Modifications

Aller à la navigation Aller à la recherche
3 126 octets ajoutés ,  22 juin 2020 à 23:41
aucun résumé des modifications
Ligne 1 : Ligne 1 :  +
Le '''massacre de Mazargues''' fut un affrontement violent qui eut lieu le 15 mai 1948 dans un camp de travailleurs vietnamiens (emmenés de force par la France coloniale pour soutenir son effort de [[Seconde Guerre Mondiale|guerre en 1939]]). Alors que les [[Groupe trotskyste vietnamien en France|trotskistes]] avaient réalisé un travail d'organisation important dans les camps d'ouvriers non spécialisés (ONS) et y avaient acquis une influence considérable, les [[staliniens]] déclenchèrent une tuerie à l'aide de gros bras (5 morts et une soixantaine de blessés).
 +
 +
== Contexte ==
 +
[[Fichier:Camp-Mazargues-Manifestation.png|vignette|491x491px|Manifestation devant le camp de Mazargues]]
 +
Des [[Groupe trotskyste vietnamien en France|militants trotskistes]] avaient fondé un journal large dans un cadre de [[front unique]], ''Tranh Ðấu'' (La lutte), à un moment où les staliniens mettaient en veilleuse leur anticolonialisme (résultat du virage nationaliste du PCF en 1935 et de l'alignement de Staline sur les Alliés). Ce journal était donc devenu très majoritaire (selon certains, 90 % des Vietnamiens de France se reconnaissent dedans en 1945), et à travers lui les trotskistes avaient une influence prépondérante sur les organismes élus des ONS.
 +
 +
En face, les journaux staliniens – ''Thuy Thu Lao Dong'' (Marins et Travailleurs), ''Cuu Quôc'' (Salut national) – multipliaient les attaques contre ces organismes. Après la [[révolution d'août]] 1945 au Viêt Nam, le Viêt Minh stalinien tente de reprendre l'ascendant sur les Vietnamiens de France, par tous les moyens. Le représentant de [[Hô Chi Minh]], Trân Ngoc Danh, essaie d'abord de contourner les structures élues qui existent dans les camps en en créant d’autres. 
 +
<blockquote>
 +
''« Devant les ONS il était toujours d’accord mais il cachait son jeu. C’était ça nuire aux autres en cachant son jeu. Le comité central des ONS avait organisé une collecte, Danh en parrainait une autre organisée par le groupe « le Salut National » qui nous était violemment hostile. à Marseille, il n’avait trouvé pour le soutenir qu’une bande de voyous que nous avions mis à la porte du camp à cause des trafics et des méfaits de toutes sortes qu’ils commettaient. Et bien, du jour au lendemain, ces énergumènes ont déclaré être fidèles à Hô Chi Minh et sont devenus membre du Salut National . »'' [[Dang Van Long]]
 +
</blockquote>
 
Le camp de Mazargues situé dans la banlieue Est de la ville est le plus grand de France. C’est une des places forte du mouvement des ONS où, dès 1944, il fut mis fin aux jeux et aux trafics divers. Environ 2 000 Vietnamiens  y vivent. Par manque de place, les autorités ont créé un second camp à environ deux kilomètres, appelé Colgate. Il est surtout utilisé pour regrouper les ONS en partance pour l’Indochine. Là, la discipline est quasiment inexistante et c’est là que vous se regrouper les éléments dénoncés par les trotskystes comme ''« malandrins, voyous et criminels »''.
 
Le camp de Mazargues situé dans la banlieue Est de la ville est le plus grand de France. C’est une des places forte du mouvement des ONS où, dès 1944, il fut mis fin aux jeux et aux trafics divers. Environ 2 000 Vietnamiens  y vivent. Par manque de place, les autorités ont créé un second camp à environ deux kilomètres, appelé Colgate. Il est surtout utilisé pour regrouper les ONS en partance pour l’Indochine. Là, la discipline est quasiment inexistante et c’est là que vous se regrouper les éléments dénoncés par les trotskystes comme ''« malandrins, voyous et criminels »''.
   −
À la suite de l’expulsion des délégués ONS vers le Viêt Nam dont les plus connus étaient Hoàng Nghinh, Bui Dinh Thiêp, Nguyên Dinh Lâm… un certain relâchement dans la bonne tenue du camp se fit ressentir, ce qui fut, pour les soi-disant militants du groupe Salut National l’occasion d’investir la place. Quoique très minoritaire ce groupe se livra à des provocations diverses. Dang Van Long se souvenait : ''« Ce groupe se composait de 60 à 70 éléments. Outre les voyous, il y avait des membres de la 41<sup>e</sup> compagnie qui étaient originaires de Ha Tinh qui était la terre natale de Phan Nhuân et certains membres de la 12<sup>e</sup> compagnie. Ils injuriaient les gens en désaccord avec eux, les agressaient parfois. Il y avait une tension extrême dans le camp à cause d’eux. Quand ils étaient majoritaires dans une compagnie, ils interdisaient nos journaux. Malgré leurs attaques calomnieuses nous n’avons jamais procédé de la même façon, nous avons toujours préféré le débat démocratique. À la veille du rapatriement des premiers ONS, les Staliniens se sont efforcés d’effrayer les travailleurs coupables de ne pas s’inféoder à leur politique en les menaçant « des tribunaux de la république démocratique du Viêt Nam »''. Les dirigeants des travailleurs furent qualifiés « de renégats et d’accusés en liberté provisoire » par leur journal Lao Dong. En février un membre du Comité d’autodéfense a reçu un coup de poignard. Au mois de mai durant la première quinzaine il y eut cinq agressions physiques contre des délégués ou des membres du comité. » Au début du même mois le Lao Dong publie une brochure en quoc ngu au titre évocateur : « Les travailleurs démasquent les traîtres trotskystes vietnamiens ». On y lit en autre : ''« Aux traîtres trotskystes vietnamiens nous disons : le jour de l’extermination de votre clique est arrivé. Plus vous crierez fort plus vite vous serez détruits. Aux camarades encore hésitants nous disons revenez à la patrie. La patrie généreuse acceptera tous ses enfants vietnamiens. Chaque jour où vous resterez liés aux traîtres trotskystes vietnamiens est un crime de plus à votre actif. Ne tardez plus vous en supporteriez les conséquences avec eux. »''<ref>Journal La Vérité n° 219, 18 juin 1948.</ref>
+
À la suite de l’expulsion des délégués ONS vers le Viêt Nam dont les plus connus étaient Hoàng Nghinh, Bui Dinh Thiêp, Nguyên Dinh Lâm… un certain relâchement dans la bonne tenue du camp se fit ressentir, ce qui fut, pour les soi-disant militants du groupe Salut National l’occasion d’investir la place. Quoique très minoritaire ce groupe se livra à des provocations diverses.  
   −
Le 14 mai, deux trotskystes sont roués de coups par des staliniens devant leur responsable réduit à l’impuissance par les agresseurs. Dang Van Long : ''« Le soir du 15 mai le Comité d’autodéfense chargé de la sécurité du camp apprit que le groupe Salut National organisait une réunion dans un réfectoire. Comme par le passé ils avaient dressé des listes de personnes à éliminer, et comme les violences des jours précédents ne laissaient rien présager de bon, la nouvelle se répandit qu’ils préparaient l’élimination de leurs opposants les plus farouches. En un clin d’œil des dizaines d’ONS sortirent des baraques pour se joindre au groupe d’autodéfense se munissant de manière préventive de toutes sortes d’armes et d’objets divers. Jamais, nous Trotskystes, n’avons donné l’ordre d’aller attaquer cette réunion. L’extrême tension des jours précédents avait rendu Mazargues comme un baril de poudre, cette réunion a été l’étincelle fatale. Nous avons essayé de calmer la situation, mais c’était impossible. Des gens qui n’avaient rien à voir avec tout ça ont même été menacés ; c’était une nuit d’horreur. »''
+
== Le massacre ==
 +
Dang Van Long se souvenait :  
 +
<blockquote>
 +
''« Ce groupe se composait de 60 à 70 éléments. Outre les voyous, il y avait des membres de la 41<sup>e</sup> compagnie qui étaient originaires de Ha Tinh qui était la terre natale de Phan Nhuân et certains membres de la 12<sup>e</sup> compagnie. Ils injuriaient les gens en désaccord avec eux, les agressaient parfois. Il y avait une tension extrême dans le camp à cause d’eux. Quand ils étaient majoritaires dans une compagnie, ils interdisaient nos journaux. Malgré leurs attaques calomnieuses nous n’avons jamais procédé de la même façon, nous avons toujours préféré le débat démocratique. À la veille du rapatriement des premiers ONS, les Staliniens se sont efforcés d’effrayer les travailleurs coupables de ne pas s’inféoder à leur politique en les menaçant « des tribunaux de la république démocratique du Viêt Nam »''.
 +
</blockquote>
 +
Les dirigeants des travailleurs furent qualifiés « de renégats et d’accusés en liberté provisoire » par leur journal Lao Dong. En février un membre du Comité d’autodéfense a reçu un coup de poignard. Au mois de mai durant la première quinzaine il y eut cinq agressions physiques contre des délégués ou des membres du comité. » Au début du même mois le Lao Dong publie une brochure en quoc ngu au titre évocateur : « Les travailleurs démasquent les traîtres trotskystes vietnamiens ». On y lit en autre :
 +
<blockquote>
 +
''« Aux traîtres trotskystes vietnamiens nous disons : le jour de l’extermination de votre clique est arrivé. Plus vous crierez fort plus vite vous serez détruits. Aux camarades encore hésitants nous disons revenez à la patrie. La patrie généreuse acceptera tous ses enfants vietnamiens. Chaque jour où vous resterez liés aux traîtres trotskystes vietnamiens est un crime de plus à votre actif. Ne tardez plus vous en supporteriez les conséquences avec eux. »''<ref>Journal La Vérité n° 219, 18 juin 1948.</ref>
 +
</blockquote>
 +
Le 14 mai, deux trotskystes sont roués de coups par des staliniens devant leur responsable réduit à l’impuissance par les agresseurs.
   −
Des témoins affirment que des ONS avaient ceint leur front de tissu blanc : signe de reconnaissance pour une rixe dont ils savaient qu’elle aurait lieu dans le noir ? ou ce signe du deuil vietnamien était-il un avertissement que l’affaire allait être sanglante ? Personne n’a répondu à la question. Une violente dispute éclate entre les deux groupes. Soudain, la lumière est éteinte dans tout le camp<ref>Les descriptions de cette nuit de violence diffèrent selon les sources, témoins ou journaux en particulier à propos de la coupure d’électricité et de l’heure à laquelle la police est intervenue. Lors du procès de 1952, les mêmes incohérences subsistent à propos de la coupure d’électricité.</ref>, l’affrontement éclate, violent, meurtrier, des détonations, des clameurs et des cris sont entendus jusqu’aux abords du camp. La police est prévenue par la standardiste du camp (une Irlandaise mariée à un interprète vietnamien) mais reste à la lisière n’entrant qu’au matin pour découvrir cinq morts<ref>Les décédés sont Bui Van Ngo (matricule TJ 901), Lê Van Dich (TJ 1257), Bui Van La (TJ 927), Pham Van Doai (TJ 746) ; une dernière personne ne put être identifiée. En fait, deux d’entre eux décédèrent à l’hôpital.</ref> et une soixantaine de blessés dont certains, très gravement atteints, resteront handicapés à vie. Lê Van Dich le responsable du Salut National est parmi les victimes. Beaucoup d’ONS ont quitté le campement après les violences, certains sont partis en ville, d’autres au camp Colgate. Dans un rapport de police du 19 mars, il est signalé que ''« 130 Indochinois ont quitté d’autorité le camp Viêtnam pour le camp Colgate. Il s’agit d’éléments de la 12 C<sup>ie</sup> qui seraient favorables à la politique de Bao Dai. Selon l’encadrement, 400 travailleurs ont déserté le camp pour passer la nuit en ville. »'' <ref>Le problème des archives policières est que la compréhension politique des faits échappe le plus souvent aux inspecteurs et aux commissaires chargés des rapports. Trouver des partisans de l’empereur Bao Dai à Mazargues semble relever de la plus pure fantaisie. Les premiers articles de journaux qui se basent sur les explications des policiers sont tout aussi incongrus : « des pacifistes auraient attaqué des anarchistes ».</ref>
+
Dang Van Long :
 +
<blockquote>
 +
''« Le soir du 15 mai le Comité d’autodéfense chargé de la sécurité du camp apprit que le groupe Salut National organisait une réunion dans un réfectoire. Comme par le passé ils avaient dressé des listes de personnes à éliminer, et comme les violences des jours précédents ne laissaient rien présager de bon, la nouvelle se répandit qu’ils préparaient l’élimination de leurs opposants les plus farouches. En un clin d’œil des dizaines d’ONS sortirent des baraques pour se joindre au groupe d’autodéfense se munissant de manière préventive de toutes sortes d’armes et d’objets divers. Jamais, nous Trotskystes, n’avons donné l’ordre d’aller attaquer cette réunion. L’extrême tension des jours précédents avait rendu Mazargues comme un baril de poudre, cette réunion a été l’étincelle fatale. Nous avons essayé de calmer la situation, mais c’était impossible. Des gens qui n’avaient rien à voir avec tout ça ont même été menacés ; c’était une nuit d’horreur. »''
 +
</blockquote>
 +
Des témoins affirment que des ONS avaient ceint leur front de tissu blanc : signe de reconnaissance pour une rixe dont ils savaient qu’elle aurait lieu dans le noir ? ou ce signe du deuil vietnamien était-il un avertissement que l’affaire allait être sanglante ? Personne n’a répondu à la question. Une violente dispute éclate entre les deux groupes. Soudain, la lumière est éteinte dans tout le camp<ref>Les descriptions de cette nuit de violence diffèrent selon les sources, témoins ou journaux en particulier à propos de la coupure d’électricité et de l’heure à laquelle la police est intervenue. Lors du procès de 1952, les mêmes incohérences subsistent à propos de la coupure d’électricité.</ref>, l’affrontement éclate, violent, meurtrier, des détonations, des clameurs et des cris sont entendus jusqu’aux abords du camp. La police est prévenue par la standardiste du camp (une Irlandaise mariée à un interprète vietnamien) mais reste à la lisière n’entrant qu’au matin pour découvrir cinq morts<ref>Les décédés sont Bui Van Ngo (matricule TJ 901), Lê Van Dich (TJ 1257), Bui Van La (TJ 927), Pham Van Doai (TJ 746) ; une dernière personne ne put être identifiée. En fait, deux d’entre eux décédèrent à l’hôpital.</ref> et une soixantaine de blessés dont certains, très gravement atteints, resteront handicapés à vie. Lê Van Dich le responsable du Salut National est parmi les victimes. Beaucoup d’ONS ont quitté le campement après les violences, certains sont partis en ville, d’autres au camp Colgate.  
 +
 
 +
Dans un rapport de police du 19 mars, il est signalé que ''« 130 Indochinois ont quitté d’autorité le camp Viêtnam pour le camp Colgate. Il s’agit d’éléments de la 12 C<sup>ie</sup> qui seraient favorables à la politique de Bao Dai. Selon l’encadrement, 400 travailleurs ont déserté le camp pour passer la nuit en ville. »'' Le problème des archives policières est que la compréhension politique des faits échappe le plus souvent aux inspecteurs et aux commissaires chargés des rapports. Trouver des partisans de l’empereur Bao Dai à Mazargues semble relever de la plus pure fantaisie. Les premiers articles de journaux qui se basent sur les explications des policiers sont tout aussi incongrus : « des pacifistes auraient attaqué des anarchistes ».
    
Deux jours plus tard, Bui Ngan, responsable du comité d’autodéfense qui s’était caché dans un poulailler proche du camp se trouva cerné par des policiers en armes. Selon eux, il fit feu et fut alors abattu immédiatement.
 
Deux jours plus tard, Bui Ngan, responsable du comité d’autodéfense qui s’était caché dans un poulailler proche du camp se trouva cerné par des policiers en armes. Selon eux, il fit feu et fut alors abattu immédiatement.
Ligne 19 : Ligne 44 :  
Environ 80 arrestations sont opérées. Après enquête, dix-huit ONS sont inculpés. Rapidement un des délégués élus du camp et responsable du comité d’auto défense, Do Than Ky, 28 ans, est désigné comme le maître d’œuvre de l’attaque. C’est le plus jeune des inculpés, tous les autres ont plus de trente ans. Un comité de défense des travailleurs vietnamiens se met en place et publie un bulletin dès le mois d’août 1948. Sous le parrainage d’André Breton, Benjamin Perret ou encore René Dumont, il s’oppose à la manière brutale qui est la règle pour les rapatriements et pour la défense des emprisonnés.
 
Environ 80 arrestations sont opérées. Après enquête, dix-huit ONS sont inculpés. Rapidement un des délégués élus du camp et responsable du comité d’auto défense, Do Than Ky, 28 ans, est désigné comme le maître d’œuvre de l’attaque. C’est le plus jeune des inculpés, tous les autres ont plus de trente ans. Un comité de défense des travailleurs vietnamiens se met en place et publie un bulletin dès le mois d’août 1948. Sous le parrainage d’André Breton, Benjamin Perret ou encore René Dumont, il s’oppose à la manière brutale qui est la règle pour les rapatriements et pour la défense des emprisonnés.
   −
===Le procès===
+
==Le procès==
 
Do Tham Ky et certains de ses camarades ont pour avocat Émile Pollak qui quelques années plus tard deviendra un ténor du barreau marseillais. Le procès commence le 6 mai 1952 à la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence. Parmi les dix-huit inculpés, dix ont été mis en liberté provisoire. Entre temps, 52 autres inculpés avaient bénéficié de non-lieu et un certain nombre avait été présenté devant un tribunal correctionnel pour coups et blessures. À cette date, la quasi-totalité des ONS ont été rapatriés. Les témoins, y compris ceux à décharge pour les accusés, ont été renvoyés ''« à la demande du représentant de l’empereur Bao Dai à Marseille selon lequel ils se livraient à des activités subversives dans les milieux indochinois »'' d’après ''Le Monde''. Le 20 juin 1950, le camp de Mazargues était vide de tout Indochinois<ref>Vide de Vietnamiens, le camp continuera de recevoir durant des années des migrants de tous horizons ; voir Émile Temime & Nathalie Deguigne, Le camp du grand Arénas, Marseille, 1944-1966, éd. Autrement, 2001.</ref>. La presse, certes mieux renseignée qu’en mai 1948, n’en continue pas moins à égrener les clichés les plus éculés sur les Annamites : ''« Comme ils sont sages et courtois ces hommes que leur race a prévu de la taille “garçonnet” »'' ; ''« Imaginez un vol de corbeaux se battant sous un ciel obscur. Il y a des corbeaux morts et des corbeaux blessés. Un coup de filet arrête les corbeaux survivants. Ils se ressemblent au point qu’ils ne se distinguent même plus entre eux »''.
 
Do Tham Ky et certains de ses camarades ont pour avocat Émile Pollak qui quelques années plus tard deviendra un ténor du barreau marseillais. Le procès commence le 6 mai 1952 à la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence. Parmi les dix-huit inculpés, dix ont été mis en liberté provisoire. Entre temps, 52 autres inculpés avaient bénéficié de non-lieu et un certain nombre avait été présenté devant un tribunal correctionnel pour coups et blessures. À cette date, la quasi-totalité des ONS ont été rapatriés. Les témoins, y compris ceux à décharge pour les accusés, ont été renvoyés ''« à la demande du représentant de l’empereur Bao Dai à Marseille selon lequel ils se livraient à des activités subversives dans les milieux indochinois »'' d’après ''Le Monde''. Le 20 juin 1950, le camp de Mazargues était vide de tout Indochinois<ref>Vide de Vietnamiens, le camp continuera de recevoir durant des années des migrants de tous horizons ; voir Émile Temime & Nathalie Deguigne, Le camp du grand Arénas, Marseille, 1944-1966, éd. Autrement, 2001.</ref>. La presse, certes mieux renseignée qu’en mai 1948, n’en continue pas moins à égrener les clichés les plus éculés sur les Annamites : ''« Comme ils sont sages et courtois ces hommes que leur race a prévu de la taille “garçonnet” »'' ; ''« Imaginez un vol de corbeaux se battant sous un ciel obscur. Il y a des corbeaux morts et des corbeaux blessés. Un coup de filet arrête les corbeaux survivants. Ils se ressemblent au point qu’ils ne se distinguent même plus entre eux »''.
   Ligne 29 : Ligne 54 :     
Quatre accusés furent acquittés, les autres furent condamnés à des peines s’étalant de quatre ans à dix-huit mois couvrant leur détention en préventive. Les charges retenues : complicité de coups mortels, complicité de coups suivis d’incapacité permanente, complicité de coups suivis d’incapacité de plus de vingt jours. Cette affaire traumatisa durablement l’ensemble des gens présents à Mazargues cette nuit-là. Le silence se fit.  Des décennies plus tard le malaise était toujours palpable, peu de gens souhaitaient évoquer ces évènements. Contacté par l’auteur à Saigon en 1995, Do Than Ky, après un premier accord de principe, refusa de parler de cette période.
 
Quatre accusés furent acquittés, les autres furent condamnés à des peines s’étalant de quatre ans à dix-huit mois couvrant leur détention en préventive. Les charges retenues : complicité de coups mortels, complicité de coups suivis d’incapacité permanente, complicité de coups suivis d’incapacité de plus de vingt jours. Cette affaire traumatisa durablement l’ensemble des gens présents à Mazargues cette nuit-là. Le silence se fit.  Des décennies plus tard le malaise était toujours palpable, peu de gens souhaitaient évoquer ces évènements. Contacté par l’auteur à Saigon en 1995, Do Than Ky, après un premier accord de principe, refusa de parler de cette période.
 +
 +
== Notes et sources ==
 +
 +
* Podcast France culture "Fragment d'un discours révolutionnaire", [https://web.archive.org/web/20120122142921/http:/www.radio-rouge.org/Data/FranceCulture/Les_trotskystes_n11_les_indochinois.mp3 Épisode sur le groupe trotskyste vietnamien], été 2002
 +
* Dominique Foulon, [http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article30061 Brève histoire du Groupe trotskyste vietnamien en France], ''Carnets du Viêt Nam'' (compilés sur ESSF en 2010)
 +
<references />
 +
[[Catégorie:France]]
 +
[[Catégorie:Viêt Nam]]
 +
[[Catégorie:Trotskisme]]
 +
[[Catégorie:Stalinisme]]

Menu de navigation