Patriarcat

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Le patriarcat est la domination des hommes sur les femmes, organisée socialement. C'est une caractéristique des sociétés humaines, qui existait avant que celles-ci soient divisées en classes. L'analyse des fondements du patriarcat d'un point de vue matérialiste et son articulation avec les modes de production sont l'objets de nombreux débats dans le mouvement féministe, y compris parmi les communistes révolutionnaires.

1 Historique

1.1 Continuité avec les animaux ?

Certains soutiennent que l'étude des sociatés d'animaux qui nous sont proches (sociologie animale, primatologie...) peut être utile pour l'étude de l'origine du patriarcat. En effet, étant donné que le darwinisme et la génétique nous apprennent qu'il y a de nombreux éléments de continuité entre nous et les autres primates, il y a peut-être des éléments de continuité y compris dans certaines formes d'organisation. Cela semble par exemple vérifié pour l'interdit de l'inceste, observé chez les chimpanzés. En revanche il n'y a aucune division sexuelle du travail observée chez l'animal, c'est une spécificité humaine.

Mais il n'y a pour l'instant que des hypothèses difficiles à confirmer. Le point clé serait la capacité des femelles à procréer, qui les aurait placé assez tôt sous un statut de protection par la bande, et donc de contrainte. Cela aurait aussi entraîné des échanges de femelles entre groupes, façon de coopérer pour survivre à l'échelle de l'espèce.

1.2 Sociétés primitives

Dans toutes les sociétés primitives que l'on a pu observer, il existe une forme de domination masculine (contrairement à un certain mythe du matriarcat). On suppose que les groupes de chasseurs-cueilleurs fournissent un exemple de communisme primitif antérieur à la révolution néolithique, et donc permettent d'en observer les caractéristiques.

Il y a très généralement une division sexuelle du travail. La plupart du temps, ce sont les femmes qui assurent le travail de cueillette, tandis que les hommes chassent. Une cause profonde pourrait être la plus faible mobilité des femmes : elles étaient soient enceintes, soit en train d'allaiter - le lait issu de l'élevage n'étant pas encore disponible. Il a été observé qu'un homme chez les Bushmen parcourt une distance moyenne annuelle deux fois plus grande qu'une femme. Autre source majeure de différenciation des rôles : la guerre avec d'autres clans. D'abord, elle est très liée dans sa pratique à la chasse, ce qui tend fortement au monopole des hommes. De plus, du point de vue de la reproduction, il était plus prudent de préserver en priorité la vie des femmes. Cette maîtrise de la guerre aurait permis aux hommes de concentrer très tôt en leurs mains le pouvoir politique.

Il faut rappeler que l'enjeu central du contrôle des femmes par les hommes devait être leur capacité reproductrice, à une époque où l'individu travailleur, faiblement productif et de mortalité élevée, était quasiment le "moyen de production" à lui seul (travail mort négligeable devant le travail vivant).

Économiquement, hommes et femmes sont des producteurs et se partagent les produits de leur travail, même de façon inégale. Il y a en même temps complémentarité et hiérarchie. 

Malgré l'universalité du patriarcat, on constate une forte variabilité selon les cultures. Chez les aborigènes australiens, la gérontocratie est très marquée, les jeunes femmes sont destinées en priorité aux hommes âgés, et le divorce est inconcevable. A l'inverse, chez les Pygmées ou les Bushmen, les femmes peuvent quitter leur mari librement, avec ou sans leurs enfants, et la violence physique envers elles est très rare. On observe une quasi-égalité chez les indiens Naskapi du Canada.

1.3 Agriculture, élévage et filiation

La maîtrise de l'agriculture et de l'élevage ont apporté de profonds changements sociaux. C'est à partir de ce moment que se sont multipliées les sociétés à système linéaire : la descendance des possessions et du pouvoir se fait par les hommes (système patrilinéaire) ou par les femmes (système matrilinéaire), parfois de façon combinée (système bilinéaire).

Dans les communautés agricoles, on trouve de nombreux exemples de sociétés matrilinéaires (Chine néolithique, Akan d'Afrique...) Certains anthropologues suggèrent même que cela pourraît être une étape universelle de l'évolution sociale, la paternité étant moins assurée que la maternité dans un contexte où la mariage ou même la monogamie n'est pas établie. Attention, famille matrilinéaire ne signifie pas "matriarcat" au sens de domination des femmes-mères. Cela signifie simplement que la transmission des biens se fait par la mère. Concrètement, c'est le plus souvent le frère de la mère qui commande le foyer et les enfants.

1.4 Apparition des classes

A l'échelle historique, on peut affirmer que les révolutions néolithiques ont eu pour conséquence l'apparition des classes sociales. La domination de classe est alors venue se combiner à la domination sexuelle.

Il semblerait que la domination masculine se soit renforcée à ce moment-là, en raison du besoin de contrôle des hommes sur leur descendance, pour veiller à la transmission de leur propriété privée.

1.5 Société féodale

Au Moyen-Âge, le développement de la galanterie et de l'amour courtois vers le 12ème siècle a fait reculer les formes les plus brutales de domination, dans une époque où viols et enlèvements étaient courants.

2 Capitalisme et patriarcat

2.1 Tendances émancipatrices

L'égalité des sexes en tant qu'idéologie est une notion moderne, qui est née sous l'effet du capitalisme.

  • 1931 | Portugal: droit de vote aux femmes qui savent lire et écrire
  • 1963 | Valentina Terechkova, première femme dans l'espace
  • 1965 | France: Les femmes n'ont plus besoin de l'autorisation de leur mari pour prendre un emploi.
  • 1967 | Grande-Bretagne: Premier pays à adopter une loi pour l'avortement.
  • 1970 | France: Les femmes touchent 90% de leur salaire durant leur congé Maternité.
  • 1972 | Suisse: droit de vote accordé aux femmes
  • 1980 | Vigdis Finnbogadottir est la première femme présidente au monde (Islande)
  • 1982 | France: Les frais d'avortement remboursés par la SECU.
  • 2000 | Loi sur la parité des listes électorales
  • 2005 | Koweït : les femmes obtiennent le droit de vote | France : Laurence Parisot première femme à la tête du patronat.
  • 2006 | Emirats Arabes Unis :  les femmes obtiennent le droit de vote
  • 2007 | France : Les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes pour un même poste.

2.2 Années 1960-1970

Après la Seconde guerre mondiale (période des Trente glorieuses), un certain nombre de transformations ont lieu. Les femmes entrent plus massivement sur le marché du travail et dans les universités. Cela leur donne une plus grande autonomie financière, et favorise la réflexion d'un nombre assez conséquent d'entre elles.

Par ailleurs, à cette époque des innovations vont potentiellement permettre la maîtrise de son propre corps, en particulier la découverte d'une nouvelle technique de contraception (la pilule), et de la méthode « Karman » pour l'avortement...

Les femmes se heurtent pourtant à l'héritage de l'inégalité, aux lois et aux préjugés réactionnaires... Elles prennent conscience de leur oppression dans la famille, la sexualité, la politique... Dans le sillage de Mai 68, la nouvelle génération va être porteuse d'un mouvement féministe radical (la "deuxième vague") en confrontation avec la domination masculine.

2.3 Reculs du tournant néolibéral

Femmes surtout employées dans secteurs de la sous-traitance (dont les zones économiques spéciales, destinées à l'export, sont un cas extrême). Une conséquence est leur invisibilisation par rapport aux secteurs industriels "traditionnels" où l'ouvrier homme est la figure majoritaire.

Les femmes sont aussi surreprésentées dans les services de manière générale, et dans les services publics en particulier. Elles sont particulièrement touchées par les plans d'austérité visant la fonction publique.

Les coupes budgétaires massives dans la santé entraînent la fermeture de centre IVG et la dégradation des conditions d'accueil de maternité.

A l'Université, les femmes sont largement plus présentes dans les filières de lettres ou de sciences humaines qui sont les premières impactées par les mesures d'austérité à la fac parce que considérées comme moins rentables. Le harcèlement et les violences sexuelles sont favorisés par la précarisation et le renforcement des pressions liées aux hiérarchies universitaires (président d'université, professeurs « mandarins »...).

2.4 Reproduction et réactions patriarcales

Les normes de genres sont fermement inculquées dès le plus jeune âge. Le plus souvent, cela se fait sans violence apparente, par un formatage omniprésent (éducation des parents, mais aussi jouets genrés, publicités sexistes...). Mais il arrive que cette norme soit affirmée de la façon la plus réactionnaire.

Par exemple, aux Etats-Unis, des histoires comme celles-ci sont monnaie courante :

  • en avril 2012, un pasteur aux Etats-Unis préconise à ses ouailles : "si votre fils de quatre ans a l'air effeminé, cassez-lui le poignet, donnez lui un coup de poing, humiliez-le en le montrant en photo sur Youtube, faites-lui comprendre qu'il doit se comporter en homme"[1].
  • Deux jours avant, à Cleveland, un père de famille témoigne sur une radio de son affollement parce que sa fille serait lesbienne. "Vous devriez la faire violer par un de vos bons copains" lui répond l'animateur...
  • Des suicides de jeunes gays (ou simplement "pas assez virils") innombrables

En France, le Conseil constitutionnel décide le 4 avril 2012 de supprimer le délit de harcèlement sexuel, sous prétexte qu'il serait trop flou.

3 Sovietisme et patriarcat

Indépendament du débat sur la nature de l'URSS ou d'autres types de régimes ressemblant, et indépendament du débat sur ce qu'est le féminisme socialiste, il est intéressant d'étudier les évolutions concrètes de la condition des femmes sous le régime issu de la révolution d'octobre 1917.

Les premières mesures des bolchéviks ont été :

  • l'égalité des droits et de nouveaux droits spécifiques : droit au divorce, droit à l'avortement... bien avant que ces droits soient obtenus dans les pays capitalistes occidentaux. Le droit de vote était bien sûr aussi donné aux femmes dans les soviets, mais les soviets sont rapidement devenus virtuels.
  • la tentative d'instaurer des services publics visant à socialiser les tâches réalisées dans les foyers principalement par les femmes, tentative freinée par la misère de la jeune URSS

Alexandra Kollontaï fut nommée commissaire du peuple à l'Assistance publique [Santé] de novembre 1917 à mars 1918. Elle organise de nombreuses conférences (Conférences sur la libération des femmes) ainsi que le 1er congrès panrusse des ouvrières.

Trotsky revient sur les mesures des bolchéviks, leur impact et la limite matérielle qui selon lui a été déterminante :

« La révolution a tenté héroïquement de détruire l'ancien "foyer familial" croupissant, institution archaïque, routinière, étouffante, dans laquelle la femme des classes laborieuses est vouée aux travaux forcés, de l'enfance jusqu'à la mort. A la famille, considérée comme une petite entreprise fermée, devait se substituer, dans l'esprit des révolutionnaires, un système achevé de services sociaux: maternités, crèches, jardins d'enfants, restaurants, blanchisseries, dispensaires, hôpitaux, sanatoriums,  organisations sportives, cinémas, théâtres, etc. L'absorption complète des fonctions économiques de la famille par la société socialiste, liant toute une génération par la solidarité et l'assistance mutuelle, devait apporter à la femme, et dès lors au couple, une véritable émancipation du joug séculaire.  [...]

On n'avait pas réussi à prendre d'assaut l'ancienne famille. Ce n'était pas faute de bonne volonté. Ce n'était pas non plus qu'elle eût une si ferme assise dans les coeurs. Au contraire, après une courte période de défiance envers l'Etat, ses crèches, ses jardins d'enfants, ses divers établissements, les ouvrières et après elles les paysannes les plus avancées apprécièrent les immenses avantages de l'éducation collective et de la socialisation de l'économie familiale. Par malheur, la société se révéla trop pauvre et trop peu civilisée. Les ressources réelles de l'Etat ne correspondaient pas aux plans et aux intentions du parti communiste. La famille ne peut pas être abolie: il faut la remplacer. L'émancipation véritable de la femme est impossible sur le terrain de la "misère socialisée". L'expérience confirma bientôt cette dure vérité formulée par Marx quatre-vingt ans auparavant. » [2]

La fin du rationnement strict, combinée au fait que les services publics étaient très peu développés et de mauvaise qualité a provoqué un retour du travail domestique féminin :

« les ouvriers les mieux payés commencèrent à revenir à la table familiale. [...] La même conclusion s'impose en ce qui concerne les blanchisseries socialisées où l'on vole et abîme le linge plus qu'on ne le lessive. Retour au foyer! Mais la cuisine et la lessive à la maison [...] signifient le retour des femmes aux casseroles et aux baquets, c'est-à-dire au vieil esclavage. »

Il explique également que la socialisation plus faible dans les campagnes rurales (où le travail repose fortement sur le lopin de terre familial) induit une plus grande pression sur les femmes paysannes. On retrouve par ailleurs une fracture de classe entre femmes :

« La condition de la mère de famille, communiste respectée, qui a une bonne, un téléphone pour passer ses commandes, une auto pour ses déplacements, etc., a peu de rapport avec celle de l'ouvrière qui court les boutiques, fait son dîner, ramène ses gosses du jardin d'enfants à la maison — quand il y a pour elle un jardin d'enfants. Aucune étiquette socialiste ne peut cacher ce contraste social, non moins grand que celui qui distingue en tout pays d'Occident la dame bourgeoise de la prolétaire. »

Il ajoute que l'on peut observer un retour de la prostitution (et de la répression des prostituées...), et une réaction au niveau des droits (retrait du droit à l'avortement, taxe sur les divorces...).

« L'histoire nous apprend bien des choses sur l'asservissement de la femme à l'homme, et des deux à l'exploiteur, et sur les efforts des travailleurs qui, cherchant au prix du sang à secouer le joug, n'arrivaient en réalité qu'à changer de chaînes. [...] Mais comment libérer effectivement l'enfant, la femme, l'homme, voilà ce sur quoi nous manquons d'exemples positifs. Toute l'expérience du passé est négative et elle impose avant tout aux travailleurs la méfiance envers les tuteurs privilégiés et incontrôlés. »

4 Débats

4.1 Origine de la domination masculine

La domination masculine a-t-elle une base matérielle ? Certains maxistes pensent qu'il existe une différence de force physique moyenne entre hommes et femmes, et qu'elle est la cause originelle de la domination masculine :

« L'ancienne racine biologique de la suprématie masculine - du fait de la violence masculine - est communément obscurcie par les lois et conventions qui régissent les relations entre les sexes dans une culture donnée. Mais elle est là. La possibilité d'une agression mâle se dresse comme un avertissement constant aux « mauvaises femmes » (rebelles, agressives), et donne aux «bonnes femmes» une complicité avec la suprématie masculine. La récompense pour être "bonne(gentille, soumise) est la protection contre la violence masculine aléatoire et, dans certains cas, la sécurité économique. »[3]

4.2 Origine de la division sexuelle du travail

La division sexuelle du travail a-t-elle une base matérielle ? Certains maxistes reprennent la thèse selon laquelle la grossesse et l'allaitement a tendu à différencier les rôles, à spécialiser les femmes dans la cueillette et les hommes dans la chasse (puis dans la guerre...).

C'est ce que semble dire également Trotsky :

« la plus puissante révolution ne peut faire de la femme un être identique à l'homme ou, pour mieux dire, partager également entre elle et son compagnon les charges de la grossesse, de l'enfantement, de l'allaitement et de l'éducation des enfants. »[2]

Voir notamment une critique de Christian SCHWEYER à Christophe Darmangeat. [4]

4.3 Critique du terme de patriarcat

Certains critiquent l'emploi du terme de patriarcat, ou en tout cas distinguent son usage au sens strict ou au sens large.

« Nous pensons que ce terme n’est plus adéquat pour qualifier actuellement notre société (occidentale) qui, bien que ce soit majoritairement les hommes qui détiennent le pouvoir, n’est plus organisée (juridiquement, politiquement) en ce sens. » (Revue Incendo)[5]

Ou encore :

« Le système social que le capitalisme industriel a remplacé était en fait un patriarcat, et j'utilise ce terme ici dans son sens originel, pour désigner un système dans lequel la production est centrée sur le ménage et est présidée par le plus âgé des hommes. Le fait est que le capitalisme industriel [a sapé] le patriarcat. La production est allée dans les usines et les individus se sont détachés de la famille pour devenir des salariés «libres». Dire que le capitalisme a perturbé l'organisation patriarcale de la production et la vie de famille n'est pas, bien sûr, dire que le capitalisme a aboli la domination masculine !  »[3]

Christine Delphy n’utilise ce terme que pour qualifier le mode de domination masculine dans les sociétés contemporaines.

5 Combat contre le patriarcat

🔍 Voir : Féminisme.

6 Notes et sources

Le pouvoir masculin, Maurice Godelier, Le groupe familial, revue trimestrielle de l'école des parents et des éducateurs, janvier 1978

  1. N.C. Preacher Tells Parents to Crack Wrists, Punch Effeminate Children
  2. 2,0 et 2,1 Trotsky, La Révolution trahie - Thermidor au foyer, 1936 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « Trahie » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  3. 3,0 et 3,1 Barbara Ehrenreich, What is Socialist Feminism?, 2001 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « Barbara » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  4. http://cdarmangeat.blogspot.fr/2014/01/une-lettre-propos-de-lorigine-de-la.html
  5. http://incendo.noblogs.org/genresetclasses/petit-lexique/