Révolution française

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1 1789 : leur révolution et la nôtre

En 1989, le gouvernement et les médias ont fait grand bruit autour des diverses manifestations organisées pour commémorer le "bicentenaire". En effet, en grande pompe et à grands coups de publicité, on a fêté plutôt le bicentenaire que la révolution... Car la bourgeoisie française n’a aucun intérêt à fêter la révolution elle-même, première des révolutions modernes qui ait soulevé et mis en mouvement les grandes masses populaires contre toute forme d’oppression. Après tout, il ne fait pas bon évoquer les vieux démons, comme l’action du peuple. En 1789, les petits-bourgeois, les petits-paysans et les sans-culottes se sont soulevés contre la féodalité, mais aussi contre la bourgeoisie elle-même lorsqu’elle hésitait devant sa "propre" révolution. Malgré les prétentions des historiens comme Furet, l’analyse marxiste - l’histoire du point de vue des classes laborieuses - est la seule qui nous permet de comprendre la véritable signification de la Révolution de 89. Les rapports de production féodaux freinaient de jour en jour le développement des forces productives. Ces dernières devaient finir par faire sauter l’ancien ordre féodal. Les bourgeois furent obligés, souvent contre leur gré, de s’ériger en classe dirigeante et de faire une Révolution pour balayer tout ce qui entravait le libre développement du mode de production capitaliste. La propriété industrielle devait dominer et remplacer la possession des terres comme fondement du nouveau système. Pour ce faire, la bourgeoisie devait mobiliser le reste du Tiers Etat contre l’aristocratie. Mais, portée au pouvoir par la révolution populaire, la bourgeoisie tenait à mettre fin au mouvement, qui mettait en danger sa propriété privée.

1.1 La crise de l'ancien régime

Sous l’Ancien régime, le Monarque absolu, le petit dictateur Louis Capet, XVIème rejeton de la famille du même nom, régnait sur 25 millions de Français à la veille de la Révolution. La société était d’essence aristocratique, fondée sur une série de privilèges de naissance et sur la propriété terrienne. Cette noblesse, représentant moins de 2% de la population du pays, était exempte d’impôts et détenait le cinquième des terres. Le clergé, reposant sur la perception de la dîme et sur la propriété foncière, comptait environ 120 000 membres, tous des parasites. Le Tiers Etat, lui, représentait l’immense majorité de la nation, plus de 24 millions d’habitants. Dans sa célèbre brochure de 1789, Sieyes répond à la question "Qu’est-ce le Tiers Etat ?" : "Tout, mais un tout entravé et opprimé. (...) Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres." Mais ce Tiers, regroupant tous les roturiers, ne formait pas une classe. Il se composait d’une bourgeoisie, portée par la croissance de l’industrie (de 60% sur 80 ans) et du commerce (qui a quadruplé), d’une paysannerie, d’une petite-bourgeoisie et des classes populaires des villes (petits boutiquiers, artisans, compagnons, ouvriers des manufactures). Le souci essentiel du "petit peuple" était le pouvoir d’achat. Le pain manquait. L’agriculture, freinée par les rapports de propriété féodaux, était incapable de suivre l’explosion démographique. A la veille de 1789, la part du pain dans le budget populaire constituait 58% ; elle fut portée à 88% en 1789, ne laissant que 12% du revenu pour les autres dépenses. L’Etat s’endettait de plus en plus, suite à la crise économique de la fin des années 1770 et à la participation de la France à la guerre d’Indépendance américaine. Dans un pays prospère, l’Etat était au bord de la faillite, les privilégiés refusant de consentir à l’égalité devant l’impôt. La noblesse, détenant le monopole du pouvoir politique, pouvait bloquer toutes les mesures qui allaient à l’encontre des ses privilèges.

1.2 Révolution "bourgeoise" ?

Lorsqu’on regarde les grands patrons d’aujourd’hui on a vraiment du mal à croire à leur capacité de diriger une révolution ! Cependant, en 1789, la bourgeoisie était encore une classe ascendante, jeune, audacieuse, bien que partiellement liée à l’Ancien régime. Malgré sa peur et ses innombrables hésitations, elle s’est servie du soutien du peuple. Elle le lança à l’assaut de la forteresse féodale. Malgré les divisions réelles entre les différents secteurs et catégories de la bourgeoisie, cette classe formait néanmoins un tout: sa richesse fut d’abord acquise dans le commerce, sous la forme du profit. Cette source de richesse devait inéluctablement retourner cette classe bourgeoisie contre la féodalité qui agissait comme frein au capitalisme embryonnaire. Les classes sociales ne sont jamais totalement homogènes et le caractère dégénéré de la féodalité à la fin du 18ème siècle, sa recherche de nouvelles sources de financement de l’Etat, explique l’intégration de certains secteurs de la bourgeoisie dans l’Ancien régime. Certains grands bourgeois ont donc préféré maintenir le système existant plutôt que de s’engager dans une révolution. La transition du féodalisme au capitalisme ne fut pas l’oeuvre de la bourgeoisie proprement dite. Les obstacles au libre développement de la production marchande et capitaliste furent détruits d’en bas, par les producteurs eux-mêmes, par les petits-bourgeois de 1789 ou par ceux qui sont devenus petits-bourgeois grâce à leur engagement en 1789. Le 4 août 1789, l’assemblée nationale "abolit entièrement le régime féodal". Les droits seigneuriaux, les privilèges des ordres et la vénalité des offices furent abolis. Désormais, tous les Français pouvaient accéder à tous les emplois et payaient les mêmes impôts (à condition qu’ils possèdent des richesses suffisantes !). Le territoire fut unifié, libérant le commerce. La bourgeoisie commença à faire table rase du système féodal. Le 26 août, l’assemblée adopta la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le seul droit de l’homme proclamé "inviolable et sacré" étant la propriété ! En octobre 1789, l’assemblée a légalisé l’offre de prêts accompagnés d’intérêts. En mai 1790 furent prises les premières mesures en vue de la confiscation et de la vente des terres du clergé. Les traites et douanes intérieures furent supprimées (31 octobre 1790). Les prix des grains furent libérés, ainsi que le commerce. Le 14 juin 1791 fut votée, dans un climat de revendications ouvrières, la loi Le Chapelier, interdisant la grève et les syndicats. Il est donc clair qu’en 1791, la révolution avait déjà ouvert la voie au développement du mode de production capitaliste. La révolution était d’abord celle de la bourgeoisie commerçante, dont l’objectif était la création d’un marché libre. La bourgeoisie prétend avoir affranchi l’homme, mais l’étude des mesures prises pendant cette période montre clairement que seule la classe bourgeoise avait tiré profit de la Révolution française. C’est en ce sens qu’elle fut belle et bien une révolution bourgeoise, les tâches posées devant l’humanité étant celle du développement du capitalisme et celle de la destruction du système féodal. Le développement insuffisant du capitalisme et le petit embryon de prolétariat qui existait en 1789 ne permettaient pas aux sans-culottes de franchir les limites objectives de la révolution bourgeoise. Cependant, la bourgeoisie n’était pas homogène et ne l’est pas plus aujourd’hui. Balbutiante et hésitante, elle avait d’abord tenté d’arriver à un compromis avec la monarchie de Louis Capet, l’assemblée du 4 août 89 le proclamant "restaurateur de la liberté française". Louis ne pouvait accepter cette offre servile et l’audace du "peuple" et la résistance de l’Ancien régime forcèrent de plus en plus la main à la bourgeoisie. Alors, en dernière analyse, si la révolution de 89 fut bourgeoise dans ses objectifs et ses tâches historiques, elle fut accomplie malgré une bourgeoisie hésitante grâce à l’action des masses plébéiennes révolutionnaires des villes et des campagnes. Sans la force des masses révolutionnaires, la bourgeoisie aurait reculé. Cette force plébéienne devait être, à maintes reprises et à tous les moments critiques de la Révolution, la vague de fond qui empêcha la bourgeoisie de fuir et l’obligea à combattre le féodalisme jusqu’au bout. La prise de la Bastille le 14 juillet 1789 n’aurait pas eu lieu sans l’action des sans-culottes parisiens : la bourgeoisie à l’assemblée n’avait pas donné le signal de la prise violente de la Bastille et aurait fini par succomber face aux troupes royales. "Sans la marche sur Versailles, le 5 octobre, des bras nus affamés et sans leur irruption dans l’enceinte de l’assemblée, la Déclaration des droits de l’homme n’eût pas été sanctionnée. Sans l’irrésistible vague de fond partie des campagnes, l’assemblée n’eût pas osé s’attaquer, bien que timidement, à la propriété féodale, dans la nuit du 4 août 1789. Sans le puissant mouvement des masses du 10 août 1792, l’expropriation sans indemnité des rentes féodales n’eût pas été, enfin, décrétée; La bourgeoisie eût hésité devant la république et devant le suffrage universel." (D. Guérin, "La révolution française et nous", p.15). Qui étaient donc ces masses révolutionnaires qui ont assuré la victoire de la révolution bourgeoise ? Le retard du capitalisme français avait eu comme conséquence le développement tardif de l’industrie et, donc, de la classe ouvrière. Chez les sans-culottes, il y avait des ouvriers des manufactures, une classe pré-prolétarienne. Encore loin du prolétariat du 19e siècle, ce petit prolétariat embryonnaire comprenait des éléments pré-capitalistes, liés à l’artisanat petit-bourgeois. Initialement les plus farouches opposants au régime féodal, ils sont devenus de plus en plus les adversaires acharnés des bourgeois vacillants. Ils ont forcé la main de la bourgeoisie. L’action de ces masses semi-prolétariennes, armées, constituait une menace permanente pour le pouvoir de la bourgeoisie dont elle était très consciente. Car "à côté de l’opposition entre noblesse féodale et bourgeoisie existait l’opposition universelle entre exploiteurs et exploités, riches oisifs et pauvres laborieux. (...). Dès sa naissance, la bourgeoisie était grevée de son contraire : les capitalistes ne peuvent pas exister sans salariés et à mesure que le bourgeois des corporations du moyen âge devenait le bourgeois moderne, dans la même mesure le compagnon des corporations et le journalier libre devenaient le prolétaire. Et même si, dans l’ensemble, la bourgeoisie pouvait prétendre représenter également, dans la lutte contre la noblesse, les intérêts des diverses classes laborieuses de ce temps, on vit cependant, à chaque grand mouvement bourgeois, se faire jour des mouvements indépendants de la classe qui était la devancière plus ou moins développée du prolétariat moderne." (Engels, "Socialisme utopique et socialisme scientifique"). Ce sont ces masses non possédantes qui ont conduit à la victoire la Révolution bourgeoise contre la bourgeoisie elle-même. A la campagne aussi se sont les masses non possédantes qui ont pris l’initiative en prenant possession de la terre pendant l’été 89. L’abolition formelle de la féodalité par l’assemblée ne fit qu’avaliser ce qui était déjà devenu réalité dans de nombreuses régions. En général, la paysannerie cherchait à abolir les droits féodaux, à confisquer systématiquement les terres et à les redistribuer dans un esprit d’égalitarisme petit-bourgeois. Elle ne voulait pas supprimer le marché mais elle voulait que la propriété privée soit limitée et que tous aient les mêmes avantages sur le marché. Consciente de la nécessité d’empêcher les petits-paysans de régler la question agraire à leur guise, la bourgeoisie a fait décréter par la Convention en mars 1793 la peine de mort pour tous ceux qui "proposeraient la loi agraire". C’est donc d’en bas que la paysannerie a détruit le féodalisme, ouvrant ainsi la voie à l’introduction du capitalisme dans l’agriculture. En même temps, les masses plébéiennes de Paris ont détruit les derniers vestiges politiques du système féodal.

1.3 Le déroulement de la révolution

Le prix du pain en juillet 89 était remonté à son niveau le plus élevé depuis 1707. En avril 1789, les ouvriers de la fabrique de Réveillon, manufacture de papiers peints, s’étaient mis en grève. L’intervention de la troupe dans le quartier du Faubourg Saint- Antoine à Paris a fait plus de 300 morts. Des 71 victimes arrêtées ou mortes, 58 étaient salariés. La lutte des classes moderne s’annonçait déjà. La composante prolétarienne des sans-culottes parisiens deviendra l’une des principales forces motrices de l’avant-garde de la Révolution contre l’Ancien régime. Les 11 et 12 juillet, 40 des 45 barrières douanières de l’enceinte des fermiers généraux furent saccagées. Les masses non possédantes sont descendues dans l’arène pour détruire les derniers vestiges du féodalisme. Le 14 juillet, les sans-culottes du Faubourg Saint-Antoine ont pris la Bastille, forteresse dont le rôle était de dominer l’Est parisien, plébéien. Les masses voulaient des armes. Elles voulaient aussi détruire cette prison pour dettes, hautement symbolique. La prise de la Bastille, qui n’était aucunement commandée par la bourgeoisie, marque l’entrée des masses parisiennes sur la scène de la Révolution comme force indépendante. En même temps, une série d’insurrections urbaines eut lieu également à Rennes, à Caen, au Havre, à Strasbourg et à Bordeaux. Ce sont les masses urbaines qui, par leurs interventions décisives, ont contré à la fois la réaction monarchiste et les hésitations des bourgeois. En octobre 1789, les femmes de Paris ont marché sur Versailles et sont rentrées à Paris avec le roi fait prisonnier. Les militants sans-culotte, eux, ont établi un réseau de démocratie plébéienne, la démocratie des sections de Paris. En 1790, les 48 sections de Paris se réunissaient en séance ouverte. Elles avaient des comités de délégués révocables qui luttaient pour le droit de se réunir de manière permanente, avec des subventions de l’Etat. Les sections coexistaient avec un nouveau gouvernement municipal à Paris, la Commune, formée en juillet 1789 pour remplacer le vieux parlement aristocratique. Le 9 août 1792, cet organe municipal fut remplacé par la Commune insurrectionnelle, formée des délégués de toutes les sections parisiennes. Cette Commune plébéienne a commandé une marche sur le palais des Tuileries dès le lendemain. Le palais fut incendié et 600 Gardes suisses affectés à sa défense furent tués. Les masses parisiennes étaient dorénavant la force dominante de la capitale. En mai 1793, l’écrasante majorité des sans-culottes était armée et la majorité des délégués des sections se réunissait en séance permanente. Les pétitions des sections en 1792 et en 1793 font preuve d’une cohérence et d’une maturité remarquable. Les revendications sont d’un égalitarisme profondément anti-féodal et tendent même vers la limitation de la propriété capitaliste. Une pétition du 2 septembre 1793 de la section des Sans-Culottes exige que "nul ne puisse avoir qu’un atelier, qu’une boutique." Les sections exigent la fermeture de la Bourse de Paris, la suppression des sociétés par actions, la réglementation des prix, surtout des grains. Ensuite, les sections vont dans le sens d’un républicanisme social, bien que pas encore socialiste, en exigeant des impôts sur les "riches égoïstes" afin de nourrir les pauvres et frapper les ennemis de la Révolution. Elles organisent des secours pour les pauvres et les femmes enceintes isolées et revendiquent le droit à l’instruction publique. Jacques Roux exige l’expropriation des biens des riches bourgeois qui ont profité de la Révolution pour faire fortune. Les sansculottes commencent donc à exprimer les aspirations que seuls une politique socialiste et le prolétariat pourront réaliser: la démocratie directe, le peuple en armes, et une nouvelle répartition des richesses. Coincée entre la réaction monarchiste et les revendications des masses populaires, la bourgeoisie s’est scindée en une série de fractions politiques. En effet, elle n’arrivait pas à trouver un consensus entre ses différentes fractions quant à la forme de gouvernement qu’il lui fallait. Mais des secteurs de plus en plus importants de la bourgeoisie savaient dès l’été de 1791, lors de la fuite du roi à Varennes, dans un contexte de coopération croissante entre les Monarchies européennes, que tout projet de réforme interne ou de coexistence pacifique avec l’étranger était impossible. Un groupe de députés de la région de Bordeaux à l’assemblée nationale - les Girondins - ont trouvé la solution : la guerre. Ces députés espéraient qu’une guerre internationale unirait la nation, du monarque au sans-culotte. Ils avaient également une motivation économique, puisqu’ils appartenaient au secteur de la bourgeoisie le plus concerné par le commerce international, qui avait donc tout à gagner d’une victoire sur la Grande-Bretagne. Le projet a fait faillite, comme les Girondins eux-mêmes. Ils avaient espéré maintenir une monarchie constitutionnelle à travers des victoires militaires. Au contraire, ils ont perdu la guerre et le roi. La défaite militaire a exacerbé la crise économique et a renforcé le républicanisme des sans-culottes. En juillet 1792, les Girondins sont obligés de suspendre la monarchie; en septembre 92, ils doivent l’abolir; en janvier 93, contre leur volonté, ils doivent exécuter Louis.

1.4 Les Jacobins

Face aux Girondins, les Jacobins avaient étendu leur influence dans toutes les principales villes à la fin de 92 et au début de 93. Ils ont compris qu’il fallait rendre prioritaire la lutte contre l’ennemi à l’intérieur même du pays. Aile radicale de la bourgeoisie, les jacobins étaient prêts à faire des concessions aux masses populaires afin de mieux s’en servir. Cependant, la rupture entre les jacobins et les sans-culottes était inévitable, étant donné les différences de classe entre ces deux forces politiques. Après la faillite du projet militaire des Girondins et les révoltes de la Vendée et à Lyon en mars 1793, les députés de la Convention ne pouvaient que soutenir la fraction jacobine. La majorité des députés, comme dans les précédentes assemblées législatives, ne s’alignaient pas directement sur les principales fractions. Ils changeaient souvent de camp, en fonction de la crise et du soutien populaire dont bénéficiaient les différents programmes des fractions en lutte. En 1793, ils ont tranché en faveur des Jacobins. L’arrivée au pouvoir des Jacobins coïncida avec une nouvelle mobilisation des masses sans-culottes. Il y eut de nouvelles émeutes de la faim en février 1793. En avril, la Commune de Paris créa son propre comité de correspondance pour entrer en contact avec les autres municipalités. En mai, les sections ont élu leur nouveau comité central révolutionnaire. Le jacobinisme a dû temporairement céder devant cette mobilisation, mais il cherchait à la freiner et à la contrôler. En août, le Comité de salut public, où siégeaient maintenant Robespierre et Carnot, commanda la levée en masse. La guerre à outrance contre les monarchies européennes, contre la Vendée et Lyon insurgé correspondait à la mentalité révolutionnaire des sans-culottes. Malgré quelques réformes en guise de concessions aux masses, la tendance globale de la politique jacobine fut, dans les faits, de réduire l’organisation des sans-culottes. Ce faisant, les jacobins signaient leur propre arrêt de mort. En septembre 1793, sur la recommandation de Danton, la Convention a limité le nombre de réunions des sections à deux par semaine. C’est la première attaque contre la démocratie des sections. De plus, l’extrême-gauche des sans-culottes, les Enragés, fut décapité : Jacques Roux, trop extrême pour la bourgeoisie, est arrêté. Rentrant de plus en plus en contradiction avec la base sociale qui les avait portés au pouvoir, les 12 membres du Comité de salut public commençaient eux-mêmes à se diviser politiquement sur la voie à suivre. En même temps, ce Comité, suspendu au-dessus de la Convention qui lui avait accordé les pouvoirs révolutionnaires, fut miné par ses propres succès : Lyon fut regagné à la République en octobre 93 et la Vendée fut écrasée. De même, les armées révolutionnaires de la France avaient vaincu l’Autriche aux Pays-Bas et commencé à envahir l’Espagne. La menace réelle d’invasion et de défaite, qui avait ouvert la voie à la formation du Comité, s’éloignait. La lutte entre Danton et Robespierre au sein du Comité exprimait ce dilemme. Danton voulait assouplir la dictature jacobine sur la Convention et opérer une "ouverture" vers la droite non-jacobine au sein de celle-ci. En avril 1794, la fraction de Robespierre le fait guillotiner avec ses alliés, sous prétexte de corruption. Pour Robespierre, il s’agissait toujours de rester vigilant et donc de garder la dictature centralisée et l’appareil de la Terreur. Mais cette Terreur devait être contrôlée par lui-même et mise au service de la bourgeoisie. Il s’agissait de contrôler les masses plébéiennes en frappant durement leurs dirigeants, tout en portant des coups contre la réaction. La bourgeoisie n’avait pas encore pu consolider son Etat, ses bandes d’hommes armées. Jouant le rôle d’un "Bonaparte sans cheval", Robespierre marchait sur une corde raide : il voulait exproprier les masses de leur indépendance politique tout en menant la guerre contre la réaction. Mais frapper contre la gauche, contre le pouvoir des sansculottes, c’était frapper ceux qui tenaient la corde sur laquelle Robespierre marchait. La Convention de la bourgeoisie avait accepté que sa fraction la plus révolutionnaire prenne le pouvoir pour des raisons tactiques, liées à la conjoncture. Cette décision illustre à la fois la profondeur de la crise révolutionnaire et la montée et la puissance des masses parisiennes. C’est pourquoi la Convention avait accordé les mesures d’exception au Comité du salut public et fait ses dernières concessions à l’égalitarisme de la sans-culotterie, mais seulement "jusqu’à la paix", selon le mot de Saint-Just. Ce faisant, elle avait aussi accepté une dictature sur elle-même, souvent très douloureuse pour elle. En vérité, la bourgeoisie n’avait aucune alternative. Cependant, lorsque les menaces provenant à la fois de la contre-révolution et du peuple disparurent, elle put se débarrasser de sa dictature.

1.5 Thermidor

Le 27 juillet 1794, au mois de Thermidor, la Convention mit fin à la dictature jacobine, exécutant Robespierre le lendemain. La Commune de Paris fut abolie. La Terreur blanche commença, la "jeunesse dorée" s’attaquant aux quartiers plébéiens dans une chasse aux révolutionnaires. Les lois imposant un "maximum" aux fortunes et à la propriété privée furent abolies à la fin de 94. Les salaires, suite à l’inflation, sont tombés à leur niveau le plus bas depuis 89. Les dernières tentatives jacobines de rallier la sans-culotterie étaient donc vouées à l’échec. Les Jacobins devaient eux-mêmes payer le prix de leur travail de démobilisation des masses populaires. Comme l’a noté Saint- Just, "La Révolution est glacée". Ils ont creusé leurs propres tombes en s’aliénant le soutien des sans-culottes. Ils ont ouvert la voie à la réaction et, en fin de compte, à Napoléon Bonaparte. Loin d’avoir été un "dérapage", un saut dans l’irrationnel, le jacobinisme était le produit d’un mélange hautement combustible de lutte des classes internationalisée, d’une bourgeoisie de plus en plus divisée et de l’intervention musclée des masses plébéiennes. Les Jacobins étaient des guerriers de la révolution bourgeoise qui cherchaient à la défendre à tout prix. Ce faisant, ils ont péri, tenaillés entre la démocratie radicale et la dictature terroriste, entre les besoins de la bourgeoisie et les revendications du peuple, seul garant de la victoire de la révolution. Alors, oui, on avait raison de fêter la Révolution de 89, mais en référence à nos propres critères de classe. Fêtons la Révolution que nos ancêtres du prolétariat embryonnaire ont faite. Fêtons les traditions de démocratie directe des sections de la sans-culotterie, d’égalitarisme et de lutte pour le droit au travail des masses plébéiennes. • Fêtons l’action des masses de cette grande Révolution populaire que fut 1789. • Fêtons l’action des femmes travailleuses, sans laquelle la Révolution n’aurait eu lieu. • Fêtons l’éclosion de l’idée communiste, en se souvenant du programme social de l’extrême-gauche de la sans-culotterie. Devenue majoritaire, la classe ouvrière d’aujourd’hui rompra complètement avec la bourgeoisie et ira jusqu’où les masses populaires de 1789 ne pouvaient aller: jusqu’au communisme, la société sans classes.

1.6 Jacques Roux et "Les Enragés"

Tout à fait conscient de la lutte des classes dans laquelle il s’était engagé, Jacques Roux pousse la Révolution jusqu’au bout. "A quoi vous servira-t-il d’avoir coupé la tête au tyran et renversé la tyrannie, si vous êtes tous les jours dévorés lentement par les agioteurs, par les monopoleurs ? Ils accumulent dans leurs vastes magasins les denrées et les matières premières qu’ils revendent ensuite à des prix usuraires au peuple qui a faim, aux artisans qui ont besoin pour leur industrie, de laine, de cuir, de savon, de fer. Contre eux aussi il faut se soulever." Conscient également du caractère de classe des lois, il explique que "Les lois ont été cruelles à l’égard du pauvre parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches". On peut donc comprendre que la scission entre les sans-culottes révolutionnaires et les bourgeois hésitants ait été si nette. La bourgeoisie toute entière tremblait devant les paroles et les actes de ces révolutionnaires qui ont osé présenter le "Manifeste des Enragés" devant la Convention, le 25 juin 1793. Ce Manifeste constate que "les riches seuls, depuis quatre ans, ont profité des avantages de la Révolution" et que les législateurs n’ont pas "prononcé la peine de mort contre les agioteurs et les accapareurs". Pour Jacques Roux, inspirateur de Babeuf et du communisme moderne, "la classe laborieuse" devait agir contre les profiteurs. Il savait que: "La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie ou de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes."

Article de Pouvoir Ouvrier

2 Livres

« La grande révolution » de Kropotkine
« La lutte de classes sous la première république » de D. Guérin
« Civilisation et révolution Française » de A. Soboul