Différences entre les versions de « Matérialisme historique »

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== La signification du matérialisme historique  ==
 
== La signification du matérialisme historique  ==
  
Le matérialisme historique de Marx/Engels est une théorie de la formation et destransformations sociales dans l'histoire. Il est un rejet à la fois de l'idéalisme, quiconsidère la conscience des hommes comme étant indépendante de toute formematérielle-concrète et supérieure à cette dernière, et un rejet du matérialismevulgaire ou contemplatif qui ne considère que l'importance du concret, du réel audétriment des idées. Il est à la fois opposé à l'empirisme (qui voit uniquement dansles faits eux-mêmes leur propre explication) matérialiste (" les rapports juridiquesainsi que les formes de l'État ne peuvent être compris par eux-mêmes) et àl'idéalisme ( "... ils ne peuvent (non plus) être compris par l'évolution générale del'Esprit humain "). Le matérialisme de Marx est au contraire critique et pratique, il estun dépassement de cette opposition entre les conceptions idéalistes et matérialistesclassiques car, tout en affirmant la détermination première du réel, du concret, ilprend en compte les interactions entre ces deux conceptions. " Les deuxinterprétations du monde, le matérialisme et l'idéalisme, tombent avec la praxis(marxiste) révolutionnaire. Elles perdent leur opposition (...). La spécificité dumarxisme , son caractère révolutionnaire (donc son caractère de classe) neproviennent donc pas d'une prise de position matérialiste, mais de son caractèrepratique, dépassant la spéculation, donc la philosophie, donc le matérialisme commel'idéalisme. " <ref name="lefebvre">Henri Lefèbvre, "Sociologie de Marx ", Ed. P.U.F. 1974.</ref> Car toute pratique est constituée à la fois de concret et de " pensé ",le travail, par exemple, nécessite à la fois la réflexion et l'action.Le matérialisme historique n'est donc pas une simple conception ou interprétationpassive de l'histoire, il est pratique car il est un outil pour l'analyse des sociétéshumaines dans leur développement historique afin de mener une pratiquerévolutionnaire basée sur l'étude scientifique des faits, des sociétés. Il n'est pas nonplus une philosophie car " les philosophe n'ont fait qu'interpréter le monde dediverses manières, or ce qui importe, c'est de le transformer " <ref name="thesesfeuerbach">Thèse XI dans " Thèses sur Feuerbach ", 1845.</ref>Mais qu'est ce que la théorie du matérialisme historique?  
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Le matérialisme historique de Marx/Engels est une théorie de la formation et destransformations sociales dans l'histoire. Il est un rejet à la fois de l'idéalisme, quiconsidère la conscience des hommes comme étant indépendante de toute formematérielle-concrète et supérieure à cette dernière, et un rejet du matérialismevulgaire ou contemplatif qui ne considère que l'importance du concret, du réel audétriment des idées. Il est à la fois opposé à l'empirisme (qui voit uniquement dansles faits eux-mêmes leur propre explication) matérialiste (" les rapports juridiquesainsi que les formes de l'État ne peuvent être compris par eux-mêmes) et àl'idéalisme ( "... ils ne peuvent (non plus) être compris par l'évolution générale del'Esprit humain "). Le matérialisme de Marx est au contraire critique et pratique, il estun dépassement de cette opposition entre les conceptions idéalistes et matérialistesclassiques car, tout en affirmant la détermination première du réel, du concret, ilprend en compte les interactions entre ces deux conceptions. " Les deuxinterprétations du monde, le matérialisme et l'idéalisme, tombent avec la praxis(marxiste) révolutionnaire. Elles perdent leur opposition (...). La spécificité dumarxisme , son caractère révolutionnaire (donc son caractère de classe) neproviennent donc pas d'une prise de position matérialiste, mais de son caractèrepratique, dépassant la spéculation, donc la philosophie, donc le matérialisme commel'idéalisme. " <ref name="lefebvre">Henri Lefèbvre, "Sociologie de Marx ", Ed. P.U.F. 1974.</ref> Car toute pratique est constituée à la fois de concret et de " pensé ",le travail, par exemple, nécessite à la fois la réflexion et l'action.Le matérialisme historique n'est donc pas une simple conception ou interprétationpassive de l'histoire, il est pratique car il est un outil pour l'analyse des sociétéshumaines dans leur développement historique afin de mener une pratiquerévolutionnaire basée sur l'étude scientifique des faits, des sociétés. Il n'est pas nonplus une philosophie car " les philosophe n'ont fait qu'interpréter le monde dediverses manières, or ce qui importe, c'est de le transformer " <ref name="thesesfeuerbach">[[Karl Marx]], Thèse XI dans [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450001.htm "Thèses sur Feuerbach"], 1845.</ref>Mais qu'est ce que la théorie du matérialisme historique?  
  
 
== La conception marxiste de l'histoire: exposé du matérialisme historique  ==
 
== La conception marxiste de l'histoire: exposé du matérialisme historique  ==
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Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les Forces productives: " Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double: d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus) ". Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les Forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production: " Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux (...). Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux (...) seront tout naturellement différents " <ref name="miserephilo">[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615.htm "Misère de la philosophie", 1847]</ref>.  
 
Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les Forces productives: " Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double: d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus) ". Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les Forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production: " Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux (...). Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux (...) seront tout naturellement différents " <ref name="miserephilo">[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615.htm "Misère de la philosophie", 1847]</ref>.  
  
L'origine des CLASSES SOCIALES démontre cette relation entre Forces productiveset Rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire degroupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquementdéterminé. Lorsqu'il y a 8.000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture etl'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé. Lorsqu'ilscommencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole,pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui estdirectement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, parla force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente cesurproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsiacquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) unpouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyensde production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte despropriétaires de ces moyens de production. Une DIVISION SOCIALE DU TRAVAILva donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes. Avec lesclasses sociales, c'est l'exploitation systématique de l'homme par l'homme qui vaapparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produiredeviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, maisdes relations entre classes sociales.Ainsi, la base sur laquelle les classes sociales ont pu apparaître est donc celle d'uneévolution de la production matérielle des moyens de subsistance, autrement dit d'unchangement au niveau des Forces productive. Ce changement à déterminé la façondont les hommes se sont organisés (leurs rapports sociaux) pour exploiter leursmoyens de subsistance.Les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'ellesoccupent dans le système de production sociale, " par leur rapport aux moyens deproduction, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyensd'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Lesclasses sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail del'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminéde l'économie sociale " <ref name="lenine">Lénine, " La grande initiative ", cité par Marta Harnecker, " Les concepts</ref>  
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L'origine des CLASSES SOCIALES démontre cette relation entre Forces productiveset Rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire degroupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquementdéterminé. Lorsqu'il y a 8.000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture etl'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé. Lorsqu'ilscommencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole,pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui estdirectement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, parla force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente cesurproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsiacquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) unpouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyensde production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte despropriétaires de ces moyens de production. Une DIVISION SOCIALE DU TRAVAILva donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes. Avec lesclasses sociales, c'est l'exploitation systématique de l'homme par l'homme qui vaapparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produiredeviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, maisdes relations entre classes sociales.Ainsi, la base sur laquelle les classes sociales ont pu apparaître est donc celle d'uneévolution de la production matérielle des moyens de subsistance, autrement dit d'unchangement au niveau des Forces productive. Ce changement à déterminé la façondont les hommes se sont organisés (leurs rapports sociaux) pour exploiter leursmoyens de subsistance.Les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'ellesoccupent dans le système de production sociale, "par leur rapport aux moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé de l'économie sociale" <ref name="lenine">[[Lénine]], [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1919/06/vil19190628.htm "La grande initiative", 1919]</ref>  
  
 
== Infrastructure et superstructure  ==
 
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= Les contradictions  =
 
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La dialectique permet de comprendre un autre trait fondamental de la société: lesCONTRADICTIONS. Ainsi, si le matérialisme historique démontre que ce sont les HOMMES QUI FONT LEUR PROPRE HISTOIRE. Puisque ce sont eux qui, à la base, à travers la satisfaction de leurs besoins produisent leur propre vie matérielle qui elle-même détermine toute leur organisation sociale, la dialectique permet de saisir qu "'ils ne la font pas d'une façon arbitraire, ni dans des circonstances librement choisies; ils la font dans des conditions qu'ils ont trouvées devant eux, qui leur ont été léguées par le passé, bref, dans des circonstances données " <ref>Marx, " Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte ", cité par MaximilienRubel, " Pages de Karl Marx ", Ed. Payot 1970.</ref>.  
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La dialectique permet de comprendre un autre trait fondamental de la société: lesCONTRADICTIONS. Ainsi, si le matérialisme historique démontre que ce sont les HOMMES QUI FONT LEUR PROPRE HISTOIRE. Puisque ce sont eux qui, à la base, à travers la satisfaction de leurs besoins produisent leur propre vie matérielle qui elle-même détermine toute leur organisation sociale, la dialectique permet de saisir qu "'ils ne la font pas d'une façon arbitraire, ni dans des circonstances librement choisies; ils la font dans des conditions qu'ils ont trouvées devant eux, qui leur ont été léguées par le passé, bref, dans des circonstances données " <ref>[[Karl Marx]], [http://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.htm "Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte", 1851]</ref>.  
  
 
Puisque les rapports sociaux " sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence " ont peut dialectiquement conclure que " les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances " <ref name="ideoall" />.  
 
Puisque les rapports sociaux " sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence " ont peut dialectiquement conclure que " les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances " <ref name="ideoall" />.  

Version du 6 mai 2010 à 13:32

Le matérialisme historique est un outil essentiel du marxisme. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'oeuvre aujourd'hui, d'où elles viennent, ce qu'elles représentent, etc.

Le matérialisme historique est donc un outil essentiel pour comprendre le passé, le présent et le devenir de l'humanité et ce dans le but de mener une action efficace et de peser, par l'action révolutionnaire, sur ce présent, ce devenir. Il ne s'agit donc pas simplement de "pure" théorie, les aspects concrets et pratiques du matérialisme historique (pour notre activité révolutionnaire, nos tâches, etc.) sont évidents. Car le marxisme, à travers notamment le matérialisme historique, se distingue par l'unité entre la théorie et la pratique et les liens permanents entre ces deux attitudes: "La pensée marxiste n'est pas seulement pensée orientée vers l'action. Elle est théorie de l'action, réflexion sur la praxis, c'est-à-dire sur le possible et l'impossible. (...) La pensée critique n'a de sens et de portée que par l'action pratique révolutionnaire, critique en acte de l'existant."

1 Les différentes conceptions de l'histoire

Avant Marx et à son époque, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire : la conception théologique de l'histoire, la conception idéaliste de l'histoire, la conception téléologique de l'histoire et la conception matérialiste de l'histoire. C'est cette dernière qui va être revisitée et approfondie par Marx.

2 La conception matérialiste de l'histoire avant Marx

Plusieurs philosophes d'inspiration matérialiste vont répudier la théorie idéalistehégélienne. Le plus connu d'entre eux fut Ludwig Feueurbach. Pour ce dernier, laréalisation de l'union entre la pensée et l'être, entre l'esprit et la matière, ne peutpartir de l'Idée ou de l'Esprit, mais bien de la réalité concrète et sensible, de la natureet de l'homme. Feueurbach développe ainsi une conception matérialiste de l'histoiredont l'élément moteur n'est plus le développement de la conscience, maisl'intégration de l'homme concret dans la nature et dans la société. Mais Feueurbach sesitue dans l'absolu, l'homme concret dont il parle reste un homme abstrait cartotalement déterminé par sa réalité sensible. Bref, il s'agit d'une conceptionmatérialiste mécaniste car la primauté qu'il accorde au concret fait de l'homme unêtre passif, subissant l'influence de la nature qui l'entoure et sans pouvoir sur cettedernière.

3 2. La formation du matérialisme historique chez Marx et Engels

3.1 Genèse

A travers leurs critiques successives de la religion, de la philosophie et de la politique(de l'État), Marx et Engels vont découvrir l'importance des phénomèneséconomiques dans la compréhension des sociétés humaines. Schématiquement,leur évolution intellectuelle, au cours des années 1844-1846, peut se résumercomme suit : leur critique de la religion (du christianisme), en tant que production del'homme qui se construit une image idéalisée, parfaite (et donc inaccessible) de lui-mêmeà travers Dieu, les amènent à critiquer la philosophie car cette dernière, en tant qu'interprétation abstraite de l'homme, découle de la religion. La critique de la  philosophie passe inévitablement par la critique du philosophe dominant de l'époque : Hegel. Et, puisque dans la philosophie hégélienne l'État est l'incarnation de l'Esprit, de la Raison, Marx et Engels passent à la critique de l'État. Cette critique de l'État hégélien leur permet de découvrir que les fondements de l'État bourgeois (comme de n'importe quel autre type  d'État) ne sont pas à rechercher en lui-même mais bien dans la société civile car il  exprime un rapport de forces déterminé au sein de cette dernière. Cette analyse débouche à son tour sur l'étude du pourquoi de ce rapport de forces entre différentes classes sociales, question qui abouti à la nécessité d'étudier la façon dont les hommes s'organisent pour assurer leur subsistance, leur production (soit l'économie politique).

Marx et Engels, à travers leur critique de l'idéalisme de Hegel et du matérialisme "contemplatif" de Feuerbach (qui, le premier, tenta de démonter le système hégélien,mais tout en restant dans le domaine idéologique) vont donc développer une nouvelle conception de l'histoire, le matérialisme historique, où il s'attacheront à démontrer l'importance et la place de la production matérielle, de l'économie, pour la compréhension des sociétés et de leur développement historique.

3.2 "Retournement" de la conception hégélienne:

Cette découverte, Marx l'exprima ainsi: "Les rapports juridiques - ainsi que les formes  politiques (de l'État) - ne peuvent être compris ni à partir d'eux-mêmes, ni par la prétendue  évolution générale de l'Esprit humain, mais qu'ils prennent au contraire leurs racines dans les conditions d'existence matérielles de la vie dont Hegel (...) comprend l'ensemble sous le nom de "société civile", et que l'anatomie de la société civile doit être cherchée à son tour dans l'économie politique. " [1]

Marx opère donc un "retournement" de la théorie idéaliste hégélienne : "ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur vie sociale, c'est au contraire leur vie sociale (concrète, réelle) qui détermine leur conscience". Ce "retournement" qui donne à la vie concrète, réelle, une primauté sur la conscience des hommes se base sur les conclusions mêmes des philosophes idéalistes ou téléologiques. Plusieurs philosophes idéalistes, bien qu'ils maintinssent leur conception de l'importance première de l'idée dans l'évolution historique, se sont ainsi accordés sur le fait que ces "idées" ne sont pas innées en l'homme. Elles proviennent de l'expérience de ces derniers, expérience qui découle de leur "état social Mais aucun d'entre eux n'expliquait les causes de cet état social. Or, pour Marx, si les idées peuvent expliquer certaines choses et exercent une influence importante sur les hommes, elles n'expliquent pas tout : "les idées ne peuvent rien réaliser. Pour réaliser les idées, il faut des hommes qui mettent en oeuvre une force pratique." [2] De même, dans le domaine de l'interprétation de l'histoire, les idées ne peuvent êtres considérées comme sujet de cette histoire car, comme le dit Marx, "Il ne faut pas expliquer la vie des hommes par leurs idées, il faut expliquer les idées des hommes par leur vie". Les idées se forment au contraire dans et par la pratique matérielle. Il faut donc chercher à expliquer cette pratique matérielle et son origine. C'est en cela que Marx transforme la conception hégélienne de l'histoire.

3.3 Contre Feueurbach

Feueurbach, tout comme Hegel, a fortement influencé Marx. Ce dernier a, tour à tour,adopté leurs vues pour ensuite critiquer ces dernières en utilisant certaines méthodes ou conclusions de l'un ou l'autre. Marx, en rejetant le système hégélien, va néanmoins garder de celui-ci, en la transformant, sa méthode dialectique (voir plus bas). A Feueuerbach, Marx reproche que sa méthode ne permet pas de saisir tout le réel dans sa complexité car il n'est pas toujours concret ou "sensible". Car la réalité est constitué de la confrontation entre la théorie et la réalité, la pensée et l'action, etc. L'homme "sensible" de Feueurbach est, en outre, considéré hors de toute l'histoire, ce qui en fait un homme "abstrait" éternel, alors que l'homme, à chaque époque, est le produit de conditions sociales, économiques, politiques, etc. bien déterminées. De plus, les théories matérialistes de Feueurbach n'apportaient aucune conclusion pratique en terme de lutte politique puisque son matérialiste est fondamentalement passif et mécaniste (ce qui est doit être tel qu'il est). C'est contre cet aspect de la théorie de Feueurbach que Marx écrira la onzième de ses célèbres Thèses sur Feuerbach : "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, or il s'agit de le transformer."

Mais laissons Marx continuer l'exposé de sa critique : "Feueurbach a l'avantage de considérer l'homme comme une "chose sensible" (...) mais il ne le conçoit pas comme activité sensible. Il reste dans le domaine de la théorie et ne considère les hommes ni dans leurs rapports sociaux donnés ni dans les conditions présentes d'existence qui les ont faits tels qu'ils sont - il ne parvient jamais jusqu'aux hommes actifs, réellement existants (...). Dans la mesure où Feueurbach est matérialiste, l'histoire n'occupe, dans sa philosophie, aucune place, et dans la mesure où il tient compte de l'histoire, il n'est pas matérialiste. Le matérialisme et l'histoire sont chez lui complètement dissociés." [3]

3.4 La signification du matérialisme historique

Le matérialisme historique de Marx/Engels est une théorie de la formation et destransformations sociales dans l'histoire. Il est un rejet à la fois de l'idéalisme, quiconsidère la conscience des hommes comme étant indépendante de toute formematérielle-concrète et supérieure à cette dernière, et un rejet du matérialismevulgaire ou contemplatif qui ne considère que l'importance du concret, du réel audétriment des idées. Il est à la fois opposé à l'empirisme (qui voit uniquement dansles faits eux-mêmes leur propre explication) matérialiste (" les rapports juridiquesainsi que les formes de l'État ne peuvent être compris par eux-mêmes) et àl'idéalisme ( "... ils ne peuvent (non plus) être compris par l'évolution générale del'Esprit humain "). Le matérialisme de Marx est au contraire critique et pratique, il estun dépassement de cette opposition entre les conceptions idéalistes et matérialistesclassiques car, tout en affirmant la détermination première du réel, du concret, ilprend en compte les interactions entre ces deux conceptions. " Les deuxinterprétations du monde, le matérialisme et l'idéalisme, tombent avec la praxis(marxiste) révolutionnaire. Elles perdent leur opposition (...). La spécificité dumarxisme , son caractère révolutionnaire (donc son caractère de classe) neproviennent donc pas d'une prise de position matérialiste, mais de son caractèrepratique, dépassant la spéculation, donc la philosophie, donc le matérialisme commel'idéalisme. " [4] Car toute pratique est constituée à la fois de concret et de " pensé ",le travail, par exemple, nécessite à la fois la réflexion et l'action.Le matérialisme historique n'est donc pas une simple conception ou interprétationpassive de l'histoire, il est pratique car il est un outil pour l'analyse des sociétéshumaines dans leur développement historique afin de mener une pratiquerévolutionnaire basée sur l'étude scientifique des faits, des sociétés. Il n'est pas nonplus une philosophie car " les philosophe n'ont fait qu'interpréter le monde dediverses manières, or ce qui importe, c'est de le transformer " [5]Mais qu'est ce que la théorie du matérialisme historique?

3.5 La conception marxiste de l'histoire: exposé du matérialisme historique

3.6 Travail et Forces productives

Marx va élaborer sa conception matérialiste de l'histoire en partant d'une doubleconstatation. Premièrement, la caractéristique essentielle de l'homme, ce qui ledifférencie avant toute chose des animaux, est qu'il est le seul à produire sesmoyens de subsistance. Le fait historique fondamental de l'homme, ce qui permet decomprendre son histoire, c'est sa production de moyens de subsistance: " lacondition première de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'êtreshumains " et ce fait historique premier inclut que la satisfaction des besoins humainsélémentaires est une donnée préalable de toute existence humaine: " à savoir queles hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir " faire l'histoire "! " Le premierfait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire cesbesoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c'est là un fait historique,une condition fondamentale de toute histoire que l'on doit, aujourd'hui encore commeil y a des milliers d'années, remplir jour après jour (...) simplement pour maintenir leshommes en vie " [3]

Deuxièmement, dans ce cadre, Marx part du fait que le rapport premier etfondamental qui exprime cette nécessité de maintenir les hommes en vie est celui del'homme avec la nature puisque l'homme tire de cette dernière ces moyens desubsistance. Et ce rapport fondamental entre l'homme et la nature s'effectue par leTRAVAIL qui est l'activité qui lui permet de produire ces moyens. Ainsi, dans cetteproduction, dans cette activité fondamentale qu'est le travail, trois éléments sedégagent:

1) LA FORCE DE TRAVAIL, qui est constituée par l'énergie humaine dépenséedans le travail, par la force musculaire et intellectuelle de l'homme;2) L'INSTRUMENT DE TRAVAIL, qui est constitué par les outils, les instruments etl'infrastructure nécessaires à l'homme pour produire ses moyens de subsistance;3) L'OBJET DU TRAVAIL, qui est la nature elle-même (matière brute ou matièrepremière qui a déjà subi une modification).

L'instrument de travail et l'objet de travail constituent eux-mêmes un autre élément:les MOYENS DE PRODUCTION.

Enfin, Marx désigne l'ensemble de ces éléments fondamentaux de la relationhomme-nature via le travail sous le nom de FORCES PRODUCTIVES

3.7 Rapports sociaux de production et classes sociales

Mais le rapport entre l'homme et la nature n'est pas un rapport uniquement individuel,il est également un RAPPORT SOCIAL car "l'homme ne peut survivreindividuellement, ni assurer sa subsistance en dehors de la coopération avecd'autres membres de son espèce. Ses organes physiques trop peu développé ne luipermettent pas de s'approprier directement les vivres. Il doit produire ceux-cicollectivement (...) " [6] L'homme est donc un animal social.

La façon dont les hommes tirent leurs moyens de subsistance de la nature (Forces productives) et la façon dont les hommes s'organisent entre eux pour mener à bien cette activité (Rapports sociaux), Marx la désigne sous le nom de RAPPORTS SOCIAUX DE PRODUCTION. Les Rapports sociaux de production sont fondamentalement constitués par le type de propriété des Moyens de production qui existent à telle ou telle époque (propriété terrienne sous la féodalité, propriété privé des entreprises sous le capitalisme)

Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les Forces productives: " Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double: d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus) ". Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les Forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production: " Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux (...). Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux (...) seront tout naturellement différents " [7].

L'origine des CLASSES SOCIALES démontre cette relation entre Forces productiveset Rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire degroupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquementdéterminé. Lorsqu'il y a 8.000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture etl'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé. Lorsqu'ilscommencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole,pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui estdirectement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, parla force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente cesurproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsiacquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) unpouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyensde production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte despropriétaires de ces moyens de production. Une DIVISION SOCIALE DU TRAVAILva donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes. Avec lesclasses sociales, c'est l'exploitation systématique de l'homme par l'homme qui vaapparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produiredeviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, maisdes relations entre classes sociales.Ainsi, la base sur laquelle les classes sociales ont pu apparaître est donc celle d'uneévolution de la production matérielle des moyens de subsistance, autrement dit d'unchangement au niveau des Forces productive. Ce changement à déterminé la façondont les hommes se sont organisés (leurs rapports sociaux) pour exploiter leursmoyens de subsistance.Les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'ellesoccupent dans le système de production sociale, "par leur rapport aux moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé de l'économie sociale" [8]

3.8 Infrastructure et superstructure

L'ensemble des éléments cité ci-dessus constituent l'organisation économique de lasociété que Marx désigne sous le terme d'INFRASTRUCTURE (ou baseéconomique).Sur cette " base ", que comprend toute société humaine, s'élève des formespolitiques, juridiques et idéologiques de la société, ces trois éléments constituant ceque Marx dénomme être la SUPERSTRUCTURE de la société. Cette dernièrecomprend donc trois éléments:1) INSTANCE POLITIQUE, ou formes d'État. La méthode d'analyse de Marx permetde comprendre que l'État n'a pas toujours existé, qu'il est apparu dans des conditionshistoriquement déterminées par l'apparition des classes sociales. Cet État, à toutesles époques, a pour fonction principale de gérer et de perpétuer (à travers sesinstitutions) le mode de production existant à son époque. L'État est l'expression dupouvoir politique de la classe dominante qui possède les moyens de production. Ilfait en sorte que cette classe maintienne cette possession: il est donc l'outil quipermet l'exploitation de l'homme par l'homme. Tout État, quel que soit sa forme, estdonc un instrument de domination d'une classe sur une autre.2) INSTANCE JURIDIQUE, l'instance juridique exprime et codifie au travers des loisle type d'appropriation des moyens de production par une classe sociale déterminéeà une époque déterminée. Elle est la garantie juridique qui fonde l'exploitation del'homme par l'homme. Ainsi, dans le mode de production capitaliste, c'est la propriétéprivée qui est la base de toute l'instance juridique.3) INSTANCE IDEOLOGIQUE La manière dont les hommes nouent entre eux desrelations pour produire leur moyens de subsistance ainsi que la manière dontcertains s'approprient ces moyens déterminent les idéologies qui dominent telle outelle époque. Ainsi, pour Marx, " Les idées de la classe dominante sont, à touteépoque, les idées dominantes; en d'autres termes, la classe détentrice de lapuissance matérielle dominante de la société représente en même temps lapuissance spirituelle qui prédomine dans cette société. La classe qui dispose desmoyens de la production matérielle dispose en même temps, et par là même, desmoyens de la production spirituelle (...). Les idées dominantes ne sont rien d'autresque l'expression idéologique des conditions matérielles dominantes, celles-ci ayantpris la forme d'idées ". [3]

Ces trois instances déterminées; types d'État, lois et idéologie dominante,déterminent à leur tour les FORMES DE CONSCIENCE qui prévalent à une époquedéterminée

Les différents types d'Infrastructure et de Superstructure de la société humainedéterminent les différents types de ce que Marx appelle MODE DE PRODUCTION.Dans l'histoire de l'humanité, Marx distingue ainsi plusieurs Mode de production:communiste primitif, antique, asiatique, féodal et capitaliste. La société communisteelle-même, celle pour laquelle nous luttons, est également un Mode de production. Ilfaut ici faire remarquer deux choses essentielles: plusieurs Modes de productionpeuvent coexister en même temps, non seulement dans le temps et dans desrégions ou pays différents, mais également au sein d'un même pays (ce qui donneainsi naissance à des Formation sociales et économiques hybrides, avec desdominantes de tel ou tel Mode de production, ex: société capitaliste semi-féodale,etc.). Enfin, l'enchaînement entre les différents Mode de production n'est pasmécanique, ni linéaire. A chaque étape de la transition, l'évolution peut suivre telle outelle voie. (ex. l'URSS: ni pleinement capitaliste, ni pleinement socialiste car adégénéré durant sa phase de transition de l'un à l'autre)Le Mode de production est donc un concept théorique, abstrait, qui permet dedésigner dans leur globalité les traits caractéristiques essentiels des différents typesde sociétés qu'à connu et que peut connaître l'humanité dans son histoire. Lorsqu'ils'agit d'analyser une société concrète, à une époque déterminée, par exemple laBelgique en 1997 ou l'Angleterre en 1780, Marx emploie le terme de FORMATIONSOCIALE ET ECONOMIQUE, qui comprend donc une complexité plus grande, uneplus grande diversité, que le schéma général de Mode de production.Résumons: " Le matérialisme historique pose que la manière dont les hommesorganisent leur production matérielle constitue la base de toute leur organisationsociale. Cette base détermine, à son tour toutes les autres activités sociales, àsavoir, l'administration des rapports entre groupes humains (...). Le matérialismehistorique n'affirme pas que la production matérielle (le " facteur économique")détermine directement et immédiatement le contenu et la forme de toutes lesactivités dites de la superstructure. La base sociale, ce n'est d'ailleurs pas l'activitéproductive en tant que telle, et encore moins la " production matérielle " priseisolément; ce sont les rapports sociaux que les hommes nouent dans la productionde leur vie matérielle (et qui sont déterminé par cette dernière, mais pas de manièremécanique). Le matérialisme historique n'est donc pas un déterminisme économiquemais bien un déterminisme socio-économique ". [6]

Les Rapports sociaux de production sont donc le lien, le lieu de détermination etd'influence entre la Superstructure et l'Infrastructure. Les Forces productives, àchaque moment de leur croissance, fournissent la base sur laquelle s'établissent lesRapports de production qui eux-mêmes déterminent la Superstructure. Mais endernière instance, lorsque l'on démonte le fil des causalités, on retombe toujours surune cause matérielle. En remontant ainsi jusqu'à l'origine de l'humanité, ce sont lesinfrastructures qui sont déterminantes puisque c'est à partir du moment où leshommes ont crée leurs propres moyens d'existence qu'ils sont sortis du stade "d'animalité ".

Ce schéma, et l'application de la méthode dialectique (voir ci-dessous), permet decomprendre que si les idées ont une place importantes et peuvent agir sur les basesmatérielles, elles n'en sont pas moins déterminées par l'infrastructure: " Le courshistorique est fait du processus engendré par les contradictions des rapportséconomiques qui se reflètent dans les superstructures par des conflits entre leshommes (entre classes sociales). Ces conflits sont eux-mêmes transposés dans lesesprits par des oppositions d'idées, lesquelles, en modifiant les actions humaines,réagissent sur les rapports économiques. L'erreur idéaliste consiste à prendre cettedernière réaction pour un commencement absolu. "[9]

3.9 Mouvement, dialectique et contradictions: ou comment les sociétés se transforment

Le schéma développé ci-dessus est loin d'être immobile: tous les éléments cités sonten constante interactions qui entraînent des transformations. Si les éléments del'Infrastructure constituent la base de toute compréhension des phénomèneshistoriques, car ils déterminent " en dernière instance " les autres éléments, laSuperstructure à son tour peut influer sur l'Infrastructure. Autrement dit, si laSuperstructure est, au départ, le reflet de l'infrastructure, si elle est déterminée parcelle-ci, elle a aussi une vie active propre, une certaine autonomie. Elle devient uneforce active qui peut, à son tour, exercer une influence sur l'infrastructureéconomique de la société. On peut même observer que la superstructure agénéralement une capacité de résistance plus grande que l'infrastructure.Un trait fondamental de toute société est donc que tout est MOUVEMENT, toutes lesformes de relations sociales, à tous les niveaux, sont caractérisées par cemouvement constitué de toutes les interactions entre les différents élémentsconstitutifs de la société. Et c'est de ce mouvement que naît le changement. " Lasociété antique a donné naissance à la féodalité qui, elle-même, à donné naissanceau capitalisme (nous verrons ci-dessous comment et pourquoi). L'analyse doit doncrendre compte de ce mouvement, passé, présent et futur, comprendre que tout esten DEVENIR. Les interactions sont des conditionnements réciproques: il n'y a passimplement action de l'élément " a " sur un élément " b ", mais il y a en retourréaction de " b " sur " a ". Cette façon de considérer les choses et les phénomènesdans leur mouvements et leurs transformations, dans leur enchaînement et leuraction réciproque est ce que l'on appelle la METHODE DIALECTIQUE " (14).Méthode d'analyse et de pensée utilisée par Marx pour comprendre la dynamique del'histoire (ainsi, l'ancienne superstructure idéologique - les mentalités, lesconsciences et les coutumes - persiste encore pendant de longues années après ladestruction de ses " bases matérielles " et constitue donc un obstacle à l'édificationde la nouvelle société.)

4 Les contradictions

La dialectique permet de comprendre un autre trait fondamental de la société: lesCONTRADICTIONS. Ainsi, si le matérialisme historique démontre que ce sont les HOMMES QUI FONT LEUR PROPRE HISTOIRE. Puisque ce sont eux qui, à la base, à travers la satisfaction de leurs besoins produisent leur propre vie matérielle qui elle-même détermine toute leur organisation sociale, la dialectique permet de saisir qu "'ils ne la font pas d'une façon arbitraire, ni dans des circonstances librement choisies; ils la font dans des conditions qu'ils ont trouvées devant eux, qui leur ont été léguées par le passé, bref, dans des circonstances données " [10].

Puisque les rapports sociaux " sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence " ont peut dialectiquement conclure que " les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances " [3].

Il n'y a donc pas de fatalité historique! Toute réalité est faite de contradictions, sans ces dernières, il ne peut y avoir de progrès possible. Ce sont les contradictions qui expliquent le mouvement, les enchaînements entre les différents Mode de production car à chaque Mode de production déterminé correspondent des types de contradictions déterminées. Mais il existe une contradiction fondamentale pour comprendre le passage d'un Mode de production à un autre. Elle réside dans le fait qu'à un moment déterminé de leur évolution historique, les Forces productives entrent en contradiction avec les Rapports sociaux de production. Car les premières sont, normalement, en constante évolution et développement tandis que les Rapports sociaux de production ont, quant à eux, tendance à se figer, à s'immobiliser. Nous avions dit que les Forces productives déterminaient les Rapports sociaux de production. Mais cette unité est dialectique, c'est à dire conflictuelle, ce qui provoque, à un moment donné, une contradiction entre les deux éléments. Cette contradiction produit donc, à travers le mouvement, le changement entre deux types de Mode production.

Mais il faut distinguer ici les changements QUANTITATIFS des changements QUALITATIFS. Par exemple, l'eau chauffée à 99 degrés subit des transformations considérables, mais elle reste de l'eau. C'est un changement quantitatif. Par contre, à 100 degrés, l'eau se transforme en vapeur et ce changement total d'état est un changement qualitatif. En ce qui nous concerne, lorsque les Forces productives connaissent un développement important, on peut parler de changement quantitatif. Mais, lorsque ces changements atteignent un degré déterminé, les Rapports sociaux de production traditionnels peuvent disparaître et être remplacé par des nouveaux Rapports, qui correspondent parfaitement au nouvel état des Forces productives. Il s'agit donc alors d'un changement qualitatif. Ce changement n'est pas toujours graduel, ni pacifique car dans les sociétés humaines, il s'opère via des révolutions,des guerres ou des bouleversements sociaux importants.

La Révolution sociale, telle que nous la comprenons, est donc un changement qualitatif précédés de " sauts qualitatifs ". Par exemple, on peut citer le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste. La révolution française en est l'exemple classique: au sein de la société féodale, les Forces de production se développaient sans cesse, prenant un caractère capitaliste (développement de la manufacture, des machines, etc.). Mais ces Forces de production, de plus en plus capitalistes, entraient en contradiction avec les Rapports sociaux de production féodaux car ces derniers, non-adaptés, restreignaient les nouvelles capacités de développement. La classe bourgeoise, bénéficiaire de cette évolution, devait donc rompre et abolir les Rapports sociaux féodaux (servage, etc.) pour pouvoir pleinement développer sa richesse. Il fallait donc renverser le pouvoir politique de l'aristocratie pour que le pouvoir économique de la bourgeoisie se développe pleinement. D'où la fameuse révolution de 1789. Dans la société capitaliste elle-même, il existe deux contradictions dont la première est fondamentale:

4.1 Contradiction entre la socialisation des forces productives et le caractère privé des moyens de production

Dans le système capitaliste, la contradiction entre Forces productives et Rapports sociaux de production existe également et prend une forme particulière et propre à ce mode deproduction. Comme nous l'avons vu, les Moyens de production ne peuvent être mis en oeuvre que par un ensemble de travailleurs, dans le capitalisme, ce fait est sans cesse accru: chaque branche de production fait appel à des moyens de production ayant des origines de plus en plus diverses et auxquelles participent de manière dépendante de plus en plus d'individus (ex: la chimie, au départ, n'était qu'un " ingrédient " au sein de la production industrielle. Les produits chimiques n'étaient alors pas produits pour être vendu sur le marché, mais étaient directement intégrés dans la production sans passer par le circuit de circulation des marchandises. Mais avec le développement industriel est apparue, parallèlement, toute une industrie chimique " autonome " employant des milliers de travailleurs pour produire un produit qui ne sera qu'ultérieurement, à travers l'échange, intégré au reste de la production industrielle). Cette interdépendance plus grande ne s'effectue pas seulement entre différentes branches d'industrie, mais également au niveau national et international.

Cette " socialisation " des Forces productives entre en contradiction avec le caractèrede plus en privé des moyens de productions puisque ces derniers sont aux mainsd'une minorité croissante de la population. Le caractère privé des moyens de production constitue ainsi un frein au développement des Forces productives. Aujourd'hui, cette contradiction se manifeste notamment par le fait, aberrant que, malgré que l'humanité bénéficie de ressources suffisantes et de capacités scientifiques et techniques immenses pouvant satisfaire les besoins sociaux élémentaires de toute la population de la planète, c'est tout le contraire qui se produit... Puisque cette minorité, détentrice des moyens deproduction fonde sa richesse sur l'exploitation de la majorité, c-à-d sur la dépossession de ces mêmes moyens de production, son intérêt est donc opposé à la satisfaction des besoins de tous. Car pour répondre à cette nécessité de satisfaction, les Rapports sociaux capitalistes doivent être abolis (ainsi que le Mode de production capitaliste) pour permettre le développement harmonieux et entier des Forces productives actuelles. C'est ce qui explique que cette contradiction fondamentale est sans solution possible dans le cadre du Mode de production capitaliste.

4.2 Contradiction au sein des rapports de producton eux-même entre le capital et le travail

Comme on l'aura vu, dans tout mode de production où existent des rapports d'exploitation, on trouve deux groupes sociaux antagoniques, les exploiteurs et les exploités, ces groupes pouvant se diviser euxmêmes en plusieurs classes sociales. La lutte de classe entre travailleurs et capitalistes est l'expression politique et idéologique de la contradiction entre les Forces productives (dont les principaux acteurs sont les producteurs, les travailleursau sens large en tant que Force de travail, principale composante des Forcesproductives) et les Rapports sociaux de production (dont les principaux garants etdéfenseurs sont les ou la classe dominante(s), en l'occurrence bourgeoise pour leMode de production capitaliste), elle est l'expression de la lutte entre les détenteursdes Moyens de production et ceux qui en son dépossédés.Ainsi, la lutte de classe, entre le prolétariat et ses alliés, d'une part, les capitalistes etleurs soutiens, d'autres part, n'est pas un choix politique ou idéologique comme leprétendent les réactionnaires, elle est une nécessité objective et inéluctable quidécoule de la nature même du capitalisme.Et c'est grâce à la lutte de classe que le changement qualitatif entre deux Mode deproduction, le passage à travers une révolution, est possible. C'est ce qui fait dire àMarx, au début du " Manifeste du parti communiste ": " L'histoire de toute sociétéjusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la luttes de classes ". La lutte de classe estdonc le MOTEUR DE L'HISTOIRE.

5 Conclusion

La réalité, qu'elle soit sociale, économique, culturelle ou historique, est d'une complexité quasi-infinie. Pour saisir cette réalité si mouvante et complexe, on ne peut commencer que par la simplifier à travers des schémas. Mais si ces derniers ne peuvent entièrement rendre compte de cette réalité, ils doivent au moins saisir, avec toutes les nuances nécessaires, la dynamique qui anime la réalité. C'est ce qu'à fait Marx à travers sa théorie du matérialisme historique: rendre perceptible et compréhensible le développement historique de l'humanité sans tomber dans le simplisme. La méthode de Marx n'est donc, comme lui-même l'a défini, qu'un outil permettant de mieux comprendre. Elle n'est donc en rien un dogme à apprendre par coeur et à appliquer sans adaptation à toutes les occasions. Marx (et après lui Lénine) a insisté sur l'importance de l'analyse concrète des situations concrètes et des conditions spécifiques de tel ou tel pays et à telle époque déterminée, ainsi que sur l'importance de l'innovation et de l'enrichissement de sa méthode. " Il est malheureusement fréquent, chez ceux même qui se réclament de Marx, de considérer l'oeuvre de ce penseur comme une sorte de révélation dont il suffirait de réciter ou de citer les passages importants pour faire s'évanouir les difficultés de la recherche. A chaque problème, il semblerait que Marx nous ait donné la solution, à la manière dont certaines sectes protestantes utilisent les textes bibliques. Cette appropriation me paraît de type religieux ou fétichiste. Ce n'est pas ainsi que la lecture de Marx peut encore être intéressante aujourd'hui. " [3] Ce qu'il faut, ce n'est pas de s'affirmer " pour Marx " mais bien de " se comporter comme Marx ". C'est s'appuyer sur sa théorie pour fonder de nouvelles théories, c'est utiliser sa méthode comme un instrument visant à découvrir, à analyser et à expliquer des phénomènes nouveaux, inconnus du temps de Marx.

6 Notes et sources

  1. Karl Marx, Introduction à la " Contribution à la critique de l'économie politique "
  2. Karl Marx, "La Sainte famille", 1844
  3. 3,0 3,1 3,2 3,3 et 3,4 Karl Marx, "L'idéologie allemande" (1846)
  4. Henri Lefèbvre, "Sociologie de Marx ", Ed. P.U.F. 1974.
  5. Karl Marx, Thèse XI dans "Thèses sur Feuerbach", 1845.
  6. 6,0 et 6,1 Ernest Mandel, " Introduction au marxisme " 1983.
  7. Karl Marx, "Misère de la philosophie", 1847
  8. Lénine, "La grande initiative", 1919
  9. Jean Gorren, " Sociologie et Socialisme ", Université Ouvrière de Bruxelles,fckLR1951.
  10. Karl Marx, "Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte", 1851