Parti ouvrier

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
NousSommesLePouvoirOuvrier.jpg

Un parti des travailleurs ("parti ouvrier") est un parti qui regroupe des travailleurs et s'adresse à eux, en se donnant pour objectif de défendre leurs intérêts. Pour le socialisme scientifique, la construction d'un parti des travailleurs représente la première nécessité, celle d'organiser politiquement la classe ouvrière, à la fois pour défendre leurs intérêts immédiats face à l'exploitation de la bourgeoisie, mais aussi parce que c'est la classe qui est en mesure de renverser le capitalisme.

1 Nécessité d'un parti de classe

Les premiers socialistes, rattachés a posteriori au courant du socialisme utopique, n'analysaient pas la société en terme de classes sociales, ou alors ne voyaient pas dans la classe ouvrière la force potentielle de transformer cette société.

Plus tard, les anarchistes se sont opposés à la forme "parti", expliquant que les travailleurs devaient se tenir à l'écart de la politique, source de divisions artificielles entre eux, et de compromission. Pour eux, seule l'organisation en syndicats devait être visée.

L'organisation en parti n'étaient donc pas une évidence, tout comme elle ne l'a pas été d'emblée pour la bourgeoisie dans sa jeunesse.

Pourtant, ne pas participer à la politique d'un pays et renoncer à s'y exprimer revient à renoncer à combattre efficacement les autres forces politiques, qui sont devenues de plus en plus réactionnaires à mesure que le capitalisme créait à grande échelle "deux grandes classes" aux intérêts antagoniques. Il est suicidaire de renoncer à s'organiser nationalement alors que la bourgeoisie l'est, et il est gauchiste de se tenir à l'écart des élections alors que la majorité des travailleurs ont des illusions sur la nature de la démocratie bourgeoise.

2 Formes dégénérées

2.1 Parti ouvrier bourgeois

Le réformisme n'est pas une simple histoire d'erreur théorique. Il a une base matérielle : l'embourgeoisement des directions du mouvement ouvrier, formant ce que l'on appelle l'aristocratie du travail. Cela concerne les directions syndicales, mais aussi les directions des partis ouvriers. Lorsqu'un parti continue à organiser la classe travailleuse mais que sa direction est liée matériellement et idéologiquement aux capitalistes, on parle de "parti ouvrier bourgeois".

2.2 Parti du peuple, parti des pauvres...

Une dérive réformiste s'accompagne généralement d'un révisionnisme à la fois dans l'orientation (abandon du programme et de la propagande révolutionnaire) et dans la notion de parti de classe. Quand la direction d'un parti a des intérêts à défendre le modèle bourgeois, et qu'elle s'incline devant la pression électoraliste, elle tend à vouloir redéfinir le parti sur des bases plus larges. C'est souvent au nom de la main tendue à la petite bourgeoisie que la délimitation de classe est affaiblie.

Ceci étant dit, un parti avec un centre de gravité dans la classe ouvrière ne signifie pas un parti fermé aux autres couches de la société. Lénine disait par exemple :

« Le prolétariat des villes, le prolétariat industriel formera immanquablement le noyau de notre parti ouvrier social-démocrate ; mais nous devons y attirer, instruire, organiser tous les travailleurs et tous les exploités, comme le dit d’ailleurs notre programme, tous sans exception : artisans, semi-prolétaires, mendiants, domestiques, vagabonds, prostituées, à la condition expresse, bien entendu, qu’ils adhèrent à la social-démocratie, et non l’inverse, qu’ils adoptent le point de vue du prolétariat, et non pas que le prolétariat adopte le leur. »[1]

3 Difficultés

3.1 Parti de masse ou parti révolutionnaire ?

Dans une perspective marxiste, il faut non seulement s'atteler à construire un parti ouvrier, mais il faut que ce soit un parti de masse, et un parti révolutionnaire. Il existe une contradiction partielle entre ces deux objectifs, dans la mesure où la conscience de classe et a fortiori la conscience révolutionnaire n'est pas "innée" dans le prolétariat, et n'est jamais "acquise" pour toujours. En effet, dans une explication matérialiste de la société de classe, l'idéologie dominante (en temps "normal") est l'idéologie de la classe dominante. Lénine considérait que l'on « ne saurait penser sérieusement qu'il soit possible, en régime capitaliste, de faire entrer dans les organisations la majorité des prolétaires. »[2]

Pour la construction du nécessaire parti révolutionnaire de classe et de masse, il n'y a donc pas de recette politique à appliquer de façon intemporelle. Il y a un certain nombre d'expériences à retenir du passé, et une compréhension dialectique de la situation présente à atteindre. 

3.2 Parti ouvrier et intellectuels

Une des questions complexes auxquelles a dû faire face le mouvement ouvrier depuis son origine est la question de la place des intellectuels dans les organisations ouvrières, et plus généralement des travailleurs plus qualifiés que la moyenne. De facto, les intellectuels font partie de couches bourgeoises et petite-bourgeoises et leur présence fait peser un risque d'édulcoration du contenu prolétarien des syndicats et partis ouvriers. Mais de facto également, les intellectuels engagés aux côtés de la classe ouvrière apportent un soutien non négligeable, en renforçant idéologiquement, organisationnellement ou financièrement les partis.

Les marxistes révolutionnaires et d'autres courants ont souvent préconiser la prudence dans l'intégration des intellectuels, privilégiant les lignes politiques permettant de gagner les masses à celles permettant de gagner des intellectuels, et privilégiant les intellectuels sincères aux carriéristes.

3.3 Divisions nationales

Au 19e siècle, alors que les partis ouvriers (et les État-nations) étaient encore en gestation, le fait de construire un parti par État-nation n'allait pas de soi. Dans la plupart des pays, il y a eu des sections de l'Association internationale des travailleurs (Première internationale) dispersées avant qu'il y ait eu des partis nationaux solidement implantés, et ces sections communiquaient parfois plus avec le Conseil général de Londres qu'entre elles, ou alors communiquaient entre régions de même langue au delà des frontières étatiques...

Par ailleurs, l'oppression des minorités nationales dans certains pays ont généré des tensions et des débats dans les organisations. Par exemple dans l'AIT, des Anglais étaient hostiles à l'organisation autonome des Irlandais.[3] Dans la Russie pré-révolutionnaire, Lénine et les bolchéviks soutenaient les revendications d'auto-détermination des minorités tout en prônant à l'intérieur du parti l'organisation centralisée indépendamment des nationalités (contrairement aux visions portées par le Bund, les Ukrainiens...).

4 Historique

4.1 Marx et Engels

Marx et Engels éditant la Nouvelle gazette rhénane

Dans les années 1840, Marx et Engels se radicalisent à partir d'idées démocrates jusqu'au communisme, dont ils élaborent une vision matérialiste. Cela se traduit notamment par un combat d'idées, et par la prise de contrôle de la Ligue des justes, qu'ils font renommer en Ligue des communistes.

Leur objectif est celle d'une fusion du parti communiste et de la classe ouvrière. C'est ce qu'ils expriment dans le Manifeste (écrit fin 1847) lorsqu'ils écrivent « Les communistes n'ont pas d'intérêts distincts des intérêts du prolétariat. » Mais pour eux cet objectif mettra un certain temps à se réaliser, le capitalisme devant se développer pour faire grossir les rangs du prolétariat, et la tâche immédiate étant celle d'achever les révolutions bourgeoises.

Ils ont toujours été méfiants envers les illusions des groupuscule (que l'on appelait couramment, avec un sens moins infamant qu'aujourd'hui, les sectes) dans l'action volontariste. Néanmoins ils pensaient que celles-ci pouvaient avoir une certaine utilité, dans certains contextes, non pas pour « déclencher » des révolutions mais pour se préparer à y participer dans de meilleures conditions. C'est le sens qu'ils donnaient à leur travail dans la Ligue, à la veille des révolutions de 1848.

Après le reflux de la vague révolutionnaire, la Ligue se déchire, avec une minorité qui refuse de voir le changement de situation. Cela conduira Marx et Engels pendant des années à abandonner toute participation aux « sectes », pour se consacrer à la clarification théorique.

Lorsque des partis déjà implantés dans la classe ouvrière existaient, mais sur d'autres lignes politiques, comme celui de Lassalle, ils ne cherchaient pas à créer des partis sectaires à côtés de ceux-ci. En revanche, ils n'ont jamais caché leurs objectifs et toujours essayé de convaincre largement de la nécessité pour le parti de définir une stratégie révolutionnaire.

En 1864, Marx s'investit dans la création et la direction de la Première internationale. Au sein de celle-ci, on trouvait aussi bien des partisans de Proudhon, de Bakounine que des partisans de Marx. Sa nature était hybride entre une organisation syndicale et un parti international. Elle visait clairement à dépasser les différentes sectes et à exprimer le mouvement réel du prolétariat, dans sa prise de conscience et sa montée en puissance. Suite à la répression de la Commune en 1871, l'Internationale est très affaiblie et les tensions internes (entre marxistes et bakouninistes) mènent à la scission. Marx préfère acter la dissolution de ce qu'il reste d'organisation en 1873, plutôt que régresser à l'état de secte.

4.2 Internationale ouvrière

La social-démocratie et particulièrement sa section allemande (SPD et syndicats), exprimait en théorie la concrétisation des aspirations de Marx et Engels. L'objectif d'une organisation de masse du prolétariat a été spectaculairement réussi au tournant du 20e siècle, et officiellement, le SPD était aussi un parti révolutionnaire.

Mais l'émergence de l'impérialisme modifia profondément la base sociale de la social-démocratie : dans le prolétariat émergeait une aristocratie ouvrière qui avait un intérêt immédiat au maintien de l'ordre capitaliste. Sur cette base, et au sein de la longue "Belle Époque", la social-démocratie avait une pratique de plus en plus dominée par un syndicalisme de cogestion et un parlementarisme apaisé. C'est pourquoi son aile droite (Bernstein...), même si elle n'a pas "officiellement" imposé son révisionnisme avant 1914, avait un poids objectif grandissant et écartait la perspective révolutionnaire. L'aile gauche révolutionnaire (Rosa Luxemburg...) n'a pas vu le risque que représentait la dérive réformiste et l'absence d'organisation propre des révolutionnaires en face, tandis que les "centristes" (Kautsky) voulaient à tout prix garder l'unité du parti, y compris après la trahison de 1914. Dans ce cas pourtant, la divergence stratégique exprimait une divergence d'intérêts de classe, et il fallait oser s'opposer à ce parti ouvrier à direction bourgeoise qu'était devenu le SPD. Quand l'appareil du SPD s'est intégré à l'État bourgeois allemand, comme la Révolution allemande l'a montré, sa base ouvrière avancée s'est détournée de lui, et c'est là que l'absence de parti ouvrier révolutionnaire, même minoritaire, a été un lourd handicap.

A cette époque, les sectes ne survivaient qu’en marge de la Deuxième Internationale et dans le mouvement anarchiste.

En Russie, malgré l'image de constructeur de petit groupe révolutionnaire qu'il a aujourd'hui, Lénine a longtemps maintenu l'objectif de militer dans le cadre large du Parti ouvrier social démocrate de Russie. Les fractions bolchévique et menchévique étaient avant tout des centes de propagande politique axés autour de journaux (comme l'Iskra que rejoint Lénine en exil).

Après les années 1920, les partis socialistes tendent à devenir de moins en moins des partis ouvriers. En juin 1936, Trotski écrivait, à propos de la SFIO :

« Le parti socialiste n'est un parti ouvrier ni par sa politique, ni par sa composition sociale. C'est le parti des nouvelles classes moyennes, fonctionnaires, employés, etc., partiellement celui de la petite bourgeoisie et de l'aristocratie ouvrière. Une analyse sérieuse des statistiques électorales démontrerait sans aucun doute que les socialistes ont cédé aux communistes une fraction importante des voix des ouvriers et des paysans pauvres et qu'ils ont en échange reçu des radicaux celles de groupes importants des classes moyennes. »[4]

4.3 Années 1920 - Internationale communiste

La rupture avec la social-démocratie et la fondation de partis communistes s'est souvent, en réaction, accompagnée d'un sectarisme gauchiste. Sous prétexte de ne rien avoir à faire avec des traîtres, beaucoup se sont isolés des travailleurs qui avaient encore des illusions dans ces directions traîtresses. Un des plus durs combats menés par l'Internationale communiste et Lénine sera de pousser les partis communistes (KPD principalement) à réellement et efficacement s'adresser largement à la base prolétaire de la social-démocratie. Cette politique conduira notamment en Allemagne aux succès temporaires que furent la fondation du VKPD et les fronts uniques en 1922. 

4.4 Après-guerre

Après la Seconde guerre mondiale, il y a eu un grand nombre "d'aggiornamentos" dans les partis ouvriers bourgeois, de mises à jour de leur idéologie. Cela a été accéléré par la relative prospérité économique ("30 glorieuses") qui a donné l'impression à beaucoup de commentateurs que le prolétariat disparaissait pour laisser place à une grande classe moyenne... C'est ce qui a fait dire à André Gorz « adieu au prolétariat » (1980).

Le SPD allemand a officiellement rompu avec le marxisme au congrès de Bade-Godesberg en 1959. Il parlait notamment de couvrir l’« espace intermédiaire ». Lorsque Tony Blair transforme le Parti Travailliste en New Labour au milieu des années 1990, il le justifie de la même façon. La direction de Syriza, qui se droitise rapidement au fur et à mesure de la crise grecque, évoque également cette notion d'espace intermédiaire à couvrir, en réponse à l'effondrement des partis traditionnels.[5]

5 Notes et sources

  1. Lénine, L’attitude de la social-démocratie à l’égard du mouvement paysan, 14 septembre 1905
  2. Lénine, L'impérialisme et la scission du socialisme, 1916
  3. Sur les relations entre les sections irlandaises et le Conseil général de l'AIT, séance du Conseil général du 14 mai 1872
  4. Léon Trotski, L'étape décisive, 5 juin 1936
  5. Dimitris Belandis, La gauche et "l'espace intermédiaire", Texte du courant de gauche de Syriza, février 2013