Révolution bavaroise

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Dans les années 1918-1919, les répercussions de la Révolution russe furent considérables. L’agitation toucha de nombreux pays d’Europe, notamment l’Allemagne. Mais le soulèvement y fut violemment réprimé par la social-démocratie. Aujourd’hui il reste à raconter les événements et à étudier les causes de cet échec. Si l’insurrection spartakiste de Berlin est maintenant connue, les révolutions - car on peut employer le pluriel en raison de leur manque de coordination - qui agitèrent le reste de l’Allemagne le sont moins. Parmi elles, la République des conseils de Bavière, l’une des plus radicales.

1 Contexte

Après la défaite de la France, l’Empire allemand (ou Deuxième Reich) est proclamé en 1871 par la réunion de 22 princes et trois villes libres dans un état fédéral dominé par la Prusse et son souverain. Mais la Bavière a pu conserver son statut de royaume et une certaine autonomie interne. Cette autonomie s’exprimait par l’absence de troupes prussiennes sur son territoire et l’existence d’un système parlementaire bavarois. La première chambre était composée d’aristocrates et de dignitaires nommés à vie par le souverain, la deuxième de députés élus, en majorité des conservateurs. Louis III qui prend le pouvoir en 1913 peut donc compter sur une certaine stabilité politique.

La capitale, Munich, est un lieu privilégié pour les artistes et la bohème littéraire du quartier de Schwabing. Malgré l’académisme régnant aux Beaux-Arts, des artistes comme le russe Kandisky ou Franz Marc tentent de promouvoir un art nouveau avec le groupe du « Cavalier bleu ». En marge de l’Expressionnisme, l’anarchiste Erich Mühsam anime le cercle Action (Tat) composé d’ouvriers, d’ artistes engagés comme le peintre Georg Schrimpf et d’écrivains tels que Oskar-Maria Graf, Karl Otten ou Franz Jung. Ce dernier nous a laissé des mémoires, assez désabusés sur cette époque de sa vie mais qui donnent une idée de l’isolement des révolutionnaires dans une région plutôt conservatrice .

Lors d’un meeting dans une brasserie, raconte Franz Jung, un groupe de syndicalistes appelle à la grève générale devant une assemblée hostile : « Mühsam, qui avait ensuite demandé la parole, était même parvenu jusque sur la tribune, flanqué et protégé par les membres de son groupe, figures fluettes et bien peu convaincantes en face des Bavarois de bonne souche qui remplissaient la salle. Ceux-ci avaient déjà commencé à donner plus de poids à leurs protestations et à leurs sauvages vociférations en bombardant la tribune de projectiles divers… »[1].

En effet, la Bavière compte une forte proportion de population rurale : 51% contre une moyenne de 34% dans le reste de l’Empire[2], qui plus est, cette population se compose de paysans moyens, assez aisés, catholiques et très réactionnaires. Notons enfin que le sentiment séparatiste y était très fort, les Bavarois conservant une certaine méfiance à l’égard des Prussiens et du pouvoir central depuis la création de l’Empire en 1871.

C’est donc dans un contexte apparemment peu favorable que va se déclencher un processus révolutionnaire en Bavière, car un facteur va modifier profondément cette situation : la Première guerre mondiale.

En 1914 la Bavière entre en guerre comme le reste de l’Allemagne. C’est l’union sacrée derrière l’empereur Guillaume II. Mais, peu à peu le conflit s’enlise. La pénurie et les privations provoquent le mécontentement de la population allemande. Après un hiver très dur en 1916, des troubles vont agiter tout le pays. De mars à novembre 1917, les ouvriers manifestent dans les principales villes d’Allemagne : Berlin, Hambourg, Leipzig…

2 Les organisations politiques

Les partis sont touchés à leur tour par la crise. Le parti social-démocrate (S.P.D.), la principale force non-conservatrice, soutenait ouvertement le militarisme. En conséquence il essuie une scission de députés qui refusent de voter de nouveaux crédits de guerre et qui constituent en avril 1917, au congrès de Gotha, un Parti_des_sociaux-démocrates_indépendants (U.S.P.D.) formant un ensemble assez hétérogène. La Ligue_spartakiste, dirigée par Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, y participe en conservant une certaine indépendance.

En Bavière la situation est assez différente. Le S.P.D. est comme partout ailleurs belliciste et partisan de l’Union sacrée mais le fossé se creuse entre des dirigeants comme Auer, la bureaucratie syndicale et certaines sections de base plus radicales, voire révolutionnaires. La tâche des responsables de la social-démocratie est d’abord d’éviter les débordements.

Les spartakistes sont inexistants à Munich, il n’y aura pas de groupe avant décembre 1918. Selon Roland Lewin, “la présence et l’action des anarchistes constituèrent un obstacle à leur essor dans cette région ”[3]. Il est vrai que ce courant comportait deux grandes figures. Erich Mühsam, tout d’abord. Cet écrivain est alors très connu dans la bohème littéraire. Il collabore avant-guerre à des revues comme Jugend, Simplicissimus et fonde la sienne, Kaïn qui tire à 3000 exemplaires. L’autre personnalité est Gustav Landauer (1870-1919), théoricien d’un socialisme libertaire original. Membre des Jungen, l’opposition de gauche au sein du parti social-démocrate, il quitte celui-ci en 1891. Délégué au congrés socialiste de Londres de 1896, Landauer est exclu comme tous les anarchistes après avoir condamné la participation des socialistes aux élections. Il est même expulsé physiquement de la salle après une intervention à la tribune. Grâce à son journal, Der Sozialist, il fédére plusieurs groupes qui donnent naissance à une organisation appelée Sozialistischer Bund, en 1908.

Partisan d’un socialisme moral voire « spirituel » (il parle sans cesse d’un « Esprit de la Révolution ») Landauer concevait ainsi son projet de société : « Un village socialiste avec des ateliers et des fabriques villageoises, avec des prairies, des champs, des jardins, du gros et du petit bétail, des volailles - Vous prolétaires des grandes villes, habituez-vous à cette pensée : si étrange et bizarre qu’elle puisse vous paraître, c’est là le seul commencement d’un socialisme réel qui vous soit laissé »[4].

Avant 1914 Mühsam avait tenté d’implanter à Munich un groupe de l’organisation de Landauer, qui prit le nom de Groupe Action et dont nous avons déjà parlé. Il s’éloigna très vite des positions de Landauer pour prendre une orientation anarcho-communiste[5]. Mühsam essayait de rassembler les éléments épars de l’anarchisme sur Munich et de se donner une assise en axant sa propagande vers les artistes de la bohême et le sous-prolétariat. C’est ainsi que les prostituées munichoises assistaient aux réunions du groupe accompagnées de leurs souteneurs, jusqu’à ce que Landauer, mécontent pour la réputation de son mouvement, dissolve le groupe !

Les sociaux indépendants (USPD) sont très influents malgré leur faiblesse numérique (environ 400 militants) grâce à la personnalité de leur leader, Kurt Eisner, un militant pacifiste. L’USPD agit notamment pour obtenir la libération des prisonniers politiques. Ce parti participe activement aux manifestations pour la paix.

Cette paix est de plus en plus souhaitée en Allemagne. Nul doute que le sentiment séparatiste des bavarois se trouve exacerbé par cette situation. Ils ressentent une forte rancune à l’égard des prussiens qui les ont entraînés dans cette guerre. Certains historiens ont limité à ce séparatisme la contestation en Bavière. C’est bien sûr excessif même si les révolutionnaires ont pu utiliser ce sentiment pour aller plus loin.

3 La chute de la monarchie

La chronologie de la contestation en Bavière n’est pas très différente de celle du reste de l’Allemagne, au moins au début. Après un cycle de manifestations, des grèves éclatent pour protester contre les restrictions et pour demander la paix. Elles atteignent leur point culminant entre novembre 1917 et janvier 1918. Les ouvriers de l’usine de munitions Krupp à Munich cessent le travail. Le 28 janvier Mühsam s’adresse à 10 000 travailleurs et appelle à la grève générale. Kurt Eisner fait de même mais la répression et les atermoiements du S.P.D. font échouer la grève. Dans sa pièce « Judas » (au titre évocateur !) publiée en 1921, Mühsam évoque le rôle démobilisateur des syndicats alliés au S.P.D. Nous publions un extrait de cette pièce en annexe. Après ces émeutes, le pays semble calme. Les dirigeants sont en prison ou envoyés au service civile et jusqu’en novembre 1918, l’agitation reste limitée. Rassuré, le pouvoir procède même à des libérations de prisonniers. Soudain tout bascule. A Kiel, un port du nord de l’Allemagne, les marins refusent de s’embarquer pour un baroud « d’honneur » de la flotte allemande alors que la défaite semble inéluctable. Ils se mutinent, créent des conseils de marins et s’emparent de la ville après des combats armés (1 - 4 novembre 1918). Par contagion des troubles se produisent alors dans tout le pays. Une grande manifestation en faveur de la paix se déroule à Munich le 7 novembre, avec l’autorisation des autorités qui veulent faire retomber la pression. D’ailleurs, Auer, le leader du SPD local, s’est porté garant de la modération des manifestants !. Il y a là l’U.S.P.D. qui semble bien encadrer le cortège, la Ligue des paysans, des membres du S.P.D. et une foule impressionnante. Le nombre des manifestants est estimé à 150 000 ou 200 000.

D’abord pacifiste, elle se transforme en émeute. Au son de La Marseillaise, les manifestants les plus décidés pénètrent à 17 heures dans l’école Guldein transformée en caserne puis dans la Turken Kaserne. Des soldats entraînent leurs camarades hésitants et la troupe se rallie. A la brasserie Mathoeser, des manifestants constituent un conseil des ouvriers et des soldats.

Apprenant que les régiments de la garde refusent de tirer sur la foule, le roi s’enfuit avec sa famille dans le Tyrol autrichien. La monarchie Bavaroise a vécu. C’est seulement le 9 novembre, soit deux jours après, qu’à Berlin le Kaiser prendra lui aussi la route de l’exil.

4 Proclamation de la République

Dans la nuit du 7 au 8 novembre, La République bavaroise est proclamée au Landtag à l’unanimité. Une déclaration d’Eisner est placardée dans Munich. En voici des extraits :

« “Un gouvernement populaire, porté par la confiance des masses, va être mis en place incessamment. (…) Le conseil d’ouvriers, de soldats et de paysans assurera le strict maintien de l’ordre : toute infraction sera sanctionnée impitoyablement. La sécurité des personnes et des biens est garantie. Dans les casernes, les conseils de soldats assureront le maintien de la discipline et prendront leur sort en main. Les officiers qui ne s’opposeront pas au nouvel état des choses pourront vaquer à leur service librement. Nous comptons sur l’aide active de l’ensemble de la population. Bienvenue à tous ceux qui voudront contribuer à bâtir cette liberté nouvelle. Tous les fonctionnaires demeurent à leur poste. Des réformes sociales et politiques fondamentales vont être mises en œuvre sans délai. Les paysans garantissent l’approvisionnement des villes. La vieille opposition ville/campagne va disparaître. La distribution des vivres sera organisée rationnellement (…) Pour la Bavière, la guerre fratricide des socialistes a pris fin. Sur la base révolutionnaire actuelle les masses ouvrières vont retrouver le chemin de l’unité. »

L’esprit de ce texte va dans le sens d’un apaisement. Pas de purge dans l’administration et dans l’armée. On insiste sur l’absence de violences et Eisner invite à serrer les rangs. D’ailleurs, par la promesse qu’il n’y aura pas d’effusion de sang, les chefs du S.P.D. acceptent de participer à un gouvernement provisoire.

Kurt Eisner en devient le chef ou Präsident-Minister et aussi le ministre des Affaires étrangères. Le serrurier Unterleitner (U.S.P.D.) reçoit un poste moins stratégique, celui des Travaux publics. En revanche, Auer, leader du S.P.D. est à l’Intérieur, trois autres sociaux-démocrates, Timm, Rosshaupter, et Hoffmann s’occupent respectivement de la Justice, des Affaires militaires, et des Cultes. La Ligue des paysans, des sans-parti et d’autres U.S.P.D. participent au gouvernement provisoire.

La situation manque de cohérence puisque coexistent des conseils ouvriers et ce gouvernement dirigé par Eisner où siègent à des postes-clés, les leaders du S.P.D., bien décidés à s’opposer à cette révolution. C’est en fait le règne de l’ambiguïté, ce qui ne va pas tarder à provoquer des dissensions.

D’où viennent ces « conseils » d’ouvriers et de soldats qui éclosent un peu partout en Allemagne ?

On peut leur trouver une justification dans l’ oeuvre de l’anarchiste Bakounine ou des précédents historiques pendant la Commune de Paris, voire même lors de la Révolution française (avec les sections de quartiers tenues par les sans-culottes parisiens en 1793) mais leur origine directe remonte seulement à la Révolution russe de 1905. Le soviet russe est l’équivalent du conseil allemand (« Rat »). Selon Oskar Anweiler on peut définir les conseils ainsi :

"1. Assujettissement à une catégorie sociale placée dans une relation de dépendance ou d’oppression ;

2. Démocratie directe ;

3. Mode révolutionnaire d’institution" [6];

Ces assemblées générales s’opposent au pouvoir central et concurrencent les syndicats ouvriers, soit parce que ceux-ci sont inexistants comme en Russie, soit parce qu’ils jouent un rôle contre-révolutionnaire comme en Allemagne en étant inféodés au SPD et bellicistes. Les conseils deviennent donc l’outil de lutte des révolutionnaires qui peuvent espérer former des républiques fédérées. Ce n’est pas encore le cas à Munich où ils sont en rivalité avec le gouvernement d’Eisner.

5 La République d’Eisner (8 novembre 1918 - 21 février 1919).

Écrivain, journaliste et éditeur, Eisner laisse perplexe lorsqu’on étudie ses idées. Ses convictions proviennent moins d’une théorie politique cohérente que de son caractère. Ce n’est pas vraiment un révolutionnaire. A Erich Mühsam qui le rencontre en 1917, il déclare être jauressiste. Pour Mühsam il était en fait plus près du révisionnisme d’Edouard Bernstein. Il se situe à l’aile droite de l’USPD, étant nettement hostile à une révolution socialiste ou communiste. Et pourtant, son parti avait proposé la nationalisation des grandes entreprises capitalistes (banques, mines, métallurgie, transports), celle des grandes propriétés foncières et la municipalisation du sol dans les villes.

Mais Kurt Eisner ne veut pas de transformation sociale dans l’immédiat. Devant le comité exécutif des conseils berlinois il déclare : « Je ne tiens pas pour tout à fait juste la conception mystique selon laquelle le transfert des moyens de production à la société doit être réalisé en ôtant le pouvoir à la bourgeoisie. » Eisner, qui était plutôt réticent à l’égard des conseils, apparaît comme le principal agitateur aux yeux de l’électorat. Les sociaux-démocrates et la droite demande sa démission mais Eisner refuse. Puisque l’équilibre est rompu au détriment des conseils, il va s’appuyer désormais sur ceux-ci. Lui qui faisait arrêter Mühsam et les communistes, participe avec eux à une grande manifestation des conseils le 16 février 1919 au cours de laquelle on réclame le départ des ministres S.P.D. et l’instauration du socialisme sous des banderoles telles que « Tout le pouvoir aux Conseils ». Le même jour une manifestation similaire à Nuremberg se termine par deux morts.

A la mi-février se déroule à Munich le congrès des conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats. Eisner réussit à se faire élire au conseil central. « Il s’imaginait en s’y montrant publiquement comme un dirigeant révolutionnaire de toute confiance pour les masses, gagner une popularité qui ne s’était pas affirmée par le biais des élections ».

Cette attitude le condamne à mort. La presse s’acharne sur lui, en excitant les esprits. Eisner décide finalement de démissionner. Le 21 février 1919, en se rendant au parlement dans ce but, il est assassiné par un officier d’extrême droite, le comte Arco-Valley, peut-être membre d’un complot visant à éliminer tous les chefs révolutionnaires, et qui lui tire une balle en plein front. L’émotion est grande dans les milieux populaires. Un ouvrier membre des conseils et du RAR, Aloïs Lindner, entre peu après dans la salle du parlement et fait feu en pleine séance sur Auer, jugé responsable, qui s’écroule, grièvement blessé. Un député de droite, Heinrich Osel, le chef du Parti populaire bavarois, est abattu par un autre tireur quelques minutes plus tard.

Après sa mort, Eisner reçoit une auréole de martyr révolutionnaire. Cent mille personnes, dont des anciens prisonniers russes suivent son cortège funèbre à travers la ville sous une nuée de drapeaux rouges jusqu’au cimetière de l’Est où son corps est incinéré. Mais avec lui disparaît tout arbitrage entre les conseils et le gouvernement. Un affrontement direct semble inévitable.

6 L’intermède d’Hoffmann (21 février - 6 avril 1919)

Le jour même de la mort d’Eisner est créé le conseil central de la République qui décrète l’état de siège et la grève générale. Tous les journaux sont suspendus pour dix jours. Ce conseil central est composé de onze membres dont Mühsam pour les anarchistes, Max Levien pour le K.P.D. et des membres de l’U.S.P.D., du S.P.D. et de la Ligue des paysans. La présence de membres du S.P.D. ne doit pas surprendre. La présidence du conseil central est même confiée à l’un d’eux, Ernst Niekisch. Pour certains membres du S.P.D., il s’agit de ne pas abandonner les conseils aux révolutionnaires. Pour d’autres, c’est un engagement sincère mais ils sont peu nombreux à agir honnêtement.

Le nouveau gouvernement est constitué le 17 mars 1919 avec à sa tête Johannes Hoffmann, ancien ministre SPD sous Eisner. Mais dès que ce gouvernement veut se réunir, une manifestation l’en empêche. Pourtant Hoffmann semble plus modéré que ces collègues berlinois, à cause peut-être de la faiblesse de son pouvoir. Il ne s’oppose pas à des mesures sociales et nomme le docteur Neurath président d’un “conseil économique central ” pour les socialisations. Mais ces socialisations resteront lettre morte devant l’opposition de la bourgeoisie. Hoffmann n’appliquera jamais son projet de “socialisation complète ” dont on peut douter de la sincerité car il semble plutôt motivé par la crainte d’être débordé par les révolutionnaires.

Dès la formation du gouvernement Hoffmann, les anarchistes et les communistes ont quitté le conseil central pour se consacrer à l’agitation révolutionnaire. L’impuissance du gouvernement n’est pas la seule cause du mécontentement de la classe ouvrière. A cela s’ajoute le chômage (30 000 sans-emploi à Munich). De plus, la proclamation de la République des conseils de Hongrie le 21 mars 1919 a un impact considérable en Bavière comme l’atteste un télégramme du délégué à Munich du gouvernement central berlinois : “ Les tendances radicales se sont considérablement développées ici en raison des évènements de Budapest (…) Le gouvernement qui voit bien l’extrême danger de la situation est impuissant faute de troupes sûres et en raison du glissement à gauche des masses ”.

Les thèses radicales trouvent donc un meilleur écho parmi les ouvriers et les soldats munichois. Mühsam juge qu’il est temps de proclamer une république des conseils, sur le modèle hongrois. Il est membre du conseil central révolutionnaire (à ne pas confondre avec le précédent conseil central qui avait éclaté après le départ des révolutionnaires) qui n’attend qu’une occasion pour renverser Hoffmann. Cette occasion se présente le 4 avril 1919.

Ce jour-là une délégation des conseils d’Augsbourg, ville des environs de Munich, réclame la République. En effet ces ouvriers qui sont en pleine grève générale, viennent d’apprendre que le gouvernement a décidé de convoquer le parlement pour le 8 avril. Il s’agit donc de le prendre de vitesse.

L’initiative de la République des conseils appartient avant tout aux ouvriers. Alors que les militants débattent encore de son opportunité, son principe est déjà acquis dans les communes de la banlieue munichoise.

Finalement la garnison de Munich et la plupart des formations politiques (y compris certains sociaux-démocrates !) approuvent la République des conseils. Seuls les communistes s’y opposent et refusent les postes de responsabilités qui leur sont proposés.

Dans la nuit du 6 avril, le conseil central se réunit au palais des Wittelsbach et là, dans l’ancienne chambre à coucher de la reine, on met au point les derniers préparatifs. Des responsables sont désignés, une proclamation doit être placardée dans toute la ville. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Hoffmann s’enfuit avec son gouvernement. Munich est aux mains des révolutionnaires.

7 La République libertaire des Conseils (7 avril - 13 avril 1919)

C’est Mühsam qui a rédigé le texte de la proclamation signé ensuite par Toller. Le voici dans ses grandes lignes  :

« La dictature du prolétariat est une réalité ! Nous prenons tout de suite contact avec la Russie et la Hongrie ! Il n’y a plus de rapport entre la Bavière socialiste et le gouvernement de l’empereur. Un tribunal révolutionnaire sanctionnera tout acte réactionnaire. Les mensonges de la presse vont cesser : la nationalisation des journaux assurera la vraie liberté de la presse pour le peuple révolutionnaire. Le nouveau gouvernement organisera aussi vite que possible de nouvelles élections, sur lesquelles se fondera le système des conseils qui laissera au peuple travailleur le pouvoir de décision (…) Sur le modèle de la République des conseils, la société socialiste s’étendra et ne connaîtra plus de chômage ni de pauvreté. En union avec la Russie révolutionnaire et la Hongrie la nouvelle Bavière instaurera l’internationale révolutionnaire et montrera au monde les chemins de la révolution. Prolétaires vivez en paix les uns avec les autres ! Nous n’avons qu’un ennemi commun : la réaction, le capitalisme et l’exploitation. Et c’est contre cet ennemi que tous les partisans de la lutte doivent rester unis. Au travail ! Chacun à son poste ! Vive le peuple libre bavarois ! Vive la république des conseils !  »

Il semble que Mühsam se soit laissé un peu emporter par l’exemple de la révolution russe puisque ce texte aurait pu facilement être revendiqué par le K.P.D. : on y trouve même la notion de dictature du prolétariat ! Un autre militant allemand, Rudolf Rocker réfutera plus tard ce genre de confusion dans un article intitulé “le Système des Soviets ou la Dictature du Prolétariat ? ” en écrivant : “ L’idée des “soviets ” est une expression définie de ce que nous entendons par la révolution sociale ; elle correspond à la partie constructive tout entière du socialisme. L’idée de la dictature est d’origine purement bourgeoise et n’a rien de commun avec le socialisme ”. Plus tard, Mühsam prendra conscience de l’ambiguïté de ce concept et déclarera que “les anarchistes ont raison de se servir le moins possible du terme de “dictature du prolétariat ”. Mais sur le moment il le revendique sans ambigüité.

L’opposition du parti communiste affaiblit considérablement la nouvelle République - jugeant que la République était inopportune. Si les ouvriers arpentent les rues en habits du dimanche, dans une atmosphère de fête (que l’on retrouve pendant la Commune ou, plus tard à Barcelone en 1936) tandis que les bourgeois se terrent, la révolution ne s’étend pas plus loin que les faubourgs de Munich. Les corps francs, ces groupes paramilitaires d’extrême droite, tiennent le nord de la Bavière. Les ouvriers de Nuremberg essayeront en vain d’imiter leurs camarades de Munich au cours de sanglantes batailles de rues.

Malgré ces difficultés, les commissaires promulguent de nombreux décrets. E. Volkmann en cite quelques-uns uns :

« Landauer réforme le régime de l’instruction et de l’éducation. Il déclare : “Chacun travaillera selon ce qui lui semblera bon ; tout assujettissement est supprimé, l’esprit juridique n’a plus cours.” Les instituteurs et les fonctionnaires en charge seront destitués au plus tôt, les examens et les titres universitaires seront réduits au strict minimum. Tout citoyen de dix huit ans révolus a le droit de fréquenter les universités. L’enseignement de l’Histoire, cette ennemie de la civilisation, est interdit. 

Un commissaire du peuple préposé au régime de l’habitation ordonne la réquisition de tous les logements sur le territoire de Bavière. Chaque famille n’aura droit dorénavant qu’à un seul living-room, à côté de la cuisine et des chambres à coucher. D’autres dispositions ont trait à la socialisation intégrale, avec renouvellement intégral du système des finances et des devises.

Ces mesures ne seront jamais appliquées, par manque de temps et aussi parce que les institutions mises en place par les révolutionnaires sont inefficaces. Le projet d’une armée populaire ne peut voir le jour, faute de moyens. Les riches refusent de remettre leurs armes. Leviné écrit assez justement dans Die Rote Fahne, le journal des communistes :

« En Bavière, pas un seul prolétaire n’a reçu d’arme. Pas un seul bourgeois ne s’est vu retirer les siennes. Alors que le prolétariat cherche à comprendre et se presse aux réunions, il ne doit plus se trouver dans la rue au delà de huit heures du soir… (à cause du couvre-feu, NDLA). Le colonel Epp (chef des corps francs, NDLA) rassemble déjà ses volontaires. De partout, la bourgeoisie envoie ses étudiants et autres fistons pour l’aider ».

Malgré le parti pris de Leviné, il est vrai que la République était fortement menacée. A l’intérieur même de Munich, le nouveau régime, généreux mais peu gressif, est miné par le sabotage et sa faiblesse l’empêche de prendre des mesures efficaces. Mais le danger immédiat vient surtout des divisions politiques. Les communistes organisent de nombreux meetings et proposent de constituer de nouveaux conseils (des “conseils de travail ”) qui seraient bien sûr sous leur influence. Une réunion se tient le 9 avril à la brasserie Mathoeser. Leviné incite les participants à renverser la République des conseils et à donner le pouvoir au K.P.D. Il va obtenir gain de cause lorsque Toller demande la parole et convainc l’assistance de renoncer à ce projet.

Le comportement de Leviné provoque des conflits au sein du parti. Lorsqu’il demande à ses sympathisants de quitter le R.A.R., certains militants démissionnent du K.P.D. ou agissent contre les consignes de la direction mais celle-ci obtient gain de cause puisque le R.A.R. finit par éclater.

Entretemps, Hoffmann rassemble huit mille hommes qui passent à l’action le 13 avril. Ce jour là, une partie de la garnison de Munich officiellement ralliée aux Conseils s’empare de la ville par surprise. Dans la nuit, Erich Mühsam et douze commissaires du peuple sont arrêtés et emmenés jusqu ‘à la forteresse d’Ansbach où ils resteront détenus. Des affiches placardées dans les rues proclament l’état de siège et la destitution du conseil central. Ainsi s’achève la première République des conseils. Après quelques jours, les poètes et les écrivains qui la dirigeaient sont brutalement évincés.

Comment cette République a-t-elle pu s’effondrer aussi vite ? Nous avons évoqué l’attitude du K.P.D. mais l’opposition des communistes n’est pas la seule raison de l’échec de la République. L’inexpérience de ses délégués, le manque de coordination et de moyens ont pu jouer. De plus des militants comme Landauer préféraient les envolées lyriques aux problèmes terre à terre.

8 Seconde République des Conseils (14 avril - 30 avril 1919)

Sous la direction d’un certain Aschenbrenner, les putschistes occupent la gare et attendent l’armée d’Hoffmann qui se dirige vers Munich. Mais les ouvriers ne veulent pas renoncer à la république. Spontanément la défense s’organise alors que les révolutionnaires ne disposent que de quelques fusils. Pourtant l’élan est tel qu’ils repoussent partout les soldats. A dix heures les ouvriers ont repris la gare et les principaux bâtiments. La dernière résistance vient du lycée Luipold où se sont barricadés des militaires. Sous la direction de Toller, les ouvriers l’encerclent et obtiennent la reddition des soldats tandis qu’Aschenbrenner s’enfuit sur une locomotive en emmenant ses prisonniers.

Ce succès est dû à la détermination des ouvriers munichois. La majorité d’entre eux n’avaient pas une idée très nette du projet de société qu’elle souhaitait et s’en remettait souvent aux militants expérimentés mais elle était farouchement opposée au retour d’Hoffmann. Comme l’écrira Toller : « Le peuple savait ce qu’il ne voulait pas mais pas ce qu’il voulait ».

Il faut reconnaître que la résistance n’a pas été très acharnée. Les soldats n’étaient pas motivés, Toller affirme même qu’on leur avait promis 300 Marks pour trahir les conseils. Quant à la tentative de putsch, elle était impopulaire, y compris chez les militants de base du S.P.D. « Les sociaux-démocrates ne se sont pas risqués à organiser des réunions de leur propre parti tant ils avaient peur d’avoir la tête brisée par leurs propres militants ». Si les conseils sont à nouveau maître de la ville, il semble difficile de reconstituer l’ancien Conseil central décapité par les arrestations. Les communistes tirent profit de cette situation alors qu’ils n’ont joué aucun rôle directeur pendant les combats. Le K.P.D. parvient à faire élire par les conseils d’entreprises un nouveau Conseil central entièrement contrôlé par eux. Le pouvoir réel est transféré à un comité d’action majoritairement communiste qui élit deux conseils, l’un exécutif, l’autre voué à un rôle de contrôle.

Sous la direction de l’ancien marin de Kiel, Rudolf Egelhofer, les armes sont confisquées aux bourgeois afin d’équiper les ouvriers. Leviné présente les décisions du pouvoir communiste : expropriation des banques, des véhicules, de logements, création de diverses commissions de gestions et d’un bulletin de liaison. Le parti se trouve bien sûr derrière chaque décision et les conseils perdent toute autonomie. Les mesures efficaces sont à ce prix pour le K.P.D.

La tâche principale des nouveaux dirigeants consista surtout à organiser une police - fait plutôt révélateur - sous la direction de Ferdinand Mairgünther et de Karl Erde (“Retslaw”) et une nouvelle armée rouge commandée par Rudolf Egelhofer. Comme le rappelle P. Broué, l’équipe de Léviné travaillait en relation avec la direction du KPD. “Retzlaw” rencontre celle-ci, dûment mandaté par ses camarades munichois le 14 avril et ramène avec lui un dirigeant, Paul Frölich. Le programme de Léviné est en fait celui de la Ligue Spartakus. De plus, un ancien chef de la Ligue des soldats rouges de Berlin, Willy Budich, assiste Egelhofer dans l’organisation militaire. Les ouvriers munichois ont abandonné leur sort entre les mains d’un état-major qui condamnait peu de temps auparavant le projet d’une République des conseils !

Les communistes en profitent aussi pour régler quelques comptes. Landauer est tenu à l’écart malgré ses offres de service. Toller manque d’être arrêté car les leaders du K.P.D. le détestent mais les ouvriers s’y opposent et exigent même qu’un poste de responsabilité lui soit confié.

Au sein des conseils rien ne va plus. La dernière assemblée des conseils, le 27 avril, est agitée. On y critique l’autoritarisme des communistes. Après avoir obtenu leur démission, les ouvriers désignent de nouveaux responsables. Ce nouveau gouvernement n’aura pas le temps,hélas ! , de faire ses preuves. La ville de Munich est complètement encerclée à la fin du mois d’avril.

Jusqu’au 2 mai les révolutionnaires opposent une résistance acharnée, maison par maison. Dans le centre de la ville, des bourgeois et des étudiants, enhardis par la progression des blancs, reprennent les bâtiments administratifs aux ouvriers. Gustav Regler, témoin des combats, affirme que Toller aurait commis une erreur stratégique en oubliant de protéger le marais de Dachau, ce qui aurait permis de couvrir la retraite de ses hommes. Cette hésitation aurait livré au massacre des milliers d’ouvriers. Est-ce bien sûr ? Les moyens utilisés par l’ennemi étaient considérables et il n’est pas sûr que les ouvriers munichois auraient abandonné leurs familles pour s’enfuir à travers une campagne hostile, entouré par une armée cent fois supérieure…

La répression est atroce. On fusille à tour de bras les prisonniers. Landauer est arrêté dans la maison d’Eisner et battu sauvagement par les soldats sur le chemin de la prison. On lui arrache les poils de la barbe par touffes puis on le déculotte et un soldat de l’armée social-démocrate lui vide son chargeur dans l’anus. Une fin atroce pour l’apôtre pacifique de la Révolution. Egelhofer est liquidé tout aussi sommairement. Quant à Marut/Traven, il échappe de peu au même sort. Un de ses amis raconte : “(…) on lui a passé les menottes avec un autre condamné et on les a poussés dans un camion pour les emmener fusiller. La porte arrière du fourgon n’était pas bien fermée. Ils ont réussi à l’ouvrir et ils ont sauté. L’autre est mort sur le coup. Traven s’est acharné jusqu’à arracher son poignet de la menotte et a pu s’enfuir…”. Les soldats et les bourgeois armés violent et humilient les femmes, tirent sur les prisonniers au bas-ventre pour prolonger leurs souffrances et dépouillent les cadavres. Le bilan de ces journées est de 700 morts, peut-être mille, enterrés dans des fosses communes faute de place. C’est une “bavure” qui met fin au carnage, 21 membres d’une association catholique ayant été assassinés par “erreur”, la soldatesque doit accepter de présenter ses prisonniers à la justice au lieu de les assassiner sommairement.

Satisfait de la répression, Noske envoie le télégramme suivant au commandant de l’armée : “Je vous exprime mon entière reconnaissance ainsi que mes meilleurs remerciements aux troupes pour la conduite pleine de précaution et couronnée de succès des opérations de Munich ”.

Plus tard on tentera de justifier ces massacres par l’exécution de sept otages, seul fait pouvant être imputé aux conseils. Ces otages appartenaient à la société d’extrême droite Thulé (dont étaient membres de futurs nazis comme Rudolf Hess ou Rosenberg et l’assassin d’Eisner). Trouvés porteurs de faux tampons et papiers de la République des conseils, ils avaient été arrêtés, à juste titre, pour espionnage. Excédé par les atrocités commises par les blancs, le commandant du lycée Luipold ordonna de les fusiller malgré les protestations de l’assemblée des Conseils.

Comme lors de la Commune de Paris ou en Hongrie, ces morts serviront à justifier des massacres cent fois supérieurs. On retrouve aujourd’hui dans presque tous les ouvrages évoquant la République des conseils cette arithmétique surprenante. Comme disait Albert Camus : “ Il n’y a pas d’équivalence dans le monde de la puissance et les maîtres calculent avec usure le prix de leur propre sang ”. Ce qui est certain, c’est que les massacres avaient commencé bien avant l’exécution des otages. Ceux-ci ne peuvent donc servir d’explication. Il s’agit plutôt d’une décision délibérée de décimer le mouvement révolutionnaire comme à Berlin en janvier 1919 et comme en Hongrie un peu plus tard, en août 1919 (plus de 5000 victimes, parfois dans des conditions atroces : viols au fer rouge, mutilations…). En étudiant cet épisode sanglant, l’historien allemand Sébastian Haffner a raison d’écarter les explications habituelles de « dérapage » ou « d’accident » (que l’on utilise aussi pour justifier la représsion contre la Commune de Paris). Ce fut, par exemple, le lynchage de Landauer , « … non pas dans un moment de rage, mais lors d’une espèce de fête de la victoire et parmi des cris de joie. ». Les Terreurs blanches attendent toujours leur historien.

Après la justice sommaire commence la justice légale. Leviné et un autre révolutionnaire, Seidel, sont condamnés à mort et exécutés deux jours plus tard, le 5 juin après une parodie de procés. Les autres prisonniers (184 au total) comme Mühsam ou Toller reçoivent de lourdes peines de prison qu’ils purgeront dans la forteresse de Niederschönenfeld. La plupart d’entre eux bénéficieront de l’amnistie prévue pour Hitler en 1924 après son putsch. Quelques années plus tard, Erich Mühsam lancera un appel à son ami Ret Marut pour obtenir des nouvelles de lui. En vain. (voir ce texte en annexe). Après s’être enfui à travers l’Europe, le révolutionnaire allemand a commencé incognito une carrière d’écrivain au Mexique…

9 Bilan des conseils de Bavière.

Dans toute l’Allemagne et plus particulièrement en Bavière, les conseils d’ouvriers et de soldats ont été la forme d’organisation spontanée du prolétariat allemand. Cette structure pyramidale, partant de la base, constitua une alternative révolutionnaire au système parlementaire. Cependant il faut reconnaître que les conseils ont connu des échecs. Certains se sont effondrés sans combattre et ont accepté de céder la place au parlement. D’autres se sont montrés plus solides comme en Bavière mais on retrouve en Russie, en Hongrie, en Italie et en Allemagne certains défauts dans le système des conseils. Nous n’entrerons pas ici dans le débat théorique sur les conseils. Nous renvoyons en bibliographie à quelques ouvrages portant sur le sujet. Ce qui nous intéresse, ce sont les imperfections qui ont pu gêner les conseils bavarois.

9.1  Les partis et les institutions.

Les conseils n’ont pas exclu de leur fonctionnement les partis politiques. Au contraire, ils ont été le champ clos de leurs querelles. Le S.P.D. a souvent neutralisé les conseils par son travail de sape. Le Parti Communiste a tenté comme en Russie de noyauter les conseils ouvriers et les assemblées d’entreprises se réduisaient parfois à enregistrer des décisions conçues ailleurs. Autre défaut : le sort des anciennes institutions. Car les conseils ne les suppriment pas réellement. Ils construisent à côté, les rendant ainsi inutiles. Mais en laissant subsister d’anciens réseaux de police et d’autres administrations, ils ouvrent la porte à tous les sabotages. La république des conseils se contenta d’un serment de fidélité des anciens fonctionnaires ! Les anarchistes italiens chèrchèrent à en tirer des leçons en faisant voter au congrès de l’U.S.I. (syndicat révolutionnaire) de décembre 1919 une motion incitant à la démolition réelle de l’appareil d’État. “ Puisqu’on ne peut vaincre l’État en l’ignorant, du fait qu’il peut faire sentir sa présence à tout moment en mettant en marche son mécanisme de contrainte et de sanction, il faut détruire aussi ce mécanisme. Les conseils ne peuvent accomplir cette opération et pour cela ils demandent l’intervention d’une force politique organisée ; le mouvement spécifique de la classe, qui porte à terme une telle mission. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut éviter que le bourgeois, jeté par la porte dans ses vêtements d’industriel ne rentre par la fenêtre déguisé en policier ”.

9.2  Une république inopportune ?

Fallait-il proclamer la République des Conseils ? Cette question provoque encore des controverses. Il est un peu facile avec le recul de l’historien de déclarer que les conseils de Bavière étaient condamnés. Bien sûr, on trouve dans les déclarations de leaders comme Leviné ou Toller un certain pessimisme. Ceux-là avaient bien vu que la révolution était partout réprimée en Allemagne et que la population ne comprenait pas vraiment ses objectifs. Mais les ouvriers refusaient le retour à l’ancien système. La défense spontanée de la république le 14 avril 1919 le prouve. Ce qui se passait en Russie parut un exemple à suivre. Et si la Bavière était isolée du reste de l’Allemagne en mars 1919, il ne faut pas oublier qu’en Autriche et en Hongrie les conseils s’étendaient.

Une jonction entre les républiques de conseils hongroise et bavaroise par l’Autriche était envisagée par certains contemporains. L’armée hongroise des conseils, bien équipée et nombreuse était autrement plus efficace que celle des Bavarois, mettant en échec les Tchèques et les Roumains sur deux fronts au moment où l’agitation gagnait l’Autriche. Comme l’écrit A. Dauphin-Meunier : “En un jour, l’armée magyare aurait pu gagner Vienne. En une heure, déclara plus tard le président du Conseil autrichien Seitz, les Conseils ouvriers d’Autriche auraient renversé la république démocrate (…) La route de Vienne à Munich était ouverte. Rapidement, les révolutionnaires, par Linz, Ried et Simbach, pouvaient opérer leur jonction avec les Bavarois.”.

Malheureusement, la Hongrie révolutionnaire s’était choisie comme leader Bela Kun, trop timoré pour affronter des démocraties libérales parfaitement conscientes, elles, des enjeux politiques. Clemenceau, au nom de la France, sut le berner par des promesses de négociations (le mensonge n’est pas l’apanage des régimes totaliiaires) tout en organisant l’écrasement de la Hongrie après avoir exigé des autorités allemandes celui de la Bavière. Mais il faut tenir compte du contexte de l’Europe centrale et pas seulement de l’Allemagne si l’on veut comprendre la proclamation de la République à Munich.

9.3  Bilan politique.

L’attitude du K.P.D. a été plutôt critiquable. Les communistes ont boycotté la République lors de sa proclamation tout en noyautant dans le même temps les conseils d’entreprises. Lorsque les circonstances leur furent favorables, ils prirent pour eux seuls la direction des affaires sans se montrer plus compétents d’ailleurs. Les justifications fournies à posteriori ne tiennent pas : si la révolution n’était pas mûre en Bavière pourquoi le serait-elle devenue après les manœuvres du K.P.D. dans les conseils ? Il faut mettre à leur passif d’avoir exacerbé les divisions internes sans parler de la tentative de renverser la République le 11 avril 1919.

Les anarchistes ne sont pas suspects d’autoritarisme pendant leur gestion mais plustôt d’un certain amateurisme. au point de négliger leur propre organisation. Les effets s’en firent sentir lorsqu’il fallut défendre la République des conseils. La deuxième critique porte sur l’attitude de certains de leurs militants qui préféraient les discours aux actes ou manquaient parfois de réalisme. Que penser d’un Landauer suggérant lors de l’encerclement de Munich d’envoyer en émissaire un enfant vêtu de blanc pour attendrir les soudards ! Dans ses mémoires, Gustav Regler raconte qu’il aurait demandé audience à Landauer pour lui demander des armes et que celui-ci aurait alors répondu : “Je n’ai pas d’armes à te donner. N’as-tu pas d’autres moyens de persuasion pour des garçons de ton âge ?” ! On cite souvent les propos enthousiaste du poète Rilke (qui sera expulsé de Munich pour cette raison lors de la répression) mais on aimerait connaître davantage l’avis des ouvriers des Conseils tombés en aussi grand nombre… Et pourtant les anarchistes ont joué un rôle essentiel dans les conseils de Bavière mais le manque d’expérience ajouté aux difficultés locales les ont empêchés de faire de la Bavière le lieu d’une expérience libertaire.

 Conséquences de la répression.

Les sociaux-démocrates ont une lourde responsabilité historique. Ils n’ont trouvé comme solution que d’écraser les conseils à tout prix, ce qui les a conduit à introduire le loup dans la bergerie. En effet, les sociaux-démocrates sont responsables de l’implantation du nazisme dans sa région d’origine, la Bavière. Parmi les troupes qui écrasèrent la République des conseils se trouvaient de futurs nazis comme Rudolf Hess ou Röhm. A tel point qu’avoir participé à la répression devint un titre de gloire parmi les activistes d’extrême droite. Adolf Hitler, simple mouchard à cette époque, affirme sans la moindre preuve dans “Mein Kampf ” que trois hommes des conseils seraient venus l’arrêter mais qu’il les aurait mis en fuite ! Un mensonge destiné à se valoriser auprès des anciens de l’armée blanche qui peuplaient son parti. Ce qui est plus grave, c’est que la région de Munich fut livrée à la soldatesque et à l’extrême droite. La police se plaignit même de ne plus rien contrôler !

Le S.P.D. ne profita pas du bain de sang qu’il avait organisé. Peu de temps après, Hoffmann fut mis en minorité au parlement local et dut céder sa place à la droite. Une situation quasi insurrectionnelle s’instaura en Bavière. Ce fut la seule région où réussit le putsch d’extrême droite de Kapp en 1920 et c’est à Munich que se produisit celui d’Hitler en 1923 avec beaucoup de ceux qui avaient écrasé la République des conseils.

9.4 Notes et références

  1. F. Jung : Le scarabée-torpille, Ed. Ludd, 1993 , p.98
  2. Chiffres de 1907, cités par R. Furth : “Les conseils ouvriers en Allemagne”, in La Marge, n°9, Strasbourg, s.d.
  3. R. Lewin : Erich Mühsam, Paris, 1968, p. 5
  4. Cité par M. Buber : Utopie et socialisme, Paris, 1977, p.97
  5. Voir à ce sujet : E. Mühsam : La Société libérée de l’Etat, op. cit.
  6. O. Anweiler : Les soviets en Russie (1905-1921) , Paris, 1972, p.2

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