Différences entre les versions de « Matérialisme historique »

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Le matérialisme historique est un outil essentiel du [[Marxisme|marxisme]]. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'oeuvre aujourd'hui, d'où elles viennent, ce qu'elles représentent, etc.  
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<div class="capturedImage floatright" style="vertical-align: middle;  width: 407px">[[File:Communist-Manifesto-Historical-Materialism.jpg|right|407x610px|Métaphore de la lutte des classes.]]</div>
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Le '''matérialisme historique''' est un outil essentiel du [[Marxisme|marxisme]]. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'<span class="_Tgc">œuvre</span> aujourd'hui, ce qu'elles représentent, et finalement, où il est le plus utile de concentrer l'action révolutionnaire.
  
Le matérialisme historique est donc un outil essentiel pour comprendre le passé, le présent et le devenir de l'humanité et ce dans le but de mener une action efficace et de peser, par l'action [[Révolution socialiste|révolutionnaire]], sur ce présent, ce devenir. Il ne s'agit donc pas simplement de "pure" théorie, les aspects concrets et pratiques du matérialisme historique (pour notre activité révolutionnaire, nos tâches, etc.) sont évidents. Car le marxisme, à travers notamment le matérialisme historique, se distingue par l'[[Théorie et pratique|unité entre la théorie et la pratique]] et les liens permanents entre ces deux attitudes: "La pensée marxiste n'est pas seulement pensée orientée vers l'action. Elle est théorie de l'action, réflexion sur la praxis, c'est-à-dire sur le possible et l'impossible. (...) La pensée critique n'a de sens et de portée que par l'action pratique révolutionnaire, critique en acte de l'existant."
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== L'élaboration du matérialisme historique ==
  
= Les différentes conceptions de l'histoire  =
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''Article détaillé&nbsp;: [[La_formation_du_matérialisme_historique_chez_Marx_et_Engels|La formation du matérialisme historique chez Marx et Engels]]''
  
Avant [[Karl Marx|Marx]] et à son époque, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire&nbsp;: la [[Conception théologique de l'histoire|conception théologique de l'histoire]], la [[Idéalisme historique|conception idéaliste de l'histoire]], la [[Conception téléologique de l'histoire|conception téléologique de l'histoire]] et la conception matérialiste de l'histoire. C'est cette dernière qui va être revisitée et approfondie par Marx.
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=== Les conceptions antérieures de l'histoire ===
  
= La conception matérialiste de l'histoire avant Marx =
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Jusqu'au 18<sup>e</sup> siècle, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire&nbsp;: la [[Conception_théologique_de_l'histoire|conception théologique de l'histoire]], la [[Idéalisme_historique|conception idéaliste de l'histoire]], la [[Conception_téléologique_de_l'histoire|conception téléologique de l'histoire]] (Hegel) et la conception matérialiste de l'histoire. C'est cette dernière qui va être revisitée et approfondie par [[Marx|Marx]] et [[Engels|Engels]].
  
Plusieurs [[Philosophie|philosophes]] d'inspiration [[Matérialisme|matérialiste]] vont répudier la [[Conception téléologique de l'histoire|théorie idéalistehégélienne]]. Le plus connu d'entre eux fut [[Ludwig Feuerbach|Ludwig Feueurbach]]. Pour ce dernier, laréalisation de l'union entre la pensée et l'être, entre l'esprit et la matière, ne peutpartir de l'Idée ou de l'Esprit, mais bien de la réalité concrète et sensible, de la [[Nature|natureet]] de l'homme. Feueurbach développe ainsi une conception matérialiste de l'histoiredont l'élément moteur n'est plus le développement de la [[Conscience|conscience]], maisl'intégration de l'homme concret dans la nature et dans la société. Mais Feueurbach sesitue dans l'absolu, l'homme concret dont il parle reste un homme abstrait cartotalement déterminé par sa réalité sensible. Bref, il s'agit d'une conception[[Matérialisme mécaniste|matérialiste mécaniste]] car la primauté qu'il accorde au concret fait de l'homme unêtre passif, subissant l'influence de la nature qui l'entoure et sans pouvoir sur cettedernière.
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=== Synthèse du matérialisme et de la dialectique ===
  
= La formation du matérialisme historique chez Marx et Engels =
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La [[Conception_téléologique_de_l'histoire|conception hégélienne]] commençait déjà à être rejetée en tant que théorie [[Idéaliste|idéaliste]], notamment par le matérialiste [[Ludwig_Feuerbach|Ludwig Feueurbach]]. Marx et Engels sont eux-aussi convaincus que c'est la réalité concrète qui prédomine et qu'il n'y a pas d'arrière-monde où planeraient les Idées. Cependant, ils considèrent que la méthode dialectique de Hegel décrit à merveille les grands mouvements de l'histoire. C'est ce qui les conduira à utiliser les deux outils théoriques dans leur conception de l'histoire.
  
== Genèse  ==
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Vers la fin du 19<sup>e</sup> siècle, après mûrissement de leurs idées et confirmation par la réalité, ils en viendront à la conclusion que le nouveau paradigme est le [[Matérialisme_dialectique|matérialisme dialectique]], dont le matérialisme historique est un corollaire.
  
A travers leurs critiques successives de la [[Religion|religion]], de la [[Philosophie|philosophie]] et de la [[Politique|politique]](de l'[[Etat|État]]), [[Karl Marx|Marx]] et [[Friedrich Engels|Engels]] vont découvrir l'importance des phénomènes[[Economie|économiques]] dans la compréhension des sociétés humaines. Schématiquement,leur évolution intellectuelle, au cours des années 1844-1846, peut se résumercomme suit&nbsp;: leur critique de la religion (du [[Christianisme|christianisme]]), en tant que production del'homme qui se construit une image idéalisée, parfaite (et donc inaccessible) de lui-mêmeà travers [[Dieu(x)|Dieu]], les amènent à critiquer la philosophie car cette dernière, en tant qu'interprétation abstraite de l'homme, découle de la religion. La critique de la&nbsp; philosophie passe inévitablement par la critique du philosophe dominant de l'époque&nbsp;: [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]]. Et, puisque dans la philosophie hégélienne l'État est l'incarnation de l'[[Esprit universel (Hegel)|Esprit]], de la Raison, Marx et Engels passent à la critique de l'État. Cette critique de l'État hégélien leur permet de découvrir que les fondements de l'[[Etat bourgeois|État bourgeois]] (comme de n'importe quel autre type&nbsp; d'État) ne sont pas à rechercher en lui-même mais bien dans la société civile car il&nbsp; exprime un rapport de forces déterminé au sein de cette dernière. Cette analyse débouche à son tour sur l'étude du pourquoi de ce rapport de forces entre différentes [[Classes sociales|classes sociales]], question qui abouti à la nécessité d'étudier la façon dont les hommes s'organisent pour assurer leur subsistance, leur production (soit l'[[Economie politique|économie politique]]).
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== Étude de l'infrastructure ==
  
Marx et Engels, à travers leur critique de l'[[Conception téléologique de l'histoire|idéalisme de Hegel]] et du matérialisme "contemplatif" de [[Ludwig Feuerbach|Feuerbach]] (qui, le premier, tenta de démonter le système hégélien,mais tout en restant dans le domaine [[Idéologie|idéologique]]) vont donc développer une nouvelle conception de l'histoire, le matérialisme historique, où il s'attacheront à démontrer l'importance et la place de la production matérielle, de l'économie, pour la compréhension des sociétés et de leur développement historique.  
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Le premier travail nécessaire à la compréhension de l'histoire est l'étude approfondie de "l'[[Infrastructure|infrastructure]]", c'est-à-dire l'organisation économique concrète de la [[Société|société]], par opposition à la superstructure, c'est-à-dire l'ensemble des conventions politiques, juridiques et idéologiques.
  
== "Retournement" de la conception hégélienne:  ==
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=== Travail et Forces productives ===
  
Cette découverte, [[Karl Marx|Marx]] l'exprima ainsi: "Les rapports juridiques - ainsi que les formes&nbsp; politiques (de l'[[Etat|État]]) - ne peuvent être compris ni à partir d'eux-mêmes, ni par la prétendue&nbsp; évolution générale de l'[[Esprit universel (Hegel)|Esprit humain]], mais qu'ils prennent au contraire leurs racines dans les conditions d'existence matérielles de la vie dont Hegel (...) comprend l'ensemble sous le nom de "société civile", et que l'anatomie de la société civile doit être cherchée à son tour dans l'[[Economie politique|économie politique]]. " <ref name="critiqueecopol">[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm Introduction à la " Contribution à la critique de l'économie politique "]</ref>
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Premièrement, la caractéristique essentielle de l'Homme, ce qui le différencie avant toute chose des animaux, est qu'il est le seul à produire ses moyens de subsistance. Le fait historique fondamental de l'Homme, ce qui permet de comprendre son histoire, c'est sa production de moyens de subsistance&nbsp;: ''«&nbsp;la condition première de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'êtres humains&nbsp;»''.
  
Marx opère donc un "retournement" de la théorie idéaliste hégélienne&nbsp;: "ce n'est pas la [[Conscience|conscience]] des hommes qui détermine leur vie sociale, c'est au contraire leur vie sociale (concrète, réelle) qui détermine leur conscience". Ce "retournement" qui donne à la vie concrète, réelle, une primauté sur la conscience des hommes se base sur les conclusions mêmes des [[Philosophie|philosophes]] [[Idéalisme historique|idéalistes]] ou [[Conception téléologique de l'histoire|téléologiques]]. Plusieurs philosophes idéalistes, bien qu'ils maintinssent leur conception de l'importance première de l'idée dans l'évolution historique, se sont ainsi accordés sur le fait que ces "idées" ne sont pas innées en l'homme. Elles proviennent de l'expérience de ces derniers, expérience qui découle de leur "état social Mais aucun d'entre eux n'expliquait les causes de cet état social. Or, pour Marx, si les idées peuvent expliquer certaines choses et exercent une influence importante sur les hommes, elles n'expliquent pas tout&nbsp;: "les idées ne peuvent rien réaliser. Pour réaliser les idées, il faut des hommes qui mettent en oeuvre une force pratique." <ref name="saintefamille">[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/09/kmfe18440900.htm "La Sainte famille", 1844]</ref> De même, dans le domaine de l'interprétation de l'histoire, les idées ne peuvent êtres considérées comme sujet de cette histoire car, comme le dit Marx, "Il ne faut pas expliquer la vie des hommes par leurs idées, il faut expliquer les idées des hommes par leur vie". Les idées se forment au contraire dans et par la pratique matérielle. Il faut donc chercher à expliquer cette pratique matérielle et son origine. C'est en cela que Marx transforme la conception hégélienne de l'histoire.  
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Et ce premier fait historique inclut que la satisfaction des besoins humains élémentaires est une donnée préalable de toute existence humaine&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;''Les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir ''«&nbsp;faire l'histoire&nbsp;»''&nbsp;! Le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c'est là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l'on doit, aujourd'hui encore comme il y a des milliers d'années, remplir jour après jour [...] simplement pour maintenir les hommes en vie.''&nbsp;»'' <ref name="ideoall">L'idéologie allemande, [[Karl Marx]] et [[Friedrich Engels]]</ref></blockquote>
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Deuxièmement, le rapport premier et fondamental qui exprime cette nécessité de maintenir les hommes en vie est celui de l'homme avec la nature puisque l'homme tire de cette dernière ses moyens de subsistance. Et ce rapport fondamental entre l'homme et la nature s'effectue par le travail qui est l'activité qui lui permet de produire ces moyens. Ainsi, dans cette production, dans cette activité fondamentale qu'est le travail, trois éléments se dégagent&nbsp;:
  
== Contre [[Ludwig Feuerbach|Feueurbach]] ==
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#la [[Force_de_travail|force de travail]], qui est constituée par l'énergie humaine dépensée dans le travail, par la force musculaire et intellectuelle de l'homme&nbsp;;
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#l'instrument de travail, qui est constitué par les outils, les instruments et l'infrastructure nécessaires à l'homme pour produire ses moyens de subsistance&nbsp;;
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#l'objet du travail, qui est la nature elle-même (matière brute ou matière première qui a déjà subi une modification).
  
Feueurbach, tout comme [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]], a fortement influencé [[Karl Marx|Marx]]. Ce dernier a, tour à tour,adopté leurs vues pour ensuite critiquer ces dernières en utilisant certaines méthodes ou conclusions de l'un ou l'autre. Marx, en rejetant le système hégélien, va néanmoins garder de celui-ci, en la transformant, sa méthode [[Dialectique|dialectique]] (voir plus bas). A Feueuerbach, Marx reproche que sa méthode ne permet pas de saisir tout le réel dans sa complexité car il n'est pas toujours concret ou "sensible". Car la réalité est constitué de la confrontation entre la théorie et la réalité, la pensée et l'action, etc. L'homme "sensible" de Feueurbach est, en outre, considéré hors de toute l'histoire, ce qui en fait un homme "abstrait" éternel, alors que l'homme, à chaque époque, est le produit de conditions sociales, économiques, politiques, etc. bien déterminées. De plus, les théories matérialistes de Feueurbach n'apportaient aucune conclusion pratique en terme de lutte politique puisque son matérialiste est fondamentalement passif et [[Matérialisme mécaniste|mécaniste]] (ce qui est doit être tel qu'il est). C'est contre cet aspect de la théorie de Feueurbach que Marx écrira la onzième de ses célèbres [[Thèses sur Feuerbach|''Thèses sur Feuerbach'']]&nbsp;: "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, or il s'agit de le transformer."
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L'instrument de travail et l'objet du travail forment les [[Moyens_de_production|moyens de production]].
  
Mais laissons Marx continuer l'exposé de sa critique&nbsp;: "Feueurbach a l'avantage de considérer l'homme comme une "chose sensible" (...) mais il ne le conçoit pas comme activité sensible. Il reste dans le domaine de la théorie et ne considère les hommes ni dans leurs rapports sociaux donnés ni dans les conditions présentes d'existence qui les ont faits tels qu'ils sont - il ne parvient jamais jusqu'aux hommes actifs, réellement existants (...). Dans la mesure où Feueurbach est matérialiste, l'histoire n'occupe, dans sa philosophie, aucune place, et dans la mesure où il tient compte de l'histoire, il n'est pas matérialiste. Le matérialisme et l'histoire sont chez lui complètement dissociés." <ref name="ideoall">[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm "L'idéologie allemande" (1846)]</ref>
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Enfin, l'ensemble de ces éléments fondamentaux de la relation homme-nature via le travail sont nommés [[Forces_productives|forces productives]].
  
== La signification du matérialisme historique  ==
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=== Rapports sociaux de production ===
  
Le matérialisme historique de Marx/Engels est une théorie de la formation et destransformations sociales dans l'histoire. Il est un rejet à la fois de l'idéalisme, quiconsidère la conscience des hommes comme étant indépendante de toute formematérielle-concrète et supérieure à cette dernière, et un rejet du matérialismevulgaire ou contemplatif qui ne considère que l'importance du concret, du réel audétriment des idées. Il est à la fois opposé à l'empirisme (qui voit uniquement dansles faits eux-mêmes leur propre explication) matérialiste (" les rapports juridiquesainsi que les formes de l'État ne peuvent être compris par eux-mêmes) et àl'idéalisme ( "... ils ne peuvent (non plus) être compris par l'évolution générale del'Esprit humain "). Le matérialisme de Marx est au contraire critique et pratique, il estun dépassement de cette opposition entre les conceptions idéalistes et matérialistesclassiques car, tout en affirmant la détermination première du réel, du concret, ilprend en compte les interactions entre ces deux conceptions. " Les deux interprétations du monde, le matérialisme et l'idéalisme, tombent avec la praxis (marxiste) révolutionnaire. Elles perdent leur opposition (...). La spécificité du marxisme , son caractère révolutionnaire (donc son caractère de classe) ne proviennent donc pas d'une prise de position matérialiste, mais de son caractère pratique, dépassant la spéculation, donc la philosophie, donc le matérialisme comme l'idéalisme. " <ref name="lefebvre">Henri Lefèbvre, "Sociologie de Marx ", Ed. P.U.F. 1974.</ref> Car toute pratique est constituée à la fois de concret et de "pensé" ,le travail, par exemple, nécessite à la fois la réflexion et l'action. Le matérialisme historique n'est donc pas une simple conception ou interprétation passive de l'histoire, il est pratique car il est un outil pour l'analyse des sociétés humaines dans leur développement historique afin de mener une pratique révolutionnaire basée sur l'étude scientifique des faits, des sociétés. Il n'est pas non plus une philosophie car " les philosophe n'ont fait qu'interpréter le monde dediverses manières, or ce qui importe, c'est de le transformer " <ref name="thesesfeuerbach">[[Karl Marx]], Thèse XI dans [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450001.htm "Thèses sur Feuerbach"], 1845.</ref>Mais qu'est ce que la théorie du matérialisme historique?<br>
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Mais le rapport entre l'homme et la nature n'est pas un rapport uniquement individuel, il est également un rapport social car Marx part de ce constat que l'homme est un animal social&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;L'homme ne peut survivre individuellement, ni assurer sa subsistance en dehors de la coopération avec d'autres membres de son espèce. Ses organes physiques trop peu développés ne lui permettent pas de s'approprier directement les vivres. Il doit produire ceux-ci collectivement.&nbsp;»'' <ref name="mandel">Ernest Mandel</ref></blockquote>
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La façon dont les hommes tirent leurs moyens de subsistance de la nature (forces productives) et la façon dont les hommes s'organisent entre eux pour mener à bien cette activité (rapports sociaux), Marx la désigne sous le nom de [[Rapports_sociaux_de_production|rapports sociaux de production]]. Les rapports sociaux de production sont fondamentalement constitués par le type de propriété des [[Moyens_de_production|moyens de production]] qui existent à telle ou telle époque (propriété terrienne sous le [[Féodalisme|féodalisme]], [[Propriété_privée_des_moyens_de_production|propriété privé des entreprises]] sous le [[Capitalisme|capitalisme]]...).
  
= La conception marxiste de l'histoire: résumé<br> =
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Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les forces productives&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double&nbsp;: d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus).&nbsp;»''</blockquote>
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Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production:
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<blockquote>''«&nbsp;Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux [...]. Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux [...] seront tout naturellement différents.&nbsp;»''<ref name="miserephilo">[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615.htm Lettre à propos de J.-P. Proudhon]</ref></blockquote>
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=== Classes sociales ===
  
Se rendant compte que l'ancien matérialisme était inconséquent, incomplet et unilatéral, Marx conclut qu'il fallait «&nbsp;mettre la science de la société... en accord avec la base matérialiste, et la reconstruire en s'appuyant sur elle&nbsp;». Si, d'une manière générale, le matérialisme explique la conscience par l'être et non l'inverse, cette doctrine, appliquée à la société humaine, exigeait qu'on expliquât la conscience sociale par l'être social. «&nbsp;La technologie, dit Marx, met à nu le mode d'action de l'homme vis-à-vis de la nature, le procès de production de sa vie matérielle, et, par conséquent, l'origine des rapports sociaux et des idées ou conceptions intellectuelles qui en découlent&nbsp;» (Le Capital, livre I). On trouve une formulation complète des thèses fondamentales du matérialisme appliqué à la société humaine et à son histoire dans la préface de Marx à son ouvrage Contribution à la critique de l'économie politique, où il s'exprime comme suit&nbsp;: «&nbsp;... dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et intellectuelle en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être&nbsp;; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi&nbsp;; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production... A grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique".&nbsp;» (Voir la brève formule que Marx donne dans sa lettre à Engels en date du 7 juillet 1866&nbsp;: «&nbsp;Notre théorie de la détermination de l'organisation du travail par les moyens de production.&nbsp;») La découverte de la conception matérialiste de l'histoire, ou, plus exactement, l'application conséquente et l'extension du matérialisme au domaine des phénomènes sociaux, a éliminé les deux défauts essentiels des théories historiques antérieures. En premier lieu, ces dernières ne considéraient, dans le meilleur des cas, que les mobiles idéologiques de l'activité historique des hommes, sans rechercher l'origine de ces mobiles, sans saisir les lois objectives qui président au développement dusystème des rapports sociaux et sans discerner les racines de ces rapports dans le degré de développement de la production matérielle. En second lieu, les théories antérieures négligeaient précisément l'action des masses de la population, tandis que le matérialisme historique permet d'étudier, pour la première fois et avec la précision des sciences naturelles, les conditions sociales de la vie des masses et les modifications de ces conditions. La «&nbsp;sociologie&nbsp;» et l'historiographie d'avant Marx accumulaient dans le meilleur des cas des faits bruts, recueillis au petit bonheur, et n'exposaient que certains aspects du processus historique. Le marxisme a frayé le chemin à l'étude globale et universelle du processus de la naissance, du développement et du déclin des formations économiques et sociales en examinant l'ensemble des tendances contradictoires, en les ramenant aux conditions d'existence et de production, nettement précisées, des diverses classes de la société, en écartant le subjectivisme et l'arbitraire dans le choix des idées «&nbsp;directrices&nbsp;» ou dans leur interprétation, en découvrant l'origine de toutes les idées et des différentes tendances, sans exception, dans l'état des forces productives matérielles. Les hommes sont les artisans de leur propre histoire, mais par quoi les mobiles des hommes, et plus précisément des masses humaines, sont-ils déterminés&nbsp;? Quelle est la cause des conflits entre les idées et les aspirations contradictoires&nbsp;? Quelle est la résultante de tousces conflits de l'ensemble des sociétés humaines&nbsp;? Quelles sont les conditions objectives de la production de la vie matérielle sur lesquelles est basée toute l'activité historique des hommes&nbsp;? Quelle est la loi qui préside à l'évolution de ces conditions&nbsp;? Marx a porté son attention sur tous ces problèmes et a tracé la voie à l'étude scientifique de l'histoire conçue comme un processus unique, régi par des lois, quelles qu'en soient la prodigieuse variété et toutes les contradictions.<br>
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L'origine des [[Classes_sociales|classes sociales]] démontre cette relation entre forces productives et rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire de groupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquement déterminé. Lorsqu'il y a 8 000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture et l'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé. Lorsqu'ils commencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole, pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui est directement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, par la force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente ce surproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsi acquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) un pouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyens de production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte des propriétaires de ces moyens de production. Une [[Division_sociale_du_travail|division sociale du travail]] va donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes.
  
= La conception marxiste de l'histoire: exposé du matérialisme historique  =
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Avec les classes sociales, c'est l'[[Exploitation|exploitation]] systémique de l'homme par l'homme qui va apparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produire deviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, mais des relations entre classes sociales. Ainsi, la base sur laquelle les classes sociales ont pu apparaître est donc celle d'une évolution de la production matérielle des moyens de subsistance, autrement dit d'un changement au niveau des forces productives. Ce changement a déterminé la façon dont les hommes se sont organisés (leurs rapports sociaux) pour exploiter leurs moyens de subsistance. Les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'elles occupent dans le système de production sociale ''«&nbsp;par leur rapport aux moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé de l'économie sociale&nbsp;»''. <ref name="lenine">[[Lénine]], [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1919/06/vil19190628.htm La grande initiative]</ref>
  
== Travail et Forces productives  ==
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== Évolution et liens avec la superstructure ==
  
Marx va élaborer sa conception matérialiste de l'histoire en partant d'une double constatation. Premièrement, la caractéristique essentielle de l'homme, ce qui le différencie avant toute chose des animaux, est qu'il est le seul à produire ses moyens de subsistance. Le fait historique fondamental de l'homme, ce qui permet de comprendre son histoire, c'est sa production de moyens de subsistance: " lacondition première de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'êtreshumains " et ce fait historique premier inclut que la satisfaction des besoins humainsélémentaires est une donnée préalable de toute existence humaine: " à savoir queles hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir " faire l'histoire "! " Le premierfait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire cesbesoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c'est là un fait historique,une condition fondamentale de toute histoire que l'on doit, aujourd'hui encore commeil y a des milliers d'années, remplir jour après jour (...) simplement pour maintenir leshommes en vie " <ref name="ideoall" />
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Ces catégories économiques ne servent pas seulement à décrire l'état d'une société donnée, mais aussi et surtout à appréhender la dynamique de son évolution. Celle-ci ne se fait pas suivant un schéma linéaire, mais est la résultante d'un ensemble de tendances que l'on peut essayer d'estimer. Par ailleurs, le même type de causalité relie [[Infrastructure_et_superstructure|l'infrastructure et la superstructure]]. La description de ces liens suit une logique [[Dialectique|dialectique]] (par opposition à une vision [[Matérialisme_mécaniste|mécaniste]]).
  
Deuxièmement, dans ce cadre, Marx part du fait que le rapport premier etfondamental qui exprime cette nécessité de maintenir les hommes en vie est celui del'homme avec la nature puisque l'homme tire de cette dernière ces moyens desubsistance. Et ce rapport fondamental entre l'homme et la nature s'effectue par leTRAVAIL qui est l'activité qui lui permet de produire ces moyens. Ainsi, dans cetteproduction, dans cette activité fondamentale qu'est le travail, trois éléments sedégagent:
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=== Dialectique ===
  
1) LA FORCE DE TRAVAIL, qui est constituée par l'énergie humaine dépenséedans le travail, par la force musculaire et intellectuelle de l'homme;2) L'INSTRUMENT DE TRAVAIL, qui est constitué par les outils, les instruments etl'infrastructure nécessaires à l'homme pour produire ses moyens de subsistance;3) L'OBJET DU TRAVAIL, qui est la nature elle-même (matière brute ou matièrepremière qui a déjà subi une modification).  
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Si les éléments de l'infrastructure constituent la base de toute compréhension des phénomènes historiques, car ils déterminent «&nbsp;en dernière instance&nbsp;» les autres éléments, la superstructure à son tour peut influer sur l'infrastructure. Autrement dit, si la superstructure est, au départ, le reflet de l'infrastructure, si elle est déterminée par celle-ci, elle a aussi une vie active propre, une certaine autonomie. Elle devient une force active qui peut, à son tour, exercer une influence sur l'infrastructure économique de la société. On peut même observer que la superstructure a généralement une capacité de résistance plus grande que l'infrastructure (Les mentalités, les consciences et les coutumes persistent encore pendant de longues années après la destruction d'un mode de production). Un trait fondamental de toute société est donc que tout est mouvement, toutes les formes de relations sociales, à tous les niveaux, sont caractérisées par ce mouvement constitué de toutes les interactions entre les différents éléments constitutifs de la société. Et c'est de ce mouvement que naît le changement.
  
L'instrument de travail et l'objet de travail constituent eux-mêmes un autre élément:les MOYENS DE PRODUCTION.  
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Pour exemple&nbsp;: la société antique a donné naissance au [[Féodalisme|féodalisme]] qui, lui-même, a donné naissance au [[Capitalisme|capitalisme]]. L'analyse doit donc rendre compte de ce mouvement, passé, présent et futur, comprendre que tout est en devenir. Les interactions sont des conditionnements réciproques: il n'y a pas simplement action de A sur B, mais il y a en retour réaction de B sur A. Cette façon de considérer les choses et les phénomènes dans leur mouvements et leurs transformations, dans leur enchaînement et leur action réciproque est ce que l'on appelle la méthode [[Dialectique|dialectique]].
  
Enfin, Marx désigne l'ensemble de ces éléments fondamentaux de la relationhomme-nature via le travail sous le nom de FORCES PRODUCTIVES
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=== Les contradictions ===
  
== Rapports sociaux de production et classes sociales  ==
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Puisque les rapports sociaux ''«&nbsp;sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence &nbsp;»'', on peut dialectiquement conclure que ''«&nbsp;les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances&nbsp;»''.<ref name="ideoall" />
  
Mais le rapport entre l'homme et la nature n'est pas un rapport uniquement individuel,il est également un RAPPORT SOCIAL car "l'homme ne peut survivreindividuellement, ni assurer sa subsistance en dehors de la coopération avecd'autres membres de son espèce. Ses organes physiques trop peu développé ne luipermettent pas de s'approprier directement les vivres. Il doit produire ceux-cicollectivement (...) " <ref name="mandel">Ernest Mandel, " Introduction au marxisme " 1983.</ref> L'homme est donc un animal social.  
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Il n'y a donc pas de [[Fatalisme|fatalité]] historique&nbsp;! Toute réalité est faite de [[Contradictions|contradictions]], sans ces dernières, il ne peut y avoir de progrès possible. Ce sont les contradictions qui expliquent le mouvement, les enchaînements entre les différents [[Modes_de_production|modes de production]] car à chaque mode de production déterminé correspondent des types de contradictions déterminées. Mais il existe une contradiction fondamentale expliquant l'évolution des modes de production. Elle réside dans le fait qu'à un moment déterminé de leur évolution historique, les [[Forces_productives|forces productives]] entrent en contradiction avec les [[Rapports_sociaux_de_production|rapports sociaux de production]]. Car les premières ont tendance à se développer, tandis que les rapports de production ont tendance à être figés par la [[Classe_dominante|classe dominante]] qui en profite. Lorsque la contradiction devient trop criante entre forces productives et rapports de production, le [[Mode_de_production|mode de production]] est menacé, et les conditions objectives d'une [[Révolution_sociale|révolution sociale]] sont en place. Les contradictions dans la [[Idéologie|sphère idéologique]] accompagnent généralement de près cette évolution matérielle.
  
La façon dont les hommes tirent leurs moyens de subsistance de la nature (Forces productives) et la façon dont les hommes s'organisent entre eux pour mener à bien cette activité (Rapports sociaux), Marx la désigne sous le nom de RAPPORTS SOCIAUX DE PRODUCTION. Les Rapports sociaux de production sont fondamentalement constitués par le type de propriété des Moyens de production qui existent à telle ou telle époque (propriété terrienne sous la féodalité, propriété privé des entreprises sous le capitalisme)
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=== Évolution et Révolution ===
  
Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les Forces productives: " Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double: d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus) ". Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les Forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production: " Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux (...). Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux (...) seront tout naturellement différents " <ref name="miserephilo">[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615.htm "Misère de la philosophie", 1847]</ref>.  
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Mais il faut distinguer ici les changements quantitatifs des changements qualitatifs. Par exemple, l'eau chauffée à 99°C subit des transformations considérables, mais elle reste de l'eau. C'est un changement quantitatif. Par contre, à 100°C, l'eau se transforme en vapeur et ce changement d'état est un changement qualitatif. En ce qui nous concerne, lorsque les forces productives connaissent un développement important, on peut parler de changement quantitatif. Mais, lorsque ces changements atteignent un degré tel qu'ils renversent les rapports de production établis, on doit parler de saut qualitatif. Ce changement n'est pas toujours graduel, ni pacifique car dans les sociétés humaines, il s'opère via des [[Révolutions|révolutions]], des [[Guerres|guerres]] ou des bouleversements sociaux importants.
  
L'origine des CLASSES SOCIALES démontre cette relation entre Forces productiveset Rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire degroupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquementdéterminé. Lorsqu'il y a 8.000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture etl'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé. Lorsqu'ilscommencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole,pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui estdirectement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, parla force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente cesurproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsiacquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) unpouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyensde production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte despropriétaires de ces moyens de production. Une DIVISION SOCIALE DU TRAVAILva donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes. Avec lesclasses sociales, c'est l'exploitation systématique de l'homme par l'homme qui vaapparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produiredeviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, maisdes relations entre classes sociales.Ainsi, la base sur laquelle les classes sociales ont pu apparaître est donc celle d'uneévolution de la production matérielle des moyens de subsistance, autrement dit d'unchangement au niveau des Forces productive. Ce changement à déterminé la façondont les hommes se sont organisés (leurs rapports sociaux) pour exploiter leursmoyens de subsistance.Les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'ellesoccupent dans le système de production sociale, "par leur rapport aux moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé de l'économie sociale" <ref name="lenine">[[Lénine]], [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1919/06/vil19190628.htm "La grande initiative", 1919]</ref>
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La révolution sociale, telle que nous la comprenons, est donc un changement qualitatif. Par exemple, on peut citer le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste.
  
== Infrastructure et superstructure  ==
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La révolution française en est l'exemple classique&nbsp;: au sein de la société féodale, les forces de production se développaient sans cesse, prenant un caractère capitaliste (développement de la manufacture, des machines, etc.). Mais ces forces de production, de plus en plus capitalistes, entraient en contradiction avec les rapports sociaux de production féodaux car ces derniers, inadaptés, restreignaient les nouvelles capacités de développement. La [[Classe_bourgeoise|classe bourgeoise]], bénéficiant de cette évolution, devait donc rompre et abolir les rapports sociaux féodaux (servage, etc.) pour pouvoir pleinement développer sa richesse. Il fallait donc renverser le pouvoir politique de l'aristocratie pour que le pouvoir économique de la bourgeoisie se développe pleinement&nbsp;: c'est, avec l'appui des masses populaires, que s'est déclenché la [[Révolution_française|révolution de 1789]] et tous les bouleversements qui s'en sont suivis.
  
L'ensemble des éléments cité ci-dessus constituent l'organisation économique de lasociété que Marx désigne sous le terme d'INFRASTRUCTURE (ou baseéconomique).Sur cette " base ", que comprend toute société humaine, s'élève des formespolitiques, juridiques et idéologiques de la société, ces trois éléments constituant ceque Marx dénomme être la SUPERSTRUCTURE de la société. Cette dernièrecomprend donc trois éléments:1) INSTANCE POLITIQUE, ou formes d'État. La méthode d'analyse de Marx permetde comprendre que l'État n'a pas toujours existé, qu'il est apparu dans des conditionshistoriquement déterminées par l'apparition des classes sociales. Cet État, à toutesles époques, a pour fonction principale de gérer et de perpétuer (à travers sesinstitutions) le mode de production existant à son époque. L'État est l'expression dupouvoir politique de la classe dominante qui possède les moyens de production. Ilfait en sorte que cette classe maintienne cette possession: il est donc l'outil quipermet l'exploitation de l'homme par l'homme. Tout État, quel que soit sa forme, estdonc un instrument de domination d'une classe sur une autre.2) INSTANCE JURIDIQUE, l'instance juridique exprime et codifie au travers des loisle type d'appropriation des moyens de production par une classe sociale déterminéeà une époque déterminée. Elle est la garantie juridique qui fonde l'exploitation del'homme par l'homme. Ainsi, dans le mode de production capitaliste, c'est la propriétéprivée qui est la base de toute l'instance juridique.3) INSTANCE IDEOLOGIQUE La manière dont les hommes nouent entre eux desrelations pour produire leur moyens de subsistance ainsi que la manière dontcertains s'approprient ces moyens déterminent les idéologies qui dominent telle outelle époque. Ainsi, pour Marx, " Les idées de la classe dominante sont, à touteépoque, les idées dominantes; en d'autres termes, la classe détentrice de lapuissance matérielle dominante de la société représente en même temps lapuissance spirituelle qui prédomine dans cette société. La classe qui dispose desmoyens de la production matérielle dispose en même temps, et par là même, desmoyens de la production spirituelle (...). Les idées dominantes ne sont rien d'autresque l'expression idéologique des conditions matérielles dominantes, celles-ci ayantpris la forme d'idées ". <ref name="ideoall" />
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La société capitaliste n'est pas moins instable que celles qui l'ont précédé, mais certainement davantage. Les [[Contradictions_du_capitalisme|contradictions du capitalisme]] sont la base objective de la nécessité du [[Communisme|communisme]].
  
Ces trois instances déterminées; types d'État, lois et idéologie dominante,déterminent à leur tour les FORMES DE CONSCIENCE qui prévalent à une époquedéterminée
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== Le matérialisme historique et les individus ==
  
Les différents types d'Infrastructure et de Superstructure de la société humainedéterminent les différents types de ce que Marx appelle MODE DE PRODUCTION.Dans l'histoire de l'humanité, Marx distingue ainsi plusieurs Mode de production:communiste primitif, antique, asiatique, féodal et capitaliste. La société communisteelle-même, celle pour laquelle nous luttons, est également un Mode de production. Ilfaut ici faire remarquer deux choses essentielles: plusieurs Modes de productionpeuvent coexister en même temps, non seulement dans le temps et dans desrégions ou pays différents, mais également au sein d'un même pays (ce qui donneainsi naissance à des Formation sociales et économiques hybrides, avec desdominantes de tel ou tel Mode de production, ex: société capitaliste semi-féodale,etc.). Enfin, l'enchaînement entre les différents Mode de production n'est pasmécanique, ni linéaire. A chaque étape de la transition, l'évolution peut suivre telle outelle voie. (ex. l'URSS: ni pleinement capitaliste, ni pleinement socialiste car adégénéré durant sa phase de transition de l'un à l'autre)Le Mode de production est donc un concept théorique, abstrait, qui permet dedésigner dans leur globalité les traits caractéristiques essentiels des différents typesde sociétés qu'à connu et que peut connaître l'humanité dans son histoire. Lorsqu'ils'agit d'analyser une société concrète, à une époque déterminée, par exemple laBelgique en 1997 ou l'Angleterre en 1780, Marx emploie le terme de FORMATIONSOCIALE ET ECONOMIQUE, qui comprend donc une complexité plus grande, uneplus grande diversité, que le schéma général de Mode de production.Résumons: " Le matérialisme historique pose que la manière dont les hommesorganisent leur production matérielle constitue la base de toute leur organisationsociale. Cette base détermine, à son tour toutes les autres activités sociales, àsavoir, l'administration des rapports entre groupes humains (...). Le matérialismehistorique n'affirme pas que la production matérielle (le " facteur économique")détermine directement et immédiatement le contenu et la forme de toutes lesactivités dites de la superstructure. La base sociale, ce n'est d'ailleurs pas l'activitéproductive en tant que telle, et encore moins la " production matérielle " priseisolément; ce sont les rapports sociaux que les hommes nouent dans la productionde leur vie matérielle (et qui sont déterminé par cette dernière, mais pas de manièremécanique). Le matérialisme historique n'est donc pas un déterminisme économiquemais bien un déterminisme socio-économique ". <ref name="mandel" />
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Il est évident que le matérialisme historique minimise le rôle des individus par rapport à des analyses centrées sur les dynasties royales, les ''«&nbsp;grands hommes&nbsp;»'', etc. Mais cela ne veut pas dire que tout aspect individuel est forcément écarté des analyses.
  
Les Rapports sociaux de production sont donc le lien, le lieu de détermination etd'influence entre la Superstructure et l'Infrastructure. Les Forces productives, àchaque moment de leur croissance, fournissent la base sur laquelle s'établissent lesRapports de production qui eux-mêmes déterminent la Superstructure. Mais endernière instance, lorsque l'on démonte le fil des causalités, on retombe toujours surune cause matérielle. En remontant ainsi jusqu'à l'origine de l'humanité, ce sont lesinfrastructures qui sont déterminantes puisque c'est à partir du moment où leshommes ont crée leurs propres moyens d'existence qu'ils sont sortis du stade "d'animalité ".
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=== Explication des caractères individuels ===
  
Ce schéma, et l'application de la méthode dialectique (voir ci-dessous), permet decomprendre que si les idées ont une place importantes et peuvent agir sur les basesmatérielles, elles n'en sont pas moins déterminées par l'infrastructure: " Le courshistorique est fait du processus engendré par les contradictions des rapportséconomiques qui se reflètent dans les superstructures par des conflits entre leshommes (entre classes sociales). Ces conflits sont eux-mêmes transposés dans lesesprits par des oppositions d'idées, lesquelles, en modifiant les actions humaines,réagissent sur les rapports économiques. L'erreur idéaliste consiste à prendre cettedernière réaction pour un commencement absolu. "<ref>Jean Gorren, " Sociologie et Socialisme ", Université Ouvrière de Bruxelles,fckLR1951.</ref>  
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Dans son [[Histoire_de_la_Révolution_russe|''Histoire de la Révolution russe'']], [[Trotsky|Trotsky]] livre son interprétation du caractère du tsar Nicolas II comme reflet de la clique [[Tsariste|tsariste]] sur le déclin. Il établit une analogie avec le caractère de Louis XVI en 1789.<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr04.htm Histoire de la révolution russe. 4 Le tsar et la tsarine]'', 1930</ref>
  
== Mouvement, dialectique et contradictions: ou comment les sociétés se transforment  ==
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=== Impact des individus sur les événéments ===
  
Le schéma développé ci-dessus est loin d'être immobile: tous les éléments cités sonten constante interactions qui entraînent des transformations. Si les éléments del'Infrastructure constituent la base de toute compréhension des phénomèneshistoriques, car ils déterminent " en dernière instance " les autres éléments, laSuperstructure à son tour peut influer sur l'Infrastructure. Autrement dit, si laSuperstructure est, au départ, le reflet de l'infrastructure, si elle est déterminée parcelle-ci, elle a aussi une vie active propre, une certaine autonomie. Elle devient uneforce active qui peut, à son tour, exercer une influence sur l'infrastructureéconomique de la société. On peut même observer que la superstructure agénéralement une capacité de résistance plus grande que l'infrastructure.Un trait fondamental de toute société est donc que tout est MOUVEMENT, toutes lesformes de relations sociales, à tous les niveaux, sont caractérisées par cemouvement constitué de toutes les interactions entre les différents élémentsconstitutifs de la société. Et c'est de ce mouvement que naît le changement. " Lasociété antique a donné naissance à la féodalité qui, elle-même, à donné naissanceau capitalisme (nous verrons ci-dessous comment et pourquoi). L'analyse doit doncrendre compte de ce mouvement, passé, présent et futur, comprendre que tout esten DEVENIR. Les interactions sont des conditionnements réciproques: il n'y a passimplement action de l'élément " a " sur un élément " b ", mais il y a en retourréaction de " b " sur " a ". Cette façon de considérer les choses et les phénomènesdans leur mouvements et leurs transformations, dans leur enchaînement et leuraction réciproque est ce que l'on appelle la METHODE DIALECTIQUE " (14).Méthode d'analyse et de pensée utilisée par Marx pour comprendre la dynamique del'histoire (ainsi, l'ancienne superstructure idéologique - les mentalités, lesconsciences et les coutumes - persiste encore pendant de longues années après ladestruction de ses " bases matérielles " et constitue donc un obstacle à l'édificationde la nouvelle société.)
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Certains marxistes minimisent fortement l'importance de tel ou tel individu, allant jusquaffirmer que les événements forgent les hommes, y compris les leaders.
  
= Les contradictions  =
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A l'inverse, [[Trotsky|Trotsky]] semble dire que la [[Révolution_d'Octobre|Révolution d'Octobre]] n'aurait probablement pas eu lieu sans [[Lénine|Lénine]] et sa capacité particulière à comprendre la situation née de [[Révolution_de_Février|Février]]&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Reste à demander, et la question n'est pas de peu d'importance, bien qu'il soit plus facile de la poser que d'y répondre&nbsp;: comment se serait poursuivi le développement de la révolution si Lénine n'avait pu parvenir en Russie en avril 1917&nbsp;? Si notre exposé montre et démontre en général quelque chose, c'est, espérons-nous, que Lénine ne fut pas le démiurge du processus révolutionnaire, qu'il s'inséra seulement dans la chaîne des forces historiques objectives. Mais, dans cette chaîne, il fut un grand anneau. La dictature du prolétariat découlait de toute la situation. Mais encore fallait-il l'ériger. On ne pouvait l'instaurer sans un parti. Or, le parti ne pouvait accomplir sa mission qu'après l'avoir comprise. Pour cela justement, Lénine était indispensable. &nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr16.htm Histoire de la révolution russe. 16 Le réarmement du parti]'', 1930</ref>''</blockquote>
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=== Rationalité des individus&nbsp;? ===
  
La dialectique permet de comprendre un autre trait fondamental de la société: lesCONTRADICTIONS. Ainsi, si le matérialisme historique démontre que ce sont les HOMMES QUI FONT LEUR PROPRE HISTOIRE. Puisque ce sont eux qui, à la base, à travers la satisfaction de leurs besoins produisent leur propre vie matérielle qui elle-même détermine toute leur organisation sociale, la dialectique permet de saisir qu "'ils ne la font pas d'une façon arbitraire, ni dans des circonstances librement choisies; ils la font dans des conditions qu'ils ont trouvées devant eux, qui leur ont été léguées par le passé, bref, dans des circonstances données " <ref>[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.htm "Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte", 1851]</ref>.  
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Certains critiques du marxisme soutiennent qu'il repose sur l'idée que les acteurs (les individus) sont motivés par leur intérêt matériel, et donc qu'ils sont rationnels. C'est le cas de Bertrand Russel, qui soutient que Marx a ainsi hérité de de la psychologie rationaliste du 18<sup>e</sup> siècle et de la vision des économistes classiques anglais, mais que la psychologie moderne aurait montré que la raison guide une toute petite partie du comportement humain par rapport à d'autres sentiments (religions, nationalisme...).
  
Puisque les rapports sociaux " sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence " ont peut dialectiquement conclure que " les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances " <ref name="ideoall" />.
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== Schéma général et analyses concrètes ==
  
Il n'y a donc pas de fatalité historique! Toute réalité est faite de contradictions, sans ces dernières, il ne peut y avoir de progrès possible. Ce sont les contradictions qui expliquent le mouvement, les enchaînements entre les différents Mode de production car à chaque Mode de production déterminé correspondent des types de contradictions déterminées. Mais il existe une contradiction fondamentale pour comprendre le passage d'un Mode de production à un autre. Elle réside dans le fait qu'à un moment déterminé de leur évolution historique, les Forces productives entrent en contradiction avec les Rapports sociaux de production. Car les premières sont, normalement, en constante évolution et développement tandis que les Rapports sociaux de production ont, quant à eux, tendance à se figer, à s'immobiliser. Nous avions dit que les Forces productives déterminaient les Rapports sociaux de production. Mais cette unité est dialectique, c'est à dire conflictuelle, ce qui provoque, à un moment donné, une contradiction entre les deux éléments. Cette contradiction produit donc, à travers le mouvement, le changement entre deux types de Mode production.  
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Dans sa tentative de dégager par [[Induction|induction]] un schéma général de la succession des modes de production, le matérialisme historique peut donner l'impression que ce schéma peut ensuite être appliqué mécaniquement au sein de n'importe quelle société donnée, à partir des seules considérations socio-économiques. Mais en réalité lorsque par exemple [[Marx|Marx]] tentait d'analyser concrètement une société, il prenait en compte les nombreux facteurs (tout aussi matérialistes) qui ne relèvent pas purement du schéma socio-économique. Et il raisonnait avec la notion de ''«&nbsp;formation sociale&nbsp;»'' (concrète), et non avec la notion de mode de production (abstrait).
  
Mais il faut distinguer ici les changements QUANTITATIFS des changements QUALITATIFS. Par exemple, l'eau chauffée à 99 degrés subit des transformations considérables, mais elle reste de l'eau. C'est un changement quantitatif. Par contre, à 100 degrés, l'eau se transforme en vapeur et ce changement total d'état est un changement qualitatif. En ce qui nous concerne, lorsque les Forces productives connaissent un développement important, on peut parler de changement quantitatif. Mais, lorsque ces changements atteignent un degré déterminé, les Rapports sociaux de production traditionnels peuvent disparaître et être remplacé par des nouveaux Rapports, qui correspondent parfaitement au nouvel état des Forces productives. Il s'agit donc alors d'un changement qualitatif. Ce changement n'est pas toujours graduel, ni pacifique car dans les sociétés humaines, il s'opère via des révolutions,des guerres ou des bouleversements sociaux importants.
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=== Importance de la géographie ===
  
La Révolution sociale, telle que nous la comprenons, est donc un changement qualitatif précédés de " sauts qualitatifs ". Par exemple, on peut citer le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste. La révolution française en est l'exemple classique: au sein de la société féodale, les Forces de production se développaient sans cesse, prenant un caractère capitaliste (développement de la manufacture, des machines, etc.). Mais ces Forces de production, de plus en plus capitalistes, entraient en contradiction avec les Rapports sociaux de production féodaux car ces derniers, non-adaptés, restreignaient les nouvelles capacités de développement. La classe bourgeoise, bénéficiaire de cette évolution, devait donc rompre et abolir les Rapports sociaux féodaux (servage, etc.) pour pouvoir pleinement développer sa richesse. Il fallait donc renverser le pouvoir politique de l'aristocratie pour que le pouvoir économique de la bourgeoisie se développe pleinement. D'où la fameuse révolution de 1789. Dans la société capitaliste elle-même, il existe deux contradictions dont la première est fondamentale:
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Toute analyse d'une formation sociale concrète (et toute analyse des [[Pays_impérialistes_et_pays_dominés|rapports impérialistes mondiaux]]) doit prendre en compte des éléments de géographie.
  
== Contradiction entre la socialisation des forces productives et le caractère privé des moyens de production  ==
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Beaucoup d'historiens ont pris en compte la géographie, mais ils se sont souvent centrés sur l'influence du milieu naturel sur la physiologie ou la psychologie humaine, celle-ci expliquant à son tour l'histoire. C'est par exemple ce que fait Montesquieu dans certains passages de l'Esprit des lois. Or la tentative d'expliquer l'histoire par la psychologie conduit souvent à l'[[Idéalisme_historique|idéalisme]].
  
Dans le système capitaliste, la contradiction entre Forces productives et Rapports sociaux de production existe également et prend une forme particulière et propre à ce mode deproduction. Comme nous l'avons vu, les Moyens de production ne peuvent être mis en oeuvre que par un ensemble de travailleurs, dans le capitalisme, ce fait est sans cesse accru: chaque branche de production fait appel à des moyens de production ayant des origines de plus en plus diverses et auxquelles participent de manière dépendante de plus en plus d'individus (ex: la chimie, au départ, n'était qu'un " ingrédient " au sein de la production industrielle. Les produits chimiques n'étaient alors pas produits pour être vendu sur le marché, mais étaient directement intégrés dans la production sans passer par le circuit de circulation des marchandises. Mais avec le développement industriel est apparue, parallèlement, toute une industrie chimique " autonome " employant des milliers de travailleurs pour produire un produit qui ne sera qu'ultérieurement, à travers l'échange, intégré au reste de la production industrielle). Cette interdépendance plus grande ne s'effectue pas seulement entre différentes branches d'industrie, mais également au niveau national et international.  
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A l'inverse, [[Hegel|Hegel]], qui attribuait une grande importance au ''«&nbsp;fondement géographique de l'histoire universelle&nbsp;»'', se centrait sur l'influence de la géographie sur les rapports sociaux, ce qui permet d'en tirer des considérations matérialistes malgré le fondement idéaliste de [[Conception_téléologique_de_l'histoire|sa théorie]]. Hegel distingue trois grands milieux géographiques avec les effets suivants&nbsp;:
  
Cette " socialisation " des Forces productives entre en contradiction avec le caractèrede plus en privé des moyens de productions puisque ces derniers sont aux mainsd'une minorité croissante de la population. Le caractère privé des moyens de production constitue ainsi un frein au développement des Forces productives. Aujourd'hui, cette contradiction se manifeste notamment par le fait, aberrant que, malgré que l'humanité bénéficie de ressources suffisantes et de capacités scientifiques et techniques immenses pouvant satisfaire les besoins sociaux élémentaires de toute la population de la planète, c'est tout le contraire qui se produit... Puisque cette minorité, détentrice des moyens deproduction fonde sa richesse sur l'exploitation de la majorité, c-à-d sur la dépossession de ces mêmes moyens de production, son intérêt est donc opposé à la satisfaction des besoins de tous. Car pour répondre à cette nécessité de satisfaction, les Rapports sociaux capitalistes doivent être abolis (ainsi que le Mode de production capitaliste) pour permettre le développement harmonieux et entier des Forces productives actuelles. C'est ce qui explique que cette contradiction fondamentale est sans solution possible dans le cadre du Mode de production capitaliste.  
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#Les plateaux dépourvus d'eau, aux plaines et aux steppes immenses. L'élevage y domine. Les indigènes des plateaux, les Mongols, par exemple, mènent la vie patriarcale et nomade.
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#Les vallées basses coupées de grands fleuves. L'agriculture y domine. Ces terres ont donné naissance à de grands Etats avec la propriété foncière et les rapports juridiques qui s'y rattachent (Chine, Inde, Babylone, Egypte...), car les besoins de l'agriculture (adaptation aux saisons, irrigation...) exigent une grande organisation sociale.
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#Les terres du littoral au contact immédiat avec la mer. Le&nbsp;commerce et l'artisanat y dominent. Le commerce maritime donne une ouverture qui est facteur de transformations sociales, contrairement à l'immobilisme relatif des autres sociétés.  
  
== Contradiction au sein des rapports de producton eux-même entre le capital et le travail  ==
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Le livre de Lev Metchnikov, ''La Civilisation et les grands fleuves historiques'' (1889) livrait des considérations globalement matérialistes sur la géographie, proches de celles de Hegel. Henry Thomas Buckle (1821-1862) essaya aussi d'expliquer l’histoire par le climat, les sols, la nourriture et d’autres facteurs environnementaux modelant un peuple et un pays.
  
Comme on l'aura vu, dans tout mode de production où existent des rapports d'exploitation, on trouve deux groupes sociaux antagoniques, les exploiteurs et les exploités, ces groupes pouvant se diviser euxmêmes en plusieurs classes sociales. La lutte de classe entre travailleurs et capitalistes est l'expression politique et idéologique de la contradiction entre les Forces productives (dont les principaux acteurs sont les producteurs, les travailleursau sens large en tant que Force de travail, principale composante des Forcesproductives) et les Rapports sociaux de production (dont les principaux garants etdéfenseurs sont les ou la classe dominante(s), en l'occurrence bourgeoise pour leMode de production capitaliste), elle est l'expression de la lutte entre les détenteursdes Moyens de production et ceux qui en son dépossédés.Ainsi, la lutte de classe, entre le prolétariat et ses alliés, d'une part, les capitalistes etleurs soutiens, d'autres part, n'est pas un choix politique ou idéologique comme leprétendent les réactionnaires, elle est une nécessité objective et inéluctable quidécoule de la nature même du capitalisme.Et c'est grâce à la lutte de classe que le changement qualitatif entre deux Mode deproduction, le passage à travers une révolution, est possible. C'est ce qui fait dire àMarx, au début du " Manifeste du parti communiste ": " L'histoire de toute sociétéjusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la luttes de classes ". La lutte de classe estdonc le MOTEUR DE L'HISTOIRE.
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=== Intéractions entre différents peuples ===
  
= Conclusion  =
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Les considérations socio-économiques au sein d'une société formée par un peuple donné ne peuvent suffire à une analyse concrète, surtout lorsque les interactions avec d'autres peuples sont fortes. Ces interactions entre peuples, à la fois&nbsp;:
  
La réalité, qu'elle soit sociale, économique, culturelle ou historique, est d'une complexité quasi-infinie. Pour saisir cette réalité si mouvante et complexe, on ne peut commencer que par la simplifier à travers des schémas. Mais si ces derniers ne peuvent entièrement rendre compte de cette réalité, ils doivent au moins saisir, avec toutes les nuances nécessaires, la dynamique qui anime la réalité. C'est ce qu'à fait Marx à travers sa théorie du matérialisme historique: rendre perceptible et compréhensible le développement historique de l'humanité sans tomber dans le simplisme. La méthode de Marx n'est donc, comme lui-même l'a défini, qu'un outil permettant de mieux comprendre. Elle n'est donc en rien un dogme à apprendre par coeur et à appliquer sans adaptation à toutes les occasions. Marx (et après lui Lénine) a insisté sur l'importance de l'analyse concrète des situations concrètes et des conditions spécifiques de tel ou tel pays et à telle époque déterminée, ainsi que sur l'importance de l'innovation et de l'enrichissement de sa méthode. " Il est malheureusement fréquent, chez ceux même qui se réclament de Marx, de considérer l'oeuvre de ce penseur comme une sorte de révélation dont il suffirait de réciter ou de citer les passages importants pour faire s'évanouir les difficultés de la recherche. A chaque problème, il semblerait que Marx nous ait donné la solution, à la manière dont certaines sectes protestantes utilisent les textes bibliques. Cette appropriation me paraît de type religieux ou fétichiste. Ce n'est pas ainsi que la lecture de Marx peut encore être intéressante aujourd'hui. " <ref name="ideoall" /> Ce qu'il faut, ce n'est pas de s'affirmer " pour Marx " mais bien de " se comporter comme Marx ". C'est s'appuyer sur sa théorie pour fonder de nouvelles théories, c'est utiliser sa méthode comme un instrument visant à découvrir, à analyser et à expliquer des phénomènes nouveaux, inconnus du temps de Marx.  
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*sont fortement déterminées par les considérations socio-économiques (un peuple ayant développé une aristocratie guerrière par l'exploitation de ses propres travailleurs pourra plus facilement être victorieux de peuples vivant dans le [[Communisme_premier|communisme premier]])&nbsp;;
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*déterminent les considérations socio-économiques (des invasions comme les ''«&nbsp;[[Invasions_barbares|invasions barbares]]&nbsp;»'' de la fin du [[Moyen-Âge|Moyen-Âge]] ont été un facteur important de transition vers le [[Féodalisme|féodalisme]], même si l'affaiblissement intrinsèque à l'[[Empire_romain|Empire romain]] a été primordial).  
  
= Notes et sources  =
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Cela fait longtemps que des auteurs ont remarqué ce genre de rapports entre évolution interne à un peuple et [[Impérialisme|impérialisme]] entre peuples. Par exemple, le philosophe arabe [[Ibn_Khaldoun|Ibn Khaldoun]] (1332-1406) nommait [[Asabiyya|asabiyya]]<ref>https://fr.wikipedia.org/wiki/Asabiyya</ref> la cohésion sociale (au sens de liens plus ou moins "claniques" existant au sein d'un peuple, et decrivait comment l'asabiyya déclinait particulièrement dans les villes des grands empires, et menait à leur chute face à des peuples nomades des périphéries à la forte asabiyya, puis comment les conquérants avaient tendance à adopter le mode de vie du peuple conquis et subir le même processus.
  
<references />
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== Quelques critiques et débats ==
  
[[Category:Bases_théoriques]] [[Category:Analyse_historique]]
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=== Lien avec le matérialisme en général&nbsp;? ===
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Les marxistes ont toujours considéré qu'il n'y avait pas de rapport automatique entre le fait d'étudier de façon matérialiste le monde physique et le matérialisme historique.
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<blockquote>«&nbsp;Avoir une conception matérialiste de la nature ne signifie pas nécessairement qu'on possède une conception matérialiste de l'histoire. Les matérialistes du [18<sup>e</sup> siècle] considéraient celle-ci avec des yeux d'idéalistes, et d'idéalistes fort naïfs.&nbsp;» Pour eux «&nbsp;le cours des choses, dans la société, est déterminé par le cours des idées, et celui-ci par on ne sait quoi&nbsp;: les règles de la logique formelle, ou l'accumulation des connaissances, par exemple.&nbsp;»<ref>Gheorghi Plekhanov, ''[https://www.marxists.org/francais/plekhanov/works/1891/00/plekhanov_18910000.htm Pour le 60° anniversaire de la mort de Hegel]'', 1891</ref></blockquote>
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Cependant ils estiment qu'il y a objectivement une cohérence entre ces deux éléments.
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A l'inverse, certains penseurs ont critiqué la conception marxiste de l'histoire tout en défendant un [[Matérialisme|matérialisme]] philosophique. Par exemple [[Bertrand_Russel|Bertrand Russel]] (qui assimilait le marxisme à un [[Réductionnisme|réductionnisme]] économique)&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Le matérialisme philosophique ne prouve pas que les causes économiques soient fondamentales en politique. L’opinion de Buckle, par exemple, selon laquelle le climat est un des facteurs décisifs, est également compatible avec le matérialisme. Il en est de même de l’opinion de Freud, qui attribue tout à la sexualité. Il y a d’innombrables façons d’envisager l’histoire, qui sont matérialistes au sens philosophique du mot sans être économiques ou se rapporter à la formule de Marx.&nbsp;»'' <span>​</span>''<ref name="Russel1920">Bertrand Russell, [https://bibdig.biblioteca.unesp.br/bitstream/handle/10/6534/la-pratique-et-la-theorie-du-bolchevisme.pdf ''Pratique et théorie du bolchevisme''], 1920</ref>''<span>​</span></blockquote>
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=== Déterminisme économique&nbsp;? ===
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Le matérialisme historique n'est pas un vulgaire [[Économisme|déterminisme économique]] qui prétendrait que tel état des forces productives implique mécaniquement tel état de conscience sociale. Il doit plutôt être considéré comme un déterminisme ''socio-économique'', car il considère que l'[[Infrastructure_et_superstructure|infrastructure et la superstructure]] sont en intéraction permanente et [[Dialectique|dialectique]]. En revanche il est clair que le matérialisme rejette comme [[Idéaliste|idéaliste]] - à double titre - l'idée de [[Libre-arbitre|libre-arbitre]] total.
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<blockquote>''«&nbsp;Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants&nbsp;»''.<ref>[http://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum3.htm Le 18 brumaire de L. Bonaparte], [[Karl Marx]], 1851</ref></blockquote>
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Il est tentant une fois que l'on a été convaincu de l'influence globale qui existe entre l'infrastructure et la superstructure, de simplifier cette analyse. Trotsky évoque ainsi ce mauvais exemple&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Vouloir établir une espèce de dépendance automatique de la dictature prolétarienne à l'égard des forces techniques et des ressources d'un pays, c'est un préjugé qui dérive d'un matérialisme "économique" simplifié à l'extrême. Un tel point de vue n'a rien de commun avec le marxisme. Bien que les forces de production industrielles fussent dix fois plus développées aux Etats-Unis que chez nous, le rôle politique du prolétariat russe, son influence à venir sur la politique mondiale sont incomparablement plus grandes que le rôle et l'importance du prolétariat américain.&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal23.htm Trois conceptions de la révolution russe], 1940</ref>''</blockquote>
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Par ailleurs, l'infrastructure économique est bien évidemment influencée par des conditions [[Géographie|géographiques]] ou climatiques.<ref>Tendance CLAIRE du NPA, [http://tendanceclaire.org/article.php?id=893 ''Dirty Biology, Jared Diamond… pour ou contre l’écologie historique ?''], 2016</ref> Dans [[Histoire_de_la_révolution_russe|''Histoire de la révolution russe'']], Trotsky montre notamment comment l'immensité de la plaine russe a engendré un retard dans le développement de la division du travail, et comment ce retard a été affecté ensuite par le contact avec l'Occident plus "avancé".
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Il a souvent été reproché aux marxistes de nier ou minimiser le rôle de facteurs comme la [[Religion|religion]] ou le [[Nationalisme|nationalisme]] dans l'histoire. C'est par exemple la critique de Russel, qui accuse les marxistes de faire découler de façon dogmatique toute l'histoire de facteurs économiques. Il reconnaît lui-même que ''«&nbsp;considérée comme une approximation pratique et non comme une loi métaphysique exacte, la conception matérialiste de l’histoire comporte une grande part de vérité&nbsp;»'', mais insiste sur le fait qu'une ''«&nbsp;théorie générale de l’histoire ne peut être vraie tout au plus que dans ses grandes lignes&nbsp;»''<ref name="Russel1920" />. Or, beaucoup de marxistes considèrent qu'il ne font pas autre chose que dégager des lois tendancielles, qu'il s'agit sans cesse de corriger et affiner, et pas des lois rigides.
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En revanche, vouloir multiplier les facteurs influençant la marche de l'histoire en les mettant tous sur le même plan conduit à une forme d'[[Éclectisme|éclectisme]]. Trotski raconte lui-même sur son évolution vers le marxisme&nbsp;:
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''«&nbsp;Je résistai relativement longtemps au matérialisme historique, m'en tenant à la théorie de la multiplicité des facteurs historiques qui est jusqu'à présent, on le sait, la théorie la plus répandue dans la science sociale. Des gens disent des divers aspects de leur activité sociale que ce sont des facteurs, ils donnent à ce concept un caractère super-social et ensuite ils expliquent superstitieusement leur propre activité sociale comme un produit de l'action mutuelle de ces forces indépendantes. D'où viennent ces facteurs, c'est-à-dire dans quelles conditions se sont-ils développés depuis l'humanité primitive? L'éclectisme officiel s'arrête à peine à cette question.&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv10.htm Ma vie]'', 1930</ref>''
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</blockquote>
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=== Historicisme&nbsp;? ===
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Le matérialisme historique est régulièrement accusé d'être un affreux [[Historicisme|historicisme]], c'est-à-dire un discours consistant pour les [[Marxisme|marxistes]] à faire dire à l'[[Histoire|histoire]] ce qui les arrange. Les mêmes considèrent souvent que l'on ne doit pas être "militant" si l'on veut contribuer objectivement à une science. L'ennui dans cette thèse est que si «&nbsp;l'histoire est écrite par les vainqueurs&nbsp;», se contenter de reprendre ce qui a été dit revient à se mouler dans l'[[Idéologie_dominante|idéologie dominante]].
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<blockquote>''«&nbsp;Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi&nbsp;; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle.&nbsp;»''<ref>[http://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm Critique de l'économie politique, Préface], [[Karl Marx]], 1859</ref></blockquote>
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Cela ne signifie pas que le matérialisme historique puisse affirmer tout et n'importe quoi. En tant que modèle scientifique, il propose des explications qui ont d'ores et déjà montré une cohérence remarquable pour une [[Science|science]] qui s'intéresse à un sujet aussi complexe que l'histoire des sociétés humaines. Un modèle peut être critiqué sur ses hypothèses et peut toujours être affiné, mais c'est rejeter en bloc l'idée de modèle sans rentrer dans les détails qui est [[Réactionnaire|réactionnaire]] en science, pas son étude.
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=== Schéma révolutionnaire simpliste&nbsp;? ===
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Certains auteurs ont accusé Marx de conclure abusivement que tout conflit de classe doit aboutir à une révolution inéluctable. C'est le cas par de Ralf Dahrendorf ou encore de Guy Fourquin qui remarquait&nbsp;: ''«&nbsp;La solution violente est au Moyen Age comme en d’autres temps l’exception et le compromis la règle&nbsp;»''. Or cette critique montre surtout une méconnaissance des analyses précises de Marx, qui décrivait par exemple les compromis passés entre Communes et féodalité, et qui a même analysé la construction lente des [[Absolutisme|monarchies absolutistes]] comme un compromis né des rapports de force entre d’une part la noblesse, d’autre part la bourgeoisie montante.
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Par ailleurs, dans une célèbre phrase du [[Manifeste_communiste|''Manifeste communiste'']], Marx évoquait une autre issue à la lutte de classe que la transformation révolutionnaire de la société&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte.&nbsp;»''</blockquote>
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=== Millénarisme&nbsp;? ===
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Certains raillent la perspective donnée par le matérialisme historique d'une société sans classes, y voyant une simple influence de la promesse chrétienne d'un paradis. Toutefois, qu'ils soient [[Conservatisme|conservateurs]] ou [[Réformisme|réformistes]] de gauche, ils n'expliquent pas concrètement en quoi ce ne serait pas crédible, étant données les [[Contradictions_du_capitalisme|contradictions du capitalisme]] et le niveau actuel de la socialisation de la production. Et la nouveauté historique majeure, c'est que la seule classe susceptible de prendre le pouvoir, la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]], ne peut pas devenir une classe dominante dans le cadre du système actuel. Et si elle abolit le capitalisme, c'est-à-dire rend la propriété des moyens de production sociale, elle abolit par là même les classes. Ce ne serait pas la "[[Fin_de_l'histoire|fin de l'histoire]]", comme ironisent certains, mais la fin d'un type d'histoire assez archaïque, caractérisé par la domination d'hommes sur d'autres hommes.
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== Notes et références ==
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=== Bibliographie ===
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*Plékhanov, [http://www.marxists.org/francais/plekhanov/works/1904/00/plekhanov_19040000.htm ''La conception matérialiste de l'histoire''], 1904
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*Gramsci, [http://www.marxists.org/francais/gramsci/works/1933/antiboukh2.htm ''La philosophie de la praxis face à la réduction mécaniste du matérialisme historique''], 1932-1933
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*Michael Burawoy, [http://burawoy.berkeley.edu/methodology/two%20methods.t&s.pdf ''Two methods in search of science&nbsp;: Skocpol versus Trotski''], 1989
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=== Notes ===
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[[Category:Théorie]] [[Category:Histoire]]

Version du 25 septembre 2018 à 22:26

Métaphore de la lutte des classes.

Le matérialisme historique est un outil essentiel du marxisme. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'œuvre aujourd'hui, ce qu'elles représentent, et finalement, où il est le plus utile de concentrer l'action révolutionnaire.

1 L'élaboration du matérialisme historique

Article détaillé : La formation du matérialisme historique chez Marx et Engels

1.1 Les conceptions antérieures de l'histoire

Jusqu'au 18e siècle, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire : la conception théologique de l'histoire, la conception idéaliste de l'histoire, la conception téléologique de l'histoire (Hegel) et la conception matérialiste de l'histoire. C'est cette dernière qui va être revisitée et approfondie par Marx et Engels.

1.2 Synthèse du matérialisme et de la dialectique

La conception hégélienne commençait déjà à être rejetée en tant que théorie idéaliste, notamment par le matérialiste Ludwig Feueurbach. Marx et Engels sont eux-aussi convaincus que c'est la réalité concrète qui prédomine et qu'il n'y a pas d'arrière-monde où planeraient les Idées. Cependant, ils considèrent que la méthode dialectique de Hegel décrit à merveille les grands mouvements de l'histoire. C'est ce qui les conduira à utiliser les deux outils théoriques dans leur conception de l'histoire.

Vers la fin du 19e siècle, après mûrissement de leurs idées et confirmation par la réalité, ils en viendront à la conclusion que le nouveau paradigme est le matérialisme dialectique, dont le matérialisme historique est un corollaire.

2 Étude de l'infrastructure

Le premier travail nécessaire à la compréhension de l'histoire est l'étude approfondie de "l'infrastructure", c'est-à-dire l'organisation économique concrète de la société, par opposition à la superstructure, c'est-à-dire l'ensemble des conventions politiques, juridiques et idéologiques.

2.1 Travail et Forces productives

Premièrement, la caractéristique essentielle de l'Homme, ce qui le différencie avant toute chose des animaux, est qu'il est le seul à produire ses moyens de subsistance. Le fait historique fondamental de l'Homme, ce qui permet de comprendre son histoire, c'est sa production de moyens de subsistance : « la condition première de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'êtres humains ».

Et ce premier fait historique inclut que la satisfaction des besoins humains élémentaires est une donnée préalable de toute existence humaine :

« Les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir « faire l'histoire » ! Le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c'est là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l'on doit, aujourd'hui encore comme il y a des milliers d'années, remplir jour après jour [...] simplement pour maintenir les hommes en vie. » [1]

Deuxièmement, le rapport premier et fondamental qui exprime cette nécessité de maintenir les hommes en vie est celui de l'homme avec la nature puisque l'homme tire de cette dernière ses moyens de subsistance. Et ce rapport fondamental entre l'homme et la nature s'effectue par le travail qui est l'activité qui lui permet de produire ces moyens. Ainsi, dans cette production, dans cette activité fondamentale qu'est le travail, trois éléments se dégagent :

  1. la force de travail, qui est constituée par l'énergie humaine dépensée dans le travail, par la force musculaire et intellectuelle de l'homme ;
  2. l'instrument de travail, qui est constitué par les outils, les instruments et l'infrastructure nécessaires à l'homme pour produire ses moyens de subsistance ;
  3. l'objet du travail, qui est la nature elle-même (matière brute ou matière première qui a déjà subi une modification).

L'instrument de travail et l'objet du travail forment les moyens de production.

Enfin, l'ensemble de ces éléments fondamentaux de la relation homme-nature via le travail sont nommés forces productives.

2.2 Rapports sociaux de production

Mais le rapport entre l'homme et la nature n'est pas un rapport uniquement individuel, il est également un rapport social car Marx part de ce constat que l'homme est un animal social :

« L'homme ne peut survivre individuellement, ni assurer sa subsistance en dehors de la coopération avec d'autres membres de son espèce. Ses organes physiques trop peu développés ne lui permettent pas de s'approprier directement les vivres. Il doit produire ceux-ci collectivement. » [2]

La façon dont les hommes tirent leurs moyens de subsistance de la nature (forces productives) et la façon dont les hommes s'organisent entre eux pour mener à bien cette activité (rapports sociaux), Marx la désigne sous le nom de rapports sociaux de production. Les rapports sociaux de production sont fondamentalement constitués par le type de propriété des moyens de production qui existent à telle ou telle époque (propriété terrienne sous le féodalisme, propriété privé des entreprises sous le capitalisme...).

Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les forces productives :

« Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double : d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus). »

Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production:

« Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux [...]. Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux [...] seront tout naturellement différents. »[3]

2.3 Classes sociales

L'origine des classes sociales démontre cette relation entre forces productives et rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire de groupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquement déterminé. Lorsqu'il y a 8 000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture et l'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé. Lorsqu'ils commencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole, pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui est directement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, par la force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente ce surproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsi acquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) un pouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyens de production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte des propriétaires de ces moyens de production. Une division sociale du travail va donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes.

Avec les classes sociales, c'est l'exploitation systémique de l'homme par l'homme qui va apparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produire deviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, mais des relations entre classes sociales. Ainsi, la base sur laquelle les classes sociales ont pu apparaître est donc celle d'une évolution de la production matérielle des moyens de subsistance, autrement dit d'un changement au niveau des forces productives. Ce changement a déterminé la façon dont les hommes se sont organisés (leurs rapports sociaux) pour exploiter leurs moyens de subsistance. Les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'elles occupent dans le système de production sociale « par leur rapport aux moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé de l'économie sociale ». [4]

3 Évolution et liens avec la superstructure

Ces catégories économiques ne servent pas seulement à décrire l'état d'une société donnée, mais aussi et surtout à appréhender la dynamique de son évolution. Celle-ci ne se fait pas suivant un schéma linéaire, mais est la résultante d'un ensemble de tendances que l'on peut essayer d'estimer. Par ailleurs, le même type de causalité relie l'infrastructure et la superstructure. La description de ces liens suit une logique dialectique (par opposition à une vision mécaniste).

3.1 Dialectique

Si les éléments de l'infrastructure constituent la base de toute compréhension des phénomènes historiques, car ils déterminent « en dernière instance » les autres éléments, la superstructure à son tour peut influer sur l'infrastructure. Autrement dit, si la superstructure est, au départ, le reflet de l'infrastructure, si elle est déterminée par celle-ci, elle a aussi une vie active propre, une certaine autonomie. Elle devient une force active qui peut, à son tour, exercer une influence sur l'infrastructure économique de la société. On peut même observer que la superstructure a généralement une capacité de résistance plus grande que l'infrastructure (Les mentalités, les consciences et les coutumes persistent encore pendant de longues années après la destruction d'un mode de production). Un trait fondamental de toute société est donc que tout est mouvement, toutes les formes de relations sociales, à tous les niveaux, sont caractérisées par ce mouvement constitué de toutes les interactions entre les différents éléments constitutifs de la société. Et c'est de ce mouvement que naît le changement.

Pour exemple : la société antique a donné naissance au féodalisme qui, lui-même, a donné naissance au capitalisme. L'analyse doit donc rendre compte de ce mouvement, passé, présent et futur, comprendre que tout est en devenir. Les interactions sont des conditionnements réciproques: il n'y a pas simplement action de A sur B, mais il y a en retour réaction de B sur A. Cette façon de considérer les choses et les phénomènes dans leur mouvements et leurs transformations, dans leur enchaînement et leur action réciproque est ce que l'on appelle la méthode dialectique.

3.2 Les contradictions

Puisque les rapports sociaux « sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence  », on peut dialectiquement conclure que « les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances ».[1]

Il n'y a donc pas de fatalité historique ! Toute réalité est faite de contradictions, sans ces dernières, il ne peut y avoir de progrès possible. Ce sont les contradictions qui expliquent le mouvement, les enchaînements entre les différents modes de production car à chaque mode de production déterminé correspondent des types de contradictions déterminées. Mais il existe une contradiction fondamentale expliquant l'évolution des modes de production. Elle réside dans le fait qu'à un moment déterminé de leur évolution historique, les forces productives entrent en contradiction avec les rapports sociaux de production. Car les premières ont tendance à se développer, tandis que les rapports de production ont tendance à être figés par la classe dominante qui en profite. Lorsque la contradiction devient trop criante entre forces productives et rapports de production, le mode de production est menacé, et les conditions objectives d'une révolution sociale sont en place. Les contradictions dans la sphère idéologique accompagnent généralement de près cette évolution matérielle.

3.3 Évolution et Révolution

Mais il faut distinguer ici les changements quantitatifs des changements qualitatifs. Par exemple, l'eau chauffée à 99°C subit des transformations considérables, mais elle reste de l'eau. C'est un changement quantitatif. Par contre, à 100°C, l'eau se transforme en vapeur et ce changement d'état est un changement qualitatif. En ce qui nous concerne, lorsque les forces productives connaissent un développement important, on peut parler de changement quantitatif. Mais, lorsque ces changements atteignent un degré tel qu'ils renversent les rapports de production établis, on doit parler de saut qualitatif. Ce changement n'est pas toujours graduel, ni pacifique car dans les sociétés humaines, il s'opère via des révolutions, des guerres ou des bouleversements sociaux importants.

La révolution sociale, telle que nous la comprenons, est donc un changement qualitatif. Par exemple, on peut citer le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste.

La révolution française en est l'exemple classique : au sein de la société féodale, les forces de production se développaient sans cesse, prenant un caractère capitaliste (développement de la manufacture, des machines, etc.). Mais ces forces de production, de plus en plus capitalistes, entraient en contradiction avec les rapports sociaux de production féodaux car ces derniers, inadaptés, restreignaient les nouvelles capacités de développement. La classe bourgeoise, bénéficiant de cette évolution, devait donc rompre et abolir les rapports sociaux féodaux (servage, etc.) pour pouvoir pleinement développer sa richesse. Il fallait donc renverser le pouvoir politique de l'aristocratie pour que le pouvoir économique de la bourgeoisie se développe pleinement : c'est, avec l'appui des masses populaires, que s'est déclenché la révolution de 1789 et tous les bouleversements qui s'en sont suivis.

La société capitaliste n'est pas moins instable que celles qui l'ont précédé, mais certainement davantage. Les contradictions du capitalisme sont la base objective de la nécessité du communisme.

4 Le matérialisme historique et les individus

Il est évident que le matérialisme historique minimise le rôle des individus par rapport à des analyses centrées sur les dynasties royales, les « grands hommes », etc. Mais cela ne veut pas dire que tout aspect individuel est forcément écarté des analyses.

4.1 Explication des caractères individuels

Dans son Histoire de la Révolution russe, Trotsky livre son interprétation du caractère du tsar Nicolas II comme reflet de la clique tsariste sur le déclin. Il établit une analogie avec le caractère de Louis XVI en 1789.[5]

4.2 Impact des individus sur les événéments

Certains marxistes minimisent fortement l'importance de tel ou tel individu, allant jusqu'à affirmer que les événements forgent les hommes, y compris les leaders.

A l'inverse, Trotsky semble dire que la Révolution d'Octobre n'aurait probablement pas eu lieu sans Lénine et sa capacité particulière à comprendre la situation née de Février :

« Reste à demander, et la question n'est pas de peu d'importance, bien qu'il soit plus facile de la poser que d'y répondre : comment se serait poursuivi le développement de la révolution si Lénine n'avait pu parvenir en Russie en avril 1917 ? Si notre exposé montre et démontre en général quelque chose, c'est, espérons-nous, que Lénine ne fut pas le démiurge du processus révolutionnaire, qu'il s'inséra seulement dans la chaîne des forces historiques objectives. Mais, dans cette chaîne, il fut un grand anneau. La dictature du prolétariat découlait de toute la situation. Mais encore fallait-il l'ériger. On ne pouvait l'instaurer sans un parti. Or, le parti ne pouvait accomplir sa mission qu'après l'avoir comprise. Pour cela justement, Lénine était indispensable.  »[6]

4.3 Rationalité des individus ?

Certains critiques du marxisme soutiennent qu'il repose sur l'idée que les acteurs (les individus) sont motivés par leur intérêt matériel, et donc qu'ils sont rationnels. C'est le cas de Bertrand Russel, qui soutient que Marx a ainsi hérité de de la psychologie rationaliste du 18e siècle et de la vision des économistes classiques anglais, mais que la psychologie moderne aurait montré que la raison guide une toute petite partie du comportement humain par rapport à d'autres sentiments (religions, nationalisme...).

5 Schéma général et analyses concrètes

Dans sa tentative de dégager par induction un schéma général de la succession des modes de production, le matérialisme historique peut donner l'impression que ce schéma peut ensuite être appliqué mécaniquement au sein de n'importe quelle société donnée, à partir des seules considérations socio-économiques. Mais en réalité lorsque par exemple Marx tentait d'analyser concrètement une société, il prenait en compte les nombreux facteurs (tout aussi matérialistes) qui ne relèvent pas purement du schéma socio-économique. Et il raisonnait avec la notion de « formation sociale » (concrète), et non avec la notion de mode de production (abstrait).

5.1 Importance de la géographie

Toute analyse d'une formation sociale concrète (et toute analyse des rapports impérialistes mondiaux) doit prendre en compte des éléments de géographie.

Beaucoup d'historiens ont pris en compte la géographie, mais ils se sont souvent centrés sur l'influence du milieu naturel sur la physiologie ou la psychologie humaine, celle-ci expliquant à son tour l'histoire. C'est par exemple ce que fait Montesquieu dans certains passages de l'Esprit des lois. Or la tentative d'expliquer l'histoire par la psychologie conduit souvent à l'idéalisme.

A l'inverse, Hegel, qui attribuait une grande importance au « fondement géographique de l'histoire universelle », se centrait sur l'influence de la géographie sur les rapports sociaux, ce qui permet d'en tirer des considérations matérialistes malgré le fondement idéaliste de sa théorie. Hegel distingue trois grands milieux géographiques avec les effets suivants :

  1. Les plateaux dépourvus d'eau, aux plaines et aux steppes immenses. L'élevage y domine. Les indigènes des plateaux, les Mongols, par exemple, mènent la vie patriarcale et nomade.
  2. Les vallées basses coupées de grands fleuves. L'agriculture y domine. Ces terres ont donné naissance à de grands Etats avec la propriété foncière et les rapports juridiques qui s'y rattachent (Chine, Inde, Babylone, Egypte...), car les besoins de l'agriculture (adaptation aux saisons, irrigation...) exigent une grande organisation sociale.
  3. Les terres du littoral au contact immédiat avec la mer. Le commerce et l'artisanat y dominent. Le commerce maritime donne une ouverture qui est facteur de transformations sociales, contrairement à l'immobilisme relatif des autres sociétés.

Le livre de Lev Metchnikov, La Civilisation et les grands fleuves historiques (1889) livrait des considérations globalement matérialistes sur la géographie, proches de celles de Hegel. Henry Thomas Buckle (1821-1862) essaya aussi d'expliquer l’histoire par le climat, les sols, la nourriture et d’autres facteurs environnementaux modelant un peuple et un pays.

5.2 Intéractions entre différents peuples

Les considérations socio-économiques au sein d'une société formée par un peuple donné ne peuvent suffire à une analyse concrète, surtout lorsque les interactions avec d'autres peuples sont fortes. Ces interactions entre peuples, à la fois :

  • sont fortement déterminées par les considérations socio-économiques (un peuple ayant développé une aristocratie guerrière par l'exploitation de ses propres travailleurs pourra plus facilement être victorieux de peuples vivant dans le communisme premier) ;
  • déterminent les considérations socio-économiques (des invasions comme les « invasions barbares » de la fin du Moyen-Âge ont été un facteur important de transition vers le féodalisme, même si l'affaiblissement intrinsèque à l'Empire romain a été primordial).

Cela fait longtemps que des auteurs ont remarqué ce genre de rapports entre évolution interne à un peuple et impérialisme entre peuples. Par exemple, le philosophe arabe Ibn Khaldoun (1332-1406) nommait asabiyya[7] la cohésion sociale (au sens de liens plus ou moins "claniques" existant au sein d'un peuple, et decrivait comment l'asabiyya déclinait particulièrement dans les villes des grands empires, et menait à leur chute face à des peuples nomades des périphéries à la forte asabiyya, puis comment les conquérants avaient tendance à adopter le mode de vie du peuple conquis et subir le même processus.

6 Quelques critiques et débats

6.1 Lien avec le matérialisme en général ?

Les marxistes ont toujours considéré qu'il n'y avait pas de rapport automatique entre le fait d'étudier de façon matérialiste le monde physique et le matérialisme historique.

« Avoir une conception matérialiste de la nature ne signifie pas nécessairement qu'on possède une conception matérialiste de l'histoire. Les matérialistes du [18e siècle] considéraient celle-ci avec des yeux d'idéalistes, et d'idéalistes fort naïfs. » Pour eux « le cours des choses, dans la société, est déterminé par le cours des idées, et celui-ci par on ne sait quoi : les règles de la logique formelle, ou l'accumulation des connaissances, par exemple. »[8]

Cependant ils estiment qu'il y a objectivement une cohérence entre ces deux éléments.

A l'inverse, certains penseurs ont critiqué la conception marxiste de l'histoire tout en défendant un matérialisme philosophique. Par exemple Bertrand Russel (qui assimilait le marxisme à un réductionnisme économique) :

« Le matérialisme philosophique ne prouve pas que les causes économiques soient fondamentales en politique. L’opinion de Buckle, par exemple, selon laquelle le climat est un des facteurs décisifs, est également compatible avec le matérialisme. Il en est de même de l’opinion de Freud, qui attribue tout à la sexualité. Il y a d’innombrables façons d’envisager l’histoire, qui sont matérialistes au sens philosophique du mot sans être économiques ou se rapporter à la formule de Marx. » [9]

6.2 Déterminisme économique ?

Le matérialisme historique n'est pas un vulgaire déterminisme économique qui prétendrait que tel état des forces productives implique mécaniquement tel état de conscience sociale. Il doit plutôt être considéré comme un déterminisme socio-économique, car il considère que l'infrastructure et la superstructure sont en intéraction permanente et dialectique. En revanche il est clair que le matérialisme rejette comme idéaliste - à double titre - l'idée de libre-arbitre total.

« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants ».[10]

Il est tentant une fois que l'on a été convaincu de l'influence globale qui existe entre l'infrastructure et la superstructure, de simplifier cette analyse. Trotsky évoque ainsi ce mauvais exemple :

« Vouloir établir une espèce de dépendance automatique de la dictature prolétarienne à l'égard des forces techniques et des ressources d'un pays, c'est un préjugé qui dérive d'un matérialisme "économique" simplifié à l'extrême. Un tel point de vue n'a rien de commun avec le marxisme. Bien que les forces de production industrielles fussent dix fois plus développées aux Etats-Unis que chez nous, le rôle politique du prolétariat russe, son influence à venir sur la politique mondiale sont incomparablement plus grandes que le rôle et l'importance du prolétariat américain. »[11]

Par ailleurs, l'infrastructure économique est bien évidemment influencée par des conditions géographiques ou climatiques.[12] Dans Histoire de la révolution russe, Trotsky montre notamment comment l'immensité de la plaine russe a engendré un retard dans le développement de la division du travail, et comment ce retard a été affecté ensuite par le contact avec l'Occident plus "avancé".

Il a souvent été reproché aux marxistes de nier ou minimiser le rôle de facteurs comme la religion ou le nationalisme dans l'histoire. C'est par exemple la critique de Russel, qui accuse les marxistes de faire découler de façon dogmatique toute l'histoire de facteurs économiques. Il reconnaît lui-même que « considérée comme une approximation pratique et non comme une loi métaphysique exacte, la conception matérialiste de l’histoire comporte une grande part de vérité », mais insiste sur le fait qu'une « théorie générale de l’histoire ne peut être vraie tout au plus que dans ses grandes lignes »[9]. Or, beaucoup de marxistes considèrent qu'il ne font pas autre chose que dégager des lois tendancielles, qu'il s'agit sans cesse de corriger et affiner, et pas des lois rigides.

En revanche, vouloir multiplier les facteurs influençant la marche de l'histoire en les mettant tous sur le même plan conduit à une forme d'éclectisme. Trotski raconte lui-même sur son évolution vers le marxisme :

« Je résistai relativement longtemps au matérialisme historique, m'en tenant à la théorie de la multiplicité des facteurs historiques qui est jusqu'à présent, on le sait, la théorie la plus répandue dans la science sociale. Des gens disent des divers aspects de leur activité sociale que ce sont des facteurs, ils donnent à ce concept un caractère super-social et ensuite ils expliquent superstitieusement leur propre activité sociale comme un produit de l'action mutuelle de ces forces indépendantes. D'où viennent ces facteurs, c'est-à-dire dans quelles conditions se sont-ils développés depuis l'humanité primitive? L'éclectisme officiel s'arrête à peine à cette question. »[13]

6.3 Historicisme ?

Le matérialisme historique est régulièrement accusé d'être un affreux historicisme, c'est-à-dire un discours consistant pour les marxistes à faire dire à l'histoire ce qui les arrange. Les mêmes considèrent souvent que l'on ne doit pas être "militant" si l'on veut contribuer objectivement à une science. L'ennui dans cette thèse est que si « l'histoire est écrite par les vainqueurs », se contenter de reprendre ce qui a été dit revient à se mouler dans l'idéologie dominante.

« Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle. »[14]

Cela ne signifie pas que le matérialisme historique puisse affirmer tout et n'importe quoi. En tant que modèle scientifique, il propose des explications qui ont d'ores et déjà montré une cohérence remarquable pour une science qui s'intéresse à un sujet aussi complexe que l'histoire des sociétés humaines. Un modèle peut être critiqué sur ses hypothèses et peut toujours être affiné, mais c'est rejeter en bloc l'idée de modèle sans rentrer dans les détails qui est réactionnaire en science, pas son étude.

6.4 Schéma révolutionnaire simpliste ?

Certains auteurs ont accusé Marx de conclure abusivement que tout conflit de classe doit aboutir à une révolution inéluctable. C'est le cas par de Ralf Dahrendorf ou encore de Guy Fourquin qui remarquait : « La solution violente est au Moyen Age comme en d’autres temps l’exception et le compromis la règle ». Or cette critique montre surtout une méconnaissance des analyses précises de Marx, qui décrivait par exemple les compromis passés entre Communes et féodalité, et qui a même analysé la construction lente des monarchies absolutistes comme un compromis né des rapports de force entre d’une part la noblesse, d’autre part la bourgeoisie montante.

Par ailleurs, dans une célèbre phrase du Manifeste communiste, Marx évoquait une autre issue à la lutte de classe que la transformation révolutionnaire de la société :

« Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. »

6.5 Millénarisme ?

Certains raillent la perspective donnée par le matérialisme historique d'une société sans classes, y voyant une simple influence de la promesse chrétienne d'un paradis. Toutefois, qu'ils soient conservateurs ou réformistes de gauche, ils n'expliquent pas concrètement en quoi ce ne serait pas crédible, étant données les contradictions du capitalisme et le niveau actuel de la socialisation de la production. Et la nouveauté historique majeure, c'est que la seule classe susceptible de prendre le pouvoir, la classe ouvrière, ne peut pas devenir une classe dominante dans le cadre du système actuel. Et si elle abolit le capitalisme, c'est-à-dire rend la propriété des moyens de production sociale, elle abolit par là même les classes. Ce ne serait pas la "fin de l'histoire", comme ironisent certains, mais la fin d'un type d'histoire assez archaïque, caractérisé par la domination d'hommes sur d'autres hommes.

7 Notes et références

7.1 Bibliographie

7.2 Notes