Prolétarisation

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La prolétarisation est le processus conduisant la paysannerie ou la petite bourgeoisie, plus généralement les "classes moyennes", à "tomber" dans le prolétariat. La prolétarisation est liée à l'industrialisation capitaliste.

1 Généralités et perspectives

La prolétarisation apparaît d'abord comme un processus inhumain et régressif. En arrachant des individus à leurs moyens de production, elle les soumet au marché capitaliste et en dernière instance aux grands bourgeois qui le dominent.

Mais dans une perspective historique plus large, le renforcement de la classe ouvrière est précisement le terreau qui rend objectivement possible la révolution socialiste. En effet, en remplaçant des classes sociales diverses et éparses par deux principaux camps aux intérêts opposés, bourgeoisie et prolétariat, et en accentuant la contradiction entre les forces productives énormes et la propriété privée capitaliste, le développement du système créé les conditions de son propre dépassement.

« Dès que ce procès de transformation a décomposé suffisamment et de fond en comble la vieille société, que les producteurs sont changés en prolétaires, et leurs conditions de travail, en capital, qu'enfin le régime capitaliste se soutient par la seule force économique des choses, alors la socialisation ultérieure du travail, ainsi que la métamorphose progressive du sol et des autres moyens de production en instruments socialement exploités, communs, en un mot, l'élimination ultérieure des propriétés privées, va revêtir une nouvelle forme. Ce qui est maintenant à exproprier, ce n'est plus le travailleur indépendant, mais le capitaliste, le chef d'une armée ou d'une escouade de salariés. [...] La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés. »[1]

C'est ce processus qui permet de dire qu'une perspective progressiste peut émerger de la prolétarisation, violente et réactionnaire. Marx disait que c'était une illustration du phénomène dialectique de la « négation de la négation ». Trotsky parlait d'une « œuvre à la fois progressiste et barbare ».[2]

2 Les différentes classes ou couches moyennes

2.1 Prolétarisation de la paysannerie

Le phénomène le plus marqué est sans conteste la prolétarisation de la paysannerie depuis la Révolution industrielle. Celle-ci est associée à l'exode rural et à la croissance des villes. Réalisé de force en Angleterre avec le mouvement des enclosures, cet exode rural s'est généralisé à tous les pays capitalistes depuis le 19e siècle, et aux pays dominés depuis le 20e siècle et le stade impérialiste.

2.2 Prolétarisation de la petite-bourgeoisie

La prolétarisation des couches petites-bourgeoises a également constitué une grande tendance. Elle peut être le fruit de faillites ou de rachats face aux grands capitalistes, de pertes de chiffre d'affaire suite à la paupérisation des masses, voire d'un choix lorsque la condition a pu paraître plus souhaitable.

L'artisanat à l'ancienne a subi une forte baisse dans le monde face à la concurrence de l'industrie. La plupart du temps, il ne subsiste que dans des secteurs très spécifiques où le travail est effectué sur mesure (restauration de patrimoine, artisanat de luxe...).

Cependant, des secteurs petit-bourgeois sont apparus avec certaines techniques modernes. En 1937, Trotsky écrivait que « le développement du capitalisme a accru de façon extraordinaire l'armée des techniciens, des administrateurs, des employés de commerce, en un mot de tout ce qu'on appelle "la nouvelle classe moyenne". »[2]

3 Tendance et contre-tendances

La prolétarisation est donc inséparable du capitalisme. Mais cela ne signifie pas que celle-ci suit une loi linéaire au cours du temps. Trotsky revient notamment, 90 ans après, sur ces contre-tendances que les jeunes auteurs du Manifeste communiste n'avaient pas vu :

« Se référant surtout à l'exemple de la "révolution industrielle" anglaise, les auteurs du Manifeste se représentaient de façon trop rectiligne le processus de liquidation des classes intermédiaires sous la forme d'une prolétarisation totale de l'artisanat, du petit commerce et de la paysannerie.  »[2]

Les effets des périodes de croissance forte peuvent être contradictoires :

  • le développement rapide de nouveaux secteurs capitalistes peut faire disparaître rapidement des secteurs petits-bourgeois : par exemple l'essor de la grande distribution pendant les « 30 glorieuses » a fait chuter brutalement le nombre de petits-commerçants
  • le développement du pouvoir d'achat des prolétaires peut engendrer le développement ou le maintien de secteurs entiers (patrons de restaurants...).

De même, les périodes de stagnation ou de crise ont aussi des effets variables :

  • en ruinant des petit-bourgeois, la crise peut forcer leur prolétarisation,
  • en situation de chômage de masse, des prolétaires peuvent être conduits à s'auto-exploiter plutôt que d'être sans emploi (développement des « auto-entrepreneurs »).

Il y a une forme de résilience de la petite-bourgeoisie. Etant donné que les petit-bourgeois peuvent avoir un attachement très fort à posséder leur outil de travail (fierté, héritage familial...), et étant donné que cela peut sous certaines conditions rapporter davantage que le salariat, ils sont souvent prêt à accepter des sacrifices en temps de crise pour résister à la prolétarisation. Trotsky disait que de manière générale,« le Capital a ruiné la petite bourgeoisie beaucoup plus vite qu'il ne l'a prolétarisée. »[2] et que « la masse de valeur que cette classe apporte au revenu total de la nation a chuté infiniment plus vite que son importance numérique ».[3]

Par ailleurs, la prolétarisation pourrait être beaucoup plus rapide si la démocratie bourgeoise représentait de façon « pure » les intérêts de la grande bourgeoisie. Mais le principe même du suffrage universel donne un certain poids à la masse des électeurs petit-bourgeois, ce qui fait que « la politique consciente de l'Etat bourgeois vise depuis longtemps à conserver artificiellement les couches petites bourgeoises. »[2]

Cette question est assez liée -mais distincte- à celle de la paupérisation. Certains marxistes ont soutenu que le capitalisme engendrait en permanence une augmentation de la pauvreté (paupérisation absolue). D'autres ont développé des analyses plus nuancés et reconnaissant que ce phénomène dépend des cycles économiques de croissance/dépression. Cependant, il peut y avoir croissance forte, enrichissement de la plupart de la population, et en même temps prolétarisation.

4 Conséquences politiques

4.1 Condition nécessaire du socialisme

Si la prolétarisation est une condition nécessaire au renversement du capitalisme, elle n'est pas la seule. Il n'y a pas à "attendre" de prolétarisation "totale" pour que le capitalisme s'écroule. Il est du devoir des révolutionnaires de se saisir des crises révolutionnaires, lorsque toutes les contradictions sont criantes. La socialisation du travail sera sans doute achevée par une société socialiste, mais la prolétarisation, qui en est le reflet sous le capitalisme, n'aura alors plus de sens, les classes sociales étant abolies.

« La concentration de la production qui résulte des lois de la concurrence a une tendance inhérente à prolétariser la population tout entière. En isolant cette tendance, nous aurions raison de supposer que le capitalisme accomplirait son œuvre jusqu'au bout, si le processus de prolétarisation n'était pas interrompu par une révolution; mais c'est là ce qui arrivera inévitablement, dans un rapport de forces déterminé, bien avant que le capitalisme n'ait transformé la majeure partie de la nation en armée de réserve, confinée dans des casernes-prisons. » [4]

4.2 La paysannerie

Le mouvement ouvrier a pris son essor dans de nombreux pays bien avant que la paysannerie ne disparaisse. Pendant les mouvements de 1848, que Marx et Engels pensaient pouvoir déboucher rapidement sur une révolution socialiste, l'Europe était encore largement paysanne. Pendant la Commune de Paris (1871), la France est encore majoritairement paysanne. Les bolchéviks en Russie sont arrivés au pouvoir et ont tenté de mettre en place une dictature du prolétariat dans un pays où la classe ouvrière pesait 1% de la population. Ces situations ont soulevé des questions stratégiques majeures auxquelles diverses réponses ont été apportées : dictature démocratique des ouvriers et des paysans, révolution permanente, maoïsme...

4.3 La petite-bourgeoisie

Les marxistes ont analysé que dans des situations très différentes, les petit-bourgeois pouvaient avoir des attitudes politiques très différentes. Ils penchent globalement vers la classe la plus forte, c'est-à-dire en « temps normal » la bourgeoisie. Sous l'effet des crises, la petite-bourgeoisie subit souvent une situation qui lui fait craindre de tout perdre, et la rend sensible aux discours poliiques radicaux. Elle peut alors pencher du côté du prolétariat si celui-ci paraît capable de prendre en mains toute la société. Elle peut aussi pencher vers des mouvements fascistes, qui la flattent en la présentant implicitement comme l'idéal-type de la nation (les bonnes gens, contre ceux d'en haut, la grande bourgeoisie qui s'en sort mieux, et contre ceux d'en bas, les racailles et les agitateurs communistes).

Le révisionniste Bernstein soutenait qu'il n'y avait pas de disparition de la petite-bourgeoisie, et que la société capitaliste se stabilisait  vers une sorte de classe moyenne. Trotsky reconnaissait que la prolétarisation n'était pas aussi rapide que Marx l'avait pensé, mais au lieu de voir dans la persistance de la petite-bourgeoisie un facteur de stabilisation, il y voyait un facteur d'aggravation des contradictions sociales. Selon lui, l'existence de la petite-bourgeoisie créé une inertie dans la société qui rend d'autant plus nécessaire une rupture nette avec les institutions de la démocratie bourgeoise au moment de la révolution socialiste :

« Si la prolétarisation de petite bourgeoisie et de la classe paysanne avait revêtu des formes chimiquement pures, la conquête pacifique du pouvoir par le prolétariat au moyen du mécanisme de la démocratie parlementaire aurait été bien plus probable qu'elle ne l'est aujourd'hui. »[3]

Il a même caractérisé cette persistance comme un des aspects du « pourrissement du capitalisme » :

« La conservation artificielle des couches petites-bourgeoises depuis longtemps périmées n'atténue cependant en rien les contradictions sociales. Au contraire, elle les rend particulièrement morbides. S'ajoutant à l'armée permanente des chômeurs, elle est l'expression la plus malfaisante du pourrissement du capitalisme. »[2]

5 Exemples d'analyses

6 Notes et sources

  1. Karl Marx, Le Capital, 1867
  2. 2,0 2,1 2,2 2,3 2,4 et 2,5 Trotsky, 90 ans de Manifeste Communiste, 1937
  3. 3,0 et 3,1 Trotsky, Terrorisme et communisme - III. La démocratie, 1920
  4. Trotsky, Bilan et perspective, 1905