Massacre de Ludlow

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Masses 1914 John Sloan.jpg

Le massacre de Ludlow fait référence à une action de représailles de la Colorado National Guard durant laquelle 26 grévistes trouvèrent la mort, à Ludlow dans le Colorado le 20 avril 1914. Ce massacre fait suite à un long affrontement entre les grévistes, au nombre de 1 200, et les soldats de la garde nationale et les hommes de l'agence Baldwin-Felts Detective au service de la Colorado Fuel & Iron Company. Le campement des mineurs et de leurs familles est attaqué à la mitrailleuse par deux compagnies de la garde nationale, les grévistes répondent à coup de fusil. Les affrontements durent toute la journée, à la tombée de la nuit les gardes nationaux mettent le feu au camp, treize mineurs sont tués. Le lendemain on découvre dans les restes du camp, les cadavres calcinés de onze enfants et deux femmes dans une fosse, les mineurs avaient creusés des fosses sous leur tentes pour échapper aux tirs.

En guise de réponse, les mineurs s'armèrent et attaquèrent des dizaines de mines, détruisant les biens et multipliant les échauffourées avec la Colorado National Guard. L'historien Howard Zinn dit de cette grève qu'elle fut « l'un des plus durs et des plus violents conflits entre les travailleurs et le capital industriel de l'histoire des États-Unis. ».

1 Histoire

C’était un matin d’avril, un lendemain de Pâques, cette fête que célébraient nombre des immigrés grecs de Ludlow (Colorado). Trois membres de la garde nationale étaient venus ordonner la libération d’un homme prétendument retenu contre son gré. Louis Tikas, le responsable du camp, s’était alors rendu à la gare, distante d’un kilomètre, afin de rencontrer le commandant du détachement. Pendant leur rencontre, deux compagnies installèrent des canons sur une crête dominant le camp de mineurs. Tikas sentit le coup fourré et retourna auprès des siens. Le feu fut déclenché peu après.

La bataille dura toute la journée. Des gardes sans uniforme, payés par les patrons de la mine, vinrent renforcer les miliciens du lieutenant Karl Linderfelt. Alors que le soleil se couchait, le passage d’un train permit à un certain nombre de mineurs de prendre la fuite. Quelques minutes plus tard, la soldatesque s’empara du camp. Louis Tikas fut arrêté en compagnie de deux autres mineurs. Son corps fut retrouvé le long de la ligne de chemin de fer. Il avait été abattu dans le dos. Sa dépouille resta trois jours de suite à la vue de tous, passagers des trains qui circulaient et résidents. Il fallait faire un exemple. Avec le leader syndicaliste, deux femmes, douze enfants, cinq mineurs et syndicalistes et un garde furent tués ce 20 avril 1914 à Ludlow, terme, selon Howard Zinn, de l’une 
des « plus amères et violentes luttes entre les travailleurs et le capital dans l’histoire de ce pays ».

Tout avait commencé en septembre 1913. Les 1 100 mineurs de la Colorado Fuel and Iron Corporation, détenue par la famille Rockefeller, se mirent en grève après le meurtre d’un syndicaliste. Ils ajoutèrent à leurs revendications une augmentation des salaires, la journée de huit heures de travail, la reconnaissance du syndicat et la fin du contrôle total de leur vie par la compagnie, qui en fit aussitôt démonstration, en les expulsant de leurs baraquements. Avec l’aide du Syndicat uni des mineurs (United Mine Workers Union), les grévistes dressèrent alors des tentes sur les collines voisines. Rockefeller embaucha les cerbères de l’agence de « détectives » Baldwin-Felts, spécialisée, tout comme l’agence Pinkerton, dans la répression syndicale. Une première « descente » échoua à briser le mouvement, malgré plusieurs morts dans le camp des grévistes. Le milliardaire Rockefeller se tourna alors vers « notre cher petit cow-boy de gouverneur » qui, ni une ni deux, fit appel à la garde nationale, 
créée en 1903. Les grévistes l’accueillirent avec acclamations et drapeaux au vent. Ils pensaient que la réserve de l’armée des États-Unis était venue pour les protéger… Ils déchantèrent rapidement lorsque les soldats attaquèrent le camp, arrêtèrent des centaines de mineurs et les firent parader, comme des prises de guerre, dans les rues de Trinidad, la ville la plus proche. Le mouvement tint pourtant bon tout l’hiver, jusqu’au 20 avril 1914, où il fut décidé d’en finir avec ces ouvriers rebelles. La réaction au massacre de Ludlow fut immédiate. À Denver, le syndicat des mineurs lança un « appel aux armes ». Trois cents mineurs rescapés s’armèrent et, à Ludlow, coupèrent 
le téléphone et le télégraphe, se préparant à la bataille. Les cheminots refusèrent d’emmener les soldats sur place, tandis qu’à Denver, ce sont des soldats eux-mêmes qui mirent l’arme au pied.

À Trinidad, la colère des mineurs dégénéra. Après les funérailles des victimes du massacre, des mineurs se rendirent dans les mines, firent exploser des puits et tuèrent plusieurs gardes. 
À Denver, le syndicat de l’industrie du tabac vota l’envoi de membres à Ludlow, tandis que des syndiquées de celui du textile se transformèrent en infirmières. L’affaire devint nationale mais un autre événement l’étouffa : le bombardement de la ville mexicaine de Vera Cruz par l’armée américaine. « La ferveur patriotique et l’esprit militariste pouvaient-ils dissimuler la lutte des classes », s’interrogeait Howard Zinn dans son Histoire populaire des États-Unis. La réponse fut, semble-t-il, positive. Au final, des troupes fédérales furent dépêchées à Ludlow sur ordre du président Woodrow Wilson. Faute d’argent, le mouvement de grève périclita en décembre. Il y eut une enquête parlementaire, des milliers de pages de témoignages. Les soldats de la garde nationale, traduits en cour martiale, furent acquittés. Les grévistes furent remplacés par de nouveaux ouvriers. Sur le Vieux Continent, un autre siècle avait déjà commencé dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, un siècle qui fut aussi celui de la reconnaissance des droits des salariés portés par les mineurs de Ludlow.

2 La « trace » de Ludlow dans les consciences.

Ce n’est désormais 
plus qu’une ville fantôme, comme on en voit dans 
les westerns. Il n’y a plus rien à Ludlow qu’un monument en granit à la mémoire 
des mineurs, reconnu comme un site historique national (National Historical Landmark) en 2009. Propriété du syndicat 
des mineurs UMWA, Ludlow a laissé une trace dans l’histoire, même si les premiers temps conduisirent à ensevelir les victimes 
dans l’oubli. Ayant senti 
le vent du boulet de 
la révolte sociale, Rockefeller accepta plus tard un certain nombre de mesures : représentation syndicale, non-discrimination 
des syndiqués. Ludlow laissa également 
une trace dans les consciences en devenant, selon la formule d’un historien, « une centralité saisissante dans l’interprétation de l’histoire de notre nation, 
développée par plusieurs penseurs de gauche d’importance du XXe siècle ». Parmi ceux-ci : 
Howard Zinn, l’historien, 
et Georges McGovern, 
le très progressiste 
candidat démocrate 
à l’élection présidentielle 
de 1972.

3 Notes et sources

Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, Agone, 2002