Premières mesures du gouvernement soviétique

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Cette page développe les premières mesures prises par le gouvernement bolchévik au lendemain de la Révolution d'Octobre 1917.

1 La paix

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La toute première mesure fut de lancer un appel « aux peuples et aux gouvernements de toutes les nations belligérantes » en vue d’une « paix démocratique juste », c’est-à-dire « immédiate, sans annexions (…) et sans réparations ». Le texte précise que « par annexion (…), le gouvernement entend (…) toute incorporation à un État, grand ou puissant, d’une nationalité petite ou faible, sans le consentement et le désir formel, clairement exprimé, de cette dernière ». Il rejette tous les prétextes habituellement utilisés pour justifier de telles pratiques : ancienneté de l’annexion, retard économique, archaïsme politique, etc. En effet, « le gouvernement estime que continuer cette guerre pour savoir comment partager entre les nations fortes et riches les peuples faibles conquis par elles serait commettre le plus grand crime contre l’humanité ». L’appel précise encore la décision du gouvernement soviétique d’abolir la diplomatie secrète et de « mener les pourparlers au grand jour, devant le peuple entier ».

Le texte inclut aussi une proposition d’armistice immédiat, afin de rendre possibles des négociations immédiates. Rédigé par Lénine, il est délibérément souple, précisant que le gouvernement accepterait d’ « examiner toutes autres conditions de paix » : en cas de poursuite de la guerre, l’entière responsabilité devait en incomber aux rapaces impérialistes. Le gouvernement révolutionnaire comptait ouvertement avant tout sur l’initiative révolutionnaire du prolétariat des principaux pays impérialistes d’Europe (Angleterre, France, Allemagne) pour atteindre ces objectifs. L’expérience russe confirmait en effet que seule la conquête du pouvoir par le prolétariat, c’est-à-dire la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie, pouvait permettre de mettre un terme à cette guerre. Pour leur part, les mencheviks et les S-R au pouvoir avaient continué d’envoyer ouvriers et paysans se faire tuer pour agrandir le territoire russe vers le Sud et sauvegarder les intérêts des brigands impérialistes français et anglais. Par contre, les bolchéviks, fidèles au socialisme, ont constamment refusé de soutenir la guerre impérialiste, expliquant patiemment aux travailleurs qu’on ne pouvait mettre fin à la guerre sans prendre le pouvoir. Et, après avoir conquis le pouvoir, ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour réaliser ce programme, en s’appuyant sur les masses. En refusant les propositions du gouvernement ouvrier et paysan et en poursuivant la grande boucherie, toutes les bourgeoisies ont montré que leurs discours sur les horreurs de la guerre, les droits de l’homme et la paix ne sont faits que pour tromper le peuple ; la réalité, c’est l’appétit sans limite des patrons et de leurs États.

2 Les libertés démocratiques

2.1 La libération des nationalités opprimées

Appliquant à la Russie elle-même ce qu’il exigeait formellement de tous les pays (c’est-à-dire en réalité ce qu’il appelait tous les prolétariats et paysanneries d’Europe à réaliser par leur lutte révolutionnaire), le gouvernement soviétique décréta « l’égalité et la souveraineté de tous les peuples de Russie », c’est-à-dire le « droit des peuples de Russie à disposer librement d’eux-mêmes, y compris le droit de sécession et de formation d’un État indépendant », « l’abolition de tout privilège et restriction de caractère national ou religieux » et « le libre développement des minorités nationales et groupes ethniques peuplant le territoire russe ». En conséquence, la Finlande proclame son indépendance le 6 décembre 1917, l’Ukraine le 22 janvier 1918, la Pologne le 11 novembre 1918. On objecte souvent que le gouvernement soviétique a accordé l’indépendance à des peuples à peu de frais, car il n’occupait plus ces territoires du fait de l’avance allemande. Mais, si l’indépendance (même formelle) de la plupart de ces pays a été reconnue à la fin de la guerre par les puissances impérialistes, c’est avant tout par la crainte que la frustration du sentiment national de ces peuples ne donne un nouveau souffle à la vague révolutionnaire qui déferle sur l’Europe à partir d’octobre 1917. Par ailleurs, le gouvernement ouvrier et paysan supprima totalement à l’intérieur même de ses frontières toute discrimination en fonction de la nationalité ou de la religion — alors qu’à cette époque, dans bien des États bourgeois , de telles restrictions étaient encore légales, y compris les restrictions pour l’accès à certains métiers pour les Juifs par exemple.

2.2 Egalité juridique entre citoyens, et entre hommes et femmes

Le gouvernement soviétique prit toutes les mesures démocratiques radicales dans le domaine politique, assurant l’égalité formelle de tous les citoyens : les ordres (noblesse, clergé, etc.) et les privilèges qui y étaient liés sont abolis, ainsi que tous les titres nobiliaires et qualifications ; les biens de ces privilégiés sont immédiatement confisqués.

La loi accorde exactement les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes, y compris le droit de vote (alors que, dans la plupart des pays capitalistes, cela ne viendra qu’après la révolution russe, voire après la Seconde Guerre mondiale, comme en France…) et égalité totale des droits dans le mariage (alors que, en France, par exemple, les inégalités de droits entre la femme et l’homme ne seront intégralement supprimées que dans les années 1960 !).

2.3 Enseignement général obligatoire, laïque et gratuit.

La Russie est un pays dans lequel, en 1917, l’écrasante majorité de la population ne sait ni lire, ni écrire. C’est évidemment un obstacle considérable à la mise en place d’une démocratie authentique et à tout développement économique moderne. C’est pourquoi le gouvernement décide la mise en place d’un enseignement général, obligatoire et gratuit. Il supprime toutes les barrières légales à l’accès des enfants d’ouvriers et de paysans à l’enseignement supérieur général et technique.

Les bolchéviks sont bien sûr parfaitement conscients que ces mesures en elles-mêmes ne sauraient assurer l’égalité réelle entre tous les citoyens. Lénine explique inlassablement cette vérité essentielle, par exemple à propos de la question de l’égalité entre hommes et femmes : « Naturellement, les lois ne sont pas suffisantes, et nous ne nous contentons pas de décrets. Mais, dans le domaine législatif, nous avons fait tout le nécessaire pour élever la femme au niveau de l'homme et nous pouvons en être fiers. La situation de la femme dans la Russie des Soviets peut servir d'idéal aux États les plus avancés. Pourtant, ce n'est encore là qu'un commencement. La femme dans le ménage reste encore opprimée. Pour qu'elle soit réellement émancipée, pour qu'elle soit vraiment l'égale de l'homme, il faut qu'elle participe au travail productif commun et que le ménage privé n'existe plus. Alors seulement, elle sera au même niveau que l'homme (…). La femme a beau jouir de tous les droits, elle n'en reste pas moins opprimée en fait, parce que sur elle pèsent tous les soins du ménage (…). Nous créons des institutions modèles, des restaurants, des crèches, pour affranchir la femme du ménage. Il faut reconnaître qu'à l'heure présente en Russie ces institutions, qui permettent à la femme de sortir de sa condition d'esclave domestique, sont très rares. Leur nombre est infime et les conditions militaires et alimentaires actuelles sont un obstacle à leur accroissement. Il convient cependant de dire qu'il en surgit partout où s'offre la plus petite possibilité. Nous disons que l'émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. De même, l'émancipation des travailleuses sera l’œuvre des travailleuses elles-mêmes. Les travailleuses doivent veiller elles-mêmes au développement de ces institutions ; elles arriveront ainsi à changer du tout au tout le sort qui leur était fait dans la société capitaliste. »

3 Les mesures économiques

3.1 La terre aux paysans

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Le décret sur la terre fut la deuxième mesure prise par les bolchéviks. La propriété privée du sol est abolie (la terre ne peut être ni vendue, ni achetée, ni hypothéquée), le sol et le sous-sol (minerai, pétrole, charbon, etc.) deviennent propriétés de l’État soviétique, les domaines des grands propriétaires fonciers et de l’Église, avec tous leurs bâtiments et dépendances, ainsi que le cheptel mort ou vif sont confisqués sans indemnités, mais non les terres ni le cheptel des simples paysans ou cosaques. Le décret prévoit déjà que les grands domaines ne seront pas partagés en petites parcelles mais devront être cultivés de façon collective.

La loi du 6 février 1918 sur la socialisation de la terre précise les conditions de la jouissance égalitaire du sol : « Dans les limites de la République Fédérative Soviétique de Russie, peuvent jouir de lots de terre en vue d'assurer les besoins publics et personnels : A) pour les œuvres éducatives culturelles : 1. l’État représenté par les organes du pouvoir soviétique (...). 2. Les organisations publiques (sous le contrôle et avec l'autorisation du pouvoir soviétique local). B) Pour l'exploitation agricole : 3. Les communes agricoles. 4. Les associations agricoles. 5. Les communautés rurales. 6. Les familles ou individus... » (Art. 20). Elle dispose que la gestion des terres sous la direction du pouvoir soviétique a pour objet de « développer les exploitations agricoles collectives plus avantageuses au point de vue de l'économie du travail et des produits, par absorption des exploitations individuelles, en vue d'assurer la transition à l'économie socialiste » (Art. XI, paragraphe e).

On entend souvent dire que les bolchéviks auraient « volé » leur programme agraire aux S-R. Cela est absolument faux, pour au moins trois raisons. Premièrement, lorsque les S-R ont été au pouvoir de février à octobre, ils n’ont pas procédé au partage égalitaire des terres ; car, pour cela, il leur aurait fallu exproprier (et donc affronter) les 30 000 propriétaires fonciers qui possédaient à eux seuls autant de terres que les 10 millions de familles paysannes ; en fait, les S-R se sont même opposés aux paysans autant qu’ils le pouvaient : ils étaient révolutionnaires en paroles, mais des valets de la noblesse féodale et de la bourgeoisie en fait. Deuxièmement, ce sont dans la plupart des cas (70 % des provinces) les paysans eux-mêmes qui ont conquis les terres par leur lutte de classes en expropriant les propriétaires fonciers : les bolchéviks ont légalisé un état de fait. Troisièmement, les mesures prises par les bolchéviks dans le domaine agraire sont certes, en leur essence, simplement démocratiques-bourgeoises radicales (en effet, si la propriété privée du sol est abolie, la production en revanche reste pour l’essentiel privée, car les petits paysans auxquels les terres sont louées par l’État soviétique produisent pour vendre sur le marché) ; cependant, la bourgeoisie russe s’était révélée incapable de réaliser même partiellement une telle réforme, en raison de sa faiblesse et de ses liens avec l’aristocratie foncière. En fait, il était inévitable d’en passer par là, car « l'idée et les revendications de la majorité des travailleurs, ce sont les travailleurs eux mêmes qui doivent les abandonner : on ne peut ni les "annuler", ni "sauter" par dessus ». Pourtant, ces mesures démocratiques-bourgeoises radicales prises par le nouveau gouvernement soviétique étaient déjà, autant que le permettaient les rapports de force entre les classes, orientées vers le socialisme, c’est-à-dire l’exploitation collective du sol dans de grandes fermes modernes selon un plan fixé par les travailleurs eux-mêmes réunis dans leurs conseils : le gouvernement refuse la division des grands domaines, prévoit de privilégier la culture du sol par des communautés au lieu d’individus et décide de développer des exploitations modèles pour convaincre pratiquement les paysans de la supériorité de cette forme d’agriculture.

De juin à décembre 1918, les bolchéviks organisent des comités de paysans pauvres dans les campagnes[1], pour s'appuyer sur les prolétaires et semi-prolétaires des campagnes contre les koulaks, et pousser la paysannerie moyenne à basculer du côté des ouvriers. Par la suite, des soviets sont institués dans les campagnes.

3.2 L’industrie : nationalisation des grandes entreprises et contrôle ouvrier

La principale mesure prise par les bolchéviks pour assurer un bon fonctionnement de l’industrie fut la légalisation et la généralisation du contrôle ouvrier dès le 27 octobre 1917. Il portait sur la production, la conservation, l’achat et la vente de tous les produits et de toutes les matières premières dans toutes les entreprises employant au moins 5 salariés et réalisant un bénéfice d’au moins 10 000 roubles. Il devait être exercé, selon la taille de l’entreprise, soit directement par les ouvriers, soit par l’intermédiaire de leurs représentants. Le décret précisait que « tous les livres de comptabilité et les documents, sans exception, ainsi que tous les stocks et dépôts de matériaux, outils et produits, sans aucune exception, doivent être ouverts aux représentants élus par les ouvriers et les employés » et que « les décisions des représentants élus par les ouvriers et les employés sont obligatoires pour les propriétaires des entreprises et ne peuvent être annulées, sauf par les syndicats et par les congrès syndicaux ». L’objectif de ces mesures est double : d’une part, il s’agit pour le gouvernement soviétique d’assurer le plus vite possible le fonctionnement le plus efficace possible de l’économie, ce qui implique avant tout de se doter de tous les moyens nécessaires pour combattre le sabotage probable de la part des capitalistes et de nombreux spécialistes liés à la bourgeoisie ; d’autre part, le but est de permettre aux ouvriers de se former ainsi peu à peu à la gestion d’une entreprise. En ce sens, la contrôle ouvrier est une mesure transitoire dirigée vers la gestion ouvrière directe.

Ensuite, peu à peu, au cours de l’année 1918, le gouvernement nationalise les principaux trusts et les grandes entreprises : elles deviennent la propriété de l’État soviétique ; leur gestion est assurée par les représentants élus des ouvriers de l’usine en question, sous la direction du pouvoir soviétique. À cet effet est créé un organisme spécial, le Conseil supérieur de l’économie nationale, composé essentiellement de délégués des syndicats ouvriers. Cette institution a pour but d’organiser rationnellement la production à l’échelle de l’ensemble de la République selon les décisions politiques prises par le pouvoir soviétique. Un institut national de statistiques est mis en place pour contribuer à la réalisation de cette tâche.

Dans la mesure où elles restent partielles et se font sur la base d’une économie qui reste capitaliste, ces mesures reviennent à mettre en place ce que Lénine appelle un « capitalisme d’État ». Il est vrai que, à la même époque — mais bien plus encore après la Deuxième Guerre mondiale —, les principaux pays capitalistes européens nationalisent certaines entreprises et s’efforcent de planifier la production (au moins celle des industries de guerre). Mais les nationalisations réalisées par l’État soviétique, ont un caractère différent : elles préparent la nationalisation intégrale et l’organisation de toute la production en fonction des besoins, c’est-à-dire la planification socialiste ; elles sont donc orientées vers le socialisme.

3.3 Nationalisation des banques

Le gouvernement soviétique décide que le système bancaire devient un monopole d’État : « Toutes les banques privées et tous les comptoirs bancaires existants sont fusionnés dans la Banque d’État », qui « prend à son compte l’actif et le passif des établissements liquidés ». Le décret précise que « les intérêts des petits déposants seront entièrement sauvegardés ». Cette mesure a pour objet d’une part de briser un des instruments décisifs de la domination du grand capital et constitue le préalable à toute réorganisation de l’économie de façon rationnelle dans l’intérêt de l’immense majorité.

3.4 Répudiation de la dette

Le régime tsariste était endetté avant-guerre auprès des capitalistes occidentaux (principalement auprès de la France et de l'Angleterre), et cette dette s'est envolée pendant la guerre. C'étaient les fameux « emprunts russes ». Une des premières mesures des bolchéviks fut de répudier la dette publique, par un décret du 29 décembre 1917.[2]

Malgré la répudiation, les cours boursiers des emprunts russes demeurèrent relativement élevés pendant les trois années suivant la répudiation. Les investisseurs espèrent notamment une reprise partielle de la dette par la France, par des pays créés sur les ruines de l'Empire russe (Pologne, pays baltes...), par une armée blanche victorieuse voire par un gouvernement bolchévique qui aurait revu ses positions.[3]

En 1922, une conférence économique internationale se tient à Gênes[4], au cours de laquelle les impérialistes réclament le paiement de leur dette, ce qui provoque la rupture des négociations.

3.5 Système d’assurance sociale

Il n’est pas rare d’entendre dire que l’idée d’un système d’assurance sociale est née dans la tête de quelque grand réformateur bourgeois, dans celle de Beveridge par exemple, ou dans le programme du Conseil National de la Résistance. En vérité, ces projets ne sont que la réplique bourgeoise du premier système complet d’assurance sociale, qui a été mis en place par le premier État ouvrier. S’il existe aujourd’hui dans la plupart des pays impérialistes un tel système d’assurance sociale, les travailleurs de ces pays le doivent avant tout à la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat russe, ainsi qu’à celle des autres prolétariats d’Europe entre les deux guerres et surtout au sortir de la Deuxième Guerre mondiale (lutte qui n’a pas débouché sur la prise du pouvoir par le prolétariat dans ces pays parce qu’elle a été trahie par les dirigeants réformistes, staliniens et sociaux-démocrates).

Là encore, les menchéviks et les S-R au pouvoir n’avaient pas satisfait cette revendication essentielle des travailleurs. Les grandes lignes de la politique bolchévique en la matière sont exposées dans la proclamation de Chliapnikov (Commissaire du peuple au travail) : « 1) Extension des assurances à tous les salariés sans exception, ainsi qu’aux indigents des villes et des campagnes ; 2) Extension des assurances à toutes les catégories d’incapacité au travail, notamment la maladie, les mutilations, l’invalidité, la vieillesse, la maternité, la perte du conjoint ou des parents, ainsi que le chômage ; 3) Obligation pour les employeurs d’assumer la totalité des charges sociales ; 4) Versement d’une somme au moins égale au salaire intégral en cas d’incapacité de travail ou de chômage ; 5) Gestion entièrement autonome de toutes les caisses d’assurances par les assurés eux-mêmes. » Voilà encore un exemple de ce que l’école et la presse de la bourgeoisie cachent aux masses d’aujourd’hui.

Là encore, les mesures économiques et sociales prises par le gouvernement dirigé par les bolchéviks n’impliquent pas encore le socialisme : le prolétariat ayant pris le pouvoir dans un pays sous-développé, devait inévitablement commencer par accomplir jusqu’au bout les tâches démocratiques-bourgeoises de la révolution. Mais, à chaque fois, les mesures sont réalisées de façon à préparer l’avenir, c’est-à-dire précisément le passage du « capitalisme d’État » soviétique au socialisme : en ce sens, elles sont transitoires. Ce qui distingue donc fondamentalement la Russie soviétique des États capitalistes de l’époque qui en raison des nécessités de la guerre ont aussi procédé à une série de mesures de nationalisations, c’est la structure de l’État.

4 Soviets, comités d’usine, milices ouvrières : l’État-Commune

En effet, l’ensemble du pays est gouverné par les soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats : ce sont des conseils regroupant des délégués élus à intervalles réguliers. Les soviets locaux élisent en leur sein un comité exécutif, ainsi que les délégués formant, avec des délégués d’autres soviets, le soviet de l’échelon immédiatement supérieur (district, province et région). Les délégués de l’ensemble des soviets régionaux forment le Congrès pan-russe des soviets, qui élit un Comité Exécutif de 200 membres et le Conseil des commissaires du peuple (chaque commissaire est flanqué de cinq adjoints, qui peuvent faire appel de ses décisions devant le Comité Exécutif). Le système de représentation donne proportionnellement cinq fois plus de délégués aux ouvriers et aux soldats qu’aux paysans. Les soviets agissent à chaque échelon de façon autonome, dans le cadre fixé par le soviet de niveau supérieur, sous la direction générale du Conseil des commissaires du peuple.

Entre octobre 1917 et juillet 1918, c’est-à-dire jusqu’au déclenchement de la guerre entre la Russie et les principales puissances impérialistes, ainsi que la guerre civile, les ouvriers, les paysans et les soldats réussirent à organiser quatre congrès pan-russes des soviets (octobre 1917, janvier, mars et juillet 1918). C’est donc à bon droit que les bolchéviks ont affirmé que la démocratie soviétique était une forme de démocratie supérieure à celle de la république bourgeoise. De fait, ce système de gouvernement permet aux ouvriers, aux paysans et aux soldats de contrôler de façon permanente l’activité de ceux qu’ils ont élus pour les représenter : ils ont plusieurs fois par an la possibilité de les remplacer si leurs positions ne leur semblent plus conformes à leurs intérêts. C’est ainsi que les bolchéviks, qui n’avaient que 13 % des délégués en juin 1917, obtinrent 51 % des délégués cinq mois plus tard au IIe congrès pan-russe des soviets : entre-temps, les masses avaient pu faire l’expérience du gouvernement des menchéviks et des S-R. Les bolchéviks progressent continuellement par la suite : ils ont 61 % des délégués en janvier 1918, 64 % en mars 1918 et 66 % en juillet 1918. C’est la preuve que les masses approuvent fondamentalement leur politique. De même, les S-R de gauche, c’est-à-dire ceux parmi les S-R qui ont soutenu la révolution d’Octobre et participent au gouvernement soviétique, sont majoritaires de façon écrasante sur les S-R de droite, qui ont condamné la révolution d’Octobre : ils obtiennent 125 délégués au Comité exécutif élu par le Congrès des soviets en janvier 1918. Quant aux S-R de droite, qui condamnent la démocratie soviétique, ils n’en bénéficient pas moins de cette démocratie : ils peuvent librement défendre leurs positions et obtiennent 7 délégués au Comité exécutif élu par le Congrès.

Parmi les toutes premières mesures du nouveau gouvernement, il y eut également l’appel à la constitution par chaque soviet d’une milice propre. À l’opposé de l’État bourgeois où l’armée et la police sont des détachements spéciaux d’hommes armés, servant les besoins de répression du mécontentement ou du soulèvement populaire, l’État soviétique dirigé par les bolcheviks est caractérisé par le fait que le pouvoir est détenu par le peuple en armes : c’est la seule garantie sérieuse que la violence soit toujours utilisée dans l’intérêt des ouvriers et des paysans et non contre eux.

Enfin, un système de Comités d’usine complète le système politique de l’État ouvrier. Ce sont eux qui assurent le contrôle ouvrier en relation avec les soviets.

Ainsi, les bolchéviks, marxistes fidèles au combat du prolétariat pour son auto-émancipation, ont-ils agi dès la prise du pouvoir pour briser la machine de l’État bourgeois et la remplacer par un État du type de la Commune de Paris de 1871, c’est-à-dire un État dans lequel tout travailleur peut participer directement et activement à la vie politique.

Le 18 mars 1918, le Conseil des Commissaires du peuple fixe le traitement mensuel maximum à 500 roubles. Quelques mois plus tard, il attribue aux techniciens hautement qualifiés d'une rémunération plus élevée, ce que Lénine reconnaît comme étant « un certain abandon des principes de la Commune de Paris » imposé par les impératifs de la gestion administrative de l'Etat.

5 La question de la liberté de la presse

Les mencheviks et les SR de droite se scandalisent : comment oser porter atteinte à la sacro-sainte liberté de la presse ? Comment oser interdire la presse bourgeoise ? Les mencheviks, les SR de droite et les socialistes-populistes n’avaient pas fait preuve d’autant de réticences à « porter atteinte à la liberté de la presse » et à recourir à la violence lorsque, aux lendemains des journées de juillet, ils avaient décidé d’interdire la presse du Parti bolchevik, d’envoyer l’armée fermer ses imprimeries, détruire ou confisquer son matériel et arrêter ses principaux dirigeants, qui passèrent les mois de juillet et août dans les prisons du gouvernement des mencheviks, des SR et des socialistes-populistes…

Dès lors, s’ils se scandalisent de la mesure d’interdiction de la presse bourgeoise au moment où celle-ci répand toutes sortes de fausses nouvelles et de calomnies contre le pouvoir soviétique dans l’objectif de son renversement, ce n’est pas qu’ils soient attachés à la « liberté de la presse » pour elle-même, mais plutôt qu’ils sont aussi déterminés à rétablir le pouvoir bourgeois qu’ils l’ont été à étouffer par tous les moyens la révolution prolétarienne. Pour eux, la presse est « libre » lorsque la presse est dans les mains de quelques grands hommes d’affaires et présente la réalité à leur avantage, calomniant les révolutionnaires (comme les bolcheviks, accusés sans fondement en juillet d’être financés par l’État-major allemand), tandis que l’immense majorité n’a tout simplement pas les moyens matériels de disposer de ses propres médias. À l’opposé, la politique des bolcheviks consista, dans l’esprit du projet de décret sur la presse, d’une part, à imposer à tous les journaux l’obligation de rendre publics leurs comptes, afin que le peuple puisse connaître le ou les commanditaire(s) du journal et, d’autre part, à collectiviser les imprimeries et à les mettre à la disposition de tout groupe significatif d’ouvriers ou de paysans désirant éditer un journal ou une revue (Lénine suggérait d’accorder ce droit à tout groupe d’au moins 10 000 ouvriers ou paysans). En donnant ainsi réellement la possibilité aux exploités et aux opprimés de faire leur propre presse, ces mesures constituaient un pas vers la liberté réelle de la presse.

6 Constituante et Soviets

6.1 Opportunisme sans principe… ou réalisme révolutionnaire ?

La bourgeoisie accuse souvent les bolcheviks de n’être que des conspirateurs sans scrupules, ne reculant devant aucun coup tordu pour parvenir à leurs fins. Dans le cas de la dissolution de l’Assemblée Constituante, on présente souvent les choses comme si les bolcheviks avaient été des partisans inconditionnels de la Constituante jusqu’au moment où, s’y retrouvant en minorité, ils auraient choisi de s’en débarrasser… Qu’en est-il en vérité ?

Entre avril et juillet, les bolcheviks ont maintes fois exigé la convocation de la Constituante, tout en ne cessant de souligner que, si une république bourgeoise avec Constituante était préférable à une telle république sans Constituante, car plus démocratique, une république ouvrière, c’est-à-dire soviétique, était encore mille fois plus préférable à la république bourgeoise avec Constituante, car mille fois plus démocratique. Durant ces mois, la bourgeoisie et ses valets mencheviks et SR ont refusé de convoquer la Constituante, sous prétexte qu’il aurait été impossible d’organiser des élections libres en pleine guerre (mensonge démasqué par l’organisation des élections en octobre 1917, alors que la guerre impérialiste se poursuivait). En réalité, la bourgeoisie et son parti, les cadets, soucieux de préserver au maximum l’ancien état des choses, ne voulaient pas de Constituante, car il ne faisait aucun doute que les partis se revendiquant du socialisme (mencheviks, bolcheviks et SR) y remporteraient la majorité absolue. Mais les mencheviks et les SR n’en voulaient pas non plus, car cela les aurait empêchés de continuer à se cacher derrière la prétendue force de la bourgeoisie pour refuser d’assumer le pouvoir que leur avaient remis les ouvriers par leur insurrection de février contre le tsar.

En fait, les cadets, les mencheviks et les SR, qui avaient délibérément refusé de convoquer la Constituante pendant cinq mois (d’avril à juillet), ne sont devenus d’ardents partisans de cette dernière qu’à partir du moment les bolcheviks ont commencé à gagner la majorité dans un soviet après l’autre à partir d’août, suite à la politique bourgeoise menée par les mencheviks et les SR avec le gouvernement provisoire (poursuite de la guerre impérialiste, refus de donner la terre aux paysans, refus de combattre le sabotage des capitalistes, etc., avec des conséquences désastreuses pour les masses). Ce sont donc eux, et non les bolcheviks, qui ont fait preuve de « principes » à géométrie variable. Pour les révolutionnaires, ces événements constituent une bonne leçon de dialectique historique, car ils montrent clairement qu’un même mot d’ordre peut se charger d’un contenu de classe entièrement différent selon le développement de la situation politique.

6.2 L’Assemblée Constituante élue en octobre ne représente plus la volonté du peuple en janvier

Mais, bien évidemment, on reproche surtout aux bolcheviks le simple fait d’avoir dissout la Constituante. Ce faisant, ils auraient fait violence à la volonté populaire. Qu’en est-il ? L’Assemblée Constituante avait été élue en octobre 1917, c’est-à-dire avant la révolution du 25-26 octobre 1917, donc avant que ne soient prises les premières mesures du gouvernement soviétique, répondant aux besoins élémentaires des exploités et des opprimés. À cette époque, le parti SR était encore uni : il ne s’est divisé entre deux fractions opposées qu’après la révolution Octobre, l’une la soutenant et participant au conseil des commissaires du peuple (les « SR de gauche »), l’autre la combattant (les « SR de droite »). Les électeurs avaient ainsi voté en octobre indistinctement pour les uns ou les autres, puisqu’ils s’étaient présentés sur les listes uniques, celles du parti SR encore uni. Or, moins représentés dans les sphères dirigeantes du parti que les SR de droite, les SR de gauche ne disposaient que d’une minorité des députés élus sur cette liste. C’est pourquoi les bolcheviks et les SR de gauche ne formaient ensemble qu’une forte minorité à l’Assemblée Constituante.

Or, les élections au congrès pan-russe des soviets réuni en janvier 1918 donnent lieu à l’écrasement des SR de droite, qui n’obtiennent que 7 délégués, soit moins de 1 %, tandis que les SR de gauche raflent plus de 30 % des sièges. Ainsi les SR de droite, qui forment le groupe le plus nombreux à l’Assemblée Constituante élue sur la base des listes faites avant la révolution d’Octobre, ne représentent en réalité plus qu’une infime minorité des travailleurs en janvier. Il est donc clair que, lors de sa première réunion en janvier 1918, l’Assemblée Constituante ne représente pas du tout la volonté réelle du peuple et n’est donc pas légitime. Par contre, le système soviétique, celui des conseils ouvriers et paysans, reposant sur des élections régulières et fréquentes (octobre 1917, janvier 1918, mars 1918, juin 1918) et incluant la possibilité de révoquer ses représentants, démontre concrètement son immense supériorité démocratique sur le parlementarisme bourgeois.

7 Postérité

En mars 1921, Lénine revient sur les premières années où de grands décrets étaient pris et difficilement appliqués au milieu du tumulte révolutionnaire. Il justifie la nécessité de cette période, tout en soulignant que l'heure est maintenant aux tâches pratiques :

« Nous avons connu une période où les décrets étaient une forme de propagande. On se moquait de nous, on disait : les bolcheviks ne comprennent pas qu'on n'applique pas leurs décrets ; toute la presse des gardes blancs abonde en railleries à ce sujet. Mais cette phase était légitime quand les bolcheviks ont pris le pouvoir et ont dit au simple paysan, au simple ouvrier : voici comment nous voudrions que l'Etat fût gouverné ; voici un décret ; essayez-le. Au simple ouvrier ou paysan, nous exposions d'emblée nos conceptions politiques, sous forme de décrets. Résultat : nous avons conquis cette énorme confiance, dont nous avons joui et dont nous continuons de jouir parmi les masses populaires. Se fut une période, une phase nécessaire au début de la révolution ; autrement nous n'aurions pas été à la tête de la vague révolutionnaire, mais nous nous serions traînés à la remorque. Autrement, nous n'aurions pas eu la confiance de tous les ouvriers et paysans qui voulaient bâtir la vie sur une base nouvelle. »[5]

8 Notes et sources

Brochure de la Tendance CLAIRE du NPA : Les révolutions russes