Racialisme

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Le racialisme englobe les théories pseudo-scientifiques servant à justifier le racisme. Historiquement, il s'agit principalement d'une arme idéologique des classes dominantes utilisée pour couvrir l'oppression des couches sociales les plus vulnérables (minorités immigrées, nomades...) et diviser le prolétariat.

1 A l'époque moderne

Les premières formes de racisme à grande échelle se développent à l'époque moderne, parallèlement à la colonisation européenne. Comme l'idéologie dominante en Europe reposait encore principalement sur la théologie chrétienne, c'est cette dernière qui servait de justification. Par exemple avec l'idée que les amérindiens étaient "sans âme", que "les Juifs seraient coupables du meurtre de Jésus"...

Au 19e siècle, la doctrine slavophile se développe en Russie, expliquant que le peuple russe et son Église seraient profondément démocrates, tandis que les dirigeants russes seraient une bureaucratie allemande, implantée par Pierre Ier. Trotsky rapporte que Marx ironisait à ce sujet : « C'est pourtant ainsi que les baudets de Teutonie font retomber la responsabilité du despotisme de Frédéric II sur les Français ». [1]

2 Sous le capitalisme

2.1 Descendants des Francs et des Gaulois

En France, la Révolution industrielle a provoqué un fort exode rural des provinces vers Paris (Bretons, Auvergnats...). Les classes possédantes parisiennes ont majoritairement développé un profond mépris de classe pour ces nouveaux venus, qui s'est exprimé dans un racisme latent. Une des théories en vogue était alors que les parisiens étaient les fiers descendants des Francs victorieux, tandis que les provinciaux étaient la progéniture dégénérée des Gaulois vaincus.[2]

2.2 Racialisme intra-européen

Dans son ouvrage sur l'impérialisme, écrit en pleine guerre de 1914-1918, Boukharine démonte une théorie présente à son époque, selon laquelle le conflit européen serait un conflit de "races".

« Une simple référence aux faits détruit cette théorie, sans laisser une seule pierre à l'édifice. Les Anglo-Saxons, de la même origine que les Allemands, sont leurs plus cruels ennemis; les Bulgares et les Serbes, pur Slaves, parlant presque la même langue, se trouvent de différents côtés des tranchées. Les Polonais ont parmi eux d'ardents partisans de l'Autrichie comme de la Russie. La même chose avec les Ukrainiens, dont une partie est en sympathie avec les Russes, tandis qu'une autre est en sympathie avec les Autrichiens. D'autre part, chacune des coalitions belligérantes combine les plus hétérogènes races, nationalités, ou tribus. »[3]

Il revient également sur cette question dans son ouvrage de formation sur La théorie du matérialisme historique (1921).

Ce type de hiérarchisation entre les "races" européennes est souvent présent dans les systèmes racistes, même si généralement il a été présenté comme secondaire par rapport à des "races" qualitativement inférieures (juifs, tsiganes, noirs...).

2.3 Racialisme européen

Un fond européen de théories des races s'est développé en Europe au XIXème siècle. Elles servaient à donner une origine prétendument biologique à la suprématie impérialiste européenne, et en particulier à légitimer le colonialisme. C'est de cette matrice que sont sorties les fanatismes comme le nazisme.

Il s'agissait de définir une hiérarchie des "races humaines", allant le plus souvent du type anglo-saxon/germanique/nordique aux Noirs. Au cours du 20ème siècle, ce sont les Juifs qui ont le plus été la cible d'un racialisme très développé. Il s'agissait de transformer l'antisémitisme latent en rejet systématique, pour canaliser la colère vers un bouc émissaire...

On trouve ce racialisme chez un noble comme le Français Arthur de Gobineau, qui écrivit en 1855 qu'il y aurait une race indo-européenne dont descendraient les noblesses européennes. L'Anglais Houston Stewart Chamberlain développa ce thème, l'Allemand Karl Penka créa l'imagerie de l'aryen blond aux yeux bleus entre 1883 et 1891... Lors de la guerre contre le Japon en 1904-1905, le tsar Nicolas II déclare qu'il va écraser ces « insolents macaques » (avant de subir une défaite cuisante qui choquera durablement les racistes blancs).

On retrouve encore ce racialisme commun, exprimé de façon limpide par un général portuguais de la fin de la dictature salazariste :

« Lorsque l'on va du Nord vers le Sud, on s'aperçoit que la latitude exerce une influence sur les races : par rapport aux exigence de la vie moderne, si la latitude varie, les races se comportent différemment. Ainsi les Nordiques, maintenant développés, sont capables de mener une vie politique très éclairée, puis viennent les Latins, qui sont beaucoup moins évolués, ensuite on passe aux Arabes, qui sont bien pires que nous, et enfin on finit par les Noirs. Sans aucun doute, la race noire est très inférieure à la race blanche, comme les caractéristique de notre race sont, par certains côtés, inférieures à celles de la race nordique. »[4]

Trotsky faisait le commentaire suivant :

« La théorie de la race, qu'on dirait créée spécialement pour un autodidacte prétentieux et qui se présente comme la clé universelle de tous les secrets de la vie, apparaît sous un jour particulièrement lamentable à la lumière de l'histoire des idées. Pour fonder la religion du sang véritablement allemand, Hitler dut emprunter de seconde main les idées du racisme à un Français, diplomate et écrivain dilettante, le comte Gobineau. Hitler trouva une méthodologie politique toute prête chez les Italiens. Mussolini a largement utilisé la théorie de Marx de la lutte des classes. Le marxisme lui-même est le fruit de la combinaison de la philosophie allemande, de l'histoire française et de l'économie anglaise. Si l'on examine rétrospectivement la généalogie des idées, même les plus réactionnaires et les plus stupides, on ne trouve pas trace du racisme. »[5]

2.4 Le "choc des civilisations" ou "choc des cultures"

Les racialismes s'appuyant soi-disant sur la science étant de plus en plus discrédités, une idée de plus en plus défendue par les réactionnaires ces dernières années est celle du choc des cultures. Aux Etats-Unis, le conservateur Samuel Huntington publie en 1996 Le choc des civilisations, dans lequel il prétend expliquer l'ordre géopolitique mondial par les différences de valeurs entre un Occident judéo-chrétien éclairé et un Orient musulman moyen-âgeux...

Cette idée gagne malheureusement des supporters à mesure que certains courants islamistes réactionnaires récupèrent la détresse des classes populaires pour mettre en place des théocraties ou mener des attentats. Les Etats-Unis, dont la politique impérialiste les rend premiers responsables de bien des situations de misère au Moyen-Orient, sont le foyer de ces idéologies racialistes. Et lorsqu'après les attentions de 2001 à New York G.W. Bush évoque le terme de "croisade" pour décrire sa guerre pétrolière, on n'est pas loin de retomber jusqu'aux justifications religieuses...

Ce thème est toutefois repris de manière tout aussi réactionnaire en Europe :

  • le terme de croisade est reprise aussi bien par Poutine que par Guéant qui disait à propos de l'intervention française en Libye : « Heureusement, le Président a pris la tête de la croisade » [6]
  • « On ne peut pas mettre sur le même plan toutes les civilisations. Il faut être conscient de notre supériorité, de la supériorité de la civilisation occidentale. L'Occident continuera à occidentaliser et à s'imposer aux peuples. »[7]
  • « pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation. »[8]

2.5 Parler de "race" ou de culture pour ne pas parler de classe

En général, la diffusion de pensées racialistes se fait de façon beaucoup plus sournoise : en prétendant expliquer certains constats par la "race" ou la culture alors qu'ils sont avant tout déterminés par la classe sociale. En particulier, dans les pays impérialistes, les travailleurs immigrés sont souvent de fait au bas de l'échelle de la classe laborieuse. Les hommes politiques réactionnaires se plaisent alors à expliquer que c'est leur culture qui leur pose des difficultés pour s'intégrer. Certains font même mine de les plaindre, se mettant ainsi à l'abri de l'accusation de racisme. Mais en réalité c'est déjà une victoire pour eux que de faire admettre que c'est la culture qui est le principal obstacle à "l'intégration". Certes, la barrière de la langue, par exemple, est souvent un problème pour les immigrants, mais une bonne partie redoublent d'efforts et compensent cette difficulté. Par contre, ce qu'ils n'ont que peu de chances de surmonter, c'est la reproduction sociale qui fait que les enfants de pauvres restent pauvres.

Claude Guéant : « le quart des étrangers qui ne sont pas d'origine européenne sont au chômage, les deux tiers des échecs scolaires, c'est l'échec d'enfants d'immigrés. » (ces chiffres n'étant d'ailleurs retrouvables nulle part...)[9]

Plus généralement, l'usage des statistiques de façon peu rigoureuse peut servir à légitimer des thèses racistes. On peut trouver des corrélations entre plusieurs variables... mais corrélation n'est pas explication ! Par exemple, la criminalité est plus fréquente chez les "gens" de plus de 1m75... tout simplement parce que la criminalité est plus fréquente chez les hommes, et que les "gens" de plus de 1m75 sont très majoritairement des hommes. De même, la criminalité est plus fréquente chez les jeunes et les pauvres... Or les immigrés sont plus souvent des hommes, jeunes, et pauvres...[10]

2.6 Notion de «race sociale»

Certains courants, souvent regroupés sous le nom d'antiracisme politique, utilisent le concept de race sociale dans leur militantisme. Il ne s'agit pas de races biologiques (comme l'immense majorité des antiracistes ils considèrent que parler de races humaines au sens biologique n'est pas pertinent scientifiquement). Les races sociales sont des catégories comme les classes sociales, qui n'ont pas une origine biologique mais qui ont quand même une réalité sociale : il y a des groupes dominants et des groupes dominés, avec des conséquences très concrètes.

Ainsi l'antiracisme politique considère qu'il ne faut pas se contenter de dénoncer des discours racistes explicites, mais qu'il faut analyser et comprendre l'ensemble de la division de la société en races sociales pour la dénoncer en tant que système. Il s'agit donc d'une dénonciation qui se veut bien plus radicale, et qui dénonce souvent des milieux politiques (y compris des organisations de gauche, antiracistes, etc.) comme participant à reproduire le racisme systémique. L'explication (se voulant matérialiste) étant le plus souvent que ces organisations (accusées de faire de «l'antiracisme moral») sont majoritairement composées de militant·e·s blanc·he·s). Dans cette vision, le fait d'appartenir à la catégorie des Blancs ("blanchité") apporte des privilèges (en moyenne), au delà de la classe sociale. L'origine de la construction des races sociales serait essentiellement le colonialisme et l'impérialisme (le champ théorique associé à cette vision est ainsi appelé études post-coloniales).

Comme les classes sociales, les études post-coloniales ont un objet d'étude qui est évolutif en fonction des lieux et des époques. Par exemple, étant donné la variété d'ethnies et de cultures différentes des juif·ves, il serait peu pertinent d'étudier l'histoire à l'aide de la notion de «peuple juif». Cependant, les idéologies antisémites du 20e siècle d'une part, et le sionisme d'autre part, ont créé une sorte de catégorie "juif", péjorative ou méliorative selon qui l'utilise, qui prend de fait le dessus sur des identités plus anciennes. Il y a un processus similaire en ce qui concerne la «négritude». Il est évident qu'historiquement, sur des milliers d'années, les différentes cultures (parfois antagoniques) se sont développées en Afrique, comme en Eruope. Mais le racisme négrophobe développé par les puissances européennes a créé une image commune «des Noirs», «des Africains», et à la faveur des luttes d'émancipation contre l'esclavage, la décolonisation, etc, de nombreux Africains (dont des théoriciens comme Césaire) sont partis de cette identité noire (la négritude), de cette communauté de destin, pour définir leur lutte.

En France on retrouve dans ce courant le MWASI, la Brigade anti-négrophobie, le Collectif Stop le contrôle au faciès, le Parti des Indigènes de la République (PIR)...[11] La notion de race sociale soulève de nombreuses polémiques dans les milieux militants.[12]

3 Notes et sources