Différences entre les versions de « Révolution d'Octobre »

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[[File:Octoberrevolution 54.jpg|right|333x388px|Octoberrevolution 54.jpg]]Lors de l'insurrection du 7 novembre (n.s) à Petrograd, de nombreuses régions sont encore contrôlées par des forces réactionnaires même la lutte de classe les met sur la sellette. La bourgeoisie par l’intermédiaire de son parti, le parti KD, et de ses relais dans l’armée et l'appareil d’État, s’efforce de rétablir son pouvoir par la violence. Les fonctionnaires de Petrograd se sont mis en grève pour protester. Le 9 novembre, Lénine appelle les soldats à s’opposer à toute tentative contre-révolutionnaire des officiers, à élire des représentants et engager directement des [[Paix_de_Brest-Litovsk|négociations d’armistice]].
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Version du 31 décembre 2016 à 02:59

Jusqu'en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui avait à l'époque 13 jours de retard sur le calendrier grégorien. Le 23 février « ancien style » correspond donc au 8 mars « nouveau style » (n.s.).
October-rev1a.jpg

La révolution d'Octobre marque la seconde phase de la Révolution russe de 1917, après la révolution de février. Son point d'orgue est l'insurrection du 25 octobre (n.s. 7 novembre). Appuyé sur les soviets, le parti bolchévik de Lénine et Trotsky réussit à donner une direction politique de classe qui mène en Octobre à la première vraie révolution socialiste, qui engendre une vague révolutionnaire en Europe. Mais l'échec de cette vague isolera la jeune URSS et favorisera l'émergence de la bureaucratie stalinienne.

1 Contexte

1.1 La révolution de Février

Les grèves et manifestations insurrectionnelles à Petrograd de février ont poussé le tsar à abdiquer le 2 mars (n.s 15 mars). Un gouvernement provisoire est alors formé autour du Prince Lvov, membre du parti Constitutionnel Démocratique (KD), le principal parti de la bourgeoisie. Le 2 mars également, le soviet de Petrograd est formé, et des soviets d'ouvriers et de soldats se forment rapidement dans les grandes villes (et à partir d'avril dans les campagnes). Dans les soviets (« conseils », en russe) les classes populaires se réunissent pour discuter mais aussi pour autogérer toute une partie de la vie locale. Il y a donc une situation de double pouvoir, même si le soviet de Petrograd, présidé par le menchévik Tchkhéidzé, donne sa confiance au gouvernement provisoire. Kerensky (troudovik), à la fois ministre du gouvernement et vice-président du soviet, assure la liaison.

Mais le gouvernement provisoire ne veut prendre aucune mesure trop radicale, pas même la proclamation de la République. Il refuse les revendications des soviets (la paix, la terre aux paysans, la journée de 8 heures...), renvoyant la responsabilité à une future Assemblée constituante, tout en affirmant qu'il est impossible de la convoquer tant que des millions d'électeurs sont au front. La situation est donc toujours révolutionnaire. Les forces monarchistes ayant été dissoutes, les KD se retrouvent à l'extrême droite, face une opposition entièrement constituée de « socialistes » (même si le premier parti, le parti Socialiste-Révolutionnaire, est davantage une force petite-bourgeoise).

Les dirigeants bolchéviks présents en Russie (Kamenev, Staline, Molotov...) suivent les autres socialistes, considérant que leur ligne de soutien à la révolution bourgeoise passe par le soutien au gouvernement provisoire. Ils envisagent même une réunification avec les menchéviks. La Pravda appelle à la reprise du travail et au retour à la normale.

De retour d'exil, Lénine fait aussitôt paraître ses Thèses d'avril. Il soutient qu'il faut dénoncer le gouvernement provisoire comme incapable de satisfaire les revendications démocratiques, ouvrières et paysannes, et affirme que la situation de double pouvoir doit être tranchée en revendiquant « tout le pouvoir aux soviets », pour créer un Etat « du type de la Commune de Paris ». Il est d'abord mis en minorité, et le bruit court qu'il est devenu « trotskiste », voulant un « passage immédiat » à la révolution socialiste. En s'appuyant sur la base ouvrière, il parvient à faire changer l'orientation du parti.

1.2 La question de la paix et les Journées d'avril

Depuis 1914 la guerre a provoqué beaucoup de remises en question du discours nationaliste, d'autant plus que la Russie est affaiblie face à l'Allemagne. Néanmoins, début 1917 ce sont surtout l’incapacité du commendement militaire et ses mauvais traitements qui sont dénoncés. Les slogans de paix immédiate sont au départ plus fréquents à l’arrière qu’au front, où les soldats considèrent souvent les ouvriers comme des « planqués », et refusent d'admettre l’inutilité des sacrifices qu’ils endurent depuis trois ans. Le « défaitisme révolutionnaire » est très impopulaire, et même au sein des bolcheviks il ne passe pas toujours bien.

Le 18 avril, le ministre KD Milioukov s'engage dans une note secrète aux Alliés à ne pas remettre en cause les traités tsaristes et à poursuivre la guerre jusqu'au bout. Lorsque cette note fuite dans la presse, des manifestations armées d'ouvriers et de soldats éclatent (20-21 avril) et s'affrontement violemment à des manifestants pro-gouvernement. Ce sont les premiers véritables affrontements armés de la révolution. Le 15 mai, Milioukov démissionne et un remaniement ministériel renforce le poids de Kerensky et intègre des SR et 2 menchéviks (Tsereteli et Skobelev). Ce gouvernement a le soutien des ouvriers et beaucoup veulent croire que Kerensky (devenu ministre de la guerre) obtiendra une victoire militaire rapide.

Début avril 1917 se réunit le premier Congrès pan-russe des soviets, même s'il ne représente quasiment pas de campagnes (480 délégués de la capitale, 138 de soviets locaux et 46 de l'armée). Il affiche un total suivisme envers le gouvernement provisoire et appuie la poursuite de la guerre, tout en appelant au « contrôle » par les soviets et à leur extension à tout le pays.

2 Flux et reflux de la lutte de classe

2.1 Les journées de juillet

Fichier:EmeutesPetrograd1917.jpg
Dispersion de la foule sur la perspective Nevski, pendant les journées de juillet.

Entre février et juillet, l’impopularité de la guerre et la lassitude gagnent du terrain, notamment parmi les ouvriers à qui l'on refuse la journée de 8 heures au nom de l'effort de guerre. Début juin, les bolcheviks sont majoritaires dans le soviet ouvrier de Petrograd. Le 14 juin, le gouvernement provisoire annonce des élections pour l'Assemblée constituante pour le 12 novembre (n.s 25 novembre).

L’échec militaire de l’« offensive Kerensky » de juillet entraîne une déception générale. L’armée entre en décomposition, les soldats refusent de monter en première ligne, les désertions se multiplient. Les 3 et 4 juillet, les soldats stationnés à Petrograd refusent de repartir au front. Rejoints par les ouvriers, ils manifestent pour exiger des dirigeants du soviet de la ville qu’il prenne le pouvoir.

Les bolcheviks s’opposent à une insurrection prématurée car ils ne sont majoritaires que dans le prolétariat de Petrograd et Moscou, mais la base les déborde. Ils décident alors de soutenir néanmoins les manifestants pour ne pas se couper de cette avant-garde.

2.2 La réaction et le putsch de Kornilov

🔍 Voir : Affaire Kornilov.

Les manifestants sont réprimés et une vague de répression frappe le parti bolchévik, ainsi que des calmonies (accusations d'être à la solde des Allemands pour les faire gagner). Lénine est obligé de se réfugier en Finlande, le journal bolchevique Rabotchi I Soldat est interdit, et Trotsky (qui se rapproche des bolchéviks) est emprisonné. Les régiments de mitrailleurs qui ont soutenu la révolution sont dissous, envoyés au front par petits détachements, les ouvriers sont désarmés. 90 000 hommes doivent quitter Petrograd, les « agitateurs » sont emprisonnés. La peine de mort abolie en février est rétablie et des pogroms se produisent en province. Au front, la reprise en main est brutale après la liberté laissée par le prikaze n°1 en février. Ainsi le 8 juillet, le général Kornilov, qui commande le front sud-ouest, donne l’ordre d’ouvrir le feu à la mitrailleuse et l’artillerie sur les soldats qui reculeraient. Du 18 juin au 6 juillet, l’offensive sur ce front fait 58 000 morts, sans succès.

Le gouvernement est en crise et le 15 juillet, les ministres KD démissionnent, y compris le premier ministre Lvov. Ils sont de plus en plus nationalistes et partisans de méthodes autoritaires. Avec des forces tsaristes ils misent de plus en plus sur Kornilov pour rétablir l'ordre (bonapartisme). Kerensky croit pouvoir s'appuyer sur Kornilov et le 19 juillet, il le nomme commandant en chef de l'armée russe. À la fin du mois de juillet, Kerensky forme un nouveau gouvernement à majorité socialiste. Le soviet de Petrograd, dominé par les socialistes opportunistes, donne sa confiance à ce gouvernement qui cautionne la réaction. La dualité de pouvoir semble disparaître. Dans ces conditions, les bolchéviks cessent de revendiquer le « pouvoir aux soviets », ceux-ci étant dirigés par les conciliateurs (SR et menchéviks) dont la seule perspective était clairement de confier ce pouvoir à un gouvernement de coalition avec les bourgeois.

Mais la réaction ne veut pas s'arrêter en chemin. Le 9 septembre, Kornilov envoie 3 régiments de cavalerie par chemin de fer sur Petrograd, dans le but affiché d’écraser dans le sang les soviets et les organisations ouvrières et de remettre la Russie dans la guerre. Kerensky panique et destitue Kornilov, mais son gouvernement est devenu trop faible pour se défendre. Ce sont les soviets qui organisent réellement la défense, et qui mettent en déroute Kornilov en 3 jours.

2.3 Ebullition populaire et essor des bolchéviks

La défaite du putsch retourne la situation. La réaction baisse la tête face aux masses armées. Les bolcheviks peuvent sortir de leur semi-clandestinité, les prisonniers politiques, dont Trotsky, sont libérés par les marins de Kronstadt. Les bolchéviks, qui étaient en première ligne contre Kornilov, sortent grandis par rapport au gouvernement Kerensky. Les soviets reprennent de l'autonomie et les bolchéviks y prennent de plus en plus d’importance, et remettent au centre le mot d'ordre « tout le pouvoir aux soviets ». Des soviets et des syndicats se rangent du côté des bolcheviks.Le nombre des délégués bolchéviks augmente, mais les idées bolchéviques circulent encore plus vite : des décisions radicales commencent à remonter de régions où ils ne sont pas présents. Le rapport de forces permet à présent aux bolchéviks de prendre la parole sur le front lors des meetings de soldat. Le 31 août, le soviet de Petrograd devient bolchévik, et le 30 septembre il élit à sa présidence Trotski (qui vient de rejoindre les bolchéviks). Le soviet de Moscou passe également aux bolchéviks.

Aux élections municipales de Moscou, entre juin et septembre, les SR passent de 375 000 suffrages à 54 000, les mencheviks de 76 000 à 16 000, les KD de 109 000 à 101 000, alors que les bolcheviks passent de 75 000 à 198 000 voix. Le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets » dépasse largement les bolcheviks et est repris par des ouvriers SR ou mencheviks. Le 31 août, le soviet de Petrograd et 126 soviets de province votent une résolution en faveur du pouvoir des soviets. Pour une courte période, Lénine envisage la possibilité d’une transition pacifique vers un gouvernement des soviets.

Le 14 septembre (n.s 27 septembre), une « conférence démocratique » est convoquée à l'initiative des conciliateurs, qui veulent limiter les tendances autoritaires de Kérensky, tout en poursuivant la collaboration de classe. Elle proclame enfin la République, et créé un Préparlement. Les KD sont écartés car trop discrédités, mais d'autres représentants des classes possédantes sont présents. Le Comité central du Parti bolchévik est divisé sur la participation à ce Préparlement, mais le congrès du parti se prononce finalement pour, contre l’avis de Trotsky et Lénine pour qui l'insurrection est à l'ordre du jour. Finalement, lors de la première et dernière session le 7 octobre (n.s 20 octobre), les bolchéviks quittent le Préparlement avec fracas.

Il est également sorti de la « conférence démocratique » un nouveau gouvernement de coalition, caractérisé par les bolchéviks comme un gouvernement de guerre civile contre les masses.

2.4 Soulèvements des paysans et des peuples opprimés

En septembre-octobre, l'agitation révolutionnaire gagne les campagnes, dans ce qui sera sans doute la plus grande jacquerie de l'histoire européenne. Les paysans s’emparent des terres des grands propriétaires, il y a des violences et des destructions. Les paysans pauvres sont les plus radicaux, et les représentants locaux de l’État n’osent pas s’interposer, malgré les plaintes des propriétaires. Apprenant que le « partage noir » est en train de s’accomplir dans leurs villages, les soldats, largement d’origine paysanne, désertent en masse afin de pouvoir participer à temps à la redistribution des terres. Les tranchées se vident peu à peu. Le mouvement déborde largement les cadres SR, qui reportent depuis trop longtemps la réforme agraire. On y voit alors l’influence des bolchéviks, mais ces derniers sont peu présents dans les campagnes, où leurs moyens sont très limités (manque d’imprimerie et d’orateurs). Avec leurs mots d'ordre, ils parviennent peu à peu à s’implanter parmi les paysans pauvres, surtout via les soldats revenant du front.

Au même moment, les différents peuples opprimés de l’empire tsariste déchu se soulèvent eux aussi. Le renversement de la monarchie leur a apporté l'égalité des droits civiques, mais n’a pas apporté de réelle libération nationale. Les KD ont perpétué la domination grand-russe, malgré leurs promesses antérieures. Les conciliateurs locaux, proches de la population, vont souvent plus loin dans les revendications que ne le veut le pouvoir central et conserveront plus longtemps leur base. Les bolchéviks sont peu présents parmi les minorités opprimées, mais la faillite des gouvernements de coalition sur la question nationale comme sur les autres, provoque le plus souvent de la bienveillance à son égard, d’autant plus quand il y a coïncidence des antagonismes sociaux et nationaux.

3 La révolution et l'insurrection d'Octobre

3.1 Les préparatifs de l’insurrection

Dans les villes, beaucoup d’ouvriers se mettent en grève, mais les plus avancés considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé et se rallient à l’objectif de l’insurrection. Mais les débats sur cette question sont tendus dans le parti bolchévik. Les opposants, principalement Kamenev et Zinoviev, mais qui se retrouvent à tous les échelons du parti, croient encore possible une transition institutionnelle vers le pouvoir des soviets. Ils veulent attendre le Congrès des soviets (20 octobre a.s), voire l’Assemblée constituante (12 novembre a.s).

Après s’être battu pendant plusieurs semaines contre le Comité central bolchévik (comme en avril), Lénine parvient, le 10 octobre (a.s), à rallier une majorité à une motion qui met à l’ordre du jour immédiat la préparation de l’insurrection. Elle est prévue initialement pour le 15 octobre (a.s), avant le congrès des soviets. L'idée est de ne pas attendre que les classes dominantes prennent l'initiative car elle ne se laissera pas faire, et également de mettre les conciliateurs devant le fait accompli pour les forcer à choisir le camp des soviets. Zinoviev et Kamenev paniquent et craignent qu’une insurrection fasse perdre aux bolchéviks la confiance des masses. Ils dénoncent « l'aventurisme », et vont jusqu’à rompre la discipline du parti en livrant dans des journaux les plans de l'insurrection. Kerensky la voit bien venir mais se retrouve largement impuissant.

Octoberrevolution 198.jpg

Les bolchéviks consacrent leur énergie à l’agitation en faveur du pouvoir aux soviets. Les orateurs manquent (Lénine est toujours réfugié en Finlande, Kamenev et Zinoviev s’opposent à la ligne…), mais l’agitation est efficace dans les masses, et Trotsky en particulier joue un rôle clé. La dualité de pouvoir est à un point de basculement. Dans la capitale, la question est « qui dirige les bandes d'hommes armées », c'est-à-dire le fondement de l'Etat. Le soviet de Pétrograd décide la création d’un Comité militaire révolutionnaire (avec à sa tête un jeune SR de gauche, Lasimir), qui coordonne les soldats fidèles aux soviets. Une section de gardes rouges (ouvriers armés) est également créée. Le gouvernement s’inquiète, et réclame les troupes de Pétrograd pour le front. Mais la délégation du soviet tient tête et refuse.

Le Comité militaire révolutionnaire (CMR) poursuit ses préparatifs, avec en particulier des mesures préventives contre les forces contre-révolutionnaires (junkers, cosaques, cent-noirs). Pendant les jours qui précèdent le Congrès des soviets (finalement repoussé au 25 octobre pour des raisons techniques), la presse bourgeoise annonce des manifestations des bolchéviks. Mais ceux-ci ne font que recenser leurs troupes en vue de l’insurrection, ils s’assurent que les masses de Pétrograd et des alentours leur sont acquises. Parfois ils s'assurent au moins de la neutralité de certaines troupes. Les meetings renforcent à la fois les masses et leurs dirigeants dans l’idée que tout est prêt pour l’insurrection. Un meeting de Trotsky finit de convaincre les soldats de la forteresse Pierre-et-Paul, jusque-là réfractaires à l’autorité du Comité militaire.

3.2 L’insurrection du 24-25 octobre

Le 23 octobre, l’état-major de l’armée officielle est définitivement relevé de son commandement sur les troupes de Pétrograd. Le Parti bolchévik, tactiquement, n’attend plus qu'un geste d'offensive du gouvernement pour lancer l'insurrection en mesure défensive.

Dans la nuit du 23, le gouvernement décide des poursuites judiciaires contre le Comité militaire, et la mise sous scellés des imprimeries bolchéviques. Mais les ouvriers et soldats se mobilisent et font paraître les journaux, et ils demandent des ordres pour la défense de Smolny (siège du CMR). Le croiseur Aurore se met aussi à disposition.

La journée du 24 est occupée à la répartition des tâches pour les bolchéviks. Pendant ce temps-là, les défections de troupes continuent parmi celles qui étaient jusque-là contrôlées par le gouvernement, comme par exemple le bataillon de motocyclistes. Au Préparlement, Kérensky décrète des mesures contre les bolchéviks, mais les troupes qu’il a encore à sa disposition (junkers, cosaques) sont trop faibles par rapport à l’adversaire pour les exécuter.

Dans la nuit du 24, le CMR fait occuper les centres névralgiques de Pétrograd : ponts, gares, banque centrale, centrales postale et téléphonique. Des troupes de junkers et des officiers sont arrêtés et désarmés. Parfois, les bolchéviks font preuve d’une trop grande indulgence : sûrs de leur force, ils espèrent le moins de violence possible ; ils auront plus d’une fois à le regretter par la suite, pendant la guerre civile. Quant aux conciliateurs du Comité exécutif des soviets, ils ne peuvent que constater l’insurrection ; ils n’ont désormais plus de place propre dans le conflit direct entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Le matin du 25 octobre (n.s 7 novembre), le CMR annonce qu’il a pris le pouvoir et que le gouvernement est démis. En fait, celui-ci siège toujours au Palais d’hiver, dont la prise a été retardée (le CMR a bien des lacunes dans la science militaire). Dans la journée, le Préparlement est évacué sans arrestation. La prise de la capitale s’est globalement déroulée dans le calme, causant seulement 5 morts et quelques blessés. Pendant l’insurrection, les tramways continuent à circuler, les théâtres à jouer, les magasins à ouvrir.

La seule tâche qui reste est donc la prise du Palais d’hiver. Parmi les bolchéviks, on commence à s’agacer du retard : il faut que l’action soit menée avant l’ouverture du Congrès des soviets. Le dispositif de défense du Palais d’hiver est en déliquescence, les junkers et les cosaques ne savent pas quelle attitude adopter. Dans la nuit, suite à une canonnade purement démonstra­tive de l’Aurore, le Palais d’hiver tombe sans combat, et le gouverne­ment est arrêté, à l’exception de Kérensky qui a réussi à s’enfuir vers le front.

3.3 Congrès des soviets et premières mesures révolutionnaires

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Le Congrès des soviets se réunit le matin du 25. Les menchéviks se sont effondrés, et le parti SR s'est divisé, une partie (les SR de gauche) se ralliant aux bolchéviks. Les conciliateurs, qui ne représentent qu’un quart des délégués, quittent la salle après l’annonce de la prise du Palais d’hiver. Il ne reste au Congrès que les bolchéviks, les SR de gauche et les mencheviks internationalistes.

Le Congrès déclare que le pouvoir est désormais aux mains des soviets, et Lénine déclare qu'il s’agit « d’édifier l’ordre socialiste ». Les premières mesures politiques du nouveau pouvoir sont prises par le Congrès lui-même, dans la nuit du 26 au 27. En 33 heures sont prises des mesures que le gouvernement provisoire n’avait pas pris en 8 mois d’existence :

De nombreuses autres réformes furent lancées dans les jours ou les mois suivants :

  • Annulation de la dette publique russe et nationalisation des banques et des grandes industries.
  • Fin de toute discrimination en fonction de la nationalité et droit à l'autodétermination. Au cours des années suivantes 5 états indépendants furent créés, et au sein de la fédération russe 17 républiques autonomes et régions furent établies.
  • Egalité complète des droits pour les femmes, affirmation de l'égalité des salaires et mesures sociales pour transformer la famille. Fin de la discrimination à l’égard des enfants illégitimes. Dépénalisation de l'homosexualité. Légalisation de l'avortement en 1920.
  • Mesures volontaristes pour alphabétiser la population et favoriser l'éducation. Suppression des frais universitaires.

4 Les suites immédiates de la révolution d’Octobre

4.1 La question du gouvernement et de la Constituante

Le Sovnarkom était initialement composé uniquement de bolchéviks, ce qui avait été approuvé par le 2e Congrès des Soviets. Mais ce point a soulevé de violents débats et a failli mener à la scission le parti bolchévik. Lénine et Trotsky étaient les plus fermement opposés à la participation des autres « partis socialistes », en qui ils n'avaient aucune confiance. Le compromis trouvé est que les négociations se poursuivront, et finalement des SR de gauche entreront au Sovnarkom en décembre. Mais après leurs attentats de juillet 1918, les SR de gauche seront interdits, et les bolchéviks seront définitivement seuls au pouvoir.

Par ailleurs, les élections pour la Constituante, prévues depuis juin, devaient avoir lieu le le 12 novembre (n.s. 25). Espérant une validation du système soviétique, les bolchéviks décident de maintenir le processus constituant. Le Sovnarkom élu par le Congrès des soviet d'Octobre était donc officiellement un gouvernement provisoire, jusqu'à la réunion de l'Assemblée constituante en janvier 1918.

Mais les résultats ne donnèrent qu'une minorité aux bolcheviks et SR de gauche. Malgré la nette majorité bolchévique dans les villes et parmi les soldats, les campagnes votent pour des notables SR. La rupture des SR de gauche ne s'était pas encore clairement matérialisée dans bien des endroits. Lors de la réunion de la Constituante le 5 janvier (n.s. 18), ces notables SR font voter avec les menchéviks l'abolition des mesures depuis Octobre... Pourtant le 3e congrès des soviets qui se réunit aussi en janvier 1918 prouve que la paysannerie soutient les mesures (le partage des terres avant tout) : les SR de droite n'ont même pas 1% des délégués. Refusant la légitimité de cette Constituante réactionnaire, les bolchéviks et les SR de gauche décident alors de la dissoudre, et de faire du Congrès des Soviets l'organe dirigeant du pays.

4.2 Défense face à la contre-révolution

Lors de l'insurrection du 7 novembre (n.s) à Petrograd, de nombreuses régions sont encore contrôlées par des forces réactionnaires même la lutte de classe les met sur la sellette. La bourgeoisie par l’intermédiaire de son parti, le parti KD, et de ses relais dans l’armée et l'appareil d’État, s’efforce de rétablir son pouvoir par la violence. Les fonctionnaires de Petrograd se sont mis en grève pour protester. Le 9 novembre, Lénine appelle les soldats à s’opposer à toute tentative contre-révolutionnaire des officiers, à élire des représentants et engager directement des négociations d’armistice.

Dès le 12 novembre, Kerensky tente une contre-attaque à l'aide des Cosaques du général Krasnov. Ces derniers sont appuyés à Petrograd même par une mutinerie des junkers, avec des SR à leur tête. Les junkers sont rapidement défaits par les gardes rouges. Arrivés à 20 km de la capitale, les cosaques se heurtent à leur tour aux gardes rouges et subissent de lourdes pertes.

Le 13 novembre, le grand Quartier général (stavka) de l’armée russe annonce marcher sur Petrograd « afin d’y rétablir l’ordre ». Rejoint par les chefs du parti SR, Tchernov et Gots, il propose la création d’un « gouvernement de l’ordre ». Cependant, la masse des soldats passe peu à peu aux bolcheviks, arrêtant les officiers. Le 18 novembre, l’état-major doit fuir dans le sud, le généralissime Doukhonine étant massacré par ses propres soldats.  L'armistice avec les Empires centraux est signé le 15 décembre.

La révolution victorieuse est d'abord généreuse : les bolchéviks s’efforcent de réduire par la négociation tous les soulèvements, même armés (les soldats rouges ont ordre de ne pas tirer les premiers). Les bolcheviks entendent ainsi démontrer à tous qu’ils ne veulent pas la guerre civile.  Des officiers et junkers faits prisonniers, et même des généraux comme Krasnov, sont libérés aussitôt contre leur parole de ne pas reprendre les armes contre les soviets. Mais la plupart, à peine libérés, trahissant leur parole, et formeront les cadres de l’armée blanche dans les mois suivants.

Le Sovnarkom est donc obligé de prendre des mesures fermes face à la contre-révolution. Pour les bolchéviks, cela fait partie des leçons de la Commune de Paris, et de ce que Marx appelait la dictature du prolétariat.

Dès le lendemain du 7 novembre (n.s), sept journaux bourgeois de Petrograd sont interdits, dont celui duparti KD. Des journaux n'hésitaient pas à appeler à la résistance armée au « coup de force des agents du Kaiser ». Lénine rappellera : « N'avait-on pas interdit les journaux tsaristes après le renversement du tsarisme ? ». De nombreuses protestations s'élèvent cependant, y compris parmi les SR de gauche et les bolchéviks. Quand il devient clair que les dirigeants du parti KD sont activement impliqués dans les tentatives contre-révolutionnaires, ils sont arrêtés (décembre). Une police politique, la Tcheka, est aussi fondée en décembre 1917.

Les partis socialistes conservent plus longtemps leur presse. La presse légale menchevique ne disparaît qu’entre 1919 et 1921, celle des anarchistes hostiles au régime en 1921, celle des SR de gauche dès juillet 1918 du fait de leurs attentats.

5 L'évolution de l'Etat soviétique

5.1 La guerre civile et le « communisme de guerre »

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Après la révolution d’Octobre, la guerre civile fait naître une terrible situation. De janvier 1919 à janvier 1920, un blocus total décidé par les puissances étrangères frappe la Russie tout entière, déjà profondément affaiblie et fragilisée dans son équilibre alimentaire et sanitaire. Par sa politique dite du « communisme de guerre », le gouvernement soviétique, dirigé par les bolcheviks, exige de mettre en place un rationnement très rigoureux, assorti de réquisitions des cultures agricoles. Lénine le soulignera plus tard : « L’essence du communisme de guerre était que nous prenions au paysan tout son surplus, et parfois non seulement son surplus, mais une partie des grains dont il avait besoin pour se nourrir. »

Pour l’appliquer, des détachements de réquisition et de barrage sont instaurés, qui se révèlent souvent impitoyables et commettent de graves abus. Dès lors, l’automne et l’hiver 1920 sont marqués par de grandes révoltes paysannes : celles que conduit Nestor Makhno en Ukraine, celles qui ébranlent les campagnes de Tambov et de Tioumen. Les paysans protestent, dans la violence, contre les réquisitions et leurs excès.

Enfin la révolte la plus notable et la plus connue fut celle qui eut lieu à Cronstadt, l'île forteresse située face à Petrograd.

6 Bibliographie

7 Notes