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La'''''Pravda'''''(la Vérité) était le journal du [[Parti_bolchévik|Parti_bolchévik]] crée par [[Vladimir_Ilitch_Lénine|Lénine]] le 5 mai (22 avril) 1912, il était destiné à influencer avec les idées [[Marxistes|marxistes]] de grandes masses d’ouvriers et de paysans, dont la conscience de classe commençait à s’éveiller.
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[[File:800px-Prawda.16.3.1917.png|right|350x350px|800px-Prawda.16.3.1917.png]]La'''''  Pravda '''''(la Vérité) était le journal du [[Parti_bolchévik|Parti bolchévik]] crée par [[Vladimir_Ilitch_Lénine|Lénine]] le 5 mai (22 avril a.s.) 1912, il était destiné à influencer avec les idées [[Marxistes|marxistes]] de grandes masses d’ouvriers et de paysans, dont la conscience de classe commençait à s’éveiller.
  
== Lénine et la presse : les premiers pas ==
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Elle a dû paraître sous le nom de '''''Rabotchi pout''''' (Voix des travailleurs) du 3 septembre au 26 octobre (a.s).
  
Au début du XXème siècle, le mouvement révolutionnaire était trop restreint pour avoir une influence sur la réalité politique russe. Le [[Parti_ouvrier_social-démocrate_de_Russie|parti ouvrier social-démocrate de Russie]] (POSDR), créé en 1898, était constitué d’un groupe d’intellectuels marxistes et de quelques ouvriers qui agissaient pour la plupart depuis l’exil, dans la mesure où l’autoritarisme du régime tsariste persécutait inlassablement tout militant d’opposition. Cette organisation présentait une mosaïque de personnalités qui préoccupait Lénine ; il voyait un grand problème dans le manque d’unité théorique au sein du parti. C’est pourquoi il écrivit ''Par où commencer ?'', un article où il exposait l’urgence de publier un journal national qui toucherait tout la Russie et qui parviendrait à organiser collectivement tous les groupes sociaux-démocrates dispersés. Dans ces années-là, le pays traversait une période de politisation sociale active avec des milliers de jeunes qui se rapprochaient des idées marxistes. Cependant, ceux qui luttaient pour la diffusion des ces idées représentaient le « [[Marxisme_légal|marxisme légaliste]] » qui avait abandonné la lutte théorique et politique depuis très longtemps ; combattre le dévoiement du marxisme était donc la tâche fondamentale pour la presse léniniste. Le combat que mena Lénine contre les économistes, défenseurs de la lutte syndicale divisée de l’organisation politique des travailleurs, fut très important.
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== Origines ==
  
Le projet de Lénine va prendre forme en décembre 1900 lorsqu’il publie par la première fois ''l’Iskra'' (L’Étincelle) à Munich (Allemagne) qui cherche à combiner propagande et agitation des masse au rôle d’organisateur, ceci à partir d’idées qui seront de plus en plus connues. Le journal comme organisateur n’était pas une politique parmi d’autres pour le dirigeant bolchevique mais, bien plutôt, une définition stratégique pour construire le parti qui préparerait l’insurrection. La fonction de la presse ouvrière occupait l’attention de Lénine bien avant la création du POSDR. Il consacra plusieurs années de sa vie à étudier sa pertinence et son insertion dans la classe ouvrière émergente. C’est pourquoi, quand il entreprit de créer un journal comme ''l’Iskra'' – qui s’assurait d’avoir une certaine périodicité –, il commença à se produire un important travail politique dans les propres entrailles de la Russie prolétarienne, un travail qui jetait les bases pour rompre avec les années antérieures.
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Au début du 20<sup>e</sup> siècle, le mouvement révolutionnaire était trop restreint pour avoir une influence sur la réalité politique russe. Des cercles social-démocrates, d'intellectuels ou d'ouvriers, se forment un peu partout dans l'Empire russe, mais avec une certaine hétérogénéité et sans coordination. Le [[Parti_ouvrier_social-démocrate_de_Russie|Parti ouvrier social-démocrate de Russie]] (POSDR) avait tenu un premier congrès en 1898, mais sans parvenir à surmonter cet état de fait. La répression du régime tsariste obligeait à la [[Clandestinité|clandestinité]].
  
La publication entrait dans le pays de manière clandestine et les militants locaux la distribuaient sous le slogan&nbsp;: «&nbsp;''De l’étincelle jaillira la flamme''&nbsp;». C’est ainsi qu’elle obtint ses titres de noblesse parmi les ouvriers. Le journal devait tenir un langage clair mais qui permettait, à son tour, d’élever le niveau des travailleurs&nbsp;; pour cela il a été proposé d’ajouter [[Léon_Trotsky|Trotsky]] au comité de rédaction de l’Iskra en 1902. Il pouvait, grâce à sa plume, rendre plus attractif le contenu du journal alors qu’au même moment penchait la balance dans le camp des vieux marxistes que s’étaient convertis en grand conformistes (Plekhanov, Zassoulitch, Axelrod). Pendant que Lénine devenait le directeur politique du journal, sa femme Nadejda Kroupskaïa était chargée de maintenir les relations avec les comités russes qui alimentaient le journal en nouvelles et dénonciations ouvrières.
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Un petit groupe de marxistes qui se retrouve dans le milieu des exilés russes en Europe cherche à fonder un véritable parti, autour d'un organe central, un [[Journal_ouvrier|journal]]. Ce groupe est composé d'anciens, comme [[Plekhanov|Plekhanov]], et de jeunes, comme [[Martov|Martov]], et [[Lénine|Lénine]], qui est particulièrement convaincu et investi dans ce projet, qui débouche sur la création de l'[[Iskra|''Iskra'']] (L’Étincelle) en décembre 1900.
  
Des années plus tard, la lutte fractionnelle amena Lénine à abandonner l’Iskra en raison de l’influence croissante qu’y tenaient les mencheviques. Après l’échec de l’[[Révolution_russe_(1905)|insurrection de 1905]], les différences stratégiques se creusèrent encore plus dans le POSDR et la réaction reprenait des forces face aux masses qui se retrouvaient dispersées. Sauf que Trotsky l’avait «&nbsp;prévu&nbsp;»&nbsp;: le développement de l’industrie russe conduirait à une nouvelle étape d’ascension révolutionnaire dans le mouvement ouvrier.
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Suite au [[Second_congrès_du_POSDR|Second congrès du POSDR]] (1903), la rédaction de l'[[Iskra|''Iskra'']] se divise et passe aux mains des [[Menchéviks|menchéviks]]. Deux ans plus tard, [[Lénine|Lénine]] et ses partisans (les [[Bolchéviks|bolchéviks]]) décident de doter leur fraction de leur propre journal, nommé [[Vperiod|''Vperiod'']]. A dater de mai 1905, ''Vperiod'' est remplacé par le [[Prolétari|''Prolétari'']], au [[Troisième_congrès_du_POSDR|Troisième congrès du POSDR]].
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Après l’échec de l’[[Révolution_russe_(1905)|insurrection de 1905]], une tentative de réunification des [[Menchéviks|menchéviks]] et des [[Bolchéviks|bolchéviks]] a lieu mais échoue. Les différences stratégiques se creusent encore plus. Dans cette situation de reflux et de répression, le [[POSDR|POSDR]] rétrécit et des tendances [[Liquidationnistes|liquidationnistes]] de droite et de gauche apparaissent.
  
 
== La Pravda et les années de préparation ==
 
== La Pravda et les années de préparation ==
  
La décennie 1910 commença avec un nouveau départ des luttes ouvrières et la radicalisation des étudiants&nbsp;: «''&nbsp;Il y aura 100000 grévistes en 1911, dans des grèves partielles, et 400000 le I° mai. La [[Massacre_de_la_Léna|fusillade de la Léna]], en avril 1912 - 150 morts, 250 blessés&nbsp;-, marque le nouveau départ de la lutte ouvrière''&nbsp;». Les bolcheviques se décidèrent à agir et, pendant le Congrès du parti qui se tenait pendant la première quinzaine de janvier 1912, la scission entre les fractions s’approfondit&nbsp;; la ''Pravda ''changea de statut et devint son organe de publication officiel. Ce journal avait été publié pour la première fois en 1905 puis il fut édité par Trotsky en 1908 et, peu de temps après, Kamenev se chargea de sa publication. Il faut ici noter que la présence des bolcheviques à la direction correspondit au moment où il atteignit son plein essor. Le journal se délocalisa de Vienne à Saint-Pétersbourg et son premier numéro fut publié sous la direction de Lénine le 5 mai 1912 (22 avril de l’ancien calendrier). Avant son lancement, une grande compagne d’agitation s’était tenue dans les usines pour encourager les souscriptions publiques.
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La décennie 1910 commença avec un nouveau départ des luttes ouvrières et la radicalisation des étudiants&nbsp;: «''&nbsp;Il y aura 100000 grévistes en 1911, dans des grèves partielles, et 400000 le I° mai. La [[Massacre_de_la_Léna|fusillade de la Léna]], en avril 1912 - 150 morts, 250 blessés&nbsp;-, marque le nouveau départ de la lutte ouvrière''&nbsp;». Les [[Bolcheviques|bolcheviques]] se décidèrent à agir et, pendant le Congrès du parti qui se tenait pendant la première quinzaine de janvier 1912, la scission entre les fractions s’approfondit&nbsp;; la ''Pravda ''changea de statut et devint son organe de publication officiel. Ce journal avait été publié pour la première fois en 1905 puis il fut édité par [[Trotsky|Trotsky]] en 1908 et, peu de temps après, [[Kamenev|Kamenev]] se chargea de sa publication. Il faut ici noter que la présence des bolcheviques à la direction correspondit au moment où il atteignit son plein essor. Le journal se délocalisa de Vienne à Saint-Pétersbourg et son premier numéro fut publié sous la direction de Lénine le 5 mai 1912 (22 avril de l’ancien calendrier). Avant son lancement, une grande compagne d’agitation s’était tenue dans les usines pour encourager les souscriptions publiques.
  
 
C’était la première fois que la ''Pravda'' (la Vérité) était publiée en tant que journal légal. Il coûtait deux kopecks (soit 4,8 centimes) et se présentait sous la forme d’un quatre pages où se mélangeaient des articles économiques, des sujets sur le [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]] et les grèves et deux poèmes prolétariens.
 
C’était la première fois que la ''Pravda'' (la Vérité) était publiée en tant que journal légal. Il coûtait deux kopecks (soit 4,8 centimes) et se présentait sous la forme d’un quatre pages où se mélangeaient des articles économiques, des sujets sur le [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]] et les grèves et deux poèmes prolétariens.
  
Entre la patience et l’audace, Lénine parvint à contribuer énormément à l’organisation de la classe ouvrière et pas seulement du parti. ''La Pravda'' dénonçait le véritable caractère d’exploitation du système capitaliste, l’autoritarisme du Tsar et, en même temps, éduquait la [[Conscience_de_classe|conscience de classe]] de milliers d’ouvriers. À la différence de ''l’Iskra'', journal pour les travailleurs – qui parvenait à quelques centaines de lecteurs , la Pravda de 1912 était un journal fait pour les travailleurs et destiné à des dizaines de milliers d’ouvriers d’avant-garde. Des correspondants de toute la Russie envoyaient 40 dénonciations par jour des différentes usines&nbsp;: elles étaient compilées dans la fameuse rubrique «&nbsp;rapports de correspondants&nbsp;»&nbsp;; 327 groupes se formèrent pour soutenir financièrement la parution de la Pravda par l’intermédiaire de collectes en groupe. Les correspondants avaient une importance fondamentale parce qu’ils agissaient comme des antennes transmetteuses de l’état d’âme du prolétariat et leurs rapports renforçaient la conscience commune. Entre-temps, les numéros étaient réimprimés dans des imprimeries clandestines pour être diffusés dans d’autres villes plus lointaines.
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Entre la patience et l’audace, Lénine parvint à contribuer énormément à l’organisation de la classe ouvrière et pas seulement du parti. ''La Pravda'' dénonçait le véritable caractère d’exploitation du système capitaliste, l’autoritarisme du Tsar et, en même temps, éduquait la [[Conscience_de_classe|conscience de classe]] de milliers d’ouvriers. À la différence de ''l’Iskra'', qui parvenait à quelques centaines de lecteurs, la Pravda de 1912 touchait des dizaines de milliers d’ouvriers d’avant-garde. Des correspondants de toute la Russie envoyaient 40 dénonciations par jour des différentes usines&nbsp;: elles étaient compilées dans la fameuse rubrique «&nbsp;rapports de correspondants&nbsp;»&nbsp;; 327 groupes se formèrent pour soutenir financièrement la parution de la Pravda par l’intermédiaire de collectes en groupe. Les correspondants avaient une importance fondamentale parce qu’ils agissaient comme des antennes transmetteuses de l’état d’âme du prolétariat et leurs rapports renforçaient la conscience commune. Entre-temps, les numéros étaient réimprimés dans des imprimeries clandestines pour être diffusés dans d’autres villes plus lointaines.
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Les travailleurs russes firent leur le journal bolchevique et l’identifièrent comme «&nbsp;leur journal&nbsp;», ce qui permit d’augmenter sa diffusion&nbsp;: si le premier numéro tira à 25 000 exemplaires, les semaines suivantes il dépassa les 60 000. Les ouvrières russes dénonçaient aussi les conditions d’exploitation et d’oppression auxquelles elles étaient soumises quotidiennement. La rubrique spéciale intitulée «&nbsp;Travail et vie des ouvrières&nbsp;» informait sur les manifestations et les préparatifs de la commémoration de la ''«&nbsp;[[Journée_internationale_des_femmes|Journée internationale des femmes]]&nbsp;»'' et encourageait la création d’organisations syndicales et politiques de femmes. Le journal parvint à se faire publier entre 1912 et 1914 malgré les actions en justice, les démantèlements, les détentions de militants, les amendes et les procès. Les poursuites policières et la forte campagne anti-guerre en gestation dans les pages de la ''Pravda'' conduisirent finalement le Tsar à démanteler la publication en juillet 1914. Suite au démantèlement, l’organisation ouvrière et du parti connut un reflux puisque la majorité des militants furent arrêtés, envoyés en exil ou enrôlés pour aller à la [[Grande_Guerre|guerre]].
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Lénine cherchait à moduler les publications pour toucher différentes cibles. En avril 1914, il propose de créer un supplément intersyndical, créer des suppléments régionaux, développer la section étrangère du''Pout Pravdy'' («&nbsp;La voie de la vérité&nbsp;»), mettre en œuvre une ''Pravda du soir'' à un kopeck, afin de cibler au mieux, à la fois les «&nbsp;ouvriers conscients&nbsp;», les «&nbsp;ouvriers du rang&nbsp;» et «&nbsp;l’homme de masse&nbsp;». Lénine estimera que la période permet également d’envisager que les lecteurs du ''Pout Pravdy'' participent plus activement «&nbsp;à la correspondance, à la direction du journal, à sa diffusion. Il faut obtenir que les ouvriers participent systématiquement au travail de la rédaction&nbsp;».<ref>Lénine, ''Du passé de la presse ouvrière en Russie'', avril 1914</ref>
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Lorsque le mouvement ouvrier commença à reprendre de la vigueur en 1916, le parti comptait à peine 5000 militants dans ses rangs, tous très jeunes (entre 18 et 30 ans). Ces hommes et ces femmes étaient l’[[Avant-garde|avant-garde]] ouvrière révolutionnaire que [[Lénine|Lénine]] aspirait à construire et qui, tout au long de 1917, organisèrent des centaines de milliers d’ouvriers dans les usines et les soviets, en préparation de l’insurrection.
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== De février à octobre 1917 ==
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La ''Pravda a reparu le 5 mars. Elle réclame «&nbsp;des négociations avec les prolétaires des pays étrangers […] pour mettre fin au massacre&nbsp;», position incontestablement internationaliste, sensiblement différente cependant de la ligne [[Défaitiste|défaitiste]] développée par Lénine depuis 1914, et adoptée par le comité central en émigration.
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Le 13 mars, les dirigeants déportés, libérés par la révolution, arrivent à Pétrograd&nbsp;: [[Mouranov|Mouranov]], [[Kamenev|Kamenev]], [[Staline|Staline]] reprennent la direction de l'organisation bolchevique. Un tournant se produit dans la ligne politique de la ''Pravda, ''dont Staline prend désormais la direction. Les bolcheviks se rallient à la thèse des [[Mencheviks|mencheviks]] suivant laquelle il faut désormais que les révolutionnaires russes poursuivent la guerre afin de défendre leurs récentes conquêtes démocratiques contre l'agression de l'[[Impérialisme_allemand|impérialisme allemand]]. Kamenev rédige plusieurs articles ouvertement défensistes, écrivant notamment qu'«&nbsp;un peuple libre répond aux balles par des balles&nbsp;». A la fin du mois, une conférence bolchevique adopte cette ligne, malgré quelques résistances&nbsp;: elle décide, sur proposition de Staline, que le rôle des soviets est de «&nbsp;soutenir le gouvernement provisoire dans son action aussi longtemps qu'il marche dans la vole de satisfaire la classe ouvrière&nbsp;». En fait, de simples nuances séparent ces positions de celles des mencheviks qui sont aussi partisans d'un «&nbsp;soutien conditionnel&nbsp;». Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que la même conférence, le I° avril, sur la proposition de Kamenev et Staline, accepte d'envisager la réunification de tous les social-démocrates que leur propose, au nom du comité d'organisation, le menchevik Tséretelli. La vieille conception conciliatrice semble l'emporter.
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La Pravda se transforma en «&nbsp;tribun du peuple&nbsp;» et en organisateur collectif durant tout le processus révolutionnaire.
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=== Rabotchi pout ===
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[[File:RabotchiPout.jpg|right|RabotchiPout.jpg]]Après les [[Journées_de_juillet_1917|journées de juillet]] et la dure répression qui frappe les bolchéviks, la ''Pravda'' est interdite. Elle est remplacée par une multitude de feuilles clandestines. A partir du 3 septembre, les bolchéviks publient à nouveau un quotidien légal avec un autre titre, le ''Rabotchi pout'' (''«&nbsp;Voix des travailleurs&nbsp;»''). Il en paraîtra 46 numéros.
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Le 23, le comité place ses délégués auprès de toutes les unités militaires dont les délégués viennent d'ailleurs de faire savoir qu'ils ne reconnaissent plus le gouvernement provisoire.
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Dans la nuit du 23 au 24 octobre, le gouvernement tente de frapper les bolchéviks en fermant leur imprimerie. Aussitôt, le [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] envoie un détachement qui rouvre l'imprimerie''.''
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Le 26 octobre 1917, au lendemain de l'insurrection, la ''Pravda'' peut reparaître.
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== Après la Révolution d'Octobre ==
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Après la [[Révolution_d'Octobre_1917|révolution d'Octobre 1917]], Lénine continue de penser que le rôle de la presse est central. Dans la ''Pravda'' du 20 septembre 1918, il écrivait&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;La presse bourgeoise du ‘‘bon vieux temps de la bourgeoisie’’ ne touchait pas au ‘‘saint des saints’’, à la situation intérieure des fabriques et des entreprises privées. Cette coutume répondait aux intérêts de la bourgeoisie. Nous devons nous en défaire radicalement. Ce ''n’est pas'' encore chose faite. Le caractère de nos journaux ''ne change pas'' encore autant qu’il le devrait dans une société qui passe du capitalisme au socialisme […]. Nous ne savons pas nous servir des journaux pour soutenir la lutte des classes, comme le faisait la bourgeoisie […]. Nous ne faisons pas une guerre sérieuse, impitoyable, vraiment révolutionnaire, aux porteurs ''véritables'' du mal. Nous faisons peu ''l’éducation des masses'' par des exemples vivants et concrets, pris dans tous les domaines de la vie&nbsp;; or, c’est la tâche essentielle de la presse lors du passage du capitalisme au communisme. Nous prêtons peu d’attention à la vie ''quotidienne'' des fabriques, des campagnes, des régiments, là où s’édifie la vie nouvelle plus qu’ailleurs, où il faut accorder le plus d’attention, faire de la publicité, critiquer au grand jour, stigmatiser les défauts, appeler à suivre le bon exemple. Moins de tapage politique. Moins de ratiocinations d’intellectuels. Se tenir plus près de la vie. Prêter plus d’attention à la façon dont la masse ouvrière et paysanne fait ''réellement'' œuvre ''novatrice'' dans son effort quotidien''&nbsp;''»</blockquote>
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== Notes et sources ==
  
Les travailleurs russes firent leur le journal bolchevique et l’identifièrent comme «&nbsp;leur journal&nbsp;», ce qui permit d’augmenter sa diffusion&nbsp;: si le premier numéro tira à 25 000 exemplaires, les semaines suivantes il dépassa les 60 000. Les ouvrières russes dénonçaient aussi les conditions d’exploitation et d’oppression auxquelles elles étaient soumises quotidiennement. La rubrique spéciale intitulée «&nbsp;Travail et vie des ouvrières&nbsp;» informait sur les manifestations et les préparatifs de la commémoration de la Journée de la femme et encourageait la création d’organisations syndicales et politiques de femmes.Le journal parvint à se faire publier entre 1912 et 1914 malgré les actions en justice, les démantèlements, les détentions de militants, les amendes et les procès. Les poursuites policières et la forte campagne anti-guerre en gestation dans les pages de la Pravda conduisirent finalement le Tsar à démanteler la publication en juillet 1914. Suite au démantèlement, l’organisation ouvrière et du parti connut un reflux puisque la majorité des militants furent arrêtés, envoyés en exil ou enrôlés pour aller à la guerre.
+
*Pierre Broué, [https://www.marxists.org/francais/broue/works/1963/00/broue_pbolch.htm ''Le parti bolchévique''], 1963
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*Fabien Granjon, [https://www.contretemps.eu/vladimir-ilitch-lenine-parti-presse-culture-revolution/ ''Vladimir Ilitch Lénine&nbsp;: parti, presse, culture & révolution''], Revue Contretemps, 16 mars 2015
  
Lorsque le mouvement ouvrier commença à reprendre de la vigueur en 1916, le parti comptait à peine 5000 militants dans ses rangs, tous très jeunes (entre 18 et 30 ans). Ces hommes et ces femmes étaient l’avant-garde ouvrière révolutionnaire que Lénine aspirait à construire et qui, tout au long de 1917, organisèrent des centaines de milliers d’ouvriers dans les usines et les soviets, en préparation de l’insurrection. Comme nous le verrons dans la seconde partie, la Pravda se transforma en «&nbsp;tribun du peuple&nbsp;» et en organisateur collectif durant tout le processus révolutionnaire, ce même après 1917.
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<references />
  
 
[[Category:Russie / URSS]] [[Category:Journaux]] [[Category:Mouvement ouvrier]]
 
[[Category:Russie / URSS]] [[Category:Journaux]] [[Category:Mouvement ouvrier]]

Version du 25 juillet 2017 à 23:01

800px-Prawda.16.3.1917.png

La  Pravda (la Vérité) était le journal du Parti bolchévik crée par Lénine le 5 mai (22 avril a.s.) 1912, il était destiné à influencer avec les idées marxistes de grandes masses d’ouvriers et de paysans, dont la conscience de classe commençait à s’éveiller.

Elle a dû paraître sous le nom de Rabotchi pout (Voix des travailleurs) du 3 septembre au 26 octobre (a.s).

1 Origines

Au début du 20e siècle, le mouvement révolutionnaire était trop restreint pour avoir une influence sur la réalité politique russe. Des cercles social-démocrates, d'intellectuels ou d'ouvriers, se forment un peu partout dans l'Empire russe, mais avec une certaine hétérogénéité et sans coordination. Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) avait tenu un premier congrès en 1898, mais sans parvenir à surmonter cet état de fait. La répression du régime tsariste obligeait à la clandestinité.

Un petit groupe de marxistes qui se retrouve dans le milieu des exilés russes en Europe cherche à fonder un véritable parti, autour d'un organe central, un journal. Ce groupe est composé d'anciens, comme Plekhanov, et de jeunes, comme Martov, et Lénine, qui est particulièrement convaincu et investi dans ce projet, qui débouche sur la création de l'Iskra (L’Étincelle) en décembre 1900.

Suite au Second congrès du POSDR (1903), la rédaction de l'Iskra se divise et passe aux mains des menchéviks. Deux ans plus tard, Lénine et ses partisans (les bolchéviks) décident de doter leur fraction de leur propre journal, nommé Vperiod. A dater de mai 1905, Vperiod est remplacé par le Prolétari, au Troisième congrès du POSDR.

Après l’échec de l’insurrection de 1905, une tentative de réunification des menchéviks et des bolchéviks a lieu mais échoue. Les différences stratégiques se creusent encore plus. Dans cette situation de reflux et de répression, le POSDR rétrécit et des tendances liquidationnistes de droite et de gauche apparaissent.

2 La Pravda et les années de préparation

La décennie 1910 commença avec un nouveau départ des luttes ouvrières et la radicalisation des étudiants : « Il y aura 100000 grévistes en 1911, dans des grèves partielles, et 400000 le I° mai. La fusillade de la Léna, en avril 1912 - 150 morts, 250 blessés -, marque le nouveau départ de la lutte ouvrière ». Les bolcheviques se décidèrent à agir et, pendant le Congrès du parti qui se tenait pendant la première quinzaine de janvier 1912, la scission entre les fractions s’approfondit ; la Pravda changea de statut et devint son organe de publication officiel. Ce journal avait été publié pour la première fois en 1905 puis il fut édité par Trotsky en 1908 et, peu de temps après, Kamenev se chargea de sa publication. Il faut ici noter que la présence des bolcheviques à la direction correspondit au moment où il atteignit son plein essor. Le journal se délocalisa de Vienne à Saint-Pétersbourg et son premier numéro fut publié sous la direction de Lénine le 5 mai 1912 (22 avril de l’ancien calendrier). Avant son lancement, une grande compagne d’agitation s’était tenue dans les usines pour encourager les souscriptions publiques.

C’était la première fois que la Pravda (la Vérité) était publiée en tant que journal légal. Il coûtait deux kopecks (soit 4,8 centimes) et se présentait sous la forme d’un quatre pages où se mélangeaient des articles économiques, des sujets sur le mouvement ouvrier et les grèves et deux poèmes prolétariens.

Entre la patience et l’audace, Lénine parvint à contribuer énormément à l’organisation de la classe ouvrière et pas seulement du parti. La Pravda dénonçait le véritable caractère d’exploitation du système capitaliste, l’autoritarisme du Tsar et, en même temps, éduquait la conscience de classe de milliers d’ouvriers. À la différence de l’Iskra, qui parvenait à quelques centaines de lecteurs, la Pravda de 1912 touchait des dizaines de milliers d’ouvriers d’avant-garde. Des correspondants de toute la Russie envoyaient 40 dénonciations par jour des différentes usines : elles étaient compilées dans la fameuse rubrique « rapports de correspondants » ; 327 groupes se formèrent pour soutenir financièrement la parution de la Pravda par l’intermédiaire de collectes en groupe. Les correspondants avaient une importance fondamentale parce qu’ils agissaient comme des antennes transmetteuses de l’état d’âme du prolétariat et leurs rapports renforçaient la conscience commune. Entre-temps, les numéros étaient réimprimés dans des imprimeries clandestines pour être diffusés dans d’autres villes plus lointaines.

Les travailleurs russes firent leur le journal bolchevique et l’identifièrent comme « leur journal », ce qui permit d’augmenter sa diffusion : si le premier numéro tira à 25 000 exemplaires, les semaines suivantes il dépassa les 60 000. Les ouvrières russes dénonçaient aussi les conditions d’exploitation et d’oppression auxquelles elles étaient soumises quotidiennement. La rubrique spéciale intitulée « Travail et vie des ouvrières » informait sur les manifestations et les préparatifs de la commémoration de la « Journée internationale des femmes » et encourageait la création d’organisations syndicales et politiques de femmes. Le journal parvint à se faire publier entre 1912 et 1914 malgré les actions en justice, les démantèlements, les détentions de militants, les amendes et les procès. Les poursuites policières et la forte campagne anti-guerre en gestation dans les pages de la Pravda conduisirent finalement le Tsar à démanteler la publication en juillet 1914. Suite au démantèlement, l’organisation ouvrière et du parti connut un reflux puisque la majorité des militants furent arrêtés, envoyés en exil ou enrôlés pour aller à la guerre.

Lénine cherchait à moduler les publications pour toucher différentes cibles. En avril 1914, il propose de créer un supplément intersyndical, créer des suppléments régionaux, développer la section étrangère duPout Pravdy (« La voie de la vérité »), mettre en œuvre une Pravda du soir à un kopeck, afin de cibler au mieux, à la fois les « ouvriers conscients », les « ouvriers du rang » et « l’homme de masse ». Lénine estimera que la période permet également d’envisager que les lecteurs du Pout Pravdy participent plus activement « à la correspondance, à la direction du journal, à sa diffusion. Il faut obtenir que les ouvriers participent systématiquement au travail de la rédaction ».[1]

Lorsque le mouvement ouvrier commença à reprendre de la vigueur en 1916, le parti comptait à peine 5000 militants dans ses rangs, tous très jeunes (entre 18 et 30 ans). Ces hommes et ces femmes étaient l’avant-garde ouvrière révolutionnaire que Lénine aspirait à construire et qui, tout au long de 1917, organisèrent des centaines de milliers d’ouvriers dans les usines et les soviets, en préparation de l’insurrection.

3 De février à octobre 1917

La Pravda a reparu le 5 mars. Elle réclame « des négociations avec les prolétaires des pays étrangers […] pour mettre fin au massacre », position incontestablement internationaliste, sensiblement différente cependant de la ligne défaitiste développée par Lénine depuis 1914, et adoptée par le comité central en émigration.

Le 13 mars, les dirigeants déportés, libérés par la révolution, arrivent à Pétrograd : Mouranov, Kamenev, Staline reprennent la direction de l'organisation bolchevique. Un tournant se produit dans la ligne politique de la Pravda, dont Staline prend désormais la direction. Les bolcheviks se rallient à la thèse des mencheviks suivant laquelle il faut désormais que les révolutionnaires russes poursuivent la guerre afin de défendre leurs récentes conquêtes démocratiques contre l'agression de l'impérialisme allemand. Kamenev rédige plusieurs articles ouvertement défensistes, écrivant notamment qu'« un peuple libre répond aux balles par des balles ». A la fin du mois, une conférence bolchevique adopte cette ligne, malgré quelques résistances : elle décide, sur proposition de Staline, que le rôle des soviets est de « soutenir le gouvernement provisoire dans son action aussi longtemps qu'il marche dans la vole de satisfaire la classe ouvrière ». En fait, de simples nuances séparent ces positions de celles des mencheviks qui sont aussi partisans d'un « soutien conditionnel ». Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que la même conférence, le I° avril, sur la proposition de Kamenev et Staline, accepte d'envisager la réunification de tous les social-démocrates que leur propose, au nom du comité d'organisation, le menchevik Tséretelli. La vieille conception conciliatrice semble l'emporter.

La Pravda se transforma en « tribun du peuple » et en organisateur collectif durant tout le processus révolutionnaire.

3.1 Rabotchi pout

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Après les journées de juillet et la dure répression qui frappe les bolchéviks, la Pravda est interdite. Elle est remplacée par une multitude de feuilles clandestines. A partir du 3 septembre, les bolchéviks publient à nouveau un quotidien légal avec un autre titre, le Rabotchi pout (« Voix des travailleurs »). Il en paraîtra 46 numéros.

Le 23, le comité place ses délégués auprès de toutes les unités militaires dont les délégués viennent d'ailleurs de faire savoir qu'ils ne reconnaissent plus le gouvernement provisoire.

Dans la nuit du 23 au 24 octobre, le gouvernement tente de frapper les bolchéviks en fermant leur imprimerie. Aussitôt, le Comité militaire révolutionnaire envoie un détachement qui rouvre l'imprimerie.

Le 26 octobre 1917, au lendemain de l'insurrection, la Pravda peut reparaître.

4 Après la Révolution d'Octobre

Après la révolution d'Octobre 1917, Lénine continue de penser que le rôle de la presse est central. Dans la Pravda du 20 septembre 1918, il écrivait :

« La presse bourgeoise du ‘‘bon vieux temps de la bourgeoisie’’ ne touchait pas au ‘‘saint des saints’’, à la situation intérieure des fabriques et des entreprises privées. Cette coutume répondait aux intérêts de la bourgeoisie. Nous devons nous en défaire radicalement. Ce n’est pas encore chose faite. Le caractère de nos journaux ne change pas encore autant qu’il le devrait dans une société qui passe du capitalisme au socialisme […]. Nous ne savons pas nous servir des journaux pour soutenir la lutte des classes, comme le faisait la bourgeoisie […]. Nous ne faisons pas une guerre sérieuse, impitoyable, vraiment révolutionnaire, aux porteurs véritables du mal. Nous faisons peu l’éducation des masses par des exemples vivants et concrets, pris dans tous les domaines de la vie ; or, c’est la tâche essentielle de la presse lors du passage du capitalisme au communisme. Nous prêtons peu d’attention à la vie quotidienne des fabriques, des campagnes, des régiments, là où s’édifie la vie nouvelle plus qu’ailleurs, où il faut accorder le plus d’attention, faire de la publicité, critiquer au grand jour, stigmatiser les défauts, appeler à suivre le bon exemple. Moins de tapage politique. Moins de ratiocinations d’intellectuels. Se tenir plus près de la vie. Prêter plus d’attention à la façon dont la masse ouvrière et paysanne fait réellement œuvre novatrice dans son effort quotidien »

5 Notes et sources

  1. Lénine, Du passé de la presse ouvrière en Russie, avril 1914