Pré-parlement (Russie)

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Théâtre Alexandre, où se tient la Conférence démocratique
Jusqu'en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui avait à l'époque 13 jours de retard sur le calendrier grégorien. Le 23 février « ancien style » correspond donc au 8 mars « nouveau style » (n.s.).

Le Soviet de la République ou Pré-parlement, était une assemblée législative éphémère créée juste avant la Révolution d'Octobre.

Il est issu de la « Conférence démocratique » des 14-22 septembre (n.s 27 septembre-5 octobre).

1 La Conférence démocratique

1.1 Convocation

Début septembre, suite à la déroute du putsch de Kornilov, le gouvernement provisoire est en crise politique. Les bolchéviks sont en force. Le 31 août, le soviet de Petrograd et 126 soviets de province votent une résolution en faveur du pouvoir des soviets.

Face à Kérensky qui concentre de fait le pouvoir, à la tête d’un directoire de 5 personnes, les conciliateurs (socialistes-révolutionnaires et menchéviks) ont l'idée d'une « conférence démocratique » censée montrer leurs forces, réfréner les ambitions de Kerensky, mais aussi servir de contre-feu au Congrès des soviets.

La conférence est finalement convoquée, d'abord pour le 12 septembre, puis ajournée au 14. Elle se tient au Théâtre Alexandra à Petrograd.

1.2 Représentativité

Les conciliateurs perdant pied dans les soviets, ils font tout pour constituer des délégations qui s'appuient sur des secteurs moins mobilisés, et de composition plus petite-bourgeoise, où ils ont encore la prépondérance. Ils favorisent ainsi largement les zemstvos par rapport aux soviets, insistent sur la nécessité de représenter largement le secteur des coopératives... On soulignait que celles-ci représentaient 20 millions de leurs membres, voire « la moitié de la population de la Russie », de par leurs racines dans les campagnes.

Les dirigeants des coopératives qui, auparavant, n'avaient occupé aucune place dans la politique, s'engagèrent pour la première fois sur ce terrain pendant la Conférence de Moscou. Ils approuvaient l'expropriation des propriétaires nobles sous condition que leurs propres lots (souvent très importants) soient agrandis. Parmi ces dirigeants on trouvait des intellectuels libéralo-populistes, partiellement libéralo-marxistes, qui établissaient un pont naturel entre les KD et les conciliateurs. « A l'égard des bolcheviks, les coopérateurs manifestaient une haine analogue à celle du koulak pour le journalier insoumis »[1]. Trotsky polémiquait devant le Soviet de Petrograd : « Les coopérateurs doivent être de bons organisateurs, marchands, comptables, mais, quant à la défense des droits de classe, les paysans comme les ouvriers la remettent à leurs soviets ».

Lénine stigmatise ces « champions de la fraude », mais aussi l'erreur des bolchéviks qui se laissent aveugler.[2]

1775 délégués furent validés, et 1582 se présentèrent. Les bolchéviks se retrouvent donc en minorité. Mais «  ils représentaient un groupe très imposant qui, sur certaines questions, rassemblait autour de lui plus du tiers de l'assistance »[1]. Les délégués affiliés à des partis étaient au nombre de :

Le parti KD, discrédité par son soutien à la réaction kornilovienne, ne fut pas admis en tant que tel, mais de nombreux capitalistes et autres propriétaires furent présents. Les bolchéviks avaient par ailleurs des membres admis en tant que représentants de syndicats et d'autres organisations de masse.

1.3 Discussions

Quand Kerensky se présente, il commence à serrer la main de ceux qui sont au bureau. D'un côté les bolchéviks, et de l'autre les korniloviens, refusent de lui tendre la main. Il dut commencer par s'expliquer sur ses liens avec Kornilov, et ne fut pas convainquant. Un soldat s'avance vers l'estrade et lui crie à bout portant : « Vous êtes le malheur du pays! » Trotsky lui lance une attaque qui fait mouche, sur le fait qu'il a rétabli la peine de mort, qui s'applique surtout aux soldats, mais que Kornilov y échappe.

Des politiciens expriment des critiques voilées à Kérensky : Zaroudny (ancien ministre de la Justice) dit qu'il ne peut citer aucune action du gouvernement pour obtenir la paix, Tsérétéli reproche à Kérensky d'avoir les vertiges du pouvoir... Mais Trotsky les accuse tous, soulignant qu'il ne peut y avoir un bonaparte Kérensky que parce qu'il y a une clique de peudo démocrates qui le soutiennent. Comme le note Milioukov : «  l'assemblée sentit tout de suite que celui qui parlait était l'ennemi commun »[1].

Les bolchéviks sont ensuite accusés de ne pas se salir les mains en refusant de prendre part au pouvoir (au sein du gouvernement provisoire). Beaucoup sont incapables de concevoir que les bolchéviks puissent réellement concrétiser la forme de pouvoir dont ils parlent, le « tout pouvoir aux soviets ». Mais Kerensky se sent néanmoins obligé d'affirmer qu'il n'est pas seul :

« Ne vous y trompez pas, ne croyez pas que, si je suis traqué par les bolcheviks, il n'y ait pas derrière moi les forces de la démocratie. Ne croyez pas que je manque de points d'appui. Sachez bien que si vous entreprenez quelque chose, les chemins de fer s'arrêteront, les dépêches ne seront pas transmises… »

Une partie de la salle applaudit, une partie, troublée, se tait, le groupe bolchevik rit aux éclats.

Trotsky fait ensuite une déclaration au nom des bolchéviks[3] dans laquelle il répond que le parti ne prendra pas le pouvoir « contre la volonté organisée des travailleurs », ce qui faisait référence au congrès des soviets à venir, qui devait donner une claire majorité aux bolchéviks et aux SR de gauche. Il réaffirme les revendications du parti, de contrôle ouvrier, de terre aux paysans, de paix immédiate, d'armement des travailleurs.

La « conférence démocratique » ne débouche que sur la création d'une nouvelle instance de collaboration de classe, le « Conseil de la République » (ou Préparlement), qui intègre des représentants des classes possédantes et des cosaques.

Le Comité central du Parti bolchévik est divisé sur la participation à ce Préparlement, mais le congrès du parti se prononce finalement pour la participation, contre l’avis de Trotsky et Lénine qui y voient une manière de repousser la question de la prise de pouvoir révolutionnaire. De nombreuses résolutions des sections locales contestent cette décision.

Il est également sorti de la Conférence démocratique un nouveau gouvernement de coalition, caractérisé par les bolchéviks comme un gouvernement de guerre civile contre les masses. Pour celles-ci, la situation continue de se dégrader. Dans les villes, beaucoup d’ouvriers se mettent en grève, mais les plus avancés considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé et se rallient à l’objectif de l’insurrection.

2 Première et dernière session du préparlement

Le préparlement se réunit le 7 octobre (n.s 20 octobre) au Palais Marie. Il avait à sa tête un présidium de 5 membres, avec le SR Nikolai Avksentiev comme président.

Le magnifique palais Marie, qui avait servi auparavant d'asile au Conseil d'Etat, contrastait avec l'Institut Smolny (siège des soviets), crasseux et imprégné d'odeurs de soldats. Soukhanov témoigne de l'ambiance : « Au milieu de toutes ces merveilles on avait envie de se reposer, d'oublier les travaux et la lutte, la famine et la guerre, le désarroi et l'anarchie, le pays et la révolution. »

2.1 Sortie des bolchéviks

Lénine, soutenu par Trotsky, défend la sortie du pré-parlement. Malgré l’opposition de certains comme Kamenev, les bolchéviks adoptent cette position et font une sortie démonstrative. Après l'ouverture de la séance, l'on accorda à Trotsky, d'après le règlement hérité de la Douma d'Etat, dix minutes pour faire une déclaration d'urgence au nom de la fraction bolcheviste. Dans la salle s'établit un silence absolu.

Trotsky fait une déclaration en dénonçant la fausse représentativité démocratique de ce parlement, et la représentation exagérée des possédants. Il dénonce la politique économique du gouvernement, ajoutant :  « on ne pourrait prendre un autre cours si même l'on se donnait consciemment pour but de pousser les masses dans la voie de l'insurrection ». Il accuse le gouvernement de compter sur la prise de Petrograd par les Allemands. Les injures des réactionnaires, et les hurlements sur « l'or allemand » pleuvent alors sur lui. Trotsky souligne : « Jamais rien de pareil ne s'était produit pendant les débats les plus passionnés dans le sordide Institut Smolny », et cite également Soukhanov : « Il nous suffisait de tomber dans la bonne société du palais Marie pour retrouver immédiatement l'atmosphère de cabaret qui régnait dans la Douma censitaire de l'Empire. » Et il termine ainsi :

« Nous, fraction des bolcheviks, déclarons : avec ce gouvernement qui trahit le peuple et avec ce Conseil défaillant devant la contre-révolution, nous n'avons rien de commun... En quittant le Conseil provisoire, nous appelons à la vigilance et au courage les ouvriers, les soldats et les paysans de toute la Russie. Petrograd est en danger ! La révolution est en danger ! Le peuple est en danger !... Nous nous adressons au peuple. Tout le pouvoir aux Soviets! »

L'orateur descend de la tribune. Plusieurs dizaines de bolcheviks quittent la salle, sous les malédictions. Après des minutes d'anxiété la majorité est prête à pousser un soupir de soulagement. Malaise dans le flanc gauche des conciliateurs : « Nous, les plus voisins des bolcheviks – avoue Soukhanov - restions prostrés devant tout ce qui s'était passé. »

La majorité des possédants reste aveuglée sur la situation. Le ministre des Affaires étrangères Téréchtchenko, dans un télégramme secret aux ambassadeurs russes, relatait ainsi la première journée du préparlement : « La première séance a été très neutre, exception faite d'un scandale suscité par les bolcheviks ». Mais des secteurs de la presse bourgeoise étaient impressionnés et revendiquait de la part de leur camp « autant de résolution et de volonté pour l'action qu'il s'en trouve chez le camarade Trotsky ». Certains comprenaient qu'il s'agissait de bien plus que d'un tempérament individuel, comme Milioukov : « Ils parlaient et agissaient comme des hommes qui sentent derrière eux une force, qui savent que le lendemain leur appartient. »

2.2 Suite des discussions

Ce Préparlement se montre de toute façon incapable d'aboutir à une quelconque décision sortant de la crise.

Les conciliateurs désignèrent Skobélev pour aller à la conférence des Alliés à Paris pour faire pression, dans le sens d'une paix juste, du désarmement progressif... non sans provoquer les sarcasmes des KD.

Le 10, s'ouvrirent les débats sur le relèvement des capacités combatives de l'armée. Le colloque qui remplit trois séances fastidieuses se développa sur un schéma invariable. Il faut persuader l'armée qu'elle combat pour la paix et la démocratie, disait-on à gauche. - Impossible de persuader, il faut contraindre, répliquait-on à droite. - On n'a pas les moyens de contraindre : pour contraindre il faut d'abord persuader, du moins partiellement, répondaient les conciliateurs. Dans l'armée on ne pouvait déjà plus contraindre à la discipline au nom du gouvernement provisoire, on réclamait la paix immédiate.

Le 18 advint l'heure d'une décision qui ne pouvait rien changer à la nature des choses. La formule des socialistes-révolutionnaires réunit 95 voix contre 127 avec 50 abstentions. La formule des droites groupa 135 suffrages contre 139. Il n'y avait pas de majorité, tous les groupes défendaient des insaisissables nuances d'une même orientation politique impuissante.

Le 20, à la commission du préparlement, une bombe fut lâchée par le ministre de la guerre, Verkhovsky. Il fit une déclaration non prévue sur la nécessité de conclure immédiatement la paix, indépendamment de l'avis des Alliés. Tous le condamnèrent unanimement, même ceux qui en privé avaient reconnu qu'il avait raison. La presse patriotique l'accusa de suivre Trotsky, de recevoir de l'or allemand... Verkhovsky fut congédié.

2.3 Dispersion du préparlement

Les bolchéviks consacrent alors leur énergie à l’agitation en faveur du pouvoir aux soviets. Les orateurs manquent (Lénine est toujours réfugié en Finlande, Kamenev et Zinoviev s’opposent à la perspective de l’insurrection qui se dessine…), mais l’agitation est efficace dans les masses.

La journée du 24 octobre (n.s 6 novembre) Kérensky décrète au Préparlement des mesures contre les bolchéviks, mais les troupes qu’il a encore à sa disposition (junkers, cosaques) sont trop faibles par rapport à l’adversaire pour les exécuter. Les défections de troupes se multiplient, comme par exemple le bataillon de motocyclistes.

Le préparlement est dispersé par les bolchéviks lors de l'insurrection de la nuit du 24-25 octobre (n.s 6-7 novembre).

Le matin du 25, le Comité militaire annonce qu’il a pris le pouvoir et que le gouvernement est démis. En fait, celui-ci siège toujours au Palais d’hiver, dont la prise a été retardée (le comité a bien des lacunes dans la science militaire). Dans la journée, le Préparlement est évacué sans arrestation. La prise de la capitale s’est globalement déroulée dans le calme, comme un relèvement de la garde…

3 Notes

4 Bibliographie