Différences entre les versions de « Révolution haïtienne »

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**[[Madison_Smartt_Bell|Madison Smartt Bell]], ''Le soulèvement des âmes'' [« All Souls' Rising », 1995], trad. de Pierre Girard, Arles, France, Actes Sud, 1999, 597 p.  
 
**[[Madison_Smartt_Bell|Madison Smartt Bell]], ''Le soulèvement des âmes'' [« All Souls' Rising », 1995], trad. de Pierre Girard, Arles, France, Actes Sud, 1999, 597 p.  
 
**Isabel Allende, L'Ile sous la mer, 2011  
 
**Isabel Allende, L'Ile sous la mer, 2011  
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Version du 18 juin 2017 à 13:39

Battle for Palm Tree Hill.jpg

La révolution haïtienne constitue la première révolte d’esclaves réussie du monde moderne. Elle établit en 1804 Haïti en tant que première république noire libre du monde, succédant à la colonie française de Saint-Domingue.

1 De la conquête espagnole à la colonie française

L’île d’Hispaniola resta espagnole de 1492, date à laquelle Christophe Colomb en prit possession au nom de l’Espagne, jusqu’en 1697, date à laquelle sa partie orientale passa à la France.
La colonie prospéra rapidement grâce au commerce triangulaire et devint «la perle des Antilles françaises». La partie française de l’île, la future Haïti, produisait les trois quarts du sucre du monde, sans compter du café, coton, indigo et autres denrées tropicales. Le commerce extérieur rapporta à la colonie 241.000.000 francs vers 1790. Il dépassa même celui de l’Amérique du nord. Dans les trois années qui précédèrent la Révolution française, cette colonie envoya dans les ports français 734.000 quintaux de café, 1.750.000 quintaux de sucre et 40.000 quintaux de coton. Ce bref aperçu permet de comprendre pourquoi la future Haïti était considérée comme la colonie la plus florissante du monde entier.
Cette prospérité reposait sur l’esclavage. Il y avait 455.000 esclaves sur à peine 510.000 habitants en 1791.

2 Résistance et révolte

Soumis à l’enfer des rapports de production esclavagiste, les Noirs de ce qui s’appelait Saint-Domingue à l’époque, résistèrent par divers moyens: suicides, infanticides, avortements, incendies d’habitation, empoisonnements, sabotage de la production et insurrections. Les colons leur infligeaient toutes sortes de supplices, dont les plus inimaginables. Pour «contenir les nègres» et les obliger à subir les conditions inhumaines du système esclavagiste ils les terrorisaient en permanence. Ils n’hésitaient pas par exemple à passer du plomb fondu coulé sur les plaies vives, à émasculer, ou encore à jeter des esclaves vivants dans des fours ou à les faire dévorer par des chiens dressés à cet usage. Ce sort était réservé principalement aux esclaves nés en Afrique, et importés, «les nègres de traite» appelés encore «les nègres bossales», qui constituaient les deux tiers de l’ensemble, rivés au travail le plus dur, celui des plantations.
Les «nègres créoles», ceux qui étaient nés sur place et qui avaient acquis quelques positions dans la hiérarchie des esclaves, régisseur comme Dessalines, ou garçon d’hôtel comme Christophe, deux des principaux leaders de la révolution et premiers chefs d’état d’Haïti, pouvaient espérer être affranchis, comme le fut Toussaint Louverture, ancien cocher dont le rôle pendant la révolution lui valut le surnom de Robespierre noir.
Mais pour les «bossales» pas de salut ; aux violences qu’ils subissaient, ils répondaient par le «marronnage» c'est-à-dire qu’ils partaient se réfugier dans les montagnes, dans les forêts inaccessibles. Ils vivaient en groupe dans des villages disséminés principalement dans la région du Cap, au nord de l’île. Leurs chefs dans le Nord se faisaient connaître: Colas- jambes-coupées, Noël, Polydor, Télémaque Conga, Isaac et Pyrrhus Candide. Les «nègres-marrons» devinrent si nombreux, qu’un corps spécial de la maréchaussée fut organisé pour les traquer. Malgré la répression féroce qui ne les épargnait pas (Makandal supplicié au Cap en 1758) ce sont ces bandes de nègres-marrons qui furent les premiers à s’orienter vers un processus de destruction du système esclavagiste. Ce sont eux qui allumèrent, après la cérémonie du Bois-Caïman la grande insurrection des Nègres esclaves, la nuit du 22 août 1791, premier signal du déclenchement de tout le processus de la révolution anti-esclavagiste. Les esclaves révoltés prirent pour chef un prêtre vaudou, «Nègre marron», le fameux Boukman entouré de ses lieutenants.
Des révoltes d’esclaves secouaient périodiquement les plantations, tantôt limitées à une région, tantôt se généralisant. Les Blancs, comme le dit à l’époque Mirabeau, «dormaient sur les flancs du Vésuve». La Révolution française et ses idées de liberté réveillèrent le volcan car la liberté, tout le monde dans l’île y aspirait.
Mais le contenu que chaque couche sociale donnait à ce mot était différent, voire tout à fait opposé. La liberté pour la couche dominante blanche c’était la liberté commerciale, pour en finir avec le pesant monopole français. Les mulâtres, eux, réclamaient les droits civiques, l’égalité avec les Blancs mais restaient partisans de l’esclavage.
La liberté à laquelle aspirait la masse des esclaves n’intéressait personne sauf les esclaves eux-mêmes, en particulier les bossales.

3 Et «le Vésuve» explosa

Les esclaves opprimés se révoltaient régulièrement tout au long du XVIIIe siècle, les nouvelles de la révolution française les encourageant. La révolte d’août 1791 devint une véritable insurrection rassemblant 100.000 esclaves des plantations de la plaine du nord. Les insurgés projetaient de massacrer tous les Blancs, de mettre le feu à toutes les plantations, et de s’emparer de l’île. La ville du Cap brûla. L’insurrection ne réussit pas totalement, mais les esclaves restaient insoumis.
L’Assemblée Nationale envoya dans l’île son représentant: Sonthonax, chargé de rétablir l’ordre. Il devait affirmer l’autorité de la métropole sur les esclaves révoltés auxquels se ralliaient de plus en plus d’affranchis dégoûtés de l’intransigeance des Blancs qui crachaient sur toutes leurs propositions d’alliance. Mais il devait aussi affirmer l’autorité du gouvernement révolutionnaire français face aux colons et leurs velléités d’indépendance. Les colons de Saint-Domingue imitant les colons nord- américains qui avaient déclaré quelques années auparavant l’indépendance des treize colonies anglaises sans pour cela supprimer l’esclavage, voulaient une sécession à leur seul profit.
Les colons prirent contact avec l’Angleterre pour lui offrir l’île. L’Angleterre alliée à l’Espagne attendit la mort de Louis XVI sur la guillotine en janvier 1793 pour déclarer la guerre à la France. Un de ses officiers écrivit: «la conquête de Saint-Domingue nous vaudra le monopole du sucre, du café, de l’indigo et du coton». Et lorsque les troupes anglaises débarquèrent en septembre 1793, les planteurs blancs mais aussi certains mulâtres, leur firent un accueil triomphal.
La situation devint critique pour Sonthonax, craignant de «voir passer dans les mains ennemies la propriété de Saint-Domingue» et ses revenus!! Acculé, il proclama la liberté générale des esclaves le 29 août 1793 dans la province du nord et le 4 septembre dans la partie ouest et sud. La Convention confirma et généralisa ces décisions en décrétant la suppression de l’esclavage dans toutes les colonies françaises.
Pour triompher des Anglais, il fallait à la France une armée: la libération des esclaves lui en fournit les troupes. L’armée française de Saint-Domingue devint rapidement une armée noire, depuis les simples soldats jusqu’au général en chef. Une armée qui, se battant contre les Anglais, réglait ses propres comptes avec les propriétaires esclavagistes, alliés de l’Angleterre.
L’armée de Toussaint Louverture, le premier Noir à comprendre la nécessité de l’alliance avec la France révolutionnaire, soutenue par toute la population noire, vola de victoire en victoire. En 1797, elle était maîtresse de l’île.
La révolution anti-esclavagiste était victorieuse. Les anciens maîtres blancs perdirent leurs esclaves et leurs plantations.

4 Toussaint Louverture contre Napoléon

Toussaint Louverture se débarrassa des Espagnols et s’empara de la partie Est de l’île, signa avec les Britanniques un traité de commerce et de neutralité, se défit des agents de la puissance coloniale qui contrecarraient ses plans en les embarquant pour la France. Il brisa enfin la puissance rivale des anciens libres mulâtres, ayant à leur tête le général Rigaud. Il fit élire une assemblée qui promulgua une constitution le 8 juillet 1801. Toussaint fut proclamé gouverneur général de l’île unifiée.
Mais la victoire de la révolution anti-esclavagiste ne fut pas assurée définitivement. Car en France, le régime qui avait reconnu aux esclaves la liberté conquise était tombé quelques mois plus tard avec Robespierre, en juillet 1794. Depuis, la révolution française marchait à reculons.
En Mai 1802, Bonaparte rétablit juridiquement l’esclavage. Une nouvelle insurrection, partie une fois encore des «nègres bossales», lui répondit. Lorsque les troupes françaises de Bonaparte débarquèrent, Toussaint Louverture qui avait perdu l’appui des masses, à cause de la féroce répression dont il fut l’auteur, pour les contraindre à retourner sur les plantations, fut fait prisonnier par traîtrise et expédié en prison en France, ou il mourut.
Le Général Leclerc, chef de l’expédition française, une armada de 86 vaisseaux de guerre qui transportait 34.000 soldats aguerris, écrivit à Napoléon: «ce n’est pas tout d’avoir enlevé Toussaint, il y a ici 2000 chefs à faire enlever»!! Les Noirs, alliés aux mulâtres poursuivirent la guerre sous les ordres de chefs valeureux tels que Dessalines et Christophe. La nouvelle du rétablissement de l’esclavage et de l’insurrection des esclaves en Guadeloupe accéléra le mouvement insurrectionnel: «aussitôt, l’insurrection, qui jusqu’alors n’avait été que partielle, est devenue générale» rapporte Leclerc. Cette guerre populaire se termina par l’anéantissement des forces françaises.

5 La victoire des opprimés

Les meilleurs soldats de l’armée napoléonienne qui remportaient victoire sur victoire en Europe, ne vinrent pas à bout de 400.000 esclaves luttant pour leur liberté, malgré la volonté de leur chef, Rochambeau qui succéda à Leclerc, de recourir à la terreur systématique en faisant pendre, noyer et fusiller les prisonniers quand il ne les donnait pas à dévorer à des chiens.
Les esclaves savaient qu’ils n’avaient d’autre choix que de se débarrasser définitivement des troupes napoléoniennes. C’est alors que l’idée d’indépendance fit son chemin, comme meilleure garantie que plus jamais dans ce cas l’esclavage ne serait rétabli. L’unité de commandement des forces populaires scellée au congrès de l’Arcahaie (15-18 mai 1803) consacre Dessalines comme général en chef de l’armée indigène et adopte le mot d’ordre: «l’indépendance ou la mort!» La bataille de Vertières en novembre 1803 scella le sort des troupes françaises!
L’esclavage ne put être rétabli. Dessalines déclara au peuple: «Tel qu’un torrent débordé qui gronde, arrache, entraîne, votre fougue vengeresse a tout emporté dans son cours impétueux.»
Le 1er janvier 1804 est proclamée l’indépendance d’Haïti.
Cette révolution, anti-esclavagiste, fut avant tout l’œuvre des plus exploités, des plus pauvres, de ceux qui n’avaient «rien à perdre que leurs chaînes», les esclaves.

6 Voir aussi

6.1 Sources

  • Thomas Madiou, Histoire d'Haïti, Tome I, . texte en ligne sur google livres.
  • Victor Schœlcher, Vie de Toussaint Louverture, Éditions Karthala, (réimpr. 1982).
  • Lucien-René Abenon, Jacques de Cauna, Liliane Chauleau, Antilles 1789 - La Révolution aux Caraïbes, Paris, Nathan, 1989.
  • Gérard Barthélémy, L'Univers rural haïtien : le pays en dehors, Paris, L'Harmattan, 1991 (ISBN 2-7384-0840-0).
  • François Blancpain, La Colonie française de Saint-Domingue, Paris, Karthala, 2004 (ISBN 2-84586-590-2).
  • Justin Chrysostome Dorsainvil, Manuel d'Histoire d'Haïti, Port-au-Prince, 1929.
  • Laurent Dubois, Les Vengeurs du Nouveau Monde. Histoire de la Révolution haïtienne, Rennes, Les Perséides, 2005 (ISBN 978-2-915596-13-7).
  • Philippe R. Girard, Ces esclaves qui ont vaincu Napoléon. Toussaint Louverture et la guerre d’indépendance haïtienne (1801-1804), Rennes, Les Perséides, 2013.
  • Alejandro E. Gómez, Le Spectre de la révolution noire. L'impact de la révolution haïtienne dans le monde atlantique, 1790-1886, Rennes, PUR, 2013.
  • Carolyn Fick, Haïti, naissance d'une nation. La Révolution haïtienne vue d'en bas, Rennes, Les Perséides, 2013.

6.2 Œuvres de fiction