Différences entre les versions de « Pravda »

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Au début du 20<sup>e</sup> siècle, le mouvement révolutionnaire était trop restreint pour avoir une influence sur la réalité politique russe. Des cercles social-démocrates, d'intellectuels ou d'ouvriers, se forment un peu partout dans l'Empire russe, mais avec une certaine hétérogénéité et sans coordination. Le [[Parti_ouvrier_social-démocrate_de_Russie|Parti ouvrier social-démocrate de Russie]] (POSDR) avait tenu un premier congrès en 1898, mais sans parvenir à surmonter cet état de fait. La répression du régime tsariste obligeait à la [[clandestinité|clandestinité]].
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Au début du 20<sup>e</sup> siècle, le mouvement révolutionnaire était trop restreint pour avoir une influence sur la réalité politique russe. Des cercles social-démocrates, d'intellectuels ou d'ouvriers, se forment un peu partout dans l'Empire russe, mais avec une certaine hétérogénéité et sans coordination. Le [[Parti_ouvrier_social-démocrate_de_Russie|Parti ouvrier social-démocrate de Russie]] (POSDR) avait tenu un premier congrès en 1898, mais sans parvenir à surmonter cet état de fait. La répression du régime tsariste obligeait à la [[Clandestinité|clandestinité]].
  
 
Un petit groupe de marxistes qui se retrouve dans le milieu des exilés russes en Europe cherche à fonder un véritable parti, autour d'un organe central, un [[Journal_ouvrier|journal]]. Ce groupe est composé d'anciens, comme [[Plekhanov|Plekhanov]], et de jeunes, comme [[Martov|Martov]], et [[Lénine|Lénine]], qui est particulièrement convaincu et investi dans ce projet, qui débouche sur la création de l'[[Iskra|''Iskra'']] (L’Étincelle) en décembre 1900.
 
Un petit groupe de marxistes qui se retrouve dans le milieu des exilés russes en Europe cherche à fonder un véritable parti, autour d'un organe central, un [[Journal_ouvrier|journal]]. Ce groupe est composé d'anciens, comme [[Plekhanov|Plekhanov]], et de jeunes, comme [[Martov|Martov]], et [[Lénine|Lénine]], qui est particulièrement convaincu et investi dans ce projet, qui débouche sur la création de l'[[Iskra|''Iskra'']] (L’Étincelle) en décembre 1900.
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Suite au [[Second_congrès_du_POSDR|Second congrès du POSDR]] (1903), la rédaction de l'[[Iskra|''Iskra'']] se divise et passe aux mains des [[Menchéviks|menchéviks]]. Deux ans plus tard, [[Lénine|Lénine]] et ses partisans (les [[Bolchéviks|bolchéviks]]) décident de doter leur fraction de leur propre journal, nommé [[Vperiod|''Vperiod'']]. A dater de mai 1905, ''Vperiod'' est remplacé par le [[Prolétari|''Prolétari'']], au [[Troisième_congrès_du_POSDR|Troisième congrès du POSDR]].
 
Suite au [[Second_congrès_du_POSDR|Second congrès du POSDR]] (1903), la rédaction de l'[[Iskra|''Iskra'']] se divise et passe aux mains des [[Menchéviks|menchéviks]]. Deux ans plus tard, [[Lénine|Lénine]] et ses partisans (les [[Bolchéviks|bolchéviks]]) décident de doter leur fraction de leur propre journal, nommé [[Vperiod|''Vperiod'']]. A dater de mai 1905, ''Vperiod'' est remplacé par le [[Prolétari|''Prolétari'']], au [[Troisième_congrès_du_POSDR|Troisième congrès du POSDR]].
  
Après l’échec de l’[[Révolution_russe_(1905)|insurrection de 1905]], une tentative de réunification des [[menchéviks|menchéviks]] et des [[bolchéviks|bolchéviks]] a lieu mais échoue. Les différences stratégiques se creusent encore plus. Dans cette situation de reflux et de répression, le [[POSDR|POSDR]] rétrécit et des tendances [[liquidationnistes|liquidationnistes]] de droite et de gauche apparaissent.
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Après l’échec de l’[[Révolution_russe_(1905)|insurrection de 1905]], une tentative de réunification des [[Menchéviks|menchéviks]] et des [[Bolchéviks|bolchéviks]] a lieu mais échoue. Les différences stratégiques se creusent encore plus. Dans cette situation de reflux et de répression, le [[POSDR|POSDR]] rétrécit et des tendances [[Liquidationnistes|liquidationnistes]] de droite et de gauche apparaissent.
  
 
== La Pravda et les années de préparation ==
 
== La Pravda et les années de préparation ==
  
La décennie 1910 commença avec un nouveau départ des luttes ouvrières et la radicalisation des étudiants&nbsp;: «''&nbsp;Il y aura 100000 grévistes en 1911, dans des grèves partielles, et 400000 le I° mai. La [[Massacre_de_la_Léna|fusillade de la Léna]], en avril 1912 - 150 morts, 250 blessés&nbsp;-, marque le nouveau départ de la lutte ouvrière''&nbsp;». Les [[bolcheviques|bolcheviques]] se décidèrent à agir et, pendant le Congrès du parti qui se tenait pendant la première quinzaine de janvier 1912, la scission entre les fractions s’approfondit&nbsp;; la ''Pravda ''changea de statut et devint son organe de publication officiel. Ce journal avait été publié pour la première fois en 1905 puis il fut édité par [[Trotsky|Trotsky]] en 1908 et, peu de temps après, [[Kamenev|Kamenev]] se chargea de sa publication. Il faut ici noter que la présence des bolcheviques à la direction correspondit au moment où il atteignit son plein essor. Le journal se délocalisa de Vienne à Saint-Pétersbourg et son premier numéro fut publié sous la direction de Lénine le 5 mai 1912 (22 avril de l’ancien calendrier). Avant son lancement, une grande compagne d’agitation s’était tenue dans les usines pour encourager les souscriptions publiques.
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La décennie 1910 commença avec un nouveau départ des luttes ouvrières et la radicalisation des étudiants&nbsp;: «''&nbsp;Il y aura 100000 grévistes en 1911, dans des grèves partielles, et 400000 le I° mai. La [[Massacre_de_la_Léna|fusillade de la Léna]], en avril 1912 - 150 morts, 250 blessés&nbsp;-, marque le nouveau départ de la lutte ouvrière''&nbsp;». Les [[Bolcheviques|bolcheviques]] se décidèrent à agir et, pendant le Congrès du parti qui se tenait pendant la première quinzaine de janvier 1912, la scission entre les fractions s’approfondit&nbsp;; la ''Pravda ''changea de statut et devint son organe de publication officiel. Ce journal avait été publié pour la première fois en 1905 puis il fut édité par [[Trotsky|Trotsky]] en 1908 et, peu de temps après, [[Kamenev|Kamenev]] se chargea de sa publication. Il faut ici noter que la présence des bolcheviques à la direction correspondit au moment où il atteignit son plein essor. Le journal se délocalisa de Vienne à Saint-Pétersbourg et son premier numéro fut publié sous la direction de Lénine le 5 mai 1912 (22 avril de l’ancien calendrier). Avant son lancement, une grande compagne d’agitation s’était tenue dans les usines pour encourager les souscriptions publiques.
  
 
C’était la première fois que la ''Pravda'' (la Vérité) était publiée en tant que journal légal. Il coûtait deux kopecks (soit 4,8 centimes) et se présentait sous la forme d’un quatre pages où se mélangeaient des articles économiques, des sujets sur le [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]] et les grèves et deux poèmes prolétariens.
 
C’était la première fois que la ''Pravda'' (la Vérité) était publiée en tant que journal légal. Il coûtait deux kopecks (soit 4,8 centimes) et se présentait sous la forme d’un quatre pages où se mélangeaient des articles économiques, des sujets sur le [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]] et les grèves et deux poèmes prolétariens.
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Les travailleurs russes firent leur le journal bolchevique et l’identifièrent comme «&nbsp;leur journal&nbsp;», ce qui permit d’augmenter sa diffusion&nbsp;: si le premier numéro tira à 25 000 exemplaires, les semaines suivantes il dépassa les 60 000. Les ouvrières russes dénonçaient aussi les conditions d’exploitation et d’oppression auxquelles elles étaient soumises quotidiennement. La rubrique spéciale intitulée «&nbsp;Travail et vie des ouvrières&nbsp;» informait sur les manifestations et les préparatifs de la commémoration de la ''«&nbsp;[[Journée_internationale_des_femmes|Journée internationale des femmes]]&nbsp;»'' et encourageait la création d’organisations syndicales et politiques de femmes. Le journal parvint à se faire publier entre 1912 et 1914 malgré les actions en justice, les démantèlements, les détentions de militants, les amendes et les procès. Les poursuites policières et la forte campagne anti-guerre en gestation dans les pages de la ''Pravda'' conduisirent finalement le Tsar à démanteler la publication en juillet 1914. Suite au démantèlement, l’organisation ouvrière et du parti connut un reflux puisque la majorité des militants furent arrêtés, envoyés en exil ou enrôlés pour aller à la [[Grande_Guerre|guerre]].
 
Les travailleurs russes firent leur le journal bolchevique et l’identifièrent comme «&nbsp;leur journal&nbsp;», ce qui permit d’augmenter sa diffusion&nbsp;: si le premier numéro tira à 25 000 exemplaires, les semaines suivantes il dépassa les 60 000. Les ouvrières russes dénonçaient aussi les conditions d’exploitation et d’oppression auxquelles elles étaient soumises quotidiennement. La rubrique spéciale intitulée «&nbsp;Travail et vie des ouvrières&nbsp;» informait sur les manifestations et les préparatifs de la commémoration de la ''«&nbsp;[[Journée_internationale_des_femmes|Journée internationale des femmes]]&nbsp;»'' et encourageait la création d’organisations syndicales et politiques de femmes. Le journal parvint à se faire publier entre 1912 et 1914 malgré les actions en justice, les démantèlements, les détentions de militants, les amendes et les procès. Les poursuites policières et la forte campagne anti-guerre en gestation dans les pages de la ''Pravda'' conduisirent finalement le Tsar à démanteler la publication en juillet 1914. Suite au démantèlement, l’organisation ouvrière et du parti connut un reflux puisque la majorité des militants furent arrêtés, envoyés en exil ou enrôlés pour aller à la [[Grande_Guerre|guerre]].
  
Lorsque le mouvement ouvrier commença à reprendre de la vigueur en 1916, le parti comptait à peine 5000 militants dans ses rangs, tous très jeunes (entre 18 et 30 ans). Ces hommes et ces femmes étaient l’avant-garde ouvrière révolutionnaire que Lénine aspirait à construire et qui, tout au long de 1917, organisèrent des centaines de milliers d’ouvriers dans les usines et les soviets, en préparation de l’insurrection. La Pravda se transforma en «&nbsp;tribun du peuple&nbsp;» et en organisateur collectif durant tout le processus révolutionnaire, ce même après 1917.
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Lénine cherchait à moduler les publications pour toucher différentes cibles. En avril 1914, il propose de créer un supplément intersyndical, créer des suppléments régionaux, développer la section étrangère du''Pout Pravdy'' («&nbsp;La voie de la vérité&nbsp;»), mettre en œuvre une ''Pravda du soir'' à un kopeck, afin de cibler au mieux, à la fois les «&nbsp;ouvriers conscients&nbsp;», les «&nbsp;ouvriers du rang&nbsp;» et «&nbsp;l’homme de masse&nbsp;». Lénine estimera que la période permet également d’envisager que les lecteurs du ''Pout Pravdy'' participent plus activement «&nbsp;à la correspondance, à la direction du journal, à sa diffusion. Il faut obtenir que les ouvriers participent systématiquement au travail de la rédaction&nbsp;».<ref>Lénine, ''Du passé de la presse ouvrière en Russie'', avril 1914</ref>
  
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Lorsque le mouvement ouvrier commença à reprendre de la vigueur en 1916, le parti comptait à peine 5000 militants dans ses rangs, tous très jeunes (entre 18 et 30 ans). Ces hommes et ces femmes étaient l’avant-garde ouvrière révolutionnaire que Lénine aspirait à construire et qui, tout au long de 1917, organisèrent des centaines de milliers d’ouvriers dans les usines et les soviets, en préparation de l’insurrection. La Pravda se transforma en «&nbsp;tribun du peuple&nbsp;» et en organisateur collectif durant tout le processus révolutionnaire.
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== Après la Révolution d'Octobre ==
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Après la [[révolution_d'Octobre_1917|révolution d'Octobre 1917]], Lénine continue de penser que le rôle de la presse est central. Dans la ''Pravda'' du 20 septembre 1918, il écrivait :
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« La presse bourgeoise du ‘‘bon vieux temps de la bourgeoisie’’ ne touchait pas au ‘‘saint des saints’’, à la situation intérieure des fabriques et des entreprises privées. Cette coutume répondait aux intérêts de la bourgeoisie. Nous devons nous en défaire radicalement. Ce ''n’est pas'' encore chose faite. Le caractère de nos journaux ''ne change pas'' encore autant qu’il le devrait dans une société qui passe du capitalisme au socialisme […]. Nous ne savons pas nous servir des journaux pour soutenir la lutte des classes, comme le faisait la bourgeoisie […]. Nous ne faisons pas une guerre sérieuse, impitoyable, vraiment révolutionnaire, aux porteurs ''véritables'' du mal. Nous faisons peu ''l’éducation des masses'' par des exemples vivants et concrets, pris dans tous les domaines de la vie&nbsp;; or, c’est la tâche essentielle de la presse lors du passage du capitalisme au communisme. Nous prêtons peu d’attention à la vie ''quotidienne'' des fabriques, des campagnes, des régiments, là où s’édifie la vie nouvelle plus qu’ailleurs, où il faut accorder le plus d’attention, faire de la publicité, critiquer au grand jour, stigmatiser les défauts, appeler à suivre le bon exemple. Moins de tapage politique. Moins de ratiocinations d’intellectuels. Se tenir plus près de la vie. Prêter plus d’attention à la façon dont la masse ouvrière et paysanne fait ''réellement'' œuvre ''novatrice'' dans son effort quotidien''&nbsp;''»
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== Notes et sources ==
 
== Notes et sources ==
  
Fabien Granjon, [https://www.contretemps.eu/vladimir-ilitch-lenine-parti-presse-culture-revolution/ ''Vladimir Ilitch Lénine : parti, presse, culture & révolution''], Revue Contretemps, 16 mars 2015
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Fabien Granjon, [https://www.contretemps.eu/vladimir-ilitch-lenine-parti-presse-culture-revolution/ ''Vladimir Ilitch Lénine&nbsp;: parti, presse, culture & révolution''], Revue Contretemps, 16 mars 2015
  
 
[[Category:Russie / URSS]] [[Category:Journaux]] [[Category:Mouvement ouvrier]]
 
[[Category:Russie / URSS]] [[Category:Journaux]] [[Category:Mouvement ouvrier]]

Version du 21 juin 2017 à 14:08

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La  Pravda (la Vérité) était le journal du Parti bolchévik crée par Lénine le 5 mai (22 avril a.s.) 1912, il était destiné à influencer avec les idées marxistes de grandes masses d’ouvriers et de paysans, dont la conscience de classe commençait à s’éveiller.

1 Origines

Au début du 20e siècle, le mouvement révolutionnaire était trop restreint pour avoir une influence sur la réalité politique russe. Des cercles social-démocrates, d'intellectuels ou d'ouvriers, se forment un peu partout dans l'Empire russe, mais avec une certaine hétérogénéité et sans coordination. Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) avait tenu un premier congrès en 1898, mais sans parvenir à surmonter cet état de fait. La répression du régime tsariste obligeait à la clandestinité.

Un petit groupe de marxistes qui se retrouve dans le milieu des exilés russes en Europe cherche à fonder un véritable parti, autour d'un organe central, un journal. Ce groupe est composé d'anciens, comme Plekhanov, et de jeunes, comme Martov, et Lénine, qui est particulièrement convaincu et investi dans ce projet, qui débouche sur la création de l'Iskra (L’Étincelle) en décembre 1900.

Suite au Second congrès du POSDR (1903), la rédaction de l'Iskra se divise et passe aux mains des menchéviks. Deux ans plus tard, Lénine et ses partisans (les bolchéviks) décident de doter leur fraction de leur propre journal, nommé Vperiod. A dater de mai 1905, Vperiod est remplacé par le Prolétari, au Troisième congrès du POSDR.

Après l’échec de l’insurrection de 1905, une tentative de réunification des menchéviks et des bolchéviks a lieu mais échoue. Les différences stratégiques se creusent encore plus. Dans cette situation de reflux et de répression, le POSDR rétrécit et des tendances liquidationnistes de droite et de gauche apparaissent.

2 La Pravda et les années de préparation

La décennie 1910 commença avec un nouveau départ des luttes ouvrières et la radicalisation des étudiants : « Il y aura 100000 grévistes en 1911, dans des grèves partielles, et 400000 le I° mai. La fusillade de la Léna, en avril 1912 - 150 morts, 250 blessés -, marque le nouveau départ de la lutte ouvrière ». Les bolcheviques se décidèrent à agir et, pendant le Congrès du parti qui se tenait pendant la première quinzaine de janvier 1912, la scission entre les fractions s’approfondit ; la Pravda changea de statut et devint son organe de publication officiel. Ce journal avait été publié pour la première fois en 1905 puis il fut édité par Trotsky en 1908 et, peu de temps après, Kamenev se chargea de sa publication. Il faut ici noter que la présence des bolcheviques à la direction correspondit au moment où il atteignit son plein essor. Le journal se délocalisa de Vienne à Saint-Pétersbourg et son premier numéro fut publié sous la direction de Lénine le 5 mai 1912 (22 avril de l’ancien calendrier). Avant son lancement, une grande compagne d’agitation s’était tenue dans les usines pour encourager les souscriptions publiques.

C’était la première fois que la Pravda (la Vérité) était publiée en tant que journal légal. Il coûtait deux kopecks (soit 4,8 centimes) et se présentait sous la forme d’un quatre pages où se mélangeaient des articles économiques, des sujets sur le mouvement ouvrier et les grèves et deux poèmes prolétariens.

Entre la patience et l’audace, Lénine parvint à contribuer énormément à l’organisation de la classe ouvrière et pas seulement du parti. La Pravda dénonçait le véritable caractère d’exploitation du système capitaliste, l’autoritarisme du Tsar et, en même temps, éduquait la conscience de classe de milliers d’ouvriers. À la différence de l’Iskra, qui parvenait à quelques centaines de lecteurs, la Pravda de 1912 touchait des dizaines de milliers d’ouvriers d’avant-garde. Des correspondants de toute la Russie envoyaient 40 dénonciations par jour des différentes usines : elles étaient compilées dans la fameuse rubrique « rapports de correspondants » ; 327 groupes se formèrent pour soutenir financièrement la parution de la Pravda par l’intermédiaire de collectes en groupe. Les correspondants avaient une importance fondamentale parce qu’ils agissaient comme des antennes transmetteuses de l’état d’âme du prolétariat et leurs rapports renforçaient la conscience commune. Entre-temps, les numéros étaient réimprimés dans des imprimeries clandestines pour être diffusés dans d’autres villes plus lointaines.

Les travailleurs russes firent leur le journal bolchevique et l’identifièrent comme « leur journal », ce qui permit d’augmenter sa diffusion : si le premier numéro tira à 25 000 exemplaires, les semaines suivantes il dépassa les 60 000. Les ouvrières russes dénonçaient aussi les conditions d’exploitation et d’oppression auxquelles elles étaient soumises quotidiennement. La rubrique spéciale intitulée « Travail et vie des ouvrières » informait sur les manifestations et les préparatifs de la commémoration de la « Journée internationale des femmes » et encourageait la création d’organisations syndicales et politiques de femmes. Le journal parvint à se faire publier entre 1912 et 1914 malgré les actions en justice, les démantèlements, les détentions de militants, les amendes et les procès. Les poursuites policières et la forte campagne anti-guerre en gestation dans les pages de la Pravda conduisirent finalement le Tsar à démanteler la publication en juillet 1914. Suite au démantèlement, l’organisation ouvrière et du parti connut un reflux puisque la majorité des militants furent arrêtés, envoyés en exil ou enrôlés pour aller à la guerre.

Lénine cherchait à moduler les publications pour toucher différentes cibles. En avril 1914, il propose de créer un supplément intersyndical, créer des suppléments régionaux, développer la section étrangère duPout Pravdy (« La voie de la vérité »), mettre en œuvre une Pravda du soir à un kopeck, afin de cibler au mieux, à la fois les « ouvriers conscients », les « ouvriers du rang » et « l’homme de masse ». Lénine estimera que la période permet également d’envisager que les lecteurs du Pout Pravdy participent plus activement « à la correspondance, à la direction du journal, à sa diffusion. Il faut obtenir que les ouvriers participent systématiquement au travail de la rédaction ».[1]

Lorsque le mouvement ouvrier commença à reprendre de la vigueur en 1916, le parti comptait à peine 5000 militants dans ses rangs, tous très jeunes (entre 18 et 30 ans). Ces hommes et ces femmes étaient l’avant-garde ouvrière révolutionnaire que Lénine aspirait à construire et qui, tout au long de 1917, organisèrent des centaines de milliers d’ouvriers dans les usines et les soviets, en préparation de l’insurrection. La Pravda se transforma en « tribun du peuple » et en organisateur collectif durant tout le processus révolutionnaire.

3 Après la Révolution d'Octobre

Après la révolution d'Octobre 1917, Lénine continue de penser que le rôle de la presse est central. Dans la Pravda du 20 septembre 1918, il écrivait :

« La presse bourgeoise du ‘‘bon vieux temps de la bourgeoisie’’ ne touchait pas au ‘‘saint des saints’’, à la situation intérieure des fabriques et des entreprises privées. Cette coutume répondait aux intérêts de la bourgeoisie. Nous devons nous en défaire radicalement. Ce n’est pas encore chose faite. Le caractère de nos journaux ne change pas encore autant qu’il le devrait dans une société qui passe du capitalisme au socialisme […]. Nous ne savons pas nous servir des journaux pour soutenir la lutte des classes, comme le faisait la bourgeoisie […]. Nous ne faisons pas une guerre sérieuse, impitoyable, vraiment révolutionnaire, aux porteurs véritables du mal. Nous faisons peu l’éducation des masses par des exemples vivants et concrets, pris dans tous les domaines de la vie ; or, c’est la tâche essentielle de la presse lors du passage du capitalisme au communisme. Nous prêtons peu d’attention à la vie quotidienne des fabriques, des campagnes, des régiments, là où s’édifie la vie nouvelle plus qu’ailleurs, où il faut accorder le plus d’attention, faire de la publicité, critiquer au grand jour, stigmatiser les défauts, appeler à suivre le bon exemple. Moins de tapage politique. Moins de ratiocinations d’intellectuels. Se tenir plus près de la vie. Prêter plus d’attention à la façon dont la masse ouvrière et paysanne fait réellement œuvre novatrice dans son effort quotidien »

4 Notes et sources

Fabien Granjon, Vladimir Ilitch Lénine : parti, presse, culture & révolution, Revue Contretemps, 16 mars 2015

  1. Lénine, Du passé de la presse ouvrière en Russie, avril 1914