Malthusianisme
Le malthusianisme est une politique prônant la restriction démographique, inspirée par les travaux de l'économiste britannique Thomas Malthus (1766–1834). Le terme est utilisé pour la première fois par Pierre-Joseph Proudhon en 1849.
Le mot « malthusianisme » est aussi employé par extension pour désigner toute attitude pessimiste devant la vie et le développement.
1 La pensée de Thomas Malthus
1.1 Lois de la population
Sur la base des récits de voyages de son époque — en particulier ceux de James Cook — Malthus a tiré une loi naturelle des sociétés naturelles : la population tend à croître plus rapidement que ses ressources, jusqu'à ce qu'interviennent des freins ou des limites à cette croissance (nommés checks). Ces derniers font régresser la population à un niveau supportable pour assurer la nourriture de l'ensemble. Ces obstacles — ou checks — sont de deux natures : d'une part, les positive checks (aussi traduits en français par « obstacle répressif » ou « obstacle malthusien »[1]) qui s'imposent de l'extérieur de façon brutale, à l'instar des famines ou des épidémies ; d'autre part les preventive checks (ou « obstacles préventifs »[2]) qui désignent les décisions conscientes prises en connaissance de cause pour freiner la croissance démographique[3] : avortement, contrôle des naissances, célibat entre autres. D'après Malthus, même chez les peuples dits primitifs, les obstacles préventifs existent. Ainsi, la difficulté de se procurer de la nourriture dans les tribus d'Indiens d'Amérique les obligent à vivre à de grandes distances les unes des autres, à défendre leur territoire de chasse, et afin d'éviter le peuplement, ils se reproduisent peu : un ou deux enfants par famille. Malthus s'appuie notamment sur les écrits de James Cook qui s'étonne du peu d'ardeur amoureuse dans ces tribus[3].
1.2 Malthusianisme économique
Le « modèle malthusien » de formation du revenu minimal des économistes classiques n'a rien à voir avec le « comportement malthusien », restriction volontaire, non seulement de procréation, mais aussi de production.
Par exemple, il préconisait de limiter la production pour permettre l'augmentation des prix.
1.3 Pensée politique
Thomas Malthus craignait les effets dévastateurs du développement libre, supposé exponentiel, de la population humaine.
Pour lui, la procréation des familles peu sûres de pouvoir nourrir leurs enfants devait être restreinte, par la chasteté volontaire.
2 Courants néo-malthusiens
2.1 Anarchistes antinatalistes
A la fin du 19ème siècle, des théoriciens anarchistes comme Paul Robin développent en France des thèses néomalthusiennes, que l'écrivain et journaliste Octave Mirbeau s'emploie à populariser dans la grande presse[4], à contre-courant des thèses natalistes et populationnistes en vigueur au nom de la « Revanche ». Rares sont alors les syndicalistes et les socialistes à se joindre aux militants anarchistes néomalthusiens.
À l'analyse de Malthus, les libertaires néomalthusiens ajoutent deux éléments fondamentaux : d'une part, il serait monstrueux de produire massivement la chair à canon dont les bourgeoisies industrielles ont besoin pour les prochaines boucheries (ils s'opposent donc aux politiques natalistes mises en œuvre afin de préparer la guerre programmée dans les meilleures conditions, grâce à l'abondance de l'infanterie), la chair à travail (qui facilite l'exploitation patronale), la chair à plaisir (qui alimente la prostitution). Ils appellent à la « grève des ventres ».
D'autre part, ils réclament un contrôle des naissances grâce aux moyens contraceptifs en usage et à l'avortement. Poursuivant ce but, Paul Robin fonde en 1896 la Ligue de la Régénération humaine. Opposée à la propagande nataliste, elle diffuse des moyens contraceptifs au nom de la libération des femmes: elles devaient échapper à leur destin de génitrices[5]. Elle sera dissoute en 1908. Eugène et Jeanne Humbert, devenus les principaux animateurs du mouvement, créent Génération consciente et poursuivent leur propagande après son interdiction par la loi de 1920, qui interdit toute propagande antinataliste. Leur activité militante leur vaut plusieurs séjours en prison.
Durant l'entre-deux-guerres, il n'y pas de « rencontre historique du féminisme et du néomalthusianisme »[6]. La majorité des féministes réformatrices se rangent en effet derrière la bannière populationniste pour tenter de gagner de nouveaux droits pour les mères. Les militantes féministes pour un contrôle des naissances — Nelly Roussel, Madeleine Pelletier ou Berty Albrecht — sont rares[7].
2.2 Courants écologistes
Les préoccupations écologiques renouvellent aujourd'hui la problématique malthusienne. Ainsi, certains, comme le commandant Jacques-Yves Cousteau, voient dans l'excessive population humaine le principal obstacle à la sauvegarde des espèces animales et végétales.
D'autre part, grâce au mouvement écologiste et altermondialiste, dans lequel s'inscrit notamment le Club de Rome : l'objectif est de sauver la planète de la pollution et de l'épuisement des matières premières non renouvelables, et de permettre un développement soutenable dans les pays du Sud.
3 Critiques
3.1 Observations dans les pays en développement
Ester Boserup a vigoureusement contredit Malthus en mettant en évidence les effets positifs de la croissance de la population sur la production agricole[8]. Selon ses recherches, la croissance de la population conduit les pays en développement à adapter leurs techniques agraires. La croissance de la population pousse à quitter une agriculture itinérante avec des friches de plusieurs années pour s’orienter vers une réduction des temps de friche et finalement pour une culture en continu faisant appel aux engrais et à l’irrigation. À travers l’innovation, les populations réunissent les conditions nécessaires pour une croissance supplémentaire. La boucle fermée de Malthus s’est transformée en une spirale progressant vers le haut.
3.2 Critique marxiste
Dans son étude des lois de l'économie capitaliste, Marx a montré[9] comment l'accumulation capitaliste conduit tendanciellement à rejeter toute une partie de la classe ouvrière dans l'inactivité (création d'une surpopulation ouvrière, cette armée de réserve industrielle qui fait baisser le niveau des salaires), en parallèle d'un besoin de nouvelles forces pour assurer l'élargissement de l'accumulation capitaliste. Il montre ainsi que les "lois démographiques", qu'il appelle plutôt "lois tendancielles", sont dérivées des lois socio-économiques du mouvement propre au capital. Par là, il critique notamment la naturalisation de ces lois à laquelle procède Malthus.
4 Contrôle des naissances
4.1 Droit de disposer de son corps
Dans les dernières décennies du 20ème siècle, la natalité a fortement diminué dans les pays capitalistes centraux. Cela n'a pas été le fruit d'une politique d'État (même si la propagande nataliste a nettement reculé), mais d'une plus grande capacité/liberté des femmes à disposer de leur propre corps : lutte pour leur droit de n'avoir que des enfants désirés : fondation du Planning familial, création du M.L.A.C. (Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception) en 1972, ce qui aboutit à la loi Veil de janvier 1975 légalisant l'interruption volontaire de grossesse (IVG) pour motif de détresse de la mère.
5 Notes et références
- ↑ fr Dictionnaire démographique multilingue, seconde édition unifiée, volume français sur Demopaedia. Dernière consultation le 12 novembre 2013.
- ↑ Ibid.
- ↑ 3,0 et 3,1 Georges Minois, Le poids du nombre : l’obsession du surpeuplement dans l’histoire, Paris, Perrin, coll. Pour l’histoire, 2011, p. 14-64. Erreur de référence : Balise
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incorrecte : le nom « Minois-14-64 » est défini plusieurs fois avec des contenus différents. - ↑ Mirbeau proclame dès 1890 le droit à l'avortement, dans son dialogue « Consultation » et mène, en 1900, une grande campagne néomalthusienne dans les colonnes du Journal, dans une série d'articles intitulés « Dépopulation ». Voir Pierre Michel, « Octave Mirbeau et le néomalthusianisme », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 215-259.
- ↑ Albert Jacquard,Le compte à rebours a-t-il commencé?,Editions Stock, 2009, p62.
- ↑ Laurence Klejman et Florence Rochefort, L'Égalité en marché. Le féminisme sous la Troisième République, PFNSP et Éditions des femmes, Paris, p. 336.
- ↑ Sylvie Chaperon, Les années Beauvoir. 1945-1970, Fayard, Paris, 2000, p. 162.
- ↑ Ester Boserup: The Conditions of Agricultural Growth. The Economics of Agrarian Change under Population Pressure. Londres, 1965. [1]
- ↑ Voir notamment Le Capital, Livre 1, Chapitre 23, "La loi générale de l'accumulation capitaliste".
5.1 Bibliographie
- Malthus, Essai sur le principe de population, 1798 (version en ligne)
- Alfred Sauvy, Théorie générale de la population (2 volumes), PUF, Paris 1956
5.2 Articles connexes
- Économie :