Différences entre les versions de « Opposition ouvrière »

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[[Fichier:Aleksandra Kollontai.jpg|vignette|[[Alexandra Kollontaï]], une des figures centrales de l'Opposition ouvrière]]
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L''''Opposition ouvrière''' se constitue au sein du [[Parti_bolchévik|parti bolchévique]] russe en 1919. Elle se manifeste surtout au cours de l'hiver 1920-21, lors du débat consacré au [[Syndicats_en_Russie|problème des syndicats]]. La plupart de ses membres acceptent de se soumettre à l'interdiction des [[Droit de tendance et de fraction|fractions]] décidée lors du 10<sup>e</sup> congrès du parti, en mars 1921.
  
L''''Opposition ouvrière''' se constitue au sein du [[Parti_bolchévik|parti bolchévique]] russe en 1919. Elle se manifeste surtout au cours de l'hiver 1920-21, lors du débat consacré au [[Syndicats_en_Russie|problème des syndicats]].
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==Historique==
  
== Historique ==
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===Création===
 
 
=== Création ===
 
  
 
Le 20 mars 1918, [[Chliapnikov|Chliapnikov]] accusait d'excès les cheminots d'Arkhangelsk&nbsp;: refus de prendre des voyageurs, absentéisme, non-entretien des machines... et concluait&nbsp;: ''«&nbsp;Il faut prendre des mesures rigoureuses pour rétablir la discipline dans le travail, et à n’importe quel prix.&nbsp;»''
 
Le 20 mars 1918, [[Chliapnikov|Chliapnikov]] accusait d'excès les cheminots d'Arkhangelsk&nbsp;: refus de prendre des voyageurs, absentéisme, non-entretien des machines... et concluait&nbsp;: ''«&nbsp;Il faut prendre des mesures rigoureuses pour rétablir la discipline dans le travail, et à n’importe quel prix.&nbsp;»''
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[[Angelica_Balabanova|Angelica Balabanova]] témoigne&nbsp;:
 
[[Angelica_Balabanova|Angelica Balabanova]] témoigne&nbsp;:
 
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''«&nbsp;Ce fut une femme — Alexandra Kollontaï — qui dirigea la première opposition organi­sée contre les lignes de Lénine et de Trotsky. Alexandra n’était pas une Bolchevik des débuts, mais elle avait rejoint le Parti encore avant Trotsky, et bien avant moi. En ces premières années de la Révolution, elle était souvent un sujet de contrariété, à la fois personnel et politique, pour les dirigeants du Parti. Plus d’une fois, le Comité centrai avait voulu que je la remplace à la direction du mouvement des femmes, espérant ainsi faciliter la campagne lancée contre elle et l’isoler des travailleuses. Heureusement, j’avais percé l’intrigue et refusé ces offres, soulignant que personne ne pouvait s’acquitter de ce travail mieux qu’elle, et m’efforçant d’augmenter son prestige et sa popularité chaque fois qu’il m’était possible.&nbsp;»<ref>Angelica Balabanoff, ''Ma vie de rebelle'', 1981</ref>''
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''«&nbsp;Ce fut une femme — Alexandra Kollontaï — qui dirigea la première opposition organi­sée contre les lignes de Lénine et de Trotski. Alexandra n’était pas une Bolchevik des débuts, mais elle avait rejoint le Parti encore avant Trotski, et bien avant moi. En ces premières années de la Révolution, elle était souvent un sujet de contrariété, à la fois personnel et politique, pour les dirigeants du Parti. Plus d’une fois, le Comité central avait voulu que je la remplace à la direction du mouvement des femmes, espérant ainsi faciliter la campagne lancée contre elle et l’isoler des travailleuses. Heureusement, j’avais percé l’intrigue et refusé ces offres, soulignant que personne ne pouvait s’acquitter de ce travail mieux qu’elle, et m’efforçant d’augmenter son prestige et sa popularité chaque fois qu’il m’était possible.&nbsp;»<ref>Angelica Balabanoff, ''Ma vie de rebelle'', 1981</ref>''
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Au 9<sup>e</sup> congrès du Parti (mars 1920), les derniers vestiges de l’autonomie syndicale et du pouvoir ouvrier dans l’industrie furent balayés ; l’autorité passa aux mains des commissaires politiques. En réaction, Kollontaï distribua aux délégués de la conférence du parti une brochure exprimant les positions de l'Opposition, qui déclencha une grande colère du Comité central et de Lénine en tête&nbsp;:
 
Au 9<sup>e</sup> congrès du Parti (mars 1920), les derniers vestiges de l’autonomie syndicale et du pouvoir ouvrier dans l’industrie furent balayés ; l’autorité passa aux mains des commissaires politiques. En réaction, Kollontaï distribua aux délégués de la conférence du parti une brochure exprimant les positions de l'Opposition, qui déclencha une grande colère du Comité central et de Lénine en tête&nbsp;:
 
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''«&nbsp;Je n’ai jamais vu Lénine aussi en colère que lorsqu’on lui remit une de ces brochures (en dépit du fait qu’on était encore censé admettre le droit d’«&nbsp;opposition&nbsp;» à l’intérieur du Parti). Il monta sur l’estrade et dénonça Kollontaï comme la pire ennemie du Parti, une menace pour son unité. Il poussa son attaque jusqu’à évoquer certains épisodes de la vie privée de Kollontaï qui n’avaient rien à faire dans le débat.&nbsp;»''
 
''«&nbsp;Je n’ai jamais vu Lénine aussi en colère que lorsqu’on lui remit une de ces brochures (en dépit du fait qu’on était encore censé admettre le droit d’«&nbsp;opposition&nbsp;» à l’intérieur du Parti). Il monta sur l’estrade et dénonça Kollontaï comme la pire ennemie du Parti, une menace pour son unité. Il poussa son attaque jusqu’à évoquer certains épisodes de la vie privée de Kollontaï qui n’avaient rien à faire dans le débat.&nbsp;»''
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À la conférence de Moscou, en novembre 1920, près de la moitié des délégués (124 sur 278) se prononcent pour les thèses de l'Opposition. L'Opposition bénéficie d'autre part d'un soutien important des métallurgistes de Pétrograd.
 
À la conférence de Moscou, en novembre 1920, près de la moitié des délégués (124 sur 278) se prononcent pour les thèses de l'Opposition. L'Opposition bénéficie d'autre part d'un soutien important des métallurgistes de Pétrograd.
  
 
Les thèses d’Ignatov soulignaient le danger des effets probables de «&nbsp;l’entrée en masse d’éléments d’origine bourgeoise et petite-bourgeoise dans notre Parti&nbsp;», se combinant avec «&nbsp;les dures pertes subies par le prolétariat pendant la Guerre Civile&nbsp;». Mais l'Opposition ne remettait pas en cause directement le parti bolchévik.
 
Les thèses d’Ignatov soulignaient le danger des effets probables de «&nbsp;l’entrée en masse d’éléments d’origine bourgeoise et petite-bourgeoise dans notre Parti&nbsp;», se combinant avec «&nbsp;les dures pertes subies par le prolétariat pendant la Guerre Civile&nbsp;». Mais l'Opposition ne remettait pas en cause directement le parti bolchévik.
  
=== Le débat sur les syndicats ===
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===Le débat sur les syndicats===
  
 
{{Article détaillé|Syndicats en Russie}}
 
{{Article détaillé|Syndicats en Russie}}
  
La polémique sur les syndicats commence en novembre 1920 (5<sup>e</sup> congrès des syndicats) et&nbsp; atteint son point culminant au 10<sup>e</sup> Congrès (mars 1921) en pleine insurrection de Kronstadt. Trois positions principales sont en présence durant le Congrès&nbsp;:
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La polémique sur les syndicats commence en novembre 1920 (5<sup>e</sup> congrès des syndicats) et atteint son point culminant au 10<sup>e</sup> Congrès (mars 1921) en pleine [[Révolte de Kronstadt|insurrection de Kronstadt]]. La  plus  forte  opposition  aux  idées  de  Trotski  sur  la  «  militarisation  du  travail  »  vint  de  la fraction  du  parti  qui  était  le  plus  liée  aux  syndicats. Selon certains, ''« ils  étaient  déjà  dans  une  certaine  mesure  des  bureaucrates  syndicaux.  C'est  en partie  parmi ces éléments qu'allait se développer l'Opposition Ouvrière »''<ref>Maurice Brinton, ''[http://monde-nouveau.net/IMG/pdf/les_bolcheviks_et_le_contrle_ouvrier_-_1917-1921_-_maurice_brinton_2_.pdf Les bolcheviks et le contrôle ouvrier 1917-1921]'', 1973</ref>.
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A la suite du 8<sup>e</sup> [[Congrès pan-russe des soviets d'ouvriers et de soldats|congrès pan-russe des soviets]] (décembre 1920), trois positions principales se dégagent&nbsp;:
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*Le plateforme des 7 ([[Trotski|Trotski]], [[Boukharine|Boukharine]], [[Dzerjinski|Dzerjinski]], [[Andreï Andreïevitch Andreïev|Andreïev]], [[Krestinsky|Krestinsky]], [[Préobrajenski|Préobrajenski]] et [[Serebriakov|Serebriakov]]) défend la subordination totale des syndicats à l'État, seul investi de l'autorité de nommer et de révoquer les responsables&nbsp;;
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*La plateforme des 10 ([[Lénine]], [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], [[Lev Kamenev|Kamenev]], [[Staline]], etc.) propose une position plus souple, les syndicats disposant d'une certaine latitude pour appliquer les décisions étatiques&nbsp;;
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Les positions de l'Opposition Ouvrière, contenues dans la brochure du même nom rédigée par [[Alexandra Kollontaï]] y opposent la conception de syndicats «&nbsp;''réalisant l'activité créatrice de la dictature du prolétariat dans le domaine économique&nbsp;''». Cependant, pour l'Opposition le parti bolchévique reste «&nbsp;''le centre suprême de la politique de classe, l'organe de la pensée communiste, le contrôleur de la politique réelle des soviets''&nbsp;». Tout au plus accuse-t-elle le Parti d'entraver l'initiative ouvrière par «&nbsp;''la machine bureaucratique, imprégnée de l'esprit de routine qui préside au système capitaliste bourgeois de production et de contrôle&nbsp;''».
  
*Le plateforme des 7 ([[Trotsky|Trotsky]], [[Boukharine|Boukharine]], [[Djerzinsky|Djerzinsky]], [[Andreïev|Andreïev]], [[Krestinsky|Krestinsky]], [[Préobrajenski|Préobrajenski]] et [[Serebriakov|Serebriakov]]) défend la subordination totale des syndicats à l'État, seul investi de l'autorité de nommer et de révoquer les responsables&nbsp;;
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Les  idées  de  l'Opposition  Ouvrière  (que  Kollontaï  et  d'autres  élaboreront  plus  tard  de  manière plus  complète)  furent  défendues  à  la  réunion  de  Moscou  par  le  métallurgiste  [[Alexandre Chliapnikov|Chliapnikov]].<ref>Chliapnikov, «  Orgarmatsiya  narodnogo  khozyaistva i  zadachi suyuzov  »  [L'organisation  de  l'économie et  les  tâches  des  syndicats]  [Discours  du  30  décembre  1920], Dixième  Congrès  du  Parti  Appendice 2, pp. 789-793</ref> Explicitement  ou  implicitement, elles  préconisaient  la  domination  de  l'État  par  les  syndicats. L'Opposition  Ouvrière  se  référait, bien  entendu, au  «  point  5  »  du  programme  de  1919  et accusait  la  direction  du  Parti  de  ne  pas  tenir  les promesses qu'il avait faites aux syndicats. Elle affirmait  que  ''«  pendant  les  deux  dernières  années, la   direction  du  Parti  et  des  organes gouvernementaux  avait  systématiquement  rétréci  le  champ  d'action  des syndicats et  réduit presque  à zéro  l'influence  de  la  classe  ouvrière  (...).  Le  Parti  et  les  autorités  économiques, débordés  par  des  techniciens  bourgeois  et  par  d'autres  éléments  non-prolétariens,   étaient manifestement  hostiles  aux  syndicats  (...)  Il  n'y  avait  qu'une  solution  :  la  concentration  de  la direction  industrielle  entre  les  mains  des  syndicats  »''.  Et  il  fallait  réaliser  la  transformation  en partant  d'en  bas.  ''«  Au  niveau  de l'usine,  les  Comités  d'usine  devront  récupérer  leur  ancienne position  dominante  »''.  L'Opposition  Ouvrière  proposa  que  les  syndicats  soient  mieux  représentés  dans divers  organismes  de contrôle.  ''«  Pas  une  seule  personne  ne  devait  être  nommée  à  un  poste économique    administratif    sans    le    consentement    des   syndicats    (...).    Les    fonctionnaires recommandés  par  les  syndicats  devraient  leur  rendre  compte  de  leur  travail  et  pourraient  être remplacés  à  n'importe  quel  moment  »''.  L'élément  clé de  cet  ensemble  de  propositions  était  la demande  de  convocation  d'un  «  Congrès  Panrusse  des producteurs  »  qui  élirait  une direction centrale  de  toute  l'économie  nationale.  De  la  même façon, les Congrès  Nationaux  des  divers syndicats éliraient  les  dirigeants  des  divers  secteurs  de  l'économie.  Les  Conférences  syndicales locales  constitueraient  les  directions  locales  et  régionales,  et  la  direction  de  chaque  usine  serait confiée  au  Comité  d'usine,  qui  continuerait  à  faire  partie  de  l'organisation  syndicale.  ''«  Ainsi  — affirma  Chliapnikov  —  on  parviendra  à  créer  cette  volonté  unique  qui  est  essentielle  pour l'organisation  de  l'économie,  mais  aussi  une   possibilité  réelle  pour   les  larges  masses  de travailleurs  de  faire  sentir  leur influence  dans  l'organisation  et  le  développement  de  notre économie  »''. Enfin, contre la [[méritocratie]] dans les salaires, l'Opposition  Ouvrière  proposait  une  révision  radicale  de  la politique  des  salaires  dans  un  sens  extrêmement  égalitaire et qui présupposait une substitution graduelle  du  salaire  en  argent  par  des  rémunérations  en  nature.
*La plateforme des 10 (Lénine, Zinoviev, Kamenev, Staline, etc.) propose une position plus souple, les syndicats disposant d'une certaine latitude pour appliquer les décisions étatiques&nbsp;;
 
  
Les positions de l'Opposition Ouvrière, contenues dans la brochure du même nom rédigée par Alexandra Kollontaï y opposent la conception de syndicats «&nbsp;''réalisant l'activité créatrice de la dictature du prolétariat dans le domaine économique&nbsp;''». Cependant, pour l'Opposition le parti bolchévique reste «&nbsp;''le centre suprême de la politique de classe, l'organe de la pensée communiste, le contrôleur de la politique réelle des soviets''&nbsp;». Tout au plus accuse-t-elle le Parti d'entraver l'initiative ouvrière par «&nbsp;''la machine bureaucratique, imprégnée de l'esprit de routine qui préside au système capitaliste bourgeois de production et de contrôle&nbsp;''».
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Dans la périphérie de l'Opposition ouvrière, des hommes comme [[Gabriel_Miasnikov|Miasnikov]] et [[Alexandre_Bogdanov|Bogdanov]] commençaient à mettre en question la suprématie du Parti, ou la [[Nature_de_l'Etat_russe|nature de classe de l’État russe]]. Ces  idées  n'étaient  qu'implicitement contenues  dans les thèses de l'Opposition, comme lorsque Ignatov  soulignaient  le danger des  effets  probables  de  « l'entrée  en  masse  d'éléments  d'origine  bourgeoise  et  petite-bourgeoise dans  notre  Parti »,  se  combinant  avec  «  les  dures  pertes  subies  par le  prolétariat  pendant  la Guerre Civile  ».
  
Dans la périphérie de l'Opposition ouvrière, des hommes comme [[Gabriel_Miasnikov|Miasnikov]] et [[Alexandre_Bogdanov|Bogdanov]] commençaient à mettre en question la suprématie du Parti, ou la [[Nature_de_l'Etat_russe|nature de classe de l’État russe]].
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Malgré  la tempête  politique  que  souleva  l'Opposition  Ouvrière,  on  dispose  de  peu  de  documents  sur  cette  tendance.  Le  peu  d'information qui existe provient essentiellement de sources  léninistes<ref>Par exemple Rabochaya oppozitsiya [L'Opposition Ouvrière] de K. Shelavin, Moscou, 1930.</ref>.  La  violence  des  attaques  contre  l'Opposition Ouvrière  laisse  supposer  qu'elle jouissait  d'une  assez  grande  influence  dans  les  usines  parmi  les  ouvriers  de  la  base, au  point d'inquiéter  sérieusement  la  direction  du  parti.  [[Alexandre Chliapnikov|Chliapnikov]] (qui  fut  le  premier  Commissaire  au Travail), [[Loutovinov]] et Medvedev, leaders métallurgistes, en   furent  les  principaux  représentants. Géographiquement,  elle  semble  s'être  concentrée  dans certains secteurs  du sud-est  de la Russie d'Europe  :  le  bassin  du  Donetz,  les  régions  du  Don et  du  Kouban  et  la  province  de  Samara  sur  la Volga.  À  Samara,  en  1921,  l'Opposition  Ouvrière  contrôlait  de  fait  l'organisation  du Parti.  Avant la  crise  du  Parti  en  Ukraine, fin  1920,  les  membres  de  l'Opposition  avaient  une  majorité  de sympathisants dans l'ensemble de la république. Les autres points forts de l'Opposition étaient dans la province de Moscou, où elle réunissait approximativement le quart des voix du Parti, et le syndicat des  métallurgistes  dans  tout  le  pays.  Lorsque  [[Mikhaïl Tomski|Tomsky]]  abandonna  les  syndicalistes  pour  passer dans  le  camp  léniniste,  vers  la  fin  de  1921,  il  voulut  «expliquer»  l'influence  de  l'Opposition Ouvrière par la popularité des idées de « démocratie industrielle » et des idées « anarcho-syndicalistes »  chez  les  métallurgistes.  Il  ne  faut  du  reste  pas  oublier  que  ces  mêmes  métallurgistes  avaient constitué, en 1917, le fer de lance du mouvement des [[Comité d’usine|Comités d'usine]].
  
=== Le 10<sup>e</sup> congrès ===
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===Le 10<sup>e</sup> congrès (mars 1921)===
  
 
{{Article détaillé|10e Congrès du parti bolchévik}}
 
{{Article détaillé|10e Congrès du parti bolchévik}}
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L’Opposition Ouvrière était à la fois accusée d'être «&nbsp;authentiquement contre-révolutionnaire&nbsp;», «&nbsp;objectivement contre-révolutionnaire&nbsp;», mais également… «&nbsp;trop révolutionnaire&nbsp;». Ses revendications étaient «&nbsp;trop avancées&nbsp;», étant donné que le gouvernement soviétique devait encore consacrer tous ses efforts à liquider le retard culturel des masses. D’après [[Ivan_Smilga|Smilga]], ce que demandait l’Opposition Ouvrière était si excessif que cela gênait les efforts du Parti en faisant naître chez les ouvriers des espoirs qui ne pouvaient être que déçus. Ou encore, l’Opposition Ouvrière était accusée d'[[Anarcho-syndicalisme|anarcho-syndicalisme]].
 
L’Opposition Ouvrière était à la fois accusée d'être «&nbsp;authentiquement contre-révolutionnaire&nbsp;», «&nbsp;objectivement contre-révolutionnaire&nbsp;», mais également… «&nbsp;trop révolutionnaire&nbsp;». Ses revendications étaient «&nbsp;trop avancées&nbsp;», étant donné que le gouvernement soviétique devait encore consacrer tous ses efforts à liquider le retard culturel des masses. D’après [[Ivan_Smilga|Smilga]], ce que demandait l’Opposition Ouvrière était si excessif que cela gênait les efforts du Parti en faisant naître chez les ouvriers des espoirs qui ne pouvaient être que déçus. Ou encore, l’Opposition Ouvrière était accusée d'[[Anarcho-syndicalisme|anarcho-syndicalisme]].
  
Lénine théorisa l'association entre dictature du prolétariat et parti communiste unique&nbsp;:
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Lénine théorisa l'association entre dictature du prolétariat et [[Parti unique|parti communiste unique]]&nbsp;:
 
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«&nbsp;Le marxisme enseigne que le parti politique de la classe ouvrière, c’est-à-dire le parti communiste, est le seul capable de grouper, d’éduquer et d’organiser l’avant-garde du prolétariat et de toutes les masses laborieuses, qui est seule capable (…) de diriger toutes les activités unifiées de l’ensemble du prolétariat, c’est-à-dire le diriger politiquement et, par son intermédiaire, guider toutes les masses laborieuses. Autrement, la dictature du prolétariat est impossible&nbsp;»
 
«&nbsp;Le marxisme enseigne que le parti politique de la classe ouvrière, c’est-à-dire le parti communiste, est le seul capable de grouper, d’éduquer et d’organiser l’avant-garde du prolétariat et de toutes les masses laborieuses, qui est seule capable (…) de diriger toutes les activités unifiées de l’ensemble du prolétariat, c’est-à-dire le diriger politiquement et, par son intermédiaire, guider toutes les masses laborieuses. Autrement, la dictature du prolétariat est impossible&nbsp;»
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«&nbsp;L’unité&nbsp;» fut le thème omniprésent du Congrès. S’appuyant sur la menace extérieure et sur la «&nbsp;menace&nbsp;» interne, la direction du Parti obtint sans grandes difficultés l’approbation de toute une série de mesures draconiennes. Ces mesures limitaient encore plus les droits des membres du Parti. Le [[Droit_de_fraction|droit de fraction]] fut aboli. «&nbsp;Le congrès déclare dissous et ordonne de dissoudre immédiatement tous les groupes sans exception qui se sont constitués sur tel ou tel programme (groupes de l’«&nbsp;Opposition Ouvrière&nbsp;», du «&nbsp;[[Groupe_du_centralisme_démocratique|Centralisme démocratique]]&nbsp;», etc.). La non-exécution de cette décision du congrès doit entraîner sans faute l’exclusion immédiate du parti&nbsp;».
 
«&nbsp;L’unité&nbsp;» fut le thème omniprésent du Congrès. S’appuyant sur la menace extérieure et sur la «&nbsp;menace&nbsp;» interne, la direction du Parti obtint sans grandes difficultés l’approbation de toute une série de mesures draconiennes. Ces mesures limitaient encore plus les droits des membres du Parti. Le [[Droit_de_fraction|droit de fraction]] fut aboli. «&nbsp;Le congrès déclare dissous et ordonne de dissoudre immédiatement tous les groupes sans exception qui se sont constitués sur tel ou tel programme (groupes de l’«&nbsp;Opposition Ouvrière&nbsp;», du «&nbsp;[[Groupe_du_centralisme_démocratique|Centralisme démocratique]]&nbsp;», etc.). La non-exécution de cette décision du congrès doit entraîner sans faute l’exclusion immédiate du parti&nbsp;».
  
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«&nbsp;J’ai l’impression qu’une règle vient d’être établie, mais sans que nous sachions très bien contre qui elle peut être appliquée. Lorsqu’on a élu le Comité Central, les camarades de la majorité ont présenté une liste qui leur en donnait le contrôle. Nous savons tous que cela arriva au moment où les dissensions commencèrent à apparaître dans le Parti. Nous ne savons pas (…) quelles complications peuvent surgir. Les camarades qui proposent cette règle pensent qu’il s’agit d’une arme dirigée contre les camarades qui ne pensent pas comme eux. Même si je vote en faveur de cette résolution, j’ai l’impression qu’elle peut se retourner contre nous&nbsp;».
 
«&nbsp;J’ai l’impression qu’une règle vient d’être établie, mais sans que nous sachions très bien contre qui elle peut être appliquée. Lorsqu’on a élu le Comité Central, les camarades de la majorité ont présenté une liste qui leur en donnait le contrôle. Nous savons tous que cela arriva au moment où les dissensions commencèrent à apparaître dans le Parti. Nous ne savons pas (…) quelles complications peuvent surgir. Les camarades qui proposent cette règle pensent qu’il s’agit d’une arme dirigée contre les camarades qui ne pensent pas comme eux. Même si je vote en faveur de cette résolution, j’ai l’impression qu’elle peut se retourner contre nous&nbsp;».
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Mais, en soulignant que le Parti et l’État se trouvaient dans une situation dangereuse, Radek concluait&nbsp;: ''«&nbsp;laissons donc le Comité Central, dans ce moment de danger, prendre les mesures les plus sévères, même si c’est contre les meilleurs camarades, s’il le juge nécessaire»''
 
Mais, en soulignant que le Parti et l’État se trouvaient dans une situation dangereuse, Radek concluait&nbsp;: ''«&nbsp;laissons donc le Comité Central, dans ce moment de danger, prendre les mesures les plus sévères, même si c’est contre les meilleurs camarades, s’il le juge nécessaire»''
  
Après cela, l'enjeu des discussions du Congrès fut plus limité. Elles furent d'ailleurs laissées pour la fin. Des critiques virulentes se firent néanmoins entendre. Perepechko, membre de l’Opposition Ouvrière, accusa le «&nbsp;bureaucratisme&nbsp;» au sein du parti de causer une coupure entre l’appareil [[Soviets|soviétique]] et les grandes masses des travailleurs. Medvedev attaqua le [[Comité_Central_bolchévik|Comité Central]] pour sa «&nbsp;déviation qui consistait à se méfier des forces créatrices de la classe ouvrière et ses concessions à la petite bourgeoisie et aux couches de fonctionnaires d’origine bourgeoise&nbsp;». Pour lutter contre cette tendance et préserver l’esprit prolétarien du Parti, l’Opposition Ouvrière proposa que chaque membre du Parti soit obligé de vivre et de travailler trois mois par an comme «&nbsp;un ouvrier ou un paysan ordinaires, effectuant un travail manuel&nbsp;». Ignatov, dans ses thèses, demanda que tous les comités du Parti soient composés d’au moins deux tiers d’ouvriers.
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Après cela, l'enjeu des discussions du Congrès fut plus limité. Elles furent d'ailleurs laissées pour la fin. Des critiques virulentes se firent néanmoins entendre. Perepechko, membre de l’Opposition Ouvrière, accusa le «&nbsp;bureaucratisme&nbsp;» au sein du parti de causer une coupure entre l’appareil [[Soviets|soviétique]] et les grandes masses des travailleurs. [[Serge Medvedev|Medvedev]] attaqua le [[Comité_Central_bolchévik|Comité Central]] pour sa «&nbsp;déviation qui consistait à se méfier des forces créatrices de la classe ouvrière et ses concessions à la petite bourgeoisie et aux couches de fonctionnaires d’origine bourgeoise&nbsp;». Pour lutter contre cette tendance et préserver l’esprit prolétarien du Parti, l’Opposition Ouvrière proposa que chaque membre du Parti soit obligé de vivre et de travailler trois mois par an comme «&nbsp;un ouvrier ou un paysan ordinaires, effectuant un travail manuel&nbsp;». Ignatov, dans ses thèses, demanda que tous les comités du Parti soient composés d’au moins deux tiers d’ouvriers.
  
 
Le débat sur les syndicats fut clôt par une victoire écrasante de la position majoritaire&nbsp;:
 
Le débat sur les syndicats fut clôt par une victoire écrasante de la position majoritaire&nbsp;:
  
*336 voix pour les thèses de Lénine, Zinoviev...  
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*336 voix pour les thèses de Lénine, Zinoviev...
*50 voix pour les thèses de Trotsky, Boukharine...  
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*50 voix pour les thèses de Trotski, Boukharine...
*18 voix pour les thèses de l’Opposition Ouvrière  
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*18 voix pour les thèses de l’Opposition Ouvrière
  
 
Zinoviev affirma la continuité absolue avec la doctrine syndicale fixée par le Premier Congrès Syndical et le programme du Parti en 1919. Le document soulignait clairement que le Parti dirigerait tout le travail syndical. Par ailleurs à la toute fin du congrès, avec une discussion très courte, les thèses de Lénine sur la NEP furent adoptées.
 
Zinoviev affirma la continuité absolue avec la doctrine syndicale fixée par le Premier Congrès Syndical et le programme du Parti en 1919. Le document soulignait clairement que le Parti dirigerait tout le travail syndical. Par ailleurs à la toute fin du congrès, avec une discussion très courte, les thèses de Lénine sur la NEP furent adoptées.
  
=== Cronstadt ===
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===Cronstadt===
  
 
{{Article détaillé|Soulèvement de Cronstadt}}
 
{{Article détaillé|Soulèvement de Cronstadt}}
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«&nbsp;la République socialiste des soviets ne deviendra forte que lorsqu’elle sera administrée par les classes laborieuses à l’aide des syndicats rénovés (…). Les syndicats n’ont jamais pu devenir d’authentiques organismes de classe (…) à cause [de la politique] du parti au pouvoir&nbsp;»
 
«&nbsp;la République socialiste des soviets ne deviendra forte que lorsqu’elle sera administrée par les classes laborieuses à l’aide des syndicats rénovés (…). Les syndicats n’ont jamais pu devenir d’authentiques organismes de classe (…) à cause [de la politique] du parti au pouvoir&nbsp;»
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La différence fondamentale entre les cronstadiens et l'Opposition était que ces derniers ne remettaient pas en cause le monopole bolchévique du pouvoir. Les porte-paroles de l'Opposition multiplièrent les gestes pour se dissocier des mutins.
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La différence fondamentale entre les cronstadiens et l'Opposition était que ces derniers ne remettaient pas en cause le monopole bolchévique du pouvoir. Les porte-paroles de l'Opposition multiplièrent les gestes pour se dissocier des mutins. Le seul membre de l'Opposition ouvrière à se prononcer contre la répression de Cronstadt fut [[Gavril Miasnikov|Miasnikov]].
  
=== Postérité ===
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===Postérité===
  
 
Peu de temps après le Congrès, Bogdanov et le groupe [[Vérité_Ouvrière|''Vérité Ouvrière'']] affirmèrent que la révolution s’était terminée «&nbsp;par une défaite totale de la classe ouvrière&nbsp;».
 
Peu de temps après le Congrès, Bogdanov et le groupe [[Vérité_Ouvrière|''Vérité Ouvrière'']] affirmèrent que la révolution s’était terminée «&nbsp;par une défaite totale de la classe ouvrière&nbsp;».
  
== Liens externes ==
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==Liens externes==
  
*[[Alexandra_Kollontaï|Alexandra Kollontaï]]: [http://www.marxists.org/francais/kollontai/works/1921/00/akoll_oo.htm ''L'Opposition Ouvrière'']  
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*[[Alexandra_Kollontaï|Alexandra Kollontaï]]: [http://www.marxists.org/francais/kollontai/works/1921/00/akoll_oo.htm ''L'Opposition Ouvrière'']
*<span class="reference-text">La bataille socialiste, [https://bataillesocialiste.wordpress.com/2010/06/03/le-x-congres-du-parti-bolchevik-en-1921/ ''Le X° Congrès du Parti bolchevik en 1921'']</span>  
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*<span class="reference-text">La bataille socialiste, [https://bataillesocialiste.wordpress.com/2010/06/03/le-x-congres-du-parti-bolchevik-en-1921/ ''Le X° Congrès du Parti bolchevik en 1921'']</span>
  
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Alexandra Kollontaï, une des figures centrales de l'Opposition ouvrière

L'Opposition ouvrière se constitue au sein du parti bolchévique russe en 1919. Elle se manifeste surtout au cours de l'hiver 1920-21, lors du débat consacré au problème des syndicats. La plupart de ses membres acceptent de se soumettre à l'interdiction des fractions décidée lors du 10e congrès du parti, en mars 1921.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Création[modifier | modifier le wikicode]

Le 20 mars 1918, Chliapnikov accusait d'excès les cheminots d'Arkhangelsk : refus de prendre des voyageurs, absentéisme, non-entretien des machines... et concluait : « Il faut prendre des mesures rigoureuses pour rétablir la discipline dans le travail, et à n’importe quel prix. »

Mais le renforcement continu du centralisme étatique et particulièrement la volonté de subordonner les syndicats va déclencher une vaste réaction. Regroupée autour d'Alexandra Kollontaï et d'Alexandre Chliapnikov, l'Opposition réunit une partie des «  Communistes de gauche » de 1918. Son programme est centré autour du contrôle ouvrier de la production exercé par les syndicats dans lesquels les comités d'usine étaient à ce moment intégrés. Elle s'oppose à l'emploi de spécialistes bourgeois et de managers dans l'industrie, demande l'égalisation des rations et la fin des concessions aux capitalistes russes et étrangers. L'Opposition avait d'autre part des contacts avec le Parti communiste ouvrier d'Allemagne, et publia hors de Russie des appels dénonçant l'idée d'un « front unique » et la coexistence avec les États capitalistes. L'Opposition ouvrière comprenait aussi Medvedev, Kisselev, Loutovinov...

Angelica Balabanova témoigne :

« Ce fut une femme — Alexandra Kollontaï — qui dirigea la première opposition organi­sée contre les lignes de Lénine et de Trotski. Alexandra n’était pas une Bolchevik des débuts, mais elle avait rejoint le Parti encore avant Trotski, et bien avant moi. En ces premières années de la Révolution, elle était souvent un sujet de contrariété, à la fois personnel et politique, pour les dirigeants du Parti. Plus d’une fois, le Comité central avait voulu que je la remplace à la direction du mouvement des femmes, espérant ainsi faciliter la campagne lancée contre elle et l’isoler des travailleuses. Heureusement, j’avais percé l’intrigue et refusé ces offres, soulignant que personne ne pouvait s’acquitter de ce travail mieux qu’elle, et m’efforçant d’augmenter son prestige et sa popularité chaque fois qu’il m’était possible. »[1]

Au 9e congrès du Parti (mars 1920), les derniers vestiges de l’autonomie syndicale et du pouvoir ouvrier dans l’industrie furent balayés ; l’autorité passa aux mains des commissaires politiques. En réaction, Kollontaï distribua aux délégués de la conférence du parti une brochure exprimant les positions de l'Opposition, qui déclencha une grande colère du Comité central et de Lénine en tête :

« Je n’ai jamais vu Lénine aussi en colère que lorsqu’on lui remit une de ces brochures (en dépit du fait qu’on était encore censé admettre le droit d’« opposition » à l’intérieur du Parti). Il monta sur l’estrade et dénonça Kollontaï comme la pire ennemie du Parti, une menace pour son unité. Il poussa son attaque jusqu’à évoquer certains épisodes de la vie privée de Kollontaï qui n’avaient rien à faire dans le débat. »

À la conférence de Moscou, en novembre 1920, près de la moitié des délégués (124 sur 278) se prononcent pour les thèses de l'Opposition. L'Opposition bénéficie d'autre part d'un soutien important des métallurgistes de Pétrograd.

Les thèses d’Ignatov soulignaient le danger des effets probables de « l’entrée en masse d’éléments d’origine bourgeoise et petite-bourgeoise dans notre Parti », se combinant avec « les dures pertes subies par le prolétariat pendant la Guerre Civile ». Mais l'Opposition ne remettait pas en cause directement le parti bolchévik.

1.2 Le débat sur les syndicats[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Syndicats en Russie.

La polémique sur les syndicats commence en novembre 1920 (5e congrès des syndicats) et atteint son point culminant au 10e Congrès (mars 1921) en pleine insurrection de Kronstadt. La plus forte opposition aux idées de Trotski sur la «  militarisation du travail » vint de la fraction du parti qui était le plus liée aux syndicats. Selon certains, « ils étaient déjà dans une certaine mesure des bureaucrates syndicaux. C'est en partie parmi ces éléments qu'allait se développer l'Opposition Ouvrière »[2].

A la suite du 8e congrès pan-russe des soviets (décembre 1920), trois positions principales se dégagent :

Les positions de l'Opposition Ouvrière, contenues dans la brochure du même nom rédigée par Alexandra Kollontaï y opposent la conception de syndicats « réalisant l'activité créatrice de la dictature du prolétariat dans le domaine économique ». Cependant, pour l'Opposition le parti bolchévique reste « le centre suprême de la politique de classe, l'organe de la pensée communiste, le contrôleur de la politique réelle des soviets ». Tout au plus accuse-t-elle le Parti d'entraver l'initiative ouvrière par « la machine bureaucratique, imprégnée de l'esprit de routine qui préside au système capitaliste bourgeois de production et de contrôle ».

Les idées de l'Opposition Ouvrière (que Kollontaï et d'autres élaboreront plus tard de manière plus complète) furent défendues à la réunion de Moscou par le métallurgiste Chliapnikov.[3] Explicitement ou implicitement, elles préconisaient la domination de l'État par les syndicats. L'Opposition Ouvrière se référait, bien entendu, au «  point 5 » du programme de 1919 et accusait la direction du Parti de ne pas tenir les promesses qu'il avait faites aux syndicats. Elle affirmait que «  pendant les deux dernières années, la direction du Parti et des organes gouvernementaux avait systématiquement rétréci le champ d'action des syndicats et réduit presque à zéro l'influence de la classe ouvrière (...). Le Parti et les autorités économiques, débordés par des techniciens bourgeois et par d'autres éléments non-prolétariens, étaient manifestement hostiles aux syndicats (...) Il n'y avait qu'une solution : la concentration de la direction industrielle entre les mains des syndicats ». Et il fallait réaliser la transformation en partant d'en bas. «  Au niveau de l'usine, les Comités d'usine devront récupérer leur ancienne position dominante ». L'Opposition Ouvrière proposa que les syndicats soient mieux représentés dans divers organismes de contrôle. «  Pas une seule personne ne devait être nommée à un poste économique administratif sans le consentement des syndicats (...). Les fonctionnaires recommandés par les syndicats devraient leur rendre compte de leur travail et pourraient être remplacés à n'importe quel moment ». L'élément clé de cet ensemble de propositions était la demande de convocation d'un «  Congrès Panrusse des producteurs » qui élirait une direction centrale de toute l'économie nationale. De la même façon, les Congrès Nationaux des divers syndicats éliraient les dirigeants des divers secteurs de l'économie. Les Conférences syndicales locales constitueraient les directions locales et régionales, et la direction de chaque usine serait confiée au Comité d'usine, qui continuerait à faire partie de l'organisation syndicale. «  Ainsi — affirma Chliapnikov — on parviendra à créer cette volonté unique qui est essentielle pour l'organisation de l'économie, mais aussi une possibilité réelle pour les larges masses de travailleurs de faire sentir leur influence dans l'organisation et le développement de notre économie ». Enfin, contre la méritocratie dans les salaires, l'Opposition Ouvrière proposait une révision radicale de la politique des salaires dans un sens extrêmement égalitaire et qui présupposait une substitution graduelle du salaire en argent par des rémunérations en nature.

Dans la périphérie de l'Opposition ouvrière, des hommes comme Miasnikov et Bogdanov commençaient à mettre en question la suprématie du Parti, ou la nature de classe de l’État russe. Ces idées n'étaient qu'implicitement contenues dans les thèses de l'Opposition, comme lorsque Ignatov soulignaient le danger des effets probables de «  l'entrée en masse d'éléments d'origine bourgeoise et petite-bourgeoise dans notre Parti », se combinant avec «  les dures pertes subies par le prolétariat pendant la Guerre Civile ».

Malgré la tempête politique que souleva l'Opposition Ouvrière, on dispose de peu de documents sur cette tendance. Le peu d'information qui existe provient essentiellement de sources léninistes[4]. La violence des attaques contre l'Opposition Ouvrière laisse supposer qu'elle jouissait d'une assez grande influence dans les usines parmi les ouvriers de la base, au point d'inquiéter sérieusement la direction du parti. Chliapnikov (qui fut le premier Commissaire au Travail), Loutovinov et Medvedev, leaders métallurgistes, en furent les principaux représentants. Géographiquement, elle semble s'être concentrée dans certains secteurs du sud-est de la Russie d'Europe : le bassin du Donetz, les régions du Don et du Kouban et la province de Samara sur la Volga. À Samara, en 1921, l'Opposition Ouvrière contrôlait de fait l'organisation du Parti. Avant la crise du Parti en Ukraine, fin 1920, les membres de l'Opposition avaient une majorité de sympathisants dans l'ensemble de la république. Les autres points forts de l'Opposition étaient dans la province de Moscou, où elle réunissait approximativement le quart des voix du Parti, et le syndicat des métallurgistes dans tout le pays. Lorsque Tomsky abandonna les syndicalistes pour passer dans le camp léniniste, vers la fin de 1921, il voulut «expliquer» l'influence de l'Opposition Ouvrière par la popularité des idées de « démocratie industrielle » et des idées « anarcho-syndicalistes » chez les métallurgistes. Il ne faut du reste pas oublier que ces mêmes métallurgistes avaient constitué, en 1917, le fer de lance du mouvement des Comités d'usine.

1.3 Le 10e congrès (mars 1921)[modifier | modifier le wikicode]

Le Congrès s’ouvrit sur un violent discours[5] de Lénine, qui lança un appel en faveur de la loyauté envers le Parti et dénonça l’Opposition Ouvrière comme « une menace pour la révolution ». L’Opposition représentait une déviation « petite-bourgeoise », « syndicaliste et anarchiste », « provoquée d’une part par l’entrée au parti d’anciens menchéviks, ainsi que d’ouvriers et de paysans qui n’ont pas entièrement assimilé la doctrine communiste; mais elle est due surtout à l’influence qu’exerce sur le prolétariat et le PCR l’élément petit bourgeois exceptionnellement puissant dans notre pays »[6][7].

L’Opposition Ouvrière était à la fois accusée d'être « authentiquement contre-révolutionnaire », « objectivement contre-révolutionnaire », mais également… « trop révolutionnaire ». Ses revendications étaient « trop avancées », étant donné que le gouvernement soviétique devait encore consacrer tous ses efforts à liquider le retard culturel des masses. D’après Smilga, ce que demandait l’Opposition Ouvrière était si excessif que cela gênait les efforts du Parti en faisant naître chez les ouvriers des espoirs qui ne pouvaient être que déçus. Ou encore, l’Opposition Ouvrière était accusée d'anarcho-syndicalisme.

Lénine théorisa l'association entre dictature du prolétariat et parti communiste unique :

« Le marxisme enseigne que le parti politique de la classe ouvrière, c’est-à-dire le parti communiste, est le seul capable de grouper, d’éduquer et d’organiser l’avant-garde du prolétariat et de toutes les masses laborieuses, qui est seule capable (…) de diriger toutes les activités unifiées de l’ensemble du prolétariat, c’est-à-dire le diriger politiquement et, par son intermédiaire, guider toutes les masses laborieuses. Autrement, la dictature du prolétariat est impossible »

« L’unité » fut le thème omniprésent du Congrès. S’appuyant sur la menace extérieure et sur la « menace » interne, la direction du Parti obtint sans grandes difficultés l’approbation de toute une série de mesures draconiennes. Ces mesures limitaient encore plus les droits des membres du Parti. Le droit de fraction fut aboli. « Le congrès déclare dissous et ordonne de dissoudre immédiatement tous les groupes sans exception qui se sont constitués sur tel ou tel programme (groupes de l’« Opposition Ouvrière », du « Centralisme démocratique », etc.). La non-exécution de cette décision du congrès doit entraîner sans faute l’exclusion immédiate du parti ».

Certains avouèrent leur inquiétude, comme Karl Radek :

« J’ai l’impression qu’une règle vient d’être établie, mais sans que nous sachions très bien contre qui elle peut être appliquée. Lorsqu’on a élu le Comité Central, les camarades de la majorité ont présenté une liste qui leur en donnait le contrôle. Nous savons tous que cela arriva au moment où les dissensions commencèrent à apparaître dans le Parti. Nous ne savons pas (…) quelles complications peuvent surgir. Les camarades qui proposent cette règle pensent qu’il s’agit d’une arme dirigée contre les camarades qui ne pensent pas comme eux. Même si je vote en faveur de cette résolution, j’ai l’impression qu’elle peut se retourner contre nous ».

Mais, en soulignant que le Parti et l’État se trouvaient dans une situation dangereuse, Radek concluait : « laissons donc le Comité Central, dans ce moment de danger, prendre les mesures les plus sévères, même si c’est contre les meilleurs camarades, s’il le juge nécessaire»

Après cela, l'enjeu des discussions du Congrès fut plus limité. Elles furent d'ailleurs laissées pour la fin. Des critiques virulentes se firent néanmoins entendre. Perepechko, membre de l’Opposition Ouvrière, accusa le « bureaucratisme » au sein du parti de causer une coupure entre l’appareil soviétique et les grandes masses des travailleurs. Medvedev attaqua le Comité Central pour sa « déviation qui consistait à se méfier des forces créatrices de la classe ouvrière et ses concessions à la petite bourgeoisie et aux couches de fonctionnaires d’origine bourgeoise ». Pour lutter contre cette tendance et préserver l’esprit prolétarien du Parti, l’Opposition Ouvrière proposa que chaque membre du Parti soit obligé de vivre et de travailler trois mois par an comme « un ouvrier ou un paysan ordinaires, effectuant un travail manuel ». Ignatov, dans ses thèses, demanda que tous les comités du Parti soient composés d’au moins deux tiers d’ouvriers.

Le débat sur les syndicats fut clôt par une victoire écrasante de la position majoritaire :

  • 336 voix pour les thèses de Lénine, Zinoviev...
  • 50 voix pour les thèses de Trotski, Boukharine...
  • 18 voix pour les thèses de l’Opposition Ouvrière

Zinoviev affirma la continuité absolue avec la doctrine syndicale fixée par le Premier Congrès Syndical et le programme du Parti en 1919. Le document soulignait clairement que le Parti dirigerait tout le travail syndical. Par ailleurs à la toute fin du congrès, avec une discussion très courte, les thèses de Lénine sur la NEP furent adoptées.

1.4 Cronstadt[modifier | modifier le wikicode]

Aucun révolté de Cronstadt ne faisait partie de l'Opposition ouvrière, bien que certains aient sans doute appartenu à l'Opposition de la flotte (opposition militaire interne au parti).

Il y avait néanmoins de fortes proximités entre Cronstadt et l'Opposition ouvrière. Les deux critiquaient la direction bolchévique pour avoir trahi l’esprit de la révolution et les soviets. Les révoltés de Cronstadt mettaient eux-aussi l'accent sur l'importance de syndicats autonomes :

« la République socialiste des soviets ne deviendra forte que lorsqu’elle sera administrée par les classes laborieuses à l’aide des syndicats rénovés (…). Les syndicats n’ont jamais pu devenir d’authentiques organismes de classe (…) à cause [de la politique] du parti au pouvoir »

La différence fondamentale entre les cronstadiens et l'Opposition était que ces derniers ne remettaient pas en cause le monopole bolchévique du pouvoir. Les porte-paroles de l'Opposition multiplièrent les gestes pour se dissocier des mutins. Le seul membre de l'Opposition ouvrière à se prononcer contre la répression de Cronstadt fut Miasnikov.

1.5 Postérité[modifier | modifier le wikicode]

Peu de temps après le Congrès, Bogdanov et le groupe Vérité Ouvrière affirmèrent que la révolution s’était terminée « par une défaite totale de la classe ouvrière ».

2 Liens externes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Angelica Balabanoff, Ma vie de rebelle, 1981
  2. Maurice Brinton, Les bolcheviks et le contrôle ouvrier 1917-1921, 1973
  3. Chliapnikov, «  Orgarmatsiya narodnogo khozyaistva i zadachi suyuzov » [L'organisation de l'économie et les tâches des syndicats] [Discours du 30 décembre 1920], Dixième Congrès du Parti Appendice 2, pp. 789-793
  4. Par exemple Rabochaya oppozitsiya [L'Opposition Ouvrière] de K. Shelavin, Moscou, 1930.
  5. http://www.marxistsfr.org/francais/lenin/works/1921/03/d10c/vil19210300-02c10.htm
  6. https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1921/03/d10c/vil19210300-08c10.htm
  7. https://bataillesocialiste.wordpress.com/1921-03-sur-la-deviation-syndicaliste-et-anarchiste-dans-notre-parti-lenine/