Différences entre les versions de « Révolution ukrainienne (1917-1921) »

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'''L'Ukraine connaît un profond mouvement social et national entre 1917 et 1921'''.{{#set:Date=1917|Date fin=1921}}  Le pays était le plus grand de ceux qui appartenaient à l'[[Empire russe|empire russe]] après la Russie, et ses aspirations nationales (autonomie, indépendance...) était naissantes. De par le jeu des grandes puissances de la [[Guerre de 1914|guerre de 1914]] (Triple-Entente, Empires centraux) et des pays voisins (Pologne), autant que par la composition hétérogène du pays (Ukrainiens, dont certains plus ou moins russifiés, Russes, Juifs...), le pays illustre la complexité de la [[Question nationale en Russie|question nationale dans l'empire russe]]. Enfin les masses paysannes, outre la question nationale, avaient un profond désir de [[Réforme agraire|réforme agraire]]. C'est bien évidemment la révolution russe de 1917 qui a été l'étincelle de ces mouvements, même si ceux-ci se sont ensuite autonomisés. La guerre et la guerre civile ont fait rage en Ukraine : la capitale Kiev change dix fois de mains entre décembre 1917 et juin 1920.
 
'''L'Ukraine connaît un profond mouvement social et national entre 1917 et 1921'''.{{#set:Date=1917|Date fin=1921}}  Le pays était le plus grand de ceux qui appartenaient à l'[[Empire russe|empire russe]] après la Russie, et ses aspirations nationales (autonomie, indépendance...) était naissantes. De par le jeu des grandes puissances de la [[Guerre de 1914|guerre de 1914]] (Triple-Entente, Empires centraux) et des pays voisins (Pologne), autant que par la composition hétérogène du pays (Ukrainiens, dont certains plus ou moins russifiés, Russes, Juifs...), le pays illustre la complexité de la [[Question nationale en Russie|question nationale dans l'empire russe]]. Enfin les masses paysannes, outre la question nationale, avaient un profond désir de [[Réforme agraire|réforme agraire]]. C'est bien évidemment la révolution russe de 1917 qui a été l'étincelle de ces mouvements, même si ceux-ci se sont ensuite autonomisés. La guerre et la guerre civile ont fait rage en Ukraine : la capitale Kiev change dix fois de mains entre décembre 1917 et juin 1920.
  
== Notes et sources ==
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== Contexte ==
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Considéré par beaucoup – y compris à un moment par Marx et Engels – comme un « peuple sans histoire »<ref>Roman Rosdolsky, ''[https://www.marxists.org/francais/rosdolsky/works/1948/00/rosdolsky1-3.htm Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire » - Les Ukrainiens (Ruthènes)]'', 1948</ref>, le peuple ukrainien a pourtant commencé assez tôt à se constituer comme nation, notamment avec le soulèvement cosaque de 1648 contre l’État polonais, sa noblesse et son clergé.
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Au début du 20<sup>e</sup> siècle, la partie occidentale d’Ukraine, la Galicie, appartenait à l’empire austro-hongrois. Les deux revendications centrales du mouvement national renaissant étaient l’indépendance et l’unité (samostiinist’ i sobornist’) de l’Ukraine. Les masses, qui s'éveillaient à la politique, désiraient une [[réforme agraire]] et l’indépendance. L'Ukraine était une des zones les plus développées de l'[[Empire russe|empire russe]]. Mais les circonstances historiques de ce développement ont fait que seulement 43 % du prolétariat était de nationalité ukrainienne – le reste étant russe, russifié et juif. Les Ukrainiens constituaient moins d’un tiers de la population urbaine.
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Le [[POSDR]] (bolchéviks comme menchéviks) était principalement implanté dans ce prolétariat non ukrainien, et coupé du sentiment national. Les bolchéviks n’employaient que le russe dans leur presse, et n'avaient pas de centre de direction sur place. Le [[Parti ouvrier social-démocrate ukrainien]] (USDRP), de nature plus petite-bourgeoise mais mieux implanté chez les Ukrainiens, oscillait entre lutte de classe et revendications nationales. [[Simon Petlioura]], futur leader nationaliste, était issu de l'USDRP.
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Le populisme socialiste-révolutionnaire, en voie de se nationaliser et de s’autonomiser vis-à-vis de [[Parti socialiste révolutionnaire (Russie)|son équivalent russe]], représentait une autre force politique active au sein des masses ukrainiennes. Les différents groupes SR commencent à militer autour de 1905, principalement sous la direction de Mykola Kovalevsky. Ils avaient des relais dans la Société paysanne pan-ukrainienne (Spilka). Le Parti ukrainien des socialistes révolutionnaires (UPSR) fut créé en avril 1917. L'une des figures les plus importantes fut Mykhaïlo Hrouchevsky qui y adhéra en 1917.
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Mais les dirigeants [[menchéviks]] et [[Parti socialiste révolutionnaire (Russie)|SR]] au gouvernement provisoire (pourtant sensiblement de la même composition sociale que la Rada), s'alignaient sur les intérêts de la bourgeoisie russe. D'autant plus qu'économiquement, l'Ukraine était précieuse pour son blé, pour le charbon du Donetz et le minerai de Krivol-Rog. A ce titre les bourgeois trouvaient beaucoup plus intolérables les velléités d'indépendance de l'Ukraine que celle de la Finlande par exemple.
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C'est pourquoi l'influence bolchévique a peu à peu gagné du terrain, en mettant en avant le [[Partage des terres|partage des terres]] et le [[Droit à l'autodétermination des peuples|droit à l'autodétermination]]. Mais le [[Parti_bolchevik|parti bolchevik]] restait, en quantité comme en qualité, faible, se détachait lentement des [[Mencheviks|mencheviks]]. Même dans l’Ukraine orientale, industrielle, la conférence régionale des soviets, au milieu d’octobre, donnait encore une petite majorité aux <span class="mw-redirect">conciliateurs</span>. En ville, le propriétaire terrien, le capitaliste, l’avocat, le journaliste sont grand-russien, polonais, juif... à la campagne presque tout le monde est ukrainien. Les social-démocrates russes (dirigés par [[Piatakov|Piatakov]]) et juifs ([[Bund_juif|Bund]], [[Poale_Zion|Poale Zion]]) firent front pour lutter contre les revendications nationales.
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=== Octobre et l'indépendance ukrainienne ===
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Néanmoins, les dirigeants socialistes ukrainiens sont tellement hostiles aux bolchéviks, qu'ils passent aussitôt de l'autonomisme à l'indépendantisme lorsque les bolchéviks prennent le pouvoir en Russie. Aussitôt après la [[révolution d'Octobre]], le 7 novembre, la Rada proclame une République démocratique ukrainienne immédiatement reconnue par la France et le Royaume-Uni, qui envoient à Kiev des représentants.
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Les bolcheviks réagissent et déclarent hors la loi les représentants de la Rada. Ils installent en même temps à Kharkov un gouvernement de la République socialiste soviétique ukrainienne. En réponse, le pouvoir ukrainien installé à Kiev confirme l’indépendance complète du pays. Début 1918, les troupes rouges de Mouraviev marchent sur Kiev qui, défendue par Symon Petlioura, subit 12 jours de bombardement avant de tomber, le 9 février, aux mains des bolcheviks.
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=== Guerre et guerre civile ===
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Après Octobre, un mouvement paysan de masse a été structuré par l'anarchiste [[Makhno|Makhno]] en une armée insurrectionnelle, la ''«&nbsp;[[Makhnovchina|Makhnovchina]]&nbsp;»''. Celle-ci a tenu tête pendant trois ans à la fois aux Austro-Allemands, aux Blancs de [[Anton Dénikine|Denikine]] et [[Piotr Nikolaïevitch Wrangel|Wrangel]], à l'armée de la [[République populaire ukrainienne]] dirigée par [[Simon_Petlioura|Petlioura]] et à l'[[Armée rouge]].
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L'Ukraine fut un immense champ de bataille pendant la [[Guerre civile russe|guerre civile russe]]. La capitale Kiev change dix fois de mains entre décembre 1917 et juin 1920.
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Devant la Conférence du PC ukrainien en 1923, [[Trotsky|Trotsky]] reconnaissait que la question n'avait pas été résolue, mais il disait&nbsp;:<blockquote>''«&nbsp;Mais si le paysan ukrainien se voit et sent que le Parti Communiste et le pouvoir des Soviets l'abordent avec bonne volonté, le comprennent et lui disent&nbsp;: «Nous te donnons tout ce que nous pouvons te donner, nous voulons t'aider à monter, nous voulons t'aider à accéder dans ta propre langue maternelle aux bienfaits de la culture. Toutes les administrations de l'Etat, la Poste et les Chemins de Fer doivent parler la langue, parce tu es chez toi, dans ton Etat» — le paysan comprendra. &nbsp;»<ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1923/04/lt19230420.htm Discours prononcé devant la Conférence du PC ukrainien]'', 5 avril 1923</ref>''</blockquote>
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== L'Ukraine soviétique ==
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Bien plus tard, en 1939, Trotsky défend le droit à l'autodétermination de l'Ukraine en 1939 contre l'[[URSS|URSS]], bien qu'il considère cette dernière comme un [[Etat_ouvrier|Etat ouvrier]].<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1939/07/lt19390730.htm L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires]'', 30 juillet 1939</ref>&nbsp;
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==Notes et sources==
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* Zbigniew Marcin Kowalewski, ''[http://www.inprecor.fr/article-Ukraine-L%E2%80%99ind%C3%A9pendance%20de%20l%E2%80%99Ukraine%20:%20pr%C3%A9histoire%20d%E2%80%99un%20mot%20d%E2%80%99ordre%20de%20Trotski%20%20?id=1706 L’indépendance de l’Ukraine : préhistoire d’un mot d’ordre de Trotski]'', Inprecor N° 611, janvier 2015
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* Ivan V Majstrenko, Borotʹbism. A chapter in the history of Ukrainian Communism, Soviet and post-Soviet politics and society, Vol. 61, Stuttgart Ibidem-Verl. 2007)
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<references />
 
[[Catégorie:Russie / URSS]]
 
[[Catégorie:Russie / URSS]]
 
[[Catégorie:Ukraine]]
 
[[Catégorie:Ukraine]]
 
[[Catégorie:Histoire]]
 
[[Catégorie:Histoire]]
 
[[Catégorie:Nationalisme]]
 
[[Catégorie:Nationalisme]]

Version du 7 octobre 2019 à 11:49

L'Ukraine connaît un profond mouvement social et national entre 1917 et 1921. Le pays était le plus grand de ceux qui appartenaient à l'empire russe après la Russie, et ses aspirations nationales (autonomie, indépendance...) était naissantes. De par le jeu des grandes puissances de la guerre de 1914 (Triple-Entente, Empires centraux) et des pays voisins (Pologne), autant que par la composition hétérogène du pays (Ukrainiens, dont certains plus ou moins russifiés, Russes, Juifs...), le pays illustre la complexité de la question nationale dans l'empire russe. Enfin les masses paysannes, outre la question nationale, avaient un profond désir de réforme agraire. C'est bien évidemment la révolution russe de 1917 qui a été l'étincelle de ces mouvements, même si ceux-ci se sont ensuite autonomisés. La guerre et la guerre civile ont fait rage en Ukraine : la capitale Kiev change dix fois de mains entre décembre 1917 et juin 1920.

1 Contexte

Considéré par beaucoup – y compris à un moment par Marx et Engels – comme un « peuple sans histoire »[1], le peuple ukrainien a pourtant commencé assez tôt à se constituer comme nation, notamment avec le soulèvement cosaque de 1648 contre l’État polonais, sa noblesse et son clergé.

Au début du 20e siècle, la partie occidentale d’Ukraine, la Galicie, appartenait à l’empire austro-hongrois. Les deux revendications centrales du mouvement national renaissant étaient l’indépendance et l’unité (samostiinist’ i sobornist’) de l’Ukraine. Les masses, qui s'éveillaient à la politique, désiraient une réforme agraire et l’indépendance. L'Ukraine était une des zones les plus développées de l'empire russe. Mais les circonstances historiques de ce développement ont fait que seulement 43 % du prolétariat était de nationalité ukrainienne – le reste étant russe, russifié et juif. Les Ukrainiens constituaient moins d’un tiers de la population urbaine.

Le POSDR (bolchéviks comme menchéviks) était principalement implanté dans ce prolétariat non ukrainien, et coupé du sentiment national. Les bolchéviks n’employaient que le russe dans leur presse, et n'avaient pas de centre de direction sur place. Le Parti ouvrier social-démocrate ukrainien (USDRP), de nature plus petite-bourgeoise mais mieux implanté chez les Ukrainiens, oscillait entre lutte de classe et revendications nationales. Simon Petlioura, futur leader nationaliste, était issu de l'USDRP.

Dans son programme, la majorité du POSDR soutenait le droit à l'indépendance de l'Ukraine, comme découlant du droit à l'autodétermination des peuples en général. En juin 1914, Lénine écrivait : « L’Ukraine par exemple est-elle appelée à constituer un Etat indépendant ? Cela dépend de mille facteurs imprévisibles. Et sans nous perdre en vaines conjectures, nous nous en tenons fermement à ce qui est incontestable : le droit de l’Ukraine à constituer un tel Etat. Nous respectons ce droit ; nous ne soutenons pas les privilèges du Grand-Russe par rapport aux Ukrainiens ; nous éduquons les masses dans l’esprit de la reconnaissance de ce droit, dans l’esprit de la répudiation des privilèges d’Etat de quelque nation que ce soit ».[2] Cependant il est clair que les social-démocrates russes étaient influencés par le chauvinisme grand-russe.

Le populisme socialiste-révolutionnaire, en voie de se nationaliser et de s’autonomiser vis-à-vis de son équivalent russe, représentait une autre force politique active au sein des masses ukrainiennes. Les différents groupes SR commencent à militer autour de 1905, principalement sous la direction de Mykola Kovalevsky. Ils avaient des relais dans la Société paysanne pan-ukrainienne (Spilka). Le Parti ukrainien des socialistes révolutionnaires (UPSR) fut créé en avril 1917. L'une des figures les plus importantes fut Mykhaïlo Hrouchevsky qui y adhéra en 1917.

2 Historique

2.1 La révolution de février 1917

Au moment de la révolution de février 1917, la Rada (conseil) centrale est dominée par une coalition de socialistes conciliateurs (USDRP, UPSR, menchéviks...) qui revendique seulement une autonomie dans le cadre d'une Russie démocratique. Ils attendent beaucoup du gouvernement de Petrograd.

Mais les dirigeants menchéviks et SR au gouvernement provisoire (pourtant sensiblement de la même composition sociale que la Rada), s'alignaient sur les intérêts de la bourgeoisie russe. D'autant plus qu'économiquement, l'Ukraine était précieuse pour son blé, pour le charbon du Donetz et le minerai de Krivol-Rog. A ce titre les bourgeois trouvaient beaucoup plus intolérables les velléités d'indépendance de l'Ukraine que celle de la Finlande par exemple.

Les bolchéviks craignaient aussi l'impact d'une séparation, mais pour Lénine la meilleure ligne était de maintenir le droit à l'auto-détermination, tant par principe que tactiquement : « Si les Ukrainiens voient que nous avons une république des soviets, ils ne se sépareront pas ; mais si nous avons une république de Milioukov, ils se sépareront. » (avril 1917)

2.2 Tensions sur la questions de l'autonomie

La Rada confie dès 1917 au « socialiste » et nationaliste Petlioura la constitution d'une armée nationale. Celui-ci organise un congrès des troupes de l'Ukraine, que Kerenski (leader du gouvernement provisoire de Petrograd) tente d'interdire en juin. Devant la détermination des Ukrainiens, Kérenski légalisa le congrès avec retard, en envoyant un télégramme pompeux que les congressistes écoutèrent avec des rires peu respectueux. On établit une convention le 3 juillet. Mais après l'écrasement des journées de juillet, Kerenski tente de revenir dessus. Le 5 août, la Rada, par une majorité écrasante, dénonce le gouvernement provisoire, « pénétré des tendances impérialistes de la bourgeoisie russe ». Le ton monte entre le leader ukrainien Vinnitchenko et Kerenski, pourtant très proches sur le plan politique.

C'est pourquoi l'influence bolchévique a peu à peu gagné du terrain, en mettant en avant le partage des terres et le droit à l'autodétermination. Mais le parti bolchevik restait, en quantité comme en qualité, faible, se détachait lentement des mencheviks. Même dans l’Ukraine orientale, industrielle, la conférence régionale des soviets, au milieu d’octobre, donnait encore une petite majorité aux conciliateurs. En ville, le propriétaire terrien, le capitaliste, l’avocat, le journaliste sont grand-russien, polonais, juif... à la campagne presque tout le monde est ukrainien. Les social-démocrates russes (dirigés par Piatakov) et juifs (Bund, Poale Zion) firent front pour lutter contre les revendications nationales.

Luxemburg remarquait que le nationalisme ukrainien n'était avant 1917 que « l'amusement » d’une poignée d’intellectuels petits-bourgeois, et reprochait aux bolchéviks de l'avoir attisé par leurs mots d'ordre. Trotsky répondait : « La paysannerie de l’Ukraine n’avait pas formulé dans le passé de revendications nationales pour cette raison qu’en général elle ne s’était pas élevée jusqu’à la politique. (...) L’éveil politique de la paysannerie ne pouvait cependant avoir lieu autrement qu’avec le retour au langage natal et toutes les conséquences qui en découlaient, par rapport à l’école, aux tribunaux, aux administrations autonomes. S’opposer à cela, c’eût été une tentative pour faire rentrer la paysannerie dans le néant. »

2.3 Octobre et l'indépendance ukrainienne

Néanmoins, les dirigeants socialistes ukrainiens sont tellement hostiles aux bolchéviks, qu'ils passent aussitôt de l'autonomisme à l'indépendantisme lorsque les bolchéviks prennent le pouvoir en Russie. Aussitôt après la révolution d'Octobre, le 7 novembre, la Rada proclame une République démocratique ukrainienne immédiatement reconnue par la France et le Royaume-Uni, qui envoient à Kiev des représentants.

Les bolcheviks réagissent et déclarent hors la loi les représentants de la Rada. Ils installent en même temps à Kharkov un gouvernement de la République socialiste soviétique ukrainienne. En réponse, le pouvoir ukrainien installé à Kiev confirme l’indépendance complète du pays. Début 1918, les troupes rouges de Mouraviev marchent sur Kiev qui, défendue par Symon Petlioura, subit 12 jours de bombardement avant de tomber, le 9 février, aux mains des bolcheviks.

2.4 Guerre et guerre civile

Après Octobre, un mouvement paysan de masse a été structuré par l'anarchiste Makhno en une armée insurrectionnelle, la « Makhnovchina ». Celle-ci a tenu tête pendant trois ans à la fois aux Austro-Allemands, aux Blancs de Denikine et Wrangel, à l'armée de la République populaire ukrainienne dirigée par Petlioura et à l'Armée rouge.

L'Ukraine fut un immense champ de bataille pendant la guerre civile russe. La capitale Kiev change dix fois de mains entre décembre 1917 et juin 1920.

Devant la Conférence du PC ukrainien en 1923, Trotsky reconnaissait que la question n'avait pas été résolue, mais il disait :

« Mais si le paysan ukrainien se voit et sent que le Parti Communiste et le pouvoir des Soviets l'abordent avec bonne volonté, le comprennent et lui disent : «Nous te donnons tout ce que nous pouvons te donner, nous voulons t'aider à monter, nous voulons t'aider à accéder dans ta propre langue maternelle aux bienfaits de la culture. Toutes les administrations de l'Etat, la Poste et les Chemins de Fer doivent parler la langue, parce tu es chez toi, dans ton Etat» — le paysan comprendra.  »[3]

3 L'Ukraine soviétique

Bien plus tard, en 1939, Trotsky défend le droit à l'autodétermination de l'Ukraine en 1939 contre l'URSS, bien qu'il considère cette dernière comme un Etat ouvrier.[4] 

4 Notes et sources

  1. Roman Rosdolsky, Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire » - Les Ukrainiens (Ruthènes), 1948
  2. Lénine, Du droit des nations à disposer d'elles-mêmes, juin 1914
  3. Trotsky, Discours prononcé devant la Conférence du PC ukrainien, 5 avril 1923
  4. Léon Trotsky, L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires, 30 juillet 1939