Programme de transition

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Le programme de transition est un document essentiel de la IVe internationale, écrit par Trotsky. Par extension, un programme de transition désigne un ensemble de revendications et mots d'ordres destinés à mobiliser les travailleurs dans une grande lutte politique, en vue de la révolution socialiste. Il vise à résoudre la tension entre programme minimum et programme maximum qui est présente dans le mouvement socialiste.

1 Le principe

Suite au développement du capitalisme, les conditions objectives sont depuis longtemps réunies pour que le socialisme puisse être instauré : moyens de production puissants et concentrés, temps de travail potentiellement aisé à réduire fortement, classe laborieuse développée dans de nombreux pays... En revanche, les conditions subjectives manquent pour impulser une révolution socialiste : illusions dans la démocratie bourgeoise, collaboration de classe permanente des directions syndicales et politiques majoritaires, corporatismes et divisions (racisme, sexisme...) entretenues par la classe dominante... L'approfondissement de la crise capitaliste peut déstabiliser les régimes en places et déclencher des luttes populaires, comme c'est déjà le cas, mais cela ne suffit pas en soi pour dégager le chemin vers une révolution sociale.

Il est nécessaire pour cela de construire un parti révolutionnaire de masse, organisé en internationale, qui sache donner une direction aux luttes. Cela implique qu'un parti révolutionnaire se dote d'une stratégie pour accroître la conscience de classe du prolétariat. Principalement, il s'agit de parvenir, en partant des revendications les plus immédiates (augmentation des salaires, refus de l'austérité et de la dette, interdiction des licenciements...) à entraîner les travailleurs dans des luttes auto-organisées, qui renforcent leur propre pouvoir et démasquent les forces réactionnaires. En parallèle, le parti révolutionnaire doit défendre l'idée que seul un gouvernement des travailleurs eux-mêmes peut véritablement appliquer ces mesures, et organiser une avant-garde toujours plus large de travailleurs communistes. La perspective étant de rendre hégémoniques les travailleurs conscients de la nécessité de détruire l'État bourgeois.

Le programme de transition est donc un concept dialectique qui répond à la contradiction entre conditions objectives mûres et conditions subjectives insuffisantes. Par conséquent, il est plus ou moins explicitement présent au sein de l'ensemble du mouvement communiste. A contrario, la social-démocratie, lorsqu'elle était encore socialiste en paroles, laissait cette contradiction irrésolue, en distinguant de façon étanche le "programme minimum" (les réformes mises en avant), et le "programme maximum" (la société socialiste à mettre en place plus tard, "quand les masses seront prêtes").

« Loin d'être seulement valables en période de crise révolutionnaire aiguë, les revendications transitoires - telles la revendication du contrôle ouvrier - tendent précisément à faire naître une telle crise révolutionnaire, en amenant les travailleurs à contester le régime capitaliste, tant dans les faits que dans leur conscience. »[1]

2 Historique

2.1 Prémisses

Il existe deux grandes attitudes différentes par rapport à l'historique de la notion de programme de transition :

  • celle de souligner sa présence dès les débuts du mouvement ouvrier, notamment dans le but de démontrer que ce type de questionnement sur le programme est consubstantiel au socialisme (programme minimum, maximum, transitoire ?) ;
  • celle de souligner une singularité de l'apport de Trotski.

Certains, comme Joseph Hansen, dans son essai précédant la version américaine du Programme de transition, font remonter la notion au chartiste J. F. Bray en 1839[2]. D'autres ont discuté sa présence chez Marx et Engels.

2.2 Dans l'Internationale communiste

Dans sa brève période révolutionnaire du début, l'Internationale communiste a commencé l'élaboration d'un programme transitoire (adopté seulement en 1928[3]). Elle se basait sur l'expérience des bolchéviks des révolutions russes de 1905 et 1917, et des vagues de soulèvements ouvriers dans la foulée de la fin de la Première guerre mondiale.

Dans une résolution du IIe congrès (1920), elle en proclame la nécessité. Elle s'y attèle dans son IIIe congrès (1921) :

« Les Partis Communistes doivent prendre en considération non pas les capacités d'existence et de concurrence de l'industrie capitaliste, non pas la force de résistance des finances capitalistes, mais l'étendue de la misère que le prolétariat ne peut pas et ne doit pas supporter. Si ces revendications répondent aux besoins vitaux des larges masses prolétariennes, si ces masses sont pénétrées du sentiment que sans la réalisation de ces revendications leur existence est impossible, alors la lutte pour ces revendications deviendra le point de départ de la lutte pour le pouvoir. A la place du programme minimum des réformistes et des centristes, l'Internationale Communiste met la lutte pour les besoins concrets du prolétariat, pour un système de revendications qui dans leur ensemble démolissent la puissance de la bourgeoisie, organisent le prolétariat et constituent les étapes de la lutte pour la dictature prolétarienne et dont chacune en particulier donne son expression à un besoin des larges masses, même si ces masses ne se placent pas encore consciemment sur le terrain de la dictature du prolétariat. »[4]

La justification de cette rupture a été présentée comme reposant sur un changement de période, les communistes étant convaincus de vivre la période « des guerres et des révolutions », « l'époque de transition ». Ainsi, lorsque Radek introduit en juin 1922 une discussion sur l'établissement d'un programme de l'Internationale communiste, il précise :

« Il ne s’agit pas d’un programme minimum de l’Internationale communiste. Un semblable programme ne serait historiquement possible que lorsque nous serions persuadés que nous entrons dans une période de longue stabilisation du capitalisme. Il s’agit de l’établissement d’un programme de revendications transitoires servant de levier à l’action qui conduira à la conquête de la dictature. »[5]

De nombreux débats ont alors lieu sur la façon d'articuler les revendications partielles et le but final. Par exemple dans son discours à la première séance du Plenum du Comité exécutif de l’I.C. le 7 juin 1922, Zinoviev avait déclaré :

« N'est-il pas nécessaire de placer un chaînon entre la grise prose des petites revendications partielles et la poésie de la dictature du prolétariat ? (...) Le mot d'ordre du gouvernement ouvrier est un chaînon de ce type… Dans des pays comme l'Italie, la Tchécoslovaquie, l'Allemagne... nous avons une situation ou la puissance ouvrière est si grande en termes relatifs que l'on peut et que l'on doit poser des revendications telles que la revendication politique d'un gouvernement ouvrier. »[5]

Daniel Gaido a étudié les origines des revendications transitoires et l'importance de l'expérience de la révolution allemande pour leur élaboration.[6]

2.3 Premières formalisations trotskistes

Dans l’analyse que faisait Trotsky de l’Espagne en 1931, il écrivait : « Il n’y a que les pédants pour apercevoir des contradictions dans la combinaison des formules démocratiques avec les mots d’ordre transitoires et les devises purement socialistes. »[7]

En 1934, un premier programme de transition est formalisé en France par les trotskistes de la Ligue communiste, avant leur entrée dans la SFIO. Ce texte, qui avait été rédigé par des militants français, dont Pierre Naville, avait été revu et corrigé par Trotsky.

2.4 Le programme de transition de 1938

Léon Trotski

Lorsque Léon Trotsky fonde la Quatrième internationale, il rédige Le programme de transition, texte adopté par la conférence de fondation en septembre 1938. Bien que ce document soit circonstancié, il conserve une portée de véritable manifeste du communisme révolutionnaire pour notre époque impérialiste.

Le programme de transition, sous-titré L'agonie du capitalisme et les tâches de la Quatrième internationale, se compose des chapitres suivants :

3 Débats autour du programme de transition

3.1 Applicable en toutes circonstances ?

La jeune Quatrième internationale présentait le programme de transition comme le programme marxiste pour l'époque impérialiste, l'époque des "guerres et des révolutions". Le programme de transition soutient que les "prémisses objectives", entendant par là "la prémisse économique" est largement mûre pour la révolution, et qu'elle a « même commencé à pourrir ».  Le seul manque, de taille, était l'absence de parti révolutionnaire capable de diriger le prolétariat sur cette voie. 

«La crise historique de l'humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire. »

Partant de là, certains trotskistes ont par la suite théorisé que les conditions objectives pour la révolution avaient changé.

3.2 Revendication transitoire ?

On peut remarquer deux approches différentes parmi les trotskistes :

  • Considérer que l'on peut caractériser en soi une revendication de transitoire selon son incompatibilité objective avec le système.
  • Considérer que seul le programme dans sa cohérence est transitoire.

Le programme de 1938 parle de "programme de transition" et de "système de revendications transitoires".

3.3 Quel degré d'explicitation ?

Des divergences d'interprétation existent sur la façon de mener une propagande "transitoire". En particulier sur le degré d'explicitation de la révolution, qui peut varier entre deux extrêmes :

  • Considérer que la transition consiste seulement à chercher à mobiliser sur des revendications immédiates, cette mobilisation conduisant par elle-même à une radicalisation des travailleurs. Cette position "objectiviste" peut servir à justifier la mise en avant d'une revendication sans expliciter son caractère transitoire et incompatible avec le capitalisme.
  • Considérer que seule la démonstration de l'incompatibilité avec le capitalisme est susceptible de faire naître un mouvement révolutionnaire. Cette position, si elle détourne de l'objectif de construire à chaque instant les luttes,  peut être accusée de "subjectivisme" et donc d'idéalisme.

Certains s'appuient sur des formulations qui peuvent laisser penser que la conclusion qu'il faut faire la révolution viendra dans un second temps, et qu'il n'y a pas lieu de l'expliciter de prime abord, sous peine d'être gauchiste.

« la IV° Internationale met en avant un système de revendications transitoires dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases mêmes du régime bourgeois. »

Dans d'autres écrits Trotsky considère cependant comme allant de soi que la propagande des communistes est explicite et quotidienne :

« En expliquant chaque jour aux masses que le capitalisme bourgeois pourrissant ne laisse pas de place non seulement pour l’amélioration de leur situation, mais même pour le maintien du niveau de misère habituel, en posant ouvertement devant les masses la tâche de la révolution socialiste comme la tâche immédiate de nos jours, en mobilisant les ouvriers pour la prise du pouvoir, en défendant les organisations ouvrières au moyen de la milice - les communistes (ou les socialistes) ne perdent pas, en même temps, une seule occasion pour arracher, chemin faisant, à l’ennemi telle ou telle concession partielle, ou, au moins, pour l’empêcher d’abaisser encore plus le niveau de vie des ouvriers. »[8]

4 Notes et sources

  1. Ernest Mandel, Introduction au marxisme, Édition formation Léon Lesoil, p. 172
  2. Léon Trotsky, The Transitional Programme for Socialist Revolution. With Introductory Essays by Joseph Hansen and George Novack, New York, London, Montreal, Sydnex, Pathfinder Press, 2009.
  3. Internationale Communiste, VI° Congrès - Programme, 1928
  4. Internationale Communiste, IIIe Congrès - Thèses sur la tactique, juin 1921
  5. 5,0 et 5,1 Discussion sur le programme de l'IC, 8 juin 1922
  6. Daniel Gaido, « The Origins of the Transitional Programme », Historical Materialism, London, Brill, vol. 26, no 4 (2018), pp. 87-117.
  7. Léon Trotsky, « La révolution espagnole et les tâches communistes » in La Révolution permanente, Paris, Gallimard, coll « Idées », 1970, p. 274 et ss
  8. Trotsky, Où va la France, 1934