Différences entre les versions de « Matérialisme historique »

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Le matérialisme historique est un outil essentiel du marxisme. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'oeuvre aujourd'hui, d'où viennent-elles, que représentent-elles? etc.<br>  
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Le matérialisme historique est un outil essentiel du [[Marxisme|marxisme]]. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'oeuvre aujourd'hui, d'où elles viennent, ce qu'elles représentent, etc.<br>  
  
Le matérialisme historique est donc un outil essentiel pour comprendre le passé, le présent et le devenir de l'humanité et ce dans le but de mener une action efficace et de peser, par l'action révolutionnaire, sur ce présent, ce devenir. Il ne s'agit donc pas simplement de "pure" théorie, les aspects concrets et pratiques du matérialisme historique (pour notre activité révolutionnaire, nos tâches, etc.) sont évidents et on en parlera à la fin de l'exposé. Car le marxisme, à travers notamment le matérialisme historique, se distingue par l'unité entre la théorie et la pratique et les liens permanents entre ces deux attitudes: " La pensée marxiste n'est pas seulement pensée orientée vers l'action. Elle est théorie de l'action, réflexion sur la praxis, c'est-à-dire sur le possible et l'impossible. (...) La pensée critique n'a de sens et de portée que par l'action pratique révolutionnaire, critique en acte de l'existant."(1)<br>  
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Le matérialisme historique est donc un outil essentiel pour comprendre le passé, le présent et le devenir de l'humanité et ce dans le but de mener une action efficace et de peser, par l'action [[Révolution socialiste|révolutionnaire]], sur ce présent, ce devenir. Il ne s'agit donc pas simplement de "pure" théorie, les aspects concrets et pratiques du matérialisme historique (pour notre activité révolutionnaire, nos tâches, etc.) sont évidents. Car le marxisme, à travers notamment le matérialisme historique, se distingue par l'[[Théorie et pratique|unité entre la théorie et la pratique]] et les liens permanents entre ces deux attitudes: "La pensée marxiste n'est pas seulement pensée orientée vers l'action. Elle est théorie de l'action, réflexion sur la praxis, c'est-à-dire sur le possible et l'impossible. (...) La pensée critique n'a de sens et de portée que par l'action pratique révolutionnaire, critique en acte de l'existant."<br>  
  
 
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Avant Marx et à son époque, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire (nous n'allons pas aborder ici d'autres " conceptions ", par exemple la conception raciste qui " explique " l'histoire au travers des prétendues qualités et infériorités des " races " ou celle du libéralisme qui ramène toute l'histoire à l'action d'une élite d'hommes (les patrons, les dirigeants, etc.).<br>  
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Avant [[Karl Marx|Marx]] et à son époque, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire.<br>  
  
 
== La conception théologique de l'histoire  ==
 
== La conception théologique de l'histoire  ==
  
Dès son apparition, l'humanité s'est appliquée à interpréter et à donner un sens aux événements qui l'entourait. L'homme primitif accordait ainsi une volonté propre à chaque élément de la nature (la lune, le feu, le vent,etc.). Cette première forme d'explication du monde est celle de l'animisme (qui anime toute la nature). De cette conception primitive va naître celle qui voit en l'histoire de l'humanité la manifestation de la volonté agissante d'un ou de plusieurs dieux (ou d'êtres surnaturels). Le christianisme, en développant son hégémonie religieuse va par la même occasion imposer sa conception de l'histoire. Pour Saint Augustin (Ve siècle), c'est Dieu qui préside aux destinée de toute l'humanité: les guerres, les famines, les empires qui se constituent et s'écroulent sont réglées par la " Providence ". L'histoire des hommes n'a qu'un seul but: assurer la domination de " la religion chrétienne et la gloire de Dieu " sur terre! L'homme n'est donc qu'un objet aux mains de forces&nbsp; surnaturelles; le sujet historique, c'est Dieu: il est à la fois " l'acteur " et le " metteur en scène " de l'histoire.<br>  
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Dès son apparition, l'humanité s'est appliquée à interpréter et à donner un sens aux événements qui l'entourait. L'homme primitif accordait ainsi une volonté propre à chaque élément de la [[Nature|nature]] (la lune, le feu, le vent, etc.). Cette première forme d'explication du monde est celle de l'animisme (qui anime toute la nature). De cette conception primitive va naître celle qui voit en l'histoire de l'humanité la manifestation de la volonté agissante d'un ou de plusieurs [[Dieu(x)|dieux]] (ou d'êtres surnaturels). Le [[Christianisme|christianisme]], en développant son hégémonie [[Religion|religieuse]] va par la même occasion imposer sa conception de l'histoire. Pour [[Augustin d'Hippone|Saint Augustin]] (Ve siècle), c'est Dieu qui préside aux destinée de toute l'humanité: les [[Guerre|guerres]], les famines, les empires qui se constituent et s'écroulent sont réglées par la "Providence". L'histoire des hommes n'a qu'un seul but: assurer la domination de "la religion chrétienne et la gloire de Dieu" sur terre! L'homme n'est donc qu'un objet aux mains de forces&nbsp; surnaturelles ; le sujet historique, c'est Dieu: il est à la fois l'"acteur " et le "metteur en scène" de l'histoire.<br>  
  
Bossuet (XVIIe siècle) nuance un peu cette conception en prenant en compte des facteurs historiques ou naturels propres à l'humanité. Mais ces facteurs sont pour lui secondaires par rapport à l'origine et à la finalité de l'histoire qui, elles, sont régies par la volonté de Dieu.<br>Cette conception de l'histoire qui explique l'évolution historique par la volonté et l'action, directe ou indirecte d'un ou plusieurs agents surnaturels s'appelle conception théologique de l'histoire.<br>  
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[[Jacques-Bénigne Bossuet|Bossuet]] (XVIIe siècle) nuance un peu cette conception en prenant en compte des facteurs historiques ou naturels propres à l'humanité. Mais ces facteurs sont pour lui secondaires par rapport à l'origine et à la finalité de l'histoire qui, elles, sont régies par la volonté de Dieu.<br>Cette conception de l'histoire qui explique l'évolution historique par la volonté et l'action, directe ou indirecte d'un ou plusieurs agents surnaturels s'appelle conception théologique de l'histoire.<br>  
  
 
== La conception idéaliste de l'histoire  ==
 
== La conception idéaliste de l'histoire  ==
  
La conception théologique va s'imposer pendant plusieurs siècle. Mais à partir du XVIIe siècle, avec la montée de la bourgeoisie, une nouvelle conception va apparaître. Rejetant l'intervention de Dieu dans l'histoire concrète des hommes, Voltaire et la plupart des philosophes du siècle des " Lumières " expliquent l'évolution historique et ses événements par l'évolution des idées, des moeurs ou de l'opinion des hommes eux-mêmes qui prévaut à telle ou telle époque. Ainsi, pour Voltaire, la chute de l'empire romain n'est pas du à une punition divine, mais bien aux moeurs de l'époque (et donc à la religion chrétienne) qui empêchèrent une résistance efficace face aux invasions " Barbares ". D'autres philosophes tels d'Holbach et Helvétius, malgré une interprétation matérialiste de la nature (où ils rejetaient toute intervention de l'idée ou de dieu), étaient par contre également idéaliste en ce qui concerne l'histoire de l'humanité. Pour ces derniers, c'est l'ignorance ou les qualités<br>intellectuelles des hommes qui expliquent l'évolution historique. Ainsi, toutes ces conceptions de l'histoire se ramène à ceci: l'histoire à ses différentes époques s'explique par ce que les hommes pensent, par leurs idées, leur religion, leur capacités ou leur manque de capacités intellectuelles. Le sujet historique est donc ici les idées des hommes.<br>  
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La conception théologique va s'imposer pendant plusieurs siècle. Mais à partir du XVIIe siècle, avec la montée de la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]], une nouvelle conception va apparaître. Rejetant l'intervention de [[Dieu(x)|Dieu]] dans l'histoire concrète des hommes, [[Voltaire|Voltaire]] et la plupart des [[Philosophie|philosophes]] du siècle des "[[Lumières (XVIIIe siècle)|Lumières]]" expliquent l'évolution historique et ses événements par l'évolution des idées, des moeurs ou de l'opinion des hommes eux-mêmes qui prévaut à telle ou telle époque. Ainsi, pour Voltaire, la chute de l'[[Empire romain|Empire romain]] n'est pas du à une punition divine, mais bien aux moeurs de l'époque (et donc à la [[Christianisme|religion chrétienne]]) qui empêchèrent une résistance efficace face aux invasions "barbares". D'autres philosophes tels [[Paul Henry Thiry d'Holbach|d'Holbach ]]et [[Claude-Adrien Helvétius|Helvétius]], malgré une interprétation matérialiste de la [[Nature|nature]] (où ils rejetaient toute intervention de l'idée ou de dieu), étaient par contre également idéaliste en ce qui concerne l'histoire de l'humanité. Pour ces derniers, c'est l'ignorance ou les qualités<br>intellectuelles des hommes qui expliquent l'évolution historique. Ainsi, toutes ces conceptions de l'histoire se ramène à ceci: l'histoire à ses différentes époques s'explique par ce que les hommes pensent, par leurs idées, leur religion, leur capacités ou leur manque de capacités intellectuelles. Le sujet historique est donc ici les idées des hommes.<br>  
  
 
== La conception téléologique de l'histoire  ==
 
== La conception téléologique de l'histoire  ==
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<br>La conception de l'individu et de la société communiste chez Marx et Engels, Info-JGS n° 7 (1997) <br>  
 
<br>La conception de l'individu et de la société communiste chez Marx et Engels, Info-JGS n° 7 (1997) <br>  
  
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Version du 5 mai 2010 à 14:41

Le matérialisme historique est un outil essentiel du marxisme. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'oeuvre aujourd'hui, d'où elles viennent, ce qu'elles représentent, etc.

Le matérialisme historique est donc un outil essentiel pour comprendre le passé, le présent et le devenir de l'humanité et ce dans le but de mener une action efficace et de peser, par l'action révolutionnaire, sur ce présent, ce devenir. Il ne s'agit donc pas simplement de "pure" théorie, les aspects concrets et pratiques du matérialisme historique (pour notre activité révolutionnaire, nos tâches, etc.) sont évidents. Car le marxisme, à travers notamment le matérialisme historique, se distingue par l'unité entre la théorie et la pratique et les liens permanents entre ces deux attitudes: "La pensée marxiste n'est pas seulement pensée orientée vers l'action. Elle est théorie de l'action, réflexion sur la praxis, c'est-à-dire sur le possible et l'impossible. (...) La pensée critique n'a de sens et de portée que par l'action pratique révolutionnaire, critique en acte de l'existant."

1 1. Les différentes conceptions de l'histoire

Avant Marx et à son époque, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire.

1.1 La conception théologique de l'histoire

Dès son apparition, l'humanité s'est appliquée à interpréter et à donner un sens aux événements qui l'entourait. L'homme primitif accordait ainsi une volonté propre à chaque élément de la nature (la lune, le feu, le vent, etc.). Cette première forme d'explication du monde est celle de l'animisme (qui anime toute la nature). De cette conception primitive va naître celle qui voit en l'histoire de l'humanité la manifestation de la volonté agissante d'un ou de plusieurs dieux (ou d'êtres surnaturels). Le christianisme, en développant son hégémonie religieuse va par la même occasion imposer sa conception de l'histoire. Pour Saint Augustin (Ve siècle), c'est Dieu qui préside aux destinée de toute l'humanité: les guerres, les famines, les empires qui se constituent et s'écroulent sont réglées par la "Providence". L'histoire des hommes n'a qu'un seul but: assurer la domination de "la religion chrétienne et la gloire de Dieu" sur terre! L'homme n'est donc qu'un objet aux mains de forces  surnaturelles ; le sujet historique, c'est Dieu: il est à la fois l'"acteur " et le "metteur en scène" de l'histoire.

Bossuet (XVIIe siècle) nuance un peu cette conception en prenant en compte des facteurs historiques ou naturels propres à l'humanité. Mais ces facteurs sont pour lui secondaires par rapport à l'origine et à la finalité de l'histoire qui, elles, sont régies par la volonté de Dieu.
Cette conception de l'histoire qui explique l'évolution historique par la volonté et l'action, directe ou indirecte d'un ou plusieurs agents surnaturels s'appelle conception théologique de l'histoire.

1.2 La conception idéaliste de l'histoire

La conception théologique va s'imposer pendant plusieurs siècle. Mais à partir du XVIIe siècle, avec la montée de la bourgeoisie, une nouvelle conception va apparaître. Rejetant l'intervention de Dieu dans l'histoire concrète des hommes, Voltaire et la plupart des philosophes du siècle des "Lumières" expliquent l'évolution historique et ses événements par l'évolution des idées, des moeurs ou de l'opinion des hommes eux-mêmes qui prévaut à telle ou telle époque. Ainsi, pour Voltaire, la chute de l'Empire romain n'est pas du à une punition divine, mais bien aux moeurs de l'époque (et donc à la religion chrétienne) qui empêchèrent une résistance efficace face aux invasions "barbares". D'autres philosophes tels d'Holbach et Helvétius, malgré une interprétation matérialiste de la nature (où ils rejetaient toute intervention de l'idée ou de dieu), étaient par contre également idéaliste en ce qui concerne l'histoire de l'humanité. Pour ces derniers, c'est l'ignorance ou les qualités
intellectuelles des hommes qui expliquent l'évolution historique. Ainsi, toutes ces conceptions de l'histoire se ramène à ceci: l'histoire à ses différentes époques s'explique par ce que les hommes pensent, par leurs idées, leur religion, leur capacités ou leur manque de capacités intellectuelles. Le sujet historique est donc ici les idées des hommes.

1.3 La conception téléologique de l'histoire

La conception idéaliste de l'histoire va connaître son sommet avec la philosophe de
Hegel (XIXe siècle). Pour Hegel, la réalité concrète n'est que le reflet de la pensée
des hommes, appelée " Idée ", ou " Esprit". Cet " Esprit universel" est l'expression
désincarnée de la pensée, de la raison humaine. Selon cette conception de l'histoire,
aux origines, l'Esprit et la réalité concrète sont fortement séparée. Au cours de
l'histoire, de manière linéaire et progressive, on assiste à une union de plus en plus
étroite entre la pensée agissante et le réel. Ce développement historique ne serait
ainsi dû qu'à l'évolution de l'Esprit. Le sujet de l'histoire, pour Hegel, est ainsi un sujet
transcendantal, l'Esprit (ou la Raison) qui prend progressivement conscience de son
essence, de son existence. Pour Hegel, c'est le type de liberté qui prévaut à chaque
étape historique qui nous montre l'état de progrès du développement de l'Esprit. Mais
cette conception de la liberté ne se résume qu'a la libération de l'Esprit humain, et
non la liberté concrète des hommes.

Selon Hegel, contrairement aux " idéalistes classiques ", l'histoire et son évolution, dominée par la Raison, a une finalité: c'est l'incarnation de l'Esprit dans ce qui permet la liberté pour tous, ce qui, à ses yeux, est incarné par l'État. L'histoire a donc pour lui un sens logique, une destinée: la réalisation pleine et entière de l'Esprit à travers sa symbiose totale avec le réel, le concret. Et cette finalité, pour Hegel, se réalise avec l'État bourgeois tel qu'il se développe à son époque! Pour lui, toute l'histoire de l'humanité a tendu vers ce but unique qui est inévitable. Cette conception a priori qui prête un but défini, un objectif précis et inéluctable à l'histoire de l'humanité s'appelle téléologique.

1.4 La conception matérialiste de l'histoire

Plusieurs philosophes d'inspiration matérialiste vont répudier la théorie idéaliste
hégélienne. Le plus connu d'entre eux fut Ludwig Fueurbach. Pour ce dernier, la
réalisation de l'union entre la pensée et l'être, entre l'esprit et la matière, ne peut
partir de l'Idée ou de l'Esprit, mais bien de la réalité concrète et sensible, de la nature
et de l'homme. Fueurbach développe ainsi une conception matérialiste de l'histoire
dont l'élément moteur n'est plus le développement de la conscience, mais
l'intégration de l'homme concret dans la nature et dans la société. Mais Fueurbach se
situe dans l'absolu, l'homme concret dont il parle reste un homme abstrait car
totalement déterminé par sa réalité sensible. Bref, il s'agit d'une conception
matérialiste mécaniste car la primauté qu'il accorde au concret fait de l'homme un
être passif, subissant l'influence de la nature qui l'entoure et sans pouvoir sur cette
dernière.

2 2. La formation du matérialisme historique chez Marx/Engels

2.1 Genèse

A travers leurs critiques successives de la religion, de la philosophie et de la politique
(de l'État), Marx et Engels vont découvrir l'importance des phénomènes
économiques dans la compréhension des sociétés humaines. Schématiquement,
leur évolution intellectuelle, au cours des années 1844-1846, peut se résumer
comme suit: leur critique de la religion (du christianisme), en tant que production de
l'homme qui se construit une image idéalisée, parfaite (et donc inaccessible) de luimême
à travers Dieu, les amènent à critiquer la philosophie car cette dernière, en tant qu'interprétation abstraite de l'homme, découle de la religion. La critique de la  philosophie passe inévitablement par la critique du philosophe dominant de l'époque: Hegel. Et, puisque dans la philosophie hégélienne l'État est l'incarnation de l'Esprit, de la Raison, Marx et Engels passent à la critique de l'État. Cette critique de l'État hégélien leur permet de découvrir que les fondements de l'État bourgeois (comme de n'importe quel autre type  d'État) ne sont pas à rechercher en lui-même mais bien dans la société civile car il  exprime un rapport de forces déterminé au sein de cette dernière. Cette analyse débouche à son tour sur l'étude du pourquoi de ce rapport de forces entre différentes classes sociales. Question qui abouti à la nécessité d'étudier la façon dont les hommes s'organisent pour assurer leur subsistance, leur production (soit l'économie politique).

Marx et Engels, à travers leur critique de l'idéalisme de Hegel et du matérialisme "contemplatif" de Feuerbach (qui, le premier, tenta de démonter le système hégélien,
mais tout en restant dans le domaine idéologique) vont donc développer une nouvelle conception de l'histoire; le matérialisme historique où il s'attacheront à démontrer l'importance et la place de la production matérielle, de l'économie, pour la compréhension des sociétés et de leur développement historique.

2.2 "Retournement" de la conception hégélienne:

Cette découverte, Marx l'exprima ainsi: " Les rapports juridiques - ainsi que les formes  politiques (de l'État) - ne peuvent être compris ni à partir d'eux-mêmes, ni par la prétendue  évolution générale de l'Esprit humain, mais qu'ils prennent au contraire leurs racines dans les conditions d'existence matérielles de la vie dont Hegel (...) comprend l'ensemble sous le nom de " société civile ", et que l'anatomie de la société civile doit être cherchée à son tour dans l'économie politique. " (2)

Marx opère donc un " retournement " de la théorie idéaliste hégélienne: " ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur vie sociale, c'est au contraire leur vie sociale (concrète, réelle) qui détermine leur conscience ". Ce " retournement " qui donne à la vie concrète, réelle, une primauté sur la conscience des hommes se base sur les conclusions mêmes des philosophes idéalistes ou téléologiques. Plusieurs philosophes idéalistes, bien qu'ils maintenaient leur conception de l'importance première de l'idée dans l'évolution historique, se sont ainsi accordés sur le fait que ces " idées " ne sont pas innées en l'homme. Elles proviennent de l'expérience de ces derniers, expérience qui découle de leur " état social ". Mais aucun d'entre eux n'expliquait les causes de cet état social. Or, pour Marx, si les idées peuvent expliquer certaines choses et exercent une influence importante sur les hommes, elles n'expliquent pas tout: " les idées ne peuvent rien réaliser. Pour réaliser les idées, il faut des hommes qui mettent en oeuvre une force pratique " (3). De même, dans le domaine de l'interprétation de l'histoire, les idées ne peuvent êtres considérées comme sujet de cette histoire car, comme le dit Marx, " Il ne faut pas expliquer la vie des hommes par leurs idées, il faut expliquer les idées des hommes par leur vie ". Les idées se forment au contraire dans et par la pratique matérielle. Il faut donc chercher à expliquer cette pratique matérielle et son origine. C'est en cela que Marx transforme la conception hégélienne de l'histoire.

2.3 Contre Feueurbach

Feueurbach, tout comme Hegel, a fortement influencé Marx. Ce dernier a, tour à tour,
adopté leurs vues pour ensuite critiquer ces dernières en utilisant certaines méthodes ou conclusions de l'un ou l'autre. Marx, en rejetant le système hégélien, va néanmoins garder de celui-ci, en la transformant, sa méthode dialectique (voir plus bas). A Feueuerbach, Marx reproche que sa méthode ne permet pas de saisir tout le réel dans sa complexité car il n'est pas toujours concret ou " sensible ". Car la réalité est constitué de la confrontation entre la théorie et la réalité, la pensée et l'action, etc. L'homme " sensible " de Feueurbach est, en outre, considéré hors de toute l'histoire, ce qui en fait un homme "abstrait " éternel, alors que l'homme, à chaque époque, est le produit de conditions sociales, économiques, politiques, etc. bien déterminées. De plus, les théories matérialistes de Feueurbach n'apportaient aucune conclusion pratique en terme de lutte politique puisque son matérialiste est fondamentalement passif et mécaniste (ce qui est doit être tel qu'il est). C'est contre cet aspect de la théorie de Feueurbach que Marx écrira sa célèbre XIe thèse: " les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, or il s'agit de le transformer. "

Mais laissons Marx continuer l'exposé de sa critique: " Feueurbach a l'avantage de considérer l'homme comme une " chose sensible " (...) (mais il ne le conçoit pas comme " activité sensible ". Il reste dans le domaine de la théorie et ne considère les hommes ni dans leurs rapports sociaux donnés ni dans les conditions présentes d'existence qui les ont fait tels qu'ils sont - il ne parvient jamais jusqu'aux hommes actifs, réellement existants (...). Dans la mesure où Feueurbach est matérialiste, l'histoire n'occupe, dans sa philosophie, aucune place, et dans la mesure où il tient compte de l'histoire, il n'est pas matérialiste. Le matérialisme et l'histoire sont chez lui complètement dissociés. " (4)

2.4 La signification du matérialisme historique

Le matérialisme historique de Marx/Engels est une théorie de la formation et des
transformations sociales dans l'histoire. Il est un rejet à la fois de l'idéalisme, qui
considère la conscience des hommes comme étant indépendante de toute forme
matérielle-concrète et supérieure à cette dernière, et un rejet du matérialisme
vulgaire ou contemplatif qui ne considère que l'importance du concret, du réel au
détriment des idées. Il est à la fois opposé à l'empirisme (qui voit uniquement dans
les faits eux-mêmes leur propre explication) matérialiste (" les rapports juridiques
ainsi que les formes de l'État ne peuvent être compris par eux-mêmes) et à
l'idéalisme ( "... ils ne peuvent (non plus) être compris par l'évolution générale de
l'Esprit humain "). Le matérialisme de Marx est au contraire critique et pratique, il est
un dépassement de cette opposition entre les conceptions idéalistes et matérialistes
classiques car, tout en affirmant la détermination première du réel, du concret, il
prend en compte les interactions entre ces deux conceptions. " Les deux
interprétations du monde, le matérialisme et l'idéalisme, tombent avec la praxis
(marxiste) révolutionnaire. Elles perdent leur opposition (...). La spécificité du
marxisme , son caractère révolutionnaire (donc son caractère de classe) ne
proviennent donc pas d'une prise de position matérialiste, mais de son caractère
pratique, dépassant la spéculation, donc la philosophie, donc le matérialisme comme
l'idéalisme. " (5) Car toute pratique est constituée à la fois de concret et de " pensé ",
le travail, par exemple, nécessite à la fois la réflexion et l'action.
Le matérialisme historique n'est donc pas une simple conception ou interprétation
passive de l'histoire, il est pratique car il est un outil pour l'analyse des sociétés
humaines dans leur développement historique afin de mener une pratique
révolutionnaire basée sur l'étude scientifique des faits, des sociétés. Il n'est pas non
plus une philosophie car " les philosophe n'ont fait qu'interpréter le monde de
diverses manières, or ce qui importe, c'est de le transformer " (6)
Mais qu'est ce que la théorie du matérialisme historique?

2.5 La conception marxiste de l'histoire: exposé du matérialisme historique

2.6 Travail et Forces productives

Marx va élaborer sa conception matérialiste de l'histoire en partant d'une double
constatation. Premièrement, la caractéristique essentielle de l'homme, ce qui le
différencie avant toute chose des animaux, est qu'il est le seul à produire ses
moyens de subsistance. Le fait historique fondamental de l'homme, ce qui permet de
comprendre son histoire, c'est sa production de moyens de subsistance: " la
condition première de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'êtres
humains " et ce fait historique premier inclut que la satisfaction des besoins humains
élémentaires est une donnée préalable de toute existence humaine: " à savoir que
les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir " faire l'histoire "! " Le premier
fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces
besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c'est là un fait historique,
une condition fondamentale de toute histoire que l'on doit, aujourd'hui encore comme
il y a des milliers d'années, remplir jour après jour (...) simplement pour maintenir les
hommes en vie " (7)

Deuxièmement, dans ce cadre, Marx part du fait que le rapport premier et
fondamental qui exprime cette nécessité de maintenir les hommes en vie est celui de
l'homme avec la nature puisque l'homme tire de cette dernière ces moyens de
subsistance. Et ce rapport fondamental entre l'homme et la nature s'effectue par le
TRAVAIL qui est l'activité qui lui permet de produire ces moyens. Ainsi, dans cette
production, dans cette activité fondamentale qu'est le travail, trois éléments se
dégagent:

1) LA FORCE DE TRAVAIL, qui est constituée par l'énergie humaine dépensée
dans le travail, par la force musculaire et intellectuelle de l'homme;
2) L'INSTRUMENT DE TRAVAIL, qui est constitué par les outils, les instruments et
l'infrastructure nécessaires à l'homme pour produire ses moyens de subsistance;
3) L'OBJET DU TRAVAIL, qui est la nature elle-même (matière brute ou matière
première qui a déjà subi une modification).

L'instrument de travail et l'objet de travail constituent eux-mêmes un autre élément:
les MOYENS DE PRODUCTION.

Enfin, Marx désigne l'ensemble de ces éléments fondamentaux de la relation
homme-nature via le travail sous le nom de FORCES PRODUCTIVES

2.7 Rapports sociaux de production et classes sociales

Mais le rapport entre l'homme et la nature n'est pas un rapport uniquement individuel,
il est également un RAPPORT SOCIAL car "l'homme ne peut survivre
individuellement, ni assurer sa subsistance en dehors de la coopération avec
d'autres membres de son espèce. Ses organes physiques trop peu développé ne lui
permettent pas de s'approprier directement les vivres. Il doit produire ceux-ci
collectivement (...) " (8) L'homme est donc un animal social.

La façon dont les hommes tirent leurs moyens de subsistance de la nature (Forces productives) et la façon dont les hommes s'organisent entre eux pour mener à bien cette activité (Rapports sociaux), Marx la désigne sous le nom de RAPPORTS SOCIAUX DE PRODUCTION. Les Rapports sociaux de production sont fondamentalement constitués par le type de propriété des Moyens de production qui existent à telle ou telle époque (propriété terrienne sous la féodalité, propriété privé des entreprises sous le capitalisme)

Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les Forces productives: " Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double: d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus) ". Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les Forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production: " Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux (...). Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux (...) seront tout naturellement différents " (9).

L'origine des CLASSES SOCIALES démontre cette relation entre Forces productives
et Rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire de
groupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquement
déterminé. Lorsqu'il y a 8.000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture et
l'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé. Lorsqu'ils
commencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole,
pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui est
directement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, par
la force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente ce
surproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsi
acquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) un
pouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyens
de production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte des
propriétaires de ces moyens de production. Une DIVISION SOCIALE DU TRAVAIL
va donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes. Avec les
classes sociales, c'est l'exploitation systématique de l'homme par l'homme qui va
apparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produire
deviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, mais
des relations entre classes sociales.
Ainsi, la base sur laquelle les classes sociales ont pu apparaître est donc celle d'une
évolution de la production matérielle des moyens de subsistance, autrement dit d'un
changement au niveau des Forces productive. Ce changement à déterminé la façon
dont les hommes se sont organisés (leurs rapports sociaux) pour exploiter leurs
moyens de subsistance.
Les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'elles
occupent dans le système de production sociale, " par leur rapport aux moyens de
production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens
d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les
classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de
l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé
de l'économie sociale " (10)

2.8 Infrastructure et superstructure

L'ensemble des éléments cité ci-dessus constituent l'organisation économique de la
société que Marx désigne sous le terme d'INFRASTRUCTURE (ou base
économique).
Sur cette " base ", que comprend toute société humaine, s'élève des formes
politiques, juridiques et idéologiques de la société, ces trois éléments constituant ce
que Marx dénomme être la SUPERSTRUCTURE de la société. Cette dernière
comprend donc trois éléments:
1) INSTANCE POLITIQUE, ou formes d'État. La méthode d'analyse de Marx permet
de comprendre que l'État n'a pas toujours existé, qu'il est apparu dans des conditions
historiquement déterminées par l'apparition des classes sociales. Cet État, à toutes
les époques, a pour fonction principale de gérer et de perpétuer (à travers ses
institutions) le mode de production existant à son époque. L'État est l'expression du
pouvoir politique de la classe dominante qui possède les moyens de production. Il
fait en sorte que cette classe maintienne cette possession: il est donc l'outil qui
permet l'exploitation de l'homme par l'homme. Tout État, quel que soit sa forme, est
donc un instrument de domination d'une classe sur une autre.
2) INSTANCE JURIDIQUE, l'instance juridique exprime et codifie au travers des lois
le type d'appropriation des moyens de production par une classe sociale déterminée
à une époque déterminée. Elle est la garantie juridique qui fonde l'exploitation de
l'homme par l'homme. Ainsi, dans le mode de production capitaliste, c'est la propriété
privée qui est la base de toute l'instance juridique.
3) INSTANCE IDEOLOGIQUE La manière dont les hommes nouent entre eux des
relations pour produire leur moyens de subsistance ainsi que la manière dont
certains s'approprient ces moyens déterminent les idéologies qui dominent telle ou
telle époque. Ainsi, pour Marx, " Les idées de la classe dominante sont, à toute
époque, les idées dominantes; en d'autres termes, la classe détentrice de la
puissance matérielle dominante de la société représente en même temps la
puissance spirituelle qui prédomine dans cette société. La classe qui dispose des
moyens de la production matérielle dispose en même temps, et par là même, des
moyens de la production spirituelle (...). Les idées dominantes ne sont rien d'autres
que l'expression idéologique des conditions matérielles dominantes, celles-ci ayant
pris la forme d'idées ". (11)

Ces trois instances déterminées; types d'État, lois et idéologie dominante,
déterminent à leur tour les FORMES DE CONSCIENCE qui prévalent à une époque
déterminée

Les différents types d'Infrastructure et de Superstructure de la société humaine
déterminent les différents types de ce que Marx appelle MODE DE PRODUCTION.
Dans l'histoire de l'humanité, Marx distingue ainsi plusieurs Mode de production:
communiste primitif, antique, asiatique, féodal et capitaliste. La société communiste
elle-même, celle pour laquelle nous luttons, est également un Mode de production. Il
faut ici faire remarquer deux choses essentielles: plusieurs Modes de production
peuvent coexister en même temps, non seulement dans le temps et dans des
régions ou pays différents, mais également au sein d'un même pays (ce qui donne
ainsi naissance à des Formation sociales et économiques hybrides, avec des
dominantes de tel ou tel Mode de production, ex: société capitaliste semi-féodale,
etc.). Enfin, l'enchaînement entre les différents Mode de production n'est pas
mécanique, ni linéaire. A chaque étape de la transition, l'évolution peut suivre telle ou
telle voie. (ex. l'URSS: ni pleinement capitaliste, ni pleinement socialiste car a
dégénéré durant sa phase de transition de l'un à l'autre)
Le Mode de production est donc un concept théorique, abstrait, qui permet de
désigner dans leur globalité les traits caractéristiques essentiels des différents types
de sociétés qu'à connu et que peut connaître l'humanité dans son histoire. Lorsqu'il
s'agit d'analyser une société concrète, à une époque déterminée, par exemple la
Belgique en 1997 ou l'Angleterre en 1780, Marx emploie le terme de FORMATION
SOCIALE ET ECONOMIQUE, qui comprend donc une complexité plus grande, une
plus grande diversité, que le schéma général de Mode de production.
Résumons: " Le matérialisme historique pose que la manière dont les hommes
organisent leur production matérielle constitue la base de toute leur organisation
sociale. Cette base détermine, à son tour toutes les autres activités sociales, à
savoir, l'administration des rapports entre groupes humains (...). Le matérialisme
historique n'affirme pas que la production matérielle (le " facteur économique")
détermine directement et immédiatement le contenu et la forme de toutes les
activités dites de la superstructure. La base sociale, ce n'est d'ailleurs pas l'activité
productive en tant que telle, et encore moins la " production matérielle " prise
isolément; ce sont les rapports sociaux que les hommes nouent dans la production
de leur vie matérielle (et qui sont déterminé par cette dernière, mais pas de manière
mécanique). Le matérialisme historique n'est donc pas un déterminisme économique
mais bien un déterminisme socio-économique " (12)

Les Rapports sociaux de production sont donc le lien, le lieu de détermination et
d'influence entre la Superstructure et l'Infrastructure. Les Forces productives, à
chaque moment de leur croissance, fournissent la base sur laquelle s'établissent les
Rapports de production qui eux-mêmes déterminent la Superstructure. Mais en
dernière instance, lorsque l'on démonte le fil des causalités, on retombe toujours sur
une cause matérielle. En remontant ainsi jusqu'à l'origine de l'humanité, ce sont les
infrastructures qui sont déterminantes puisque c'est à partir du moment où les
hommes ont crée leurs propres moyens d'existence qu'ils sont sortis du stade "
d'animalité ".

Ce schéma, et l'application de la méthode dialectique (voir ci-dessous), permet de
comprendre que si les idées ont une place importantes et peuvent agir sur les bases
matérielles, elles n'en sont pas moins déterminées par l'infrastructure: " Le cours
historique est fait du processus engendré par les contradictions des rapports
économiques qui se reflètent dans les superstructures par des conflits entre les
hommes (entre classes sociales). Ces conflits sont eux-mêmes transposés dans les
esprits par des oppositions d'idées, lesquelles, en modifiant les actions humaines,
réagissent sur les rapports économiques. L'erreur idéaliste consiste à prendre cette
dernière réaction pour un commencement absolu. " (13)

2.9 Mouvement, dialectique et contradictions: ou comment les sociétés se transforment

Le schéma développé ci-dessus est loin d'être immobile: tous les éléments cités sont
en constante interactions qui entraînent des transformations. Si les éléments de
l'Infrastructure constituent la base de toute compréhension des phénomènes
historiques, car ils déterminent " en dernière instance " les autres éléments, la
Superstructure à son tour peut influer sur l'Infrastructure. Autrement dit, si la
Superstructure est, au départ, le reflet de l'infrastructure, si elle est déterminée par
celle-ci, elle a aussi une vie active propre, une certaine autonomie. Elle devient une
force active qui peut, à son tour, exercer une influence sur l'infrastructure
économique de la société. On peut même observer que la superstructure a
généralement une capacité de résistance plus grande que l'infrastructure.
Un trait fondamental de toute société est donc que tout est MOUVEMENT, toutes les
formes de relations sociales, à tous les niveaux, sont caractérisées par ce
mouvement constitué de toutes les interactions entre les différents éléments
constitutifs de la société. Et c'est de ce mouvement que naît le changement. " La
société antique a donné naissance à la féodalité qui, elle-même, à donné naissance
au capitalisme (nous verrons ci-dessous comment et pourquoi). L'analyse doit donc
rendre compte de ce mouvement, passé, présent et futur, comprendre que tout est
en DEVENIR. Les interactions sont des conditionnements réciproques: il n'y a pas
simplement action de l'élément " a " sur un élément " b ", mais il y a en retour
réaction de " b " sur " a ". Cette façon de considérer les choses et les phénomènes
dans leur mouvements et leurs transformations, dans leur enchaînement et leur
action réciproque est ce que l'on appelle la METHODE DIALECTIQUE " (14).
Méthode d'analyse et de pensée utilisée par Marx pour comprendre la dynamique de
l'histoire (ainsi, l'ancienne superstructure idéologique - les mentalités, les
consciences et les coutumes - persiste encore pendant de longues années après la
destruction de ses " bases matérielles " et constitue donc un obstacle à l'édification
de la nouvelle société.)

3 Les contradictions

La dialectique permet de comprendre un autre trait fondamental de la société: les
CONTRADICTIONS. Ainsi, si le matérialisme historique démontre que ce sont les HOMMES QUI FONT LEUR PROPRE HISTOIRE. Puisque ce sont eux qui, à la base, à travers la satisfaction de leurs besoins produisent leur propre vie matérielle qui elle-même détermine toute leur organisation sociale, la dialectique permet de saisir qu "'ils ne la font pas d'une façon arbitraire, ni dans des circonstances librement choisies; ils la font dans des conditions qu'ils ont trouvées devant eux, qui leur ont été léguées par le passé, bref, dans des circonstances données " (15).

Puisque les rapports sociaux " sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence " ont peut dialectiquement conclure que " les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances " (16).

Il n'y a donc pas de fatalité historique! Toute réalité est faite de contradictions, sans ces dernières, il ne peut y avoir de progrès possible. Ce sont les contradictions qui expliquent le mouvement, les enchaînements entre les différents Mode de production car à chaque Mode de production déterminé correspondent des types de contradictions déterminées. Mais il existe une contradiction fondamentale pour comprendre le passage d'un Mode de production à un autre. Elle réside dans le fait qu'à un moment déterminé de leur évolution historique, les Forces productives entrent en contradiction avec les Rapports sociaux de production. Car les premières sont, normalement, en constante évolution et développement tandis que les Rapports sociaux de production ont, quant à eux, tendance à se figer, à s'immobiliser. Nous avions dit que les Forces productives déterminaient les Rapports sociaux de production. Mais cette unité est dialectique, c'est à dire conflictuelle, ce qui provoque, à un moment donné, une contradiction entre les deux éléments. Cette contradiction produit donc, à travers le mouvement, le changement entre deux types de Mode production.

Mais il faut distinguer ici les changements QUANTITATIFS des changements QUALITATIFS. Par exemple, l'eau chauffée à 99 degrés subit des transformations considérables, mais elle reste de l'eau. C'est un changement quantitatif. Par contre, à 100 degrés, l'eau se transforme en vapeur et ce changement total d'état est un changement qualitatif. En ce qui nous concerne, lorsque les Forces productives connaissent un développement important, on peut parler de changement quantitatif. Mais, lorsque ces changements atteignent un degré déterminé, les Rapports sociaux de production traditionnels peuvent disparaître et être remplacé par des nouveaux Rapports, qui correspondent parfaitement au nouvel état des Forces productives. Il s'agit donc alors d'un changement qualitatif. Ce changement n'est pas toujours graduel, ni pacifique car dans les sociétés humaines, il s'opère via des révolutions,
des guerres ou des bouleversements sociaux importants.

La Révolution sociale, telle que nous la comprenons, est donc un changement qualitatif précédés de " sauts qualitatifs ". Par exemple, on peut citer le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste. La révolution française en est l'exemple classique: au sein de la société féodale, les Forces de production se développaient sans cesse, prenant un caractère capitaliste (développement de la manufacture, des machines, etc.). Mais ces Forces de production, de plus en plus capitalistes, entraient en contradiction avec les Rapports sociaux de production féodaux car ces derniers, non-adaptés, restreignaient les nouvelles capacités de développement. La classe bourgeoise, bénéficiaire de cette évolution, devait donc rompre et abolir les Rapports sociaux féodaux (servage, etc.) pour pouvoir pleinement développer sa richesse. Il fallait donc renverser le pouvoir politique de l'aristocratie pour que le pouvoir économique de la bourgeoisie se développe pleinement. D'où la fameuse révolution de 1789. Dans la société capitaliste elle-même, il existe deux contradictions dont la première est fondamentale:

3.1 Contradiction entre la socialisation des forces productives et le caractère privé des moyens de production

Dans le système capitaliste, la contradiction entre Forces productives et Rapports sociaux de production existe également et prend une forme particulière et propre à ce mode de
production. Comme nous l'avons vu, les Moyens de production ne peuvent être mis en oeuvre que par un ensemble de travailleurs, dans le capitalisme, ce fait est sans cesse accru: chaque branche de production fait appel à des moyens de production ayant des origines de plus en plus diverses et auxquelles participent de manière dépendante de plus en plus d'individus (ex: la chimie, au départ, n'était qu'un " ingrédient " au sein de la production industrielle. Les produits chimiques n'étaient alors pas produits pour être vendu sur le marché, mais étaient directement intégrés dans la production sans passer par le circuit de circulation des marchandises. Mais avec le développement industriel est apparue, parallèlement, toute une industrie chimique " autonome " employant des milliers de travailleurs pour produire un produit qui ne sera qu'ultérieurement, à travers l'échange, intégré au reste de la production industrielle). Cette interdépendance plus grande ne s'effectue pas seulement entre différentes branches d'industrie, mais également au niveau national et international.

Cette " socialisation " des Forces productives entre en contradiction avec le caractère
de plus en privé des moyens de productions puisque ces derniers sont aux mains
d'une minorité croissante de la population. Le caractère privé des moyens de production constitue ainsi un frein au développement des Forces productives. Aujourd'hui, cette contradiction se manifeste notamment par le fait, aberrant que, malgré que l'humanité bénéficie de ressources suffisantes et de capacités scientifiques et techniques immenses pouvant satisfaire les besoins sociaux élémentaires de toute la population de la planète, c'est tout le contraire qui se produit... Puisque cette minorité, détentrice des moyens de
production fonde sa richesse sur l'exploitation de la majorité, c-à-d sur la dépossession de ces mêmes moyens de production, son intérêt est donc opposé à la satisfaction des besoins de tous. Car pour répondre à cette nécessité de satisfaction, les Rapports sociaux capitalistes doivent être abolis (ainsi que le Mode de production capitaliste) pour permettre le développement harmonieux et entier des Forces productives actuelles. C'est ce qui explique que cette contradiction fondamentale est sans solution possible dans le cadre du Mode de production capitaliste.

3.2 Contradiction au sein des rapports de producton eux-même entre le capital et le travail

Comme on l'aura vu, dans tout mode de production où existent des rapports d'exploitation, on trouve deux groupes sociaux antagoniques, les exploiteurs et les exploités, ces groupes pouvant se diviser euxmêmes en plusieurs classes sociales. La lutte de classe entre travailleurs et capitalistes est l'expression politique et idéologique de la contradiction entre les Forces productives (dont les principaux acteurs sont les producteurs, les travailleurs
au sens large en tant que Force de travail, principale composante des Forces
productives) et les Rapports sociaux de production (dont les principaux garants et
défenseurs sont les ou la classe dominante(s), en l'occurrence bourgeoise pour le
Mode de production capitaliste), elle est l'expression de la lutte entre les détenteurs
des Moyens de production et ceux qui en son dépossédés.
Ainsi, la lutte de classe, entre le prolétariat et ses alliés, d'une part, les capitalistes et
leurs soutiens, d'autres part, n'est pas un choix politique ou idéologique comme le
prétendent les réactionnaires, elle est une nécessité objective et inéluctable qui
découle de la nature même du capitalisme.
Et c'est grâce à la lutte de classe que le changement qualitatif entre deux Mode de
production, le passage à travers une révolution, est possible. C'est ce qui fait dire à
Marx, au début du " Manifeste du parti communiste ": " L'histoire de toute société
jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la luttes de classes ". La lutte de classe est
donc le MOTEUR DE L'HISTOIRE.

4 Conclusion

La réalité, qu'elle soit sociale, économique, culturelle ou historique, est d'une complexité quasi-infinie. Pour saisir cette réalité si mouvante et complexe, on ne peut commencer que par la simplifier à travers des schémas. Mais si ces derniers ne peuvent entièrement rendre compte de cette réalité, ils doivent au moins saisir, avec toutes les nuances nécessaires, la dynamique qui anime la réalité. C'est ce qu'à fait Marx à travers sa théorie du matérialisme historique: rendre perceptible et compréhensible le développement historique de l'humanité sans tomber dans le simplisme. La méthode de Marx n'est donc, comme lui-même l'a défini, qu'un outil permettant de mieux comprendre. Elle n'est donc en rien un dogme à apprendre par coeur et à appliquer sans adaptation à toutes les occasions. Marx (et après lui Lénine) a insisté sur l'importance de l'analyse concrète des situations concrètes et des conditions spécifiques de tel ou tel pays et à telle époque déterminée, ainsi que sur l'importance de l'innovation et de l'enrichissement de sa méthode. " Il est malheureusement fréquent, chez ceux même qui se réclament de Marx, de considérer l'oeuvre de ce penseur comme une sorte de révélation dont il suffirait de réciter ou de citer les passages importants pour faire s'évanouir les difficultés de la recherche. A chaque problème, il semblerait que Marx nous ait donné la solution, à la manière dont certaines sectes protestantes utilisent les textes bibliques. Cette appropriation me paraît de type religieux ou fétichiste. Ce n'est pas ainsi que la lecture de Marx peut encore être intéressante aujourd'hui. " (16) Ce qu'il faut, ce n'est
pas de s'affirmer " pour Marx " mais bien de " se comporter comme Marx ". C'est s'appuyer sur sa théorie pour fonder de nouvelles théories, c'est utiliser sa méthode comme un instrument visant à découvrir, à analyser et à expliquer des phénomènes nouveaux, inconnus du temps de Marx.

5
Notes et sources

(1) Henri Lefèbvre, "Sociologie de Marx ", Ed. P.U.F. 1974.
(2) Karl Marx, Introduction à la " Contribution à la critique de l'économie politique ",
1859, Ed. du Progrès, Moscou, 1978.
(3) Karl Marx, " La Sainte famille ", 1845, cité par M. Rubel dans "Pages de Karl Marx
", tome 1, Ed. Payot, 1970.
(4) Marx, " L'idéologie allemande " (1846), Ed Sociales 1978.
(5) H. Lefèbvre, op. cit.
(6) Thèse XI dans " Thèses sur Feuerbach ", 1845.
(7) Marx/Engel, " L'idéologie allemande ".
(8) Ernest Mandel, " Introduction au marxisme " 1983.
(9) Marx, " Misère de la philosophie ", 1847, Ed. Sociales, 1946.
(10) Lénine, " La grande initiative ", cité par Marta Harnecker, " Les concepts
élémentaires du matérialisme historique ", Ed. Contradictions, 1974.
(11) Marx/Engels, " L'idéologie allemande ".
(12) Ernest Mandel, " Introduction au marxisme ".
(13) Jean Gorren, " Sociologie et Socialisme ", Université Ouvrière de Bruxelles,
1951.
(14) Pierre Jalée, " L'exploitation capitaliste ", Maspero, 1974.
(15) Marx, " Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte ", cité par Maximilien
Rubel, " Pages de Karl Marx ", Ed. Payot 1970.
(16) Marx/Engels, " L'idéologie allemande ".
(17) Michel Miaille, " Une introduction critique au droit ", Ed. Maspero 1978.
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
- Marx/Engels: " L'idéologie allemande " Ed. Sociales.
- Marx/Engels: " Manifeste du Parti communiste " Ed. UGE, 10/18.
- Georges Plékhanov: "La conception matérialiste de l'histoire ", Ed. du Progrès.
- Ernest Mandel: " Introduction au marxisme ", Ed.La Brèche.
- Henri Lefèbvre: " Le marxisme ", Ed. P.U.F.
- Marta Harnecker: " Les concepts élémentaires du matérialisme historique " Ed.
Contradictions

6
ANNEXE 1

C'est dans son introduction à la Contribution de l'économie politique (1859) que Marx
formulera de la façon la plus claire le matérialisme historique:
"Le résultat général auquel j'arrivais et qui, une fois acquis, servis de fil conducteur à
mes études, peut brièvement se formuler ainsi: dans la production sociale de leur
existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires,
indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré
de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de
ces rapports de productions constitue la structure économique de la société, la base
concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique à laquelle
correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de
production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et
intellectuel en général.
Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement
leur être social qui détermine leur conscience. A un certain stade de leur
développement, les forces productives matérielles de la société entrent en
contradiction avec les rapports de production existence, ou, ce qui n'en est que
l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elle s'était mue
jusqu'alors. De forme de développement des forces productives, qu'ils étaient, ces
rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale.
Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement
toutes l'énorme superstructure. Lorsque l'on considère de tels bouleversements, il
faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une
manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et
les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les
formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit
et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait
de lui-même, on ne saurait juger telle époque de bouleversement sur sa conscience
de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie
matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports
de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient ainsi
développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir,
jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant
que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein
même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des
problèmes qu'elle peut résoudre, car à y regarder de plus près, il se trouvera toujours
que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le
résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. A grands traits, les
modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être
qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports
de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire non pas dans le sens
d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui naît des conditions
d'existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se
développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions
matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achève
donc la préhistoire de la société humaine. "
(Karl Marx, Introduction à la " Contribution à la critique de l'économie politique ",
1859, Ed du Progrès, Moscou, 1978).

7 ANNEXE 2

" La conception matérialiste de l'histoire part de la thèse que la production, et après
la production, l'échange de ses produits, constitue le fondement de tout régime
social, que dans toute société qui apparaît dans l'histoire, la répartition des produits,
et, avec elle, l'articulation sociale entre classes ou en ordres se règle sur ce qui est
produit et sur la façon dont cela est produit ainsi que sur la façon dont on échange
les choses produites. En conséquence, ce n'est pas dans la tête des hommes, dans
leur compréhension croissante de la vérité et de la justice éternelles, mais dans les
modifications du mode de production et d'échange qu'il faut chercher les causes
dernières de toutes les modifications sociales et de tous les bouleversements
politiques; il faut les chercher non dans la philosophie, mais dans l'économie de
l'époque intéressée. Si l'on s'éveille à la compréhension que les institutions sociales
existantes sont déraisonnables et injustes, que la raison est devenue sottise et le
bienfait fléau, ce n'est là qu'un indice qu'il s'est opéré en secret dans les méthodes
de production et les formes d'échange, des transformations avec lesquelles ne cadre
plus le régime social adapté à des conditions économiques plus anciennes "
Friederich Engels, " Anti-Dühring ", Ed. Sociales, 1977.

8 ANNEXE 3: Matérialisme historique, révolution et communisme

Pour instaurer le communisme, l'humanité ne s'épargnera pas l'étape historique de la révolution car cette dernière n'est pas " seulement rendue nécessaire parce qu'elle est le seul moyen de renverser la classe dominante, elle l'est également parce que seule une révolution permettra (...) de balayer la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles ". Si l'écroulement et la disparition du mode de production capitaliste est inévitable (aucun mode de production n'étant éternel, comme l'histoire le démontre) la réalisation de cette révolution et du communisme n'en n'est pas pour autant assurée car elle n'est pas inscrite dans l'ordre " naturel " de l'évolution humaine. Ses bases objectives, matérielles sont d'ores et déjà potentiellement atteintes, mais ses conditions subjectives ne sont pas encore réunies et nécessitent l'intervention consciente des révolutionnaires, conscients que le communisme offre le seul chemin pour sortir de
l'impasse créée par l'incapacité du système capitaliste à donner à l'humanité des
conditions sociales d'existence satisfaisantes. Au moment décisif où les conditions
subjectives et objectives seront réunies, où le capitalisme sera définitivement
incapable de se survivre l'alternative sera entre le " socialisme ou la barbarie " (Rosa
Luxemburg). Car si le capitalisme s'écroule, mais que la révolution échoue
également, l'issue ne pourra être qu'une plongée de l'humanité dans la barbarie "
L'affirmation réelle de Marx est: " ceci " (le communisme) ou " rien " (la barbarie)...
L'objectivité du marxisme dérive de la réalité de ce dilemme, sa subjectivité du fait
qu'il choisit " ceci " plutôt que " rien ". (...) le marxisme n'est ni une science (bien qu'il
critique scientifiquement la société), ni un mythe, il est une méthode réaliste d'action
sociale " (16).
Certains prétendent que, pour Marx, le communisme sera la " fin de l'histoire "
puisque pour le marxisme, la lutte de classe étant son moteur, ces dernières
disparues, l'historie disparaîtra de même que ses contradictions et son
développement En fait, l'instauration réussie du communisme sera la fin de la "
préhistoire " de l'humanité, préhistoire déterminée par le règne de la nécessité et de
l'exploitation de l'homme par l'homme. Le communisme ouvrira au contraire la voie
au règne de la liberté dont l'évolution ultérieure ne peux pas être fixé aujourd'hui.
L'histoire continuera donc dans et au-delà du communisme, malgré le fait que la
séparation en classes sociales aura disparu, puisqu'elles n'auront plus de bases
économiques ni idéologiques, des contradictions existeront toujours (mais sous
d'autres formes) et tout ne sera pas parfait de A à Z (ainsi, par exemple, des formes
de criminalité, dans un degré bien moindre qu'aujourd'hui, évidemment, continueront
à exister). Dans ses " Manuscrits de 1844 ", Marx insiste sur le fait que le
communisme " est une figure nécessaire " et un " principe dynamique ", mais qu'il
n'est pas " comme tel, le but de l'évolution humaine - la figure définitive de la société
humaine (...). "


La conception de l'individu et de la société communiste chez Marx et Engels, Info-JGS n° 7 (1997)