Machinisme

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La mécanisation, ou machinisme, est l'emploi de machines pour remplacer du travail humain, en augmentant la productivité du travail. Démarrée au 18e siècle en Europe, elle conduit à augmentater la part d'automatisation du travail, et son application à grande échelle a débouché sur l'industrialisation.

1 Historique

L'usage de machines dans l'activité humaine est très ancien comme nous le montre l'exemple du moulin. Mais la mécanisation à l'origine de l'industrialisation commence dans les entreprises avec le désir des patrons d'augmenter la productivité de leurs employés mais aussi de se libérer de certaines contraintes techniques.

Les machines forment ce que les marxistes appellent le capital constant, qui transmet sa valeur aux marchandises, sans en créer contrairement à la force de travail (qui constitue le capital variable). La part du capital constant a une tendance à augmenter (accroissement de la composition organique du capital) au cours de l'histoire du capitalisme, en conséquence de la recherche du profit, mais ce processus cause lui-même une des contradictions principales du capitalisme (la baisse tendancielle du taux de profit) :

  • Une nouvelle machine bien conçue permet aux premiers capitalistes qui la mettent en place de bénéficier d'une hausse de productivité et donc d'un sur-profit : grâce à elle l'usine produira plus de marchandises avec le même temps de travail, mais le prix des marchandises étant encore déterminé par l'ancienne moyenne (temps de travail socialement nécessaire), il pourra les vendre à ce prix de marché alors que son coût de production est devenu nettement inférieur.
  • Poussés par la concurrence et le risque de se voir évincés, les autres capitalistes mettent en place des machines similaires, voire plus productives encore. Mais en conséquence, le temps de travail socialement nécessaire chute, et le sur-profit retombe.L'effet positif sur le niveau de profit est donc temporaire, alors que ce processus a un effet durablement à la baisse sur le taux de profit.
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2 Machinisme et mouvement ouvrier

La généralisation des machines a des effets contradictoires sur le mouvement ouvrier.

2.1 Mécanisation et emplois

Une des premières déductions que les premiers contemporains du machinisme ont tirée, c'est que l'automatisation allait détruire les emplois. Cette idée a été avancée par des économistes comme Ricardo[1] ou Sismondi[2], dans des rapports d'inspection du travail au 19e siècle...[3]

Cependant, la croissance économique créé des emplois, ce qui rend a priori l'équation indéterminée. Par exemple entre 1945 et 1970, l'impact de l’automation et de la robotisation sur l’emploi total a été pratiquement nul.

Par ailleurs, la mécanisation change qualitativement l'emploi. Elle a conduit d'une part à la chute de l'emploi agricole (exode rural et prolétarisation de la paysannerie), de la plupart de l'artisanat, à la transformation du type d'emploi dans le secondaire, et à l'essor du tertiaire.

2.2 Mécanisation et conditions de travail

Le machinisme utilisé par les capitalistes conduit au 19e siècle à l'essor de grandes usines où de nombreux ouvriers sont sous la domination de patrons qui organisent le travail dans le but du profit maximal. Par conséquent, les ouvriers/ouvrières sont forcé-e-s à s'adapter au rythme maximal, qui est celui de la machine. La classe ouvrière subit alors des cadences infernales, des conditions de travail pénibles du fait du bruit, des odeurs ou des vibrations. On peut en voir un aperçu dans le tableau que peint Engels en 1845 dans La condition de la classe laborieuse en Angleterre.[4] À la fin du 19e siècle, la fatigue au travail devient plus largement un objet de recherche.

En plus de la quantité et du rythme de travail, la nature du travail est affectée. Si les premières manufactures ont simplement consisté à regrouper des artisans en un même lieu, la mécanisation a bouleversé les procès de production. L'ouvrier d'industrie a la plupart du temps été réduit à un rôle secondaire, devant apporter des pièces à la machine ou à préparer son travail. Par exemple une employée de Paris Chèque témoignait en 1977 :

« Maintenant, il y a l'automatisation et on a des tâches très partielles où on fait toujours la même chose. On a un superbe ordinateur, à qui on prépare un picotin très élaboré en pointant toutes sortes de trucs : il faut que ça soit fait d’une certaine façon, il faut qu’il y ait toutes les virgules, tous les petits zéros, tous les petits machins, c’est complètement crétin comme travail. Pour les filles, c’est à en perdre la tête. L’ordinateur digère ça et il ressort des choses qu’il faut pointer pendant des heures. On ne peut pas dire que ce soit très enrichissant. »[5]

Le taylorisme et le travail à la chaîne ont encore accentué ces phénomènes. Par conséquent la part de savoir-faire dans le travail a énormément diminué, avec dans beaucoup d'industrie du travail très parcellisé (chaque ouvrier exécutant une tâche routinière simple) et dépersonnalisé.

Cependant, certains observateurs soutiennent que des contre-tendances existent. Pierre Naville a relevé que le machinisme a aussi tendance à augmenter la technicité requise et donc la formation intellectuelle des travailleur·ses, ce qui peut avoir des effets émancipateurs.

Les machines sont la plupart du temps utilisées collectivement. Pour schématiser on pourrait dire que l'outil est le prolongement d'un humain, alors que les machines relèvent du travail humain collectif. Par conséquent cela introduit la nécessité de la coopération, et d'une discipline collective, un nouveau rapport au temps pour être synchrone...

2.3 Luddisme et acquis sociaux

Dès la fin du 18e siècle, 2 000 ouvriers normands détruisent une machine à filer le coton précocement introduite en France[6]. Cette destruction qui n'est pas un cas isolé traduit l'inquiétude des ouvriers face aux machines qui remplacent le travail de beaucoup d'entre eux. D'une manière générale, le progrès technique est d'abord très mal vécu par la population et par la classe ouvrière, ce qui a conduit à ce qu'on appelé le mouvement luddite.

Les luttes ouvrières n'ont pas infléchi la mécanisation, mais elles ont forcé les patrons à faire des concessions sur les conditions de travail, le temps de travail et les salaires.

Ainsi la mécanisation peut aussi rendre de nombreux travaux pénibles beaucoup plus faciles. Un docker témoigne par exemple :

« Moi, la mécanisation je suis pour, je t’assure que je préfère qu’il y ait une machine pour faire mon travail parce qu’autrement, le soir, tu sais, il n’y a pas besoin de me bercer, je suis mort de fatigue. Je suis sûr qu’il y a encore beaucoup de choses qui pourraient être mécanisées, ça permettrait d’alléger notre peine »[7]

3 Mécanisation des campagnes

La mécanisation des campagnes fut plus lente que celle des villes. Une hostilité aux machines y est bien plus ancrée. Un aperçu se trouve par exemple dans La Terre de Zola publié en 1887. Si les machines tractées par des chevaux sont communes au 19e siècle, ce n'est qu'à la fin de la Grande Guerre que les tracteurs deviennent un véritable marché.[8]

Ce frein s'explique par la contradiction entre le mode de vie paysan traditionnel et le travail agricole basé sur des machines. La ferme vivrière, familiale et de taille réduite est incompatible avec la mécanisation agricole, les coûts des tracteurs sont très élevés ainsi que leur entretien qui nécessite en plus un savoir-faire mécanique pour leur maintenance. Seules les très grandes exploitations peuvent se permettre le risque d'un tel investissement.

Seul l'exode rural et la disparition progressive des fermes paysannes au 19e et au 20e, en parallèle des rachats par les gros propriétaires qui conduisent à de grandes parcelles, va rendre rentable les tracteurs et faire progresser la mécanisation.

4 Point de vue marxiste

Pour Karl Marx, la technique est un facteur de pénibilité et de concurrence quand elle est au service du capitalisme, mais elle serait un facteur décisif de transformation sociale et de progrès si elle était mise au service de la classe ouvrière.

Dans certains de ses premiers écrits, Marx estime que la tendance au développement de l’automatisation par le capitalisme fait de plus en plus apparaître comme périmé les rapports d’exploitation capitalistes, en particulier dans le Fragment sur les machines, passage des Grundrisse. Le Fragment sur les machines a inspiré toute une littérature, notamment dans l'opéraïsme italien.

Parmi les marxistes, on trouve des discours différents sur la technique et la mécanisation. Certains vont insister sur une neutralité de la technique, d'autres sur un rôle plutôt positif ou plutôt négatif.[9]

La féministe radicale (influencée par le marxisme) Shulamith Firestone donnait une grande importance au développement technique (tout en pensant qu'il fallait une révolution pour en révéler les potentialités progressistes) :

« L’homme ne sera plus « celui qui gagne le pain quotidien » — personne n’aura besoin de le gagner puisque personne ne travaillera. La discrimination professionnelle perdra sa raison d’être dans une société où les machines feront le travail mieux que ne pourraient le faire les plus brillants êtres humains. Les machines joueront donc un rôle égalisateur, en faisant disparaître la société de classes fondée sur l’exploitation de la main-d’œuvre. »[10]

5 Notes et sources

  1. David Ricardo, Traité d’économie politique et de l’impôt, 1817
  2. J.S. Sismondi , Nouveaux principes d’économie politique, 1819
  3. Rapport sur la question de chômage, présenté au nom de la commission permanente du conseil supérieur du travail, Paris, Imprimerie nationale, 1896, pp. VIII et 323.
  4. Friedrich Engels, La condition de la classe laborieuse en Angleterre, 1845
  5. Collectif Adret, Travailler 2h par jour - Paris-Chèques, 1977
  6. François Jarrige, Face au monstre mécanique. Une histoire des résistances à la technique, éditions Imho, collection « Radicaux libres », 2010
  7. Collectif Adret, Travailler 2h par jour - Docker à Saint-Nazaire, 1977
  8. http://www.deere.com/en_US/compinfo/student/timeline_1900.html
  9. Maxime Durand, L'avenir radieux de la technique, Critique communiste, n° 32, juillet 1984
  10. Shulamith Firestone, La dialectique du sexe, 1970