Révolution d'Octobre

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
October-rev1a.jpg

La révolution d'Octobre marque la seconde phase de la Révolution russe de 1917. Son point d'orgue est l'insurrection du 25 octobre (n.s. 7 novembre). Appuyé sur les Soviets, le parti bolchévik de Lénine et Trotsky réussit à donner une direction politique de classe qui mène en Octobre à la première vraie révolution socialiste, avec aussitôt une perspective internationale. Mais l'échec de cette vague mondiale isolera la jeune URSS et favorisera l'émergence d'une bureaucratie, dont Staline sera le représentant.

1 Les évènements

1.1 Montée en puissance des bolchéviks

Temporairement freinée par les calomnies dont ils ont été l’objet en juillet, l’influence des bolchéviks va de nouveau en s’accroissant à partir de fin août. Le putsch raté de Kornilov a entraîné une radicalisation des masses, due à une perspicacité accrue à l’égard des conciliateurs, qui continuent à affirmer que la coalition avec la bourgeoisie est indispensable, alors que celle-ci n’hésite pas à encourager un mouvement contre-révolutionnaire pour mettre fin aux soviets. L’attitude des bolchéviks pendant la crise d’août, comparée à celle des « patriotes » qui les avaient calomniés en juillet, met fin aux soupçons de beaucoup. Dans les soviets, les bolchéviks prennent de plus en plus d’importance, par le nombre croissant de leurs délégués, mais aussi, dans les régions où ils ne sont pas présents, par le caractère radical des décisions prises : malgré les moyens limités du parti (manque d’imprimerie, et d’orateurs hors des grandes villes), les idées bolchéviques circulent dans l’ensemble du pays. Ils reprennent également leur activité sur le front : le nouveau rapport de forces leur permet enfin de prendre la parole lors des meetings de soldats, ce qui leur était interdit de fait auparavant. Début septembre, les conciliateurs, plombés par leur indéfectible soutien au gouvernement Kérensky haï des masses, doivent abandonner la direction des soviets de Pétrograd et de Moscou aux bolchéviks.

S’ouvre une courte période où le parti, Lénine en tête, croit en la possibilité d’une transition pacifique vers un gouvernement des soviets. À la suite des journées de juillet, les bolchéviks avaient renoncé au mot d’ordre de « pouvoir aux soviets », ceux-ci étant dirigés par les conciliateurs dont la seule perspective était clairement de confier ce pouvoir à un gouvernement de coalition avec les bourgeois. Maintenant, il est de nouveau adéquat de réclamer le pouvoir pour les soviets, même si les conciliateurs refusent toujours une union avec les bolchéviks à l’intérieur de ces soviets.

Après une période où Kérensky détient de fait le pouvoir, à la tête d’un directoire de cinq personnes, s’ouvre le 14 septembre une « conférence démocratique », à l’initiative des conciliateurs, qui refusent le pouvoir aux soviets, mais qui veulent en même temps réfréner l’ambition de Kérensky. La composition de cette conférence doit assurer la majorité aux conciliateurs, les bolchéviks ont une représentation minoritaire mais non négligeable, des groupements petit-bourgeois sont également représentés. Mais cette conférence ne montre une fois de plus que son incapacité : ainsi se prononce-t-elle à la majorité pour une nouvelle coalition entre bourgeois et partis soviétistes, tout en ajoutant un amendement qui exclut de toute nouvelle coalition le parti cadet, parti bourgeois représentatif. La seule issue est la création d’une nouvelle instance, le Soviet de la République (ou Préparlement), constitué sur la base des forces présentes à cette conférence, auxquelles s’ajoutent des représentants des classes possédantes et des cosaques. Le Comité central du Parti bolchévique est divisé sur la participation à ce Préparlement, mais le congrès du parti se prononce finalement pour la participation, contre l’avis de Trotsky et Lénine qui y voient une manière de repousser la question de la prise de pouvoir révolutionnaire. Toutefois, cette décision du congrès est souvent contestée par les résolutions des organisations locales.

Il est également sorti de la « conférence démocratique » un nouveau gouvernement de coalition, caractérisé par les bolchéviks comme un gouvernement de guerre civile contre les masses. Mais cette lutte pour le pouvoir gouvernemental ne s’accompagne bien sûr d’aucune mesure pour mettre fin à une situation économique désastreuse. Dans les villes, beaucoup d’ouvriers se mettent en grève, mais les plus avancés considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé et se rallient à l’objectif de l’insurrection.

1.2 Frustrations et combat des paysans et des peuples opprimés

Lenin 7 november 1918 speech 1year great socialist october revolution red square.jpg

Dans les campagnes, les mois de septembre et octobre marquent le summum de la révolte paysanne, qui touche l’ensemble du pays. Les paysans s’emparent des terres des grands propriétaires, il y a des violences et des destructions. Les masses les plus pauvres sont aussi les plus radicales, et les représentants locaux de l’État n’osent pas s’opposer à ce mouvement, malgré les plaintes des propriétaires qui voient dans l’anarchie la trace de l’influence des bolchéviks. En fait, ces derniers sont peu présents dans les campagnes, mais le mouvement échappe aussi largement aux socialistes-révolution­naires, leur programme agraire ayant été abandonné de manière opportuniste pour cause de coalition. En revanche, par l’adéquation de leurs mots d’ordre aux revendications des paysans les plus pauvres, les bolchéviks parviennent à s’implanter peu à peu dans les campagnes, moins directement que par l’influence des soldats revenant du front, où ils ont été éduqués politiquement.

Au même moment, les différentes peuples opprimés de l’empire tsariste déchu se soulèvent eux aussi. Le renversement de la monarchie n’a pas impliqué pour eux de révolution nationale. La domination du pouvoir grand-russe, sous la pression de la bourgeoisie impérialiste, est toujours à l’œuvre. Les peuples opprimés ont simplement acquis une égalité des droits civiques, non l’indépendance qu’ils réclament. Dans les territoires les plus arriérés, où la domination grand-russe a pris les formes de la colonisation, les conciliateurs locaux, proches de la population, vont souvent plus loin dans les revendications que ne le veut le pouvoir central. Le Parti bolchévique est peu implanté parmi les peuples opprimés de l’ex-empire tsariste, mais la faillite des gouvernements de coalition sur la question nationale comme sur les autres, provoque le plus souvent de la bienveillance à son égard, d’autant plus quand il y a coïncidence des antagonismes sociaux et nationaux.

1.3 Les préparatifs de l’insurrection

Sous la pression des événements et de la radicalisation des masses, les bolchéviks ont rapidement évolué à gauche. Malgré l’opposition de Kamenev, il est décidé une sortie démonstrative du Préparlement (7 octobre), Trotsky y dénonçant la représentation exagérée des possédants, la politique économique du gouvernement, et en appelant au peuple pour la défense de la révolution et l’instauration du pouvoir des soviets. Ce Préparlement se montre de toute façon incapable de trancher les questions les plus graves selon lui, comme celle des moyens de rendre à l’armée son ardeur combative. Les bolchéviks consacrent leur énergie à l’agitation en faveur du pouvoir aux soviets. Les orateurs manquent (Lénine est toujours réfugié en Finlande, Kamenev et Zinoviev s’opposent à la perspective de l’insurrection qui se dessine…), mais l’agitation est efficace dans les masses.

Un congrès des soviets est convoqué pour le 20 octobre. Pour les bolchéviks, ce congrès doit marquer l’instauration du pouvoir des soviets. Les conciliateurs, qui s’étaient tout d’abord ralliés à ce congrès, le désavouent ensuite ; cette attitude ne fait qu’accélérer le ralliement à la ligne bolchévik des soviets les plus retardataires.

Après s’être battu pendant plusieurs semaines contre le Comité central du parti bolchévik (tout comme en avril), Lénine parvient enfin, le 10 octobre, à rallier une majorité à une motion qui met à l’ordre du jour immédiat la préparation de l’insurrection. Les conditions politiques sont maintenant mûres pour cette insurrection (en particulier grâce à l’attitude des paysans), il est donc urgent de s’atteler à la tâche.

Les opposants à cette perspective parmi les bolchéviks, principalement Kamenev et Zinoviev, mais qui se retrouvent à tous les échelons du parti, ont encore des illusions sur une transition institutionnelle vers un pouvoir des soviets : ils veulent attendre le Congrès des soviets, voire l’Assemblée constituante — dont les élections sont en préparation, le gouvernement les ayant longtemps repoussées, mais ayant décidé de les convoquer pour essayer de sauver le régime. Zinoviev et Kamenev, allant jusqu’à rompre la discipline du parti, parlent d’ « aventurisme », craignant qu’une insurrection fasse perdre aux bolchéviks la confiance des masses.

L’insurrection est malgré tout programmée, prévue initialement pour le 15 octobre, et en tout cas avant que ne se réunisse le congrès des soviets : forts de l’expérience historique de la Commune de Paris, les bolchéviks savent parfaitement que la bourgeoisie, toute démocratique qu’elle se prétende, ne se laissera pas prendre le pouvoir sans y être contrainte par la force. En outre, l’attitude des conciliateurs depuis février, refusant de rompre avec la bourgeoisie même quand celle-ci affichait le plus son caractère réactionnaire, montre qu’ils devront eux aussi être mis au pied du mur pour éventuellement accepter que les soviets prennent enfin tout le pouvoir.

Les antagonismes dus à la dualité des pouvoirs s’accentuent. Le soviet de Pétrograd décide la création d’un Comité militaire révolutionnaire (avec à sa tête un jeune socialiste-révolutionnaire de gauche, Lasimir), dans le but de contrôler la défense de la capitale (notamment pour empêcher la dispersion des troupes révolution­naires par le gouvernement). Il est également créé une section de la garde rouge (ouvriers armés), placée avec la garnison sous la direction du Comité militaire. Le gouvernement s’inquiète de ces démonstrations de force, comprenant ce qui se prépare. Il réclame les troupes de Pétrograd pour le front, mais la délégation du soviet tient tête et refuse ce prélèvement.

Le Comité militaire poursuit ses préparatifs, avec en particulier des mesures préventives contre les forces contre-révolutionnaires (junkers, cosaques, cent-noirs). Pendant les jours qui précèdent le congrès des soviets (finalement repoussé au 25 octobre pour des raisons techniques), la presse bourgeoise annonce des manifestations des bolchéviks. Mais ceux-ci ne font que recenser leurs troupes en vue de l’insurrection, ils s’assurent que les masses de Pétrograd et des alentours leur sont acquises. Les meetings renforcent à la fois les masses et leurs dirigeants dans l’idée que tout est prêt pour l’insurrection. La dernière étape est la conquête politique, suite à un meeting de Trotsky, des soldats de la forteresse Pierre-et-Paul, jusque-là réfractaire à l’autorité du Comité militaire.

1.4 Le déroulement de l’insurrection

Le 23 octobre, l’état-major de l’armée officielle est définitivement relevé de son commandement sur les troupes de Pétrograd. Le Parti bolchévik n’attend plus que le gouvernement fasse le premier geste d’offensive comme signal de départ pour l’insurrection, qui sera d’autant plus efficace et suivie qu’elle se parera des couleurs de la défensive…

Dans la nuit du 23, le gouvernement décide des poursuites judiciaires contre le Comité militaire, et la mise sous scellés des imprimeries bolchéviques. Mais les ouvriers et soldats se mobilisent et font paraître les journaux, et ils demandent des ordres pour la défense du palais de Smolny (siège du Comité militaire). Le croiseur « Aurore » se met aussi à disposition.

La journée du 24 est occupée à la répartition des tâches pour les bolchéviks. Pendant ce temps-là, les défections de troupes continuent parmi celles qui étaient jusque-là contrôlées par le gouvernement, comme par exemple le bataillon de motocyclistes. Au Préparlement, Kérensky décrète des mesures contre les bolchéviks, mais les troupes qu’il a encore à sa disposition (junkers, cosaques) sont trop faibles par rapport à l’adversaire pour les exécuter.

Dans la nuit du 24, le Comité militaire fait occuper les centres névralgiques de Pétrograd. Des troupes de junkers et des officiers sont arrêtés et désarmés. Parfois, les bolchéviks font preuve d’une trop grande indulgence envers les ennemis : sûrs de leur force, ils espèrent le moins de violence possible ; ils auront plus d’une fois à le regretter par la suite, pendant la guerre civile. Quant aux conciliateurs du Comité exécutif des soviets, ils ne peuvent que constater l’insurrection ; ils n’ont désormais plus de place propre dans le conflit direct entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Le matin du 25, le Comité militaire annonce qu’il a pris le pouvoir et que le gouvernement est démis. En fait, celui-ci siège toujours au Palais d’hiver, dont la prise a été retardée (le comité a bien des lacunes dans la science militaire). Dans la journée, le Préparlement est évacué sans arrestation. La prise de la capitale s’est globalement déroulée dans le calme, comme un relèvement de la garde…

La seule tâche qui reste est donc la prise du Palais d’hiver. Parmi les bolchéviks, on commence à s’agacer du retard : il faut que l’action soit menée avant l’ouverture du Congrès des soviets, afin de mettre les conciliateurs devant le fait accompli. Le dispositif de défense du Palais d’hiver est en déliquescence, les junkers et les cosaques ne savent pas quelle attitude adopter. Dans la nuit, suite à une canonnade purement démonstra­tive de l’ « Aurore », le Palais d’hiver tombe sans combat, et le gouverne­ment est arrêté sans effusion de sang, à l’exception de Kérensky qui a réussi à s’enfuir vers le front.

1.5 Ouverture du Congrès des soviets

Octoberrevolution 28.jpg

Le Congrès des soviets est déjà réuni depuis le matin du 25, et les conciliateurs ne représentent qu’un quart des délégués. La première journée est consacrée aux réunions de fractions. Tous attendent le dénouement du siège du Palais d’hiver avant de commencer les discussions. Un bureau du Congrès est formé, avec 14 bolchéviks et 7 socialistes-révolutionnaires de gauche. Lénine, présent, n’apparaît pas encore publiquement.

Les conciliateurs refusent la proposition d’un front unique de la démocratie soviétique. Après l’annonce de la prise du Palais d’hiver, il ne reste au Congrès que les bolchéviks, les socialistes-révolutionnaires de gauche et les mencheviks internationalistes.

Le Congrès apprend que les troupes du front qui avaient été désignées par Kérensky pour réprimer l’insurrection se rangent du côté de celle-ci. Le matin du 26 octobre, on peut annoncer que le pouvoir est désormais aux mains des soviets.

Les premières mesures politiques du nouveau pouvoir sont prises par le Congrès lui-même, dans la nuit du 26 au 27. Il s’agit « d’édifier l’ordre socialiste », déclare Lénine, qui peut enfin apparaître publiquement, à la tribune. Les premières mesures prises par le Congrès sont donc un appel à tous les pays belligérants pour mettre fin à la guerre et discuter d’une paix juste et démocratique, un décret qui reconnaît que la terre appartient aux paysans, et la création du nouveau gouvernement : le « soviet des commissaires du peuple »…

2 Les premières mesures des bolcheviks

Un nouveau régime politique fut mise en place, basée sur la démocratie ouvrière. Le nouveau pouvoir soviétique commença immédiatement à introduire un programme de réformes radicales et de grande portée. Un des premiers décrets institua des mesures de contrôle ouvrier dans les usines.

La propriété privée de la terre fut abolie sans compensation. Le droit d’utiliser la terre alla à tous ceux qui la cultivaient. Après un débat acharné un traité de paix fut signé avec l’Allemagne. La Russie s’était retirée de la guerre. Les nations qui avaient anciennement été opprimées par l’empire russe obtinrent leur indépendance. Au cours des années suivantes cinq états indépendants furent créés, et au sein de la fédération russe 17 républiques autonomes et régions furent établies.

L’ancien code légal fut aboli et le système judiciaire fut complètement réformé. Des courts populaires furent mises en place avec des juges élus.

Les femmes obtinrent le droit de vote, la pleine citoyenneté, l’égalité des salaires et de droit du travail. Les changements légaux commencèrent à transformer toute la nature de la famille. Ainsi que l’expliquait un législateur le mariage « devait cesser d’être une cage dans laquelle mari et femme vivent comme des condamnés ». La discrimination à l’égard des enfants illégitimes cessa. En 1920 la Russie devint le premier pays au monde à légaliser l’avortement. L’homosexualité n’était plus un crime. De tels changements mirent la Russie largement en tête des nations d’Europe occidentale soi-disant plus avancées.

En un an le nombre d’école augmenta de plus de cinquante pour cent, et il y avait des campagnes pour apprendre aux illettrés à lire et à écrire. Les frais universitaires furent abolis pour permettre un plus grand accès à l’éducation supérieure. On se débarrassa des examens et l’apprentissage basé sur la mémorisation pure fut énormément réduit. L’étude scolaire fut combinée au travail manuel, et des mesures de contrôle démocratique furent apportées, impliquant tous les travailleurs scolaires et les élèves âgés de plus de 12 ans. Lénine attachait personnellement une grande attention à l’expansion des bibliothèques.

Les décrets ne pouvait changer que jusqu’à ce point. La tâche d’éradiquer l’ignorance, la superstition et les attitudes réactionnaires prendrait plus de temps. Lénine insistait sur l’importance de l’auto-émancipation de la classe ouvrière, disant que la révolution devait « développer cette initiative indépendante des travailleurs, de tous les prolétaires et les exploités en général, la développer aussi largement que possible en travail organisationnel créatif. A tout prix nous devons rompre le vieil, absurde, sauvage, détestable et dégoûtant préjugé que seules les ‘classes supérieures’, seuls les riches, et ceux qui sont passés par les écoles des riches, sont capables d’administrer l’État et de diriger le développement organisationnel de la société socialiste ». Malgré les terribles privations de la période post-révolutionnaire, beaucoup de travailleurs se sentirent délivrés des limitations de leur ancien mode de vie. On trouve des récits contemporains de travailleurs, après une journée de travail, improvisant et produisant des pièces, ou assistant à des cours pour apprendre à écrire de la poésie.

La Russie révolutionnaire connut une effervescence d’innovations et d’expérimentations dans les domaines de la littérature, de la peinture et du cinéma. La position de l’artiste dans la société était transformée. Comme le dit le poète Maïakovski : « Les rues plutôt que des pinceaux nous utiliserons /Nos palettes, les places et leurs espaces grand ouverts » (Ordre à l’armée des arts, 1918).

3 Les suites immédiates de la révolution d’Octobre

3.1 Que faire face à la contre-révolution ?

La révolution victorieuse est généreuse : des représentants de la bourgeoisie, notamment des officiers et élèves-officers, faits prisonniers au moment de l’insurrection, sont libérés sur parole par le pouvoir soviétique. En échange, ils s’engagent à ne pas essayer de renverser le pouvoir soviétique. Mais la plupart, à peine libérés, trahissant leur parole, préparent, organisent ou essayent d’organiser des soulèvements armés, comme à Moscou. La bourgeoisie par l’intermédiaire de son parti, le parti cadet, et de ses relais dans l’armée et le vieil appareil d’État, s’efforce de rétablir son pouvoir par la violence.

Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (SR) de droite, quant à eux, s’opposent au pouvoir issu de la révolution : après avoir quitté le IIe Congrès des Soviets, où ils étaient en minorité, ils refusent d’envoyer leurs délégués au Comité exécutif central des soviets de Russie en proportion de leur représentation à ce congrès. Et ils prétendent substituer au gouvernement élu par ce dernier (conseil des commissaires du peuple) un gouvernement de coalition comprenant des bolcheviks, des mencheviks, des SR et des socialistes populistes (ces derniers étant dirigés par Kerensky, lequel, chef du gouvernement provisoire d’avant Octobre, avait multiplié les actes de répression contre les travailleurs et les soldats, ouvrant la voie à la préparation du coup d’État militaire de Kornilov (1)). Le Comité exécutif du syndicat des cheminots, dirigé par les mencheviks, menace de bloquer le ravitaillement de la capitale si le gouvernement soviétique ne cède pas.

Des pourparlers sont engagés entre les représentants du gouvernement soviétique, des différents partis se revendiquant du socialisme et le Comité exécutif du syndicat des cheminots. Le gouvernement demande au syndicat des cheminots d’envoyer des troupes pour mater l’insurrection contre-révolutionnaire des élèves-officiers de Moscou. Ce dernier, en affirmant sa « neutralité », démasque devant le peuple tout entier le sens réel de sa politique. Le pouvoir soviétique rompt alors les pourparlers, dont la fonction (quelles que soient les bonnes intentions de certains socialistes-révolutionnaires ou mencheviks) se révèlait être objectivement celle d’un soutien politique à la lutte contre la révolution d’Octobre, c’est-à-dire contre le décret sur la paix, le décret sur la terre, le contrôle ouvrier sur l’industrie et plus généralement le pouvoir des ouvriers et des paysans (2).

D’un côté, le gouvernement soviétique dirigé par les bolcheviks s’efforce de réduire par la négociation tous les soulèvements contre le pouvoir, même armés : les soldats fidèles aux soviets reçoivent ordre de ne pas tirer les premiers. Les bolcheviks entendent ainsi démontrer à tous qu’ils ne veulent pas la guerre civile. Mais, de l’autre, le gouvernement réagit sans faiblesse aux menées de la contre-révolution : il triomphe militairement des troupes qui ne se rendent pas et décide de mettre en état d’arrestation les dirigeants du parti cadet, cerveaux de la contre-révolution, de placer ce parti sous surveillance et d’interdire sa presse.

La question de la liberté de la presse

Les mencheviks et les SR de droite se scandalisent : comment oser porter atteinte à la sacro-sainte liberté de la presse ? Comment oser interdire la presse bourgeoise ? Les mencheviks, les SR de droite et les socialistes-populistes n’avaient pas fait preuve d’autant de réticences à « porter atteinte à la liberté de la presse » et à recourir à la violence lorsque, aux lendemains des journées de juillet, ils avaient décidé d’interdire la presse du Parti bolchevik, d’envoyer l’armée fermer ses imprimeries, détruire ou confisquer son matériel et arrêter ses principaux dirigeants, qui passèrent les mois de juillet et août dans les prisons du gouvernement des mencheviks, des SR et des socialistes-populistes…

Dès lors, s’ils se scandalisent de la mesure d’interdiction de la presse bourgeoise au moment où celle-ci répand toutes sortes de fausses nouvelles et de calomnies contre le pouvoir soviétique dans l’objectif de son renversement, ce n’est pas qu’ils soient attachés à la « liberté de la presse » pour elle-même, mais plutôt qu’ils sont aussi déterminés à rétablir le pouvoir bourgeois qu’ils l’ont été à étouffer par tous les moyens la révolution prolétarienne. Pour eux, la presse est « libre » lorsque la presse est dans les mains de quelques grands hommes d’affaires et présente la réalité à leur avantage, calomniant les révolutionnaires (comme les bolcheviks, accusés sans fondement en juillet d’être financés par l’État-major allemand), tandis que l’immense majorité n’a tout simplement pas les moyens matériels de disposer de ses propres médias. À l’opposé, la politique des bolcheviks consista, dans l’esprit du projet de décret sur la presse, d’une part, à imposer à tous les journaux l’obligation de rendre publics leurs comptes, afin que le peuple puisse connaître le ou les commanditaire(s) du journal et, d’autre part, à collectiviser les imprimeries et à les mettre à la disposition de tout groupe significatif d’ouvriers ou de paysans désirant éditer un journal ou une revue (Lénine suggérait d’accorder ce droit à tout groupe d’au moins 10 000 ouvriers ou paysans). En donnant ainsi réellement la possibilité aux exploités et aux opprimés de faire leur propre presse, ces mesures constituaient un pas vers la liberté réelle de la presse.

Lutte politique et lutte militaire sont indissociables

Les rumeurs répandues par la presse bourgeoise ne peuvent être séparées des préparatifs militaires de coup d’État. En ce sens, faire preuve de la moindre faiblesse face à la contre-révolution, même avec les meilleures intentions du monde, c’est trahir la révolution. Tous les hésitants (comme les SR de gauche et le groupe Zinoviev-Kamenev dans le parti bolchévik) semblent avoir oublié les leçons de la Commune de Paris. La bourgeoisie française n’avait continué à discuter avec les communards que le temps de réunir, en accord avec Bismarck (représentant les intérêts de la bourgeoisie allemande), les forces nécessaires pour écraser la révolution prolétarienne commençante. La lutte politique et médiatique de la bourgeoisie contre le gouvernement révolutionnaire et son recours à la force militaire ne sont pas deux politiques opposées, mais les deux moments d’une même politique, dont le résultat ne peut être rien d’autre que le rétablissement du pouvoir de la bourgeoisie sur la base du massacre des ouvriers révolutionnaires.

Le comportement du gouvernement soviétique à l’égard des paysans

Octoberrevolution 198.jpg

On reproche aussi aux bolcheviks d’avoir accordé aux ouvriers une sur-représentation dans les soviets, devenus organes de l’État, par rapport à la paysannerie, qui était largement majoritaire en Russie. Pour les « démocrates » bourgeois et petits-bourgeois, cela représente une violation inadmissible de « la » démocratie, incarnée selon eux dans le principe : un homme, une voix. Pourtant, ce principe formel ignore que, sous le capitalisme, c’est la ville qui commande à la campagne. Dès lors, la question politique principale qui se pose, en ce qui concerne la paysannerie, est de savoir quelle classe la dirigera : la bourgeoisie ou le prolétariat ? En régime de « démocratie » bourgeoise, c’est la bourgeoisie — les banquiers, les propriétaires fonciers qui en général sont eux-mêmes des bourgeois, les gros fermiers capitalistes, les patrons qui produisent les machines agricoles, les patrons des supermarchés qui imposent des prix au rabais, etc. —, qui commande à la paysannerie, comme à toutes les autres classes. C’est cette bourgeoisie qui domine la terre, surexploite les salariés agricoles, pille les petits paysans et souvent les exproprie en les conduisant à la ruine.

Le gouvernement soviétique, au contraire, s’est efforcé d’aider les travailleurs salariés et les paysans pauvres à lutter contre les bourgeois et les paysans riches, tout en essayant d’obtenir la bienveillante neutralité du paysan moyen (celui qui peut vivre de sa terre sans employer de salarié). Dans les premiers jours qui suivent la révolution d’Octobre, la grande majorité du prolétariat est déjà ouvertement du côté du pouvoir soviétique, mais la position de la paysannerie est encore incertaine. Pour la gagner à la révolution prolétarienne, le gouvernement soviétique fait connaître dans les campagnes ses premières mesures et convoque un congrès extraordinaire des soviets de délégués paysans de Russie. Parmi les délégués, on compte 197 SR de gauche, 65 SR de droite et 37 bolcheviks. Au terme d’une âpre lutte politique, les délégués de ce congrès, tout en reprenant la revendication menchevik et SR de la formation d’un gouvernement de coalition incluant, en plus des bolcheviks et des SR de gauche, des mencheviks, des SR de droite et des socialistes-populistes, affirme que ce gouvernement devra appliquer le programme adopté par le IIe Congrès des soviets de Russie, réuni en Octobre. Il démontre ainsi que le développement de la lutte entre les classes au cours de la révolution, modelé par un combat politique acharné entre les partis qui les représentent, a fini par placer, malgré ses oscillations constantes, la majorité de la paysannerie du côté du pouvoir soviétique. Car seul ce pouvoir s’est révélé capable d’apporter à une réponse positive aux revendications paysannes, en décidant l’expropriation des propriétaires fonciers et la répartition égalitaire de la terre entre les paysans. La conquête du pouvoir par le prolétariat permet ainsi de grouper autour de lui tous les opprimés, ce qui est une condition pour la victoire finale.

3.2 La dissolution de l'assemblée constituante

Entre avril et juillet 1917, les bolchéviks avaient revendiqué la constituante en soutenant qu'une démocratie bourgeoise (avec constituante) est meilleure qu'un régime bourgeois sans constituante, tout en maintenant leur ligne « tout le pouvoir aux soviets » et en expliquant inlassablement qu'une république soviétique serait supérieure à une république parlementaire. Le gouvernement provisoire repoussait la convocation de la constituante en prétextant les difficultés de la guerre. Finalement, en juin il annonce les élections pour novembre (la guerre est toujours en cours...). Quand à partir d'août les bolchéviks deviennent majoritaires dans les soviets, les cadets, SR et menchéviks deviennent farouchement partisans de la Constituante comme summum de la démocratie.

L’Assemblée Constituante élue en octobre ne représente plus la volonté du peuple en janvier

Mais, bien évidemment, on reproche surtout aux bolcheviks le simple fait d’avoir dissout la Constituante. Ce faisant, ils auraient fait violence à la volonté populaire. Qu’en est-il ? L’Assemblée Constituante avait été élue en octobre 1917, c’est-à-dire avant la révolution du 25-26 octobre 1917, donc avant que ne soient prises les premières mesures du gouvernement soviétique, répondant aux besoins élémentaires des exploités et des opprimés. À cette époque, le parti SR était encore uni : il ne s’est divisé entre deux fractions opposées qu’après la révolution Octobre, l’une la soutenant et participant au conseil des commissaires du peuple (les « SR de gauche »), l’autre la combattant (les « SR de droite »). Les électeurs avaient ainsi voté en octobre indistinctement pour les uns ou les autres, puisqu’ils s’étaient présentés sur les listes uniques, celles du parti SR encore uni. Or, moins représentés dans les sphères dirigeantes du parti que les SR de droite, les SR de gauche ne disposaient que d’une minorité des députés élus sur cette liste. C’est pourquoi les bolcheviks et les SR de gauche ne formaient ensemble qu’une forte minorité à l’Assemblée Constituante.

Or, les élections au congrès pan-russe des soviets réuni en janvier 1918 donnent lieu à l’écrasement des SR de droite, qui n’obtiennent que 7 délégués, soit moins de 1 %, tandis que les SR de gauche raflent plus de 30 % des sièges. Ainsi les SR de droite, qui forment le groupe le plus nombreux à l’Assemblée Constituante élue sur la base des listes faites avant la révolution d’Octobre, ne représentent en réalité plus qu’une infime minorité des travailleurs en janvier. Il est donc clair que, lors de sa première réunion en janvier 1918, l’Assemblée Constituante ne représente pas du tout la volonté réelle du peuple et n’est donc pas légitime. Par contre, le système soviétique, celui des conseils ouvriers et paysans, reposant sur des élections régulières et fréquentes (octobre 1917, janvier 1918, mars 1918, juin 1918) et incluant la possibilité de révoquer ses représentants, démontre concrètement son immense supériorité démocratique sur le parlementarisme bourgeois. Lors de la réunion de la Constituante, les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires de droite prouvent une nouvelle fois à qu’ils ne sont que des valets de la bourgeoisie

Mais, dira-t-on, pourquoi les bolcheviks ont-ils laissé la Constituante se réunir, alors qu’ils savaient d’avance qu’ils la dissoudraient de toute façon ? Cette décision a précisément pour but de permettre le développement le moins douloureux possible de la révolution. En effet, les élections à la Constituante ont donné 21 millions aux socialistes-révolutionnaires, 9 millions de voix aux bolcheviks, 4,5 millions aux partis officiels de la bourgeoisie (les cadets et leurs alliés) et 1,7 million aux mencheviks (4). Les partis se revendiquant du socialisme, à savoir les socialistes-révolutionnaires, les bolcheviks et les mencheviks, disposent donc à eux tous d’une écrasante majorité, avec 87 % des sièges. En laissant la Constituante se réunir, les bolcheviks offrent ainsi une nouvelle fois aux mencheviks et aux SR la possibilité de rompre avec la bourgeoisie et de prouver qu’ils sont des socialistes. Pour cela, il leur suffit de reconnaître la légitimité des conquêtes de la révolution d’Octobre et le pouvoir des soviets, ouvrant la voie à un gouvernement soviétique unitaire des socialistes authentiques. Et ce dénouement est assurément celui qui aurait été le plus favorable au renforcement de la révolution. Or, les mencheviks et les SR de droite présentèrent au contraire une motion qui propose d’abolir toutes les mesures prises par le pouvoir soviétique depuis octobre, c’est-à-dire en particulier le décret sur la terre, l’adresse internationale pour mettre fin à la guerre, le décret sur le contrôle ouvrier ! Ils proposent aussi que soit instituée la suprématie de la Constituante sur les Soviets. Dans ces conditions, il était juste de dissoudre cette Constituante contre-révolutionnaire qui se camouflait sous des phrases démocratiques et socialistes. De fait, ni le prolétariat, ni les paysans ne protestèrent contre cette décision, qui correspondait à leurs intérêts, comme le confirment les résultats des élections aux soviets en janvier.

Forme et contenu de classe

Par delà les formes institutionnelles, l’enjeu de la lutte entre les Soviets et la Constituante n’était rien d’autre que la lutte entre la révolution prolétarienne et la contre-révolution bourgeoise. Après l’échec de la voie putschiste pour en finir avec la révolution (échec du coup d’État de Kornilov fin août 1917), la bourgeoisie a cherché une autre façon de mettre un terme à la révolution, qui signifiait son expropriation et sa perte du pouvoir politique. Entre septembre 1917 et janvier 1918, elle a concentré son offensive sur la question de la Constituante en arguant du caractère sacré de la « démocratie ». En fait, elle cherchait à utiliser les formes de la démocratie bourgeoise, en apparence « neutres », pour tordre le cou à la révolution prolétarienne. Dès avant l’échec de cette manœuvre, mais surtout après, la bourgeoisie russe passait à l’option militaire : elle déclenchait la guerre civile, avec l’appui des tous les pays capitalistes réunis dans une grande offensive contre la République des soviets (Japon, France, Angleterre, Roumanie, Allemagne, etc). Nous y reviendrons dans notre prochain numéro ; mais nous terminerons le présent article en montrant l’actualité de la « dictature du prolétariat », telle que les soviets dirigés par les bolcheviks l’ont mise en place, refusant de céder aux exigences et aux illusions des « démocrates » bourgeois et petits-bourgeois.

3.3 La guerre civile et le « communisme de guerre »

Après la révolution d’Octobre, la guerre civile fait naître une terrible situation. De janvier 1919 à janvier 1920, un blocus total décidé par les puissances étrangères frappe la Russie tout entière, déjà profondément affaiblie et fragilisée dans son équilibre alimentaire et sanitaire. Par sa politique dite du « communisme de guerre », le gouvernement soviétique, dirigé par les bolcheviks, exige de mettre en place un rationnement très rigoureux, assorti de réquisitions des cultures agricoles. Lénine le soulignera plus tard : « L’essence du communisme de guerre était que nous prenions au paysan tout son surplus, et parfois non seulement son surplus, mais une partie des grains dont il avait besoin pour se nourrir. » Pour l’appliquer, des détachements de réquisition et de barrage sont instaurés, qui se révèlent souvent impitoyables et commettent de graves abus. Dès lors, l’automne et l’hiver 1920 sont marqués par de grandes révoltes paysannes : celles que conduit Nestor Makhno en Ukraine, celles qui ébranlent les campagnes de Tambov et de Tioumen. Les paysans protestent, dans la violence, contre les réquisitions et leurs excès. Selon Jean-Jacques Marie, les méthodes employées par les insurgés sont des plus barbares : non seulement les communistes sont fusillés en masse, mais encore les assassine-t-on parfois avec une extrême cruauté : déshabillés, on les laisse mourir gelés dans la neige ; on leur arrache les yeux ; on les éventre…

Enfin la révolte la plus notable et la plus connue fut celle qui eut lieu à Cronstadt, l'île forteresse située face à Petrograd.

4 Bibliographie

  • Charles-Olivier Carbonell, Le Grand Octobre russe : 1917 : la révolution inimitable, Paris, Éditions du Centurion, coll. « Un brûlant passé », , 288 p.
  • Léo Figuères, Octobre 1917 : la révolution en débat, éd. Le Temps des Cerises, 1998 (ISBN 2-84109-131-7)
  • (en) Sheila Fitzpatrick, The Russian Revolution, Oxford University Press, 2008
  • Marc Ferro, La Révolution de 1917, 2 vol., Paris, Aubier, 1967
  • François-Xavier Coquin, La Révolution russe, 1962
  • Richard Pipes, La Révolution russe, PUF, 1993
  • Alexander Rabinowitch, Prelude to Revolution, 1991
  • Alexander Rabinowitch, The Bolsheviks Come To Power: The Revolution of 1917, 2004
  • Alexander Rabinowitch, The Bolsheviks in Power: The First Year of Soviet Rule in Petrograd, 2007
  • John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, Éditions sociales, 1986 (ISBN 2-2090-5494-X) (ISBN 978-2-2090-5494-7) - (Ten Days that Shook the World), 1919
  • Voline, La Révolution Inconnue, Livre premier : Naissance, croissance et triomphe de la Révolution russe (1825-1917), Éditions Entremonde, Lausanne, 2009. (ISBN 978-2-940426-02-7 )
  • Nicolas Werth, 1917 : la Russie en révolution, Gallimard, coll. Découvertes, 1997
  • Éric Aunoble, La Révolution russe, une histoire française, lectures et représentations depuis 1917, Édition La Fabrique, 2016