids social.

1 Considérations théoriques

1.1 Généralités

Pour le socialisme scientifique, d'essence matérialiste, le phénomène religieux est une aliénation et parfois une idéologie dont se parent certains mouvements.

En premier lieu c'est une contrainte socialement imposée ou auto-imposée qui pose toute une série d'interdits et de prescriptions irrationnelles, qui nuisent le plus souvent au libre épanouissement de l'individu et de la société.

Ensuite concernant les religions dominantes (religions d'Etat notamment), c'est un pouvoir autoritaire spécial octroyé à un clergé qui constitue une aile de la classe dirigeante. Ce pouvoir s'autojustifie par une soi-disant connaissance privilégiée et un rapport plus intime que le simple croyant (a fortiori que l'impie) avec le divin.

Plus fondamentalement, c'est une illusion idéaliste qui consiste pour l'homme à inverser la réalité du monde et à voir son créateur dans l'abstraction, alors que toute abstraction naît d'abord d'un terreau matériel. "L'homme fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme.[1]"

Cette illusion joue le plus souvent un rôle clé dans des sociétés marquées par la domination. Elle un versant réactionnaire : apaiser les esprits vaincus, les convaincre de la délivrance prochaine dans l'au-delà, et surtout, qu'ils n'ont pas de pouvoir et surtout pas de légitimité pour agir dans la transformation sociale. Mais elle exprime parfois aussi des mouvements protestataires (diggers, quakers, théologie de la libération...).

1.2 Genèse de la pensée marxiste de la religion

On cite souvent une phrase de Marx comme étant la quintessance de sa pensée en matière de religion :

"La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple.[1]"

Cependant, il est insuffisant d'en rester là, car :

1. Cette métaphore n'est pas propre à Marx : on la trouve chez nombre d'auteurs, y compris Kant ou Feuerbach. Heinrich Heine écrit en 1840 :

"Bénie soit une religion, qui verse dans l'amer calice de l'humanité souffrante quelques douces et soporifiques gouttes d'opium spirituel, quelques gouttes d'amour, foi et espérance."

Et en 1843, Moses Hess écrit :

"La religion peut rendre supportable [...] la conscience malheureuse de la servitude [...] de la même façon que l'opium est d'une grande aide dans les maladies douloureuses[2]."

2. Cette phrase apparaît, chez Marx, dans la "Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel", un article de 1844, époque à laquelle il est encore néo-hégélien : Marx voit la religion comme une aliénation de l'essence humaine, selon une analyse assez anhistorique qui ne fait pas appel aux classes sociales. En 1846, dans L'idéologie allemande, il engage pour la première fois une étude proprement marxiste de la religion comme fait social, et en particulier comme l'une des multiples formes de l'idéologie.

A ce titre, la critique marxiste de la religion en fait quelque chose qui peut s'expliquer à partir des rapports sociaux, avec lesquels elle forme une totalité :

"Il est clair que tout bouleversement historique des conditions sociales entraîne en même temps le bouleversement des conceptions et des représentations des hommes et donc de leurs représentations religieuses[3]."

2 Dans l'action politique

2.1 Vers la critique sociale

Pour combattre les superstitions religieuses, il s'agit d'abord et avant tout de combattre les causes qui les font naître. C'est ce qui a amené le jeune Marx a élargir la critique de la religion, alors cheval de bataille des jeunes-hégéliens, à la critique politique.

"Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé a une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole. [...]
La critique de la religion désillusionne l'homme, pour qu'il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu'il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui se meut autour de l'homme, tant qu'il ne se meut pas autour de lui-même."[1]

2.2 L'attaque "métaphysique" de la religion

Ce passage par la critique sociale n'est pas un "plus" mais une condition nécessaire. Car la simple opposition "métaphysique", dans la sphère des idées, de la religion, peut s'avérer inutile, voire contre-productive. "les persécutions sont le meilleur moyen d'affermir des convictions indésirables !"[4] prévenait Engels, face à des communards émigrés qui voulaient "abolir la religion".

C'est pourquoi il faut non pas se battre non pas contre les croyants mais contre la misère. Non pas pour l'athéisme mais pour la laïcité.

2.3 Attitude envers les mouvements religieux

Le plus souvent, la lutte socialiste contre l'influence de la religion doit déboucher sur une opposition aux mouvements religieux réactionnaires. Cependant cela n'a rien d'un principe métaphysique. Selon les situations, certains mouvements qui s'expriment par des idées empreintes de religion peuvent être progressistes (la lutte des palestiniens par exemple).

De manière générale, la tâche des marxistes doit être de s'opposer à son propre impérialisme ou à sa théocratie. Pour un marxiste d'Iran, renverser la "République islamiste" est la priorité. Pour un marxiste états-unien, empêcher une agression US y compris sur des prétextes de lutte contre l'intégrisme est la priorité. Lorsque la bourgeoisie réactionnaire utilise les préjugés racistes pour diviser les exploités "nationaux" et immigrés, la dénonciation de cette stigmatisation (loi sur le voile, loi sur la burqa...) doit être implacable et passer avant l'attaque des supersitions des populations immigrées. Il est important de s'attacher à déceler les positions de classe derrière les phénomènes religieux. Il est évident qu'en France par exemple, l'islam est majoritairement implanté dans la frange immigrée de la classe ouvrière, et que les ultra-catholiques représentent une fraction de la bourgeoisie réactionnaire.

3 Cas concrets

3.1 Christiannisme primitif

Le christiannisme primitif est né dans un contexte très différent du nôtre, que Friedrich Engels a essayé d'étudier dans son ouvrage Contributions à l'Histoire du Christianisme primitif.

3.2 L'essor du protestantisme

L'analyse que fait Marx du protestantisme est en fait complexe : la "connexion" dont il parle fonctionne dans plusieurs sens. En effet :

1. La réforme protestante est le reflet de la société bourgeoise. AInsi, le catholicisme décadent de l'Ancien régime, étroitement associé à l'ancienne classe dominante et à ses privilèges, a été une des cibles idéologiques favorites de la bourgeoisie ascendante (Les Lumières...). Si en France notamment, c'est le matérialisme (surtout mécaniste) qui a été avancé, dans les pays anglo-saxons, le bouleversement principal que la lutte de classe a causé dans la sphère religieuse a été l'essor du protestantisme.

"Le monde religieux n'est que le reflet du monde réel. Une société où le produit du travail prend généralement la forme de marchandise [...] trouve dans le christianisme avec son culte de l'homme abstrait, et surtout dans ses types bourgeois, protestantisme, déisme, etc., le complément religieux le plus convenable."[5]


2. A l'inverse, le protestantisme joue un rôle actif dans la mise en place de la société bourgeoise. Ainsi, Marx a montré avec quelle netteté la Réforme en Angleterre a pu accompagner l'accumulation primitive du capital :

"La Réforme, et la spoliation des biens d'église qui en fut la suite, vint donner une nouvelle et terrible impulsion à l'expropriation violente du peuple au XVI° siècle. L'Église catholique était à cette époque propriétaire féodale de la plus grande partie du sol anglais. La suppression des cloîtres, etc., en jeta les habitants dans le prolétariat."[6] "Le protestantisme joue déjà par la transformation qu'il opère de presque tous les jours fériés en jours ouvrables, un rôle important dans la genèse du capital."[7]

La question de savoir si le protestantisme est plutôt le reflet ou la cause du capitalisme ne semble pas trop préoccuper Marx. L'important pour lui est surtout de montrer la connexion intime entre les deux, comme dans la phrase suivante, où Marx met le doigt, bien avant Weber, sur la correspondance entre l'éthique capitaliste et le protestantisme :

"Le culte de l’or a son ascétisme, ses renoncements et ses sacrifices : l’épargne, la frugalité, le mépris des jouissances terrestres, temporelles et passagères ; c’est la chasse au trésor éternel. Faire de l’argent est ainsi en connexion avec le puritanisme anglais et le protestantisme hollandais."[8]


3.3 Anticléricalisme

Voir page détaillée : anticléricalisme.

Du temps de l'Ancien Régime, lorsque la chrétienté était clairement l'idéologie de la classe noble, la bourgeoisie avait une action progressiste en repoussant l'obscurantisme, même si l'opposition à l'Eglise, puissante, se faisait prudente. C'est pendant la Révolution française et surtout en 1793 avec le fort mouvement populaire de la Commune, qu'éclate la première grande vague d'anticléricalisme.

L'attitude de la bourgeoisie face à la religion, encore ancrée dans les masses et formidable instrument de domination, s'est faite plus variable et ambigüe par la suite. C'est pourquoi l'anticléricalisme est longtemps resté une question de positionnement épineuse pour les socialistes.

3.4 Les mouvements islamiques

Les courants se revendiquant plus ou moins de l'islam sont issus d'un contexte historique donné. On peut distinguer notamment :

  • Les théocraties (l'Iran issu de la révolution de 1979) : le conservatisme des classes possédantes fusionnées avec le haut clergé s'expriment dans l'islamisme.
  • Les mouvements réactionnaires, principalement dans la période 1950-1970 contre les nationalistes arabes plus aux discours ou moins socialistes (Nasser, Ben Bella...).
  • Les mouvements s'appuyant sur des causes progressistes comme la résistance à un envahisseur (Liban, Afghanistan, Irak, Palestine...) ou à une oppression ethnique (les mouvements se nourrissant de la situation des immigrés en Occident). Lorsque les forces de gauche font défaut, il peut être nécessaire de former un front unique avec ces mouvements, à certaines conditions. Au Royaume-Uni, le rapprochement entre le SWP et le MAB est par exemple très controversé.


4 Notes et sources

4.1 Notes

  1. 1,0 1,1 et 1,2 Karl Marx, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, Introduction, 1843
  2. Cité par Michaël Löwy, "Karl Marx et Friedrich Engels comme sociologues de la religion" 2000.
  3. Karl Marx, Friedrich Engels, "Compte-rendu du livre de G. F. Daumer, 'La religion de l'ère nouvelle...'", 1850, SR, p. 94.
  4. Friedrich Engels Le programme des émigrés blanquistes de la Commune, 1873
  5. Karl Marx, Le Capital Livre I.4, 1867
  6. Karl Marx, Le Capital, Livre premier, L'accumulation primitive du capital, 1867
  7. Karl Marx, Le Capital, Livre premier, La journée de travail
  8. Karl Marx, Fondements de la Critique de l’Economie Politique (Grundrisse)

4.2 Sources

  • Michaël Löwy, "Karl Marx et Friedrich Engels comme sociologues de la religion", 2000.