Différences entre les versions de « Kommunist »

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Le nom de '''Kommunist''' désigne le groupe et la publication des « Communistes de gauche » du [[Parti_bolchevik|Parti bolchevik]], militant contre la direction [[Léniniste|léniniste]] du Parti. ''Kommunist'', édité par le comité de Pétrograd du [[Parti_bolchevik|Parti bolchevik]], paraît du 4 mars au 19 mars 1918 (11 numéros sous la forme journal) puis édité par le comité de Moscou d'avril à juin une revue (4 numéros).
 
Le nom de '''Kommunist''' désigne le groupe et la publication des « Communistes de gauche » du [[Parti_bolchevik|Parti bolchevik]], militant contre la direction [[Léniniste|léniniste]] du Parti. ''Kommunist'', édité par le comité de Pétrograd du [[Parti_bolchevik|Parti bolchevik]], paraît du 4 mars au 19 mars 1918 (11 numéros sous la forme journal) puis édité par le comité de Moscou d'avril à juin une revue (4 numéros).
  
 
''(Ne pas confondre avec le numéro unique publié en 1915 par [[Lénine|Lénine]], [[Boukharine|Boukharine]], [[Preobrajenski|Preobrajenski]] et Bosch.)''
 
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L'agitation organisée par Kommunist est aussi vive que brève. Ses principaux leaders retrouvent la ligne générale rapidement dès l'introduction du ''« [[Communisme_de_guerre|communisme de guerre]] »''.
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Kommunist s'oppose aux efforts de [[Lénine|Lénine]] pour trouver un terrain d'entente avec les milieux industriels et plus globalement au [[Capitalisme_d’État|capitalisme d’État]]. Il se prononce contre les dispositions relatives à la discipline du travail et au rendement, contre le taylorisme et la [[Collégialité|gestion personnelle]], contre l'octroi de postes de responsabilité aux spécialistes bourgeois. À l'inverse, les Communistes de gauche — [[Nikolaï_Boukharine|Boukharine]], [[Nikolaï_Ossinski|Ossinski]], [[Evgueni_Preobrajenski|Preobrajenski]], [[Gueorgui_Piatakov|Piatakov]] etc. — sont partisans d'une large autonomie des [[Soviet|Soviets]] et de la création d'une armée prolétarienne. ''«&nbsp;Le Parti devra vite décider jusqu'à quel degré la dictature d'individus devra être étendue des chemins de fer et d'autres branches de l'économie au Parti lui-même&nbsp;»''<ref>[[Evgueni Preobrajenski|Preobrajenski]], ''Kommunist'', mai 1918.</ref>
 
Kommunist s'oppose aux efforts de [[Lénine|Lénine]] pour trouver un terrain d'entente avec les milieux industriels et plus globalement au [[Capitalisme_d’État|capitalisme d’État]]. Il se prononce contre les dispositions relatives à la discipline du travail et au rendement, contre le taylorisme et la [[Collégialité|gestion personnelle]], contre l'octroi de postes de responsabilité aux spécialistes bourgeois. À l'inverse, les Communistes de gauche — [[Nikolaï_Boukharine|Boukharine]], [[Nikolaï_Ossinski|Ossinski]], [[Evgueni_Preobrajenski|Preobrajenski]], [[Gueorgui_Piatakov|Piatakov]] etc. — sont partisans d'une large autonomie des [[Soviet|Soviets]] et de la création d'une armée prolétarienne. ''«&nbsp;Le Parti devra vite décider jusqu'à quel degré la dictature d'individus devra être étendue des chemins de fer et d'autres branches de l'économie au Parti lui-même&nbsp;»''<ref>[[Evgueni Preobrajenski|Preobrajenski]], ''Kommunist'', mai 1918.</ref>
  
L'agitation organisée par Kommunist est aussi vive que brève. Ses principaux leaders retrouvent la ligne générale rapidement dès l'introduction du ''«&nbsp;[[Communisme_de_guerre|communisme de guerre]]&nbsp;»''.
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Dès le 7&nbsp;mars 1918, la Conférence du parti de Leningrad, convoquée à la hâte, condamne les communistes de gauche ([[Boukharine|Boukharine]], [[Radek|Radek]],&nbsp;etc.) hostiles à [[Traité de Brest-Litovsk|Brest-Litovsk]] et à la politique ouvrière du parti, et les met en demeure de renoncer à leur existence en tant qu’organisation indépendante. (L'interdiction  officielle  [[Droit de tendance et de fraction|des  tendances]] n'aura lieu qu'au X<sup>e</sup>  Congrès — en 1921).
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''Kommunist'' dut interrompre sa publication et les organisations du groupe durent se réfugier à Moscou.
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Lénine  réagit  violemment dans un article de la ''[[Pravda|Pravda]]''.  Les  thèses  des  « Communistes  de  gauche  »  étaient  une  «  honte  insigne  »,  un  «  total  abandon  du  communisme  dans  la pratique », un « ralliement total à la petite bourgeoisie  ». Les  « communistes de gauche  »,  « pénétrés jusqu'à  la moelle  de  la  psychologie  de  l'intellectuel  petit-bourgeois  déclassé  »,  «  se  sont  laissé prendre à la provocation des Issouv [leader menchevik] et autres Judas capitalistes ».<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1918/05/vil19180505.htm ''Sur l'infantilisme "de gauche" et les idées petites-bourgeoises''], ''[[Pravda|Pravda]]'', 5 mai 1918&nbsp;: critique des Communistes de Gauche.</ref> ''«&nbsp;Nos “communistes de gauche”, qui aiment aussi se qualifier de “communistes prolétariens”, car ils n'ont pas grand-chose de prolétarien et sont surtout des petits-bourgeois, ne savent pas réfléchir au rapport des forces ni à la nécessité d'en tenir compte&nbsp;».''
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Durant  les  mois  qui  suivirent,  les  léninistes  réussirent  à  s'emparer  de  la  direction  de  l'organisation du Parti dans des régions qui avaient au départ soutenu la  « gauche  ». Vers la fin du mois de mai, l'organisation  du  Parti  de  la  région  de  l'Oural  (dont  la  composition  était  essentiellement prolétarienne), dirigée par [[Evgueni Preobrajenski|Préobrajenski]], et le Bureau régional de Moscou, furent « conquis » par les partisans de la direction du Parti. Le quatrième et dernier numéro de ''Kommounist'' (mai 1918) dut être  publié  comme  l'organe  «  privé  »  d'une  tendance.
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Certains anciens de Kommunist, comme [[Karl_Radek|Karl Radek]], rentrèrent dans le rang, mais d'autres, à des degrés divers, ([[Alexandra_Kollontaï|Alexandra Kollontaï]], [[Gavril_Miasnikov|Gavril Miasnikov]], [[Nikolaï_Ossinski|Ossinski]], etc.) se retrouveront dans les tendances oppositionnelles qui apparaîtront ultérieurement en Russie ou à l'étranger.
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==Extraits==
  
Dès le 7&nbsp;mars 1918, la Conférence du parti condamne les communistes de gauche ([[Boukharine|Boukharine]], [[Radek|Radek]],&nbsp;etc.) hostiles à Brest-Litovsk et à la politique ouvrière du parti, et les met en demeure de renoncer à leur existence en tant qu’organisation indépendante. ''Kommunist'' dut interrompre sa publication et les organisations du groupe durent se réfugier à Moscou.
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=== Kommunist 1, avril 1918 ===
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Ce  numéro  contenait les « Thèses sur la situation actuelle » du comité de rédaction. La revue dénonçait ''« une politique du travail  destinée  à  imposer  une  discipline  aux  travailleurs,  sous  couvert  d'«  auto-discipline  », l'introduction  du  travail  obligatoire,  le salaire  aux  pièces  et  l'allongement  de  la  journée  de  travail.  »'' Elle  affirmait  que  ''«  l'introduction  de  la  discipline  du  travail  en  liaison  avec  la  restauration  de  la gestion capitaliste dans l'industrie ne peut pas augmenter vraiment la productivité du travail, mais elle diminuera  l'initiative  de  classe, l'activité  et  la capacité  d'organisation  du prolétariat.  Elle  menace d'asservir  la  classe  ouvrière  et  va  accroître  le  mécontentement  non  seulement  parmi  les éléments arriérés, mais  aussi  parmi l'[[avant-garde]] du prolétariat. Pour réaliser  dans la pratique ce système, étant donné  la  haine  qui  règne  dans  le  prolétariat  contre  «  les  saboteurs  capitalistes  »,  le  Parti  Communiste devra s'appuyer sur la petite-bourgeoise, contre les  ouvriers  »''.  Et  ce  faisant  ''«  il  se  détruira lui-même en tant que parti du prolétariat »''. Le premier numéro de cette nouvelle revue contenait aussi un sérieux avertissement de [[Karl Radek|Radek]] : <blockquote>« Si la Révolution russe était renversée par la violence de la contre-révolution bourgeoise, elle renaîtrait de ses cendres comme le Phénix ; mais si elle perdait son caractère socialiste et décevait ainsi les travailleurs, ce coup  aurait  des  conséquences  dix  fois  plus  terribles  pour  l'avenir  de  la  révolution  russe  et internationale  »</blockquote>Le même numéro mettait en garde contre la ''« centralisation bureaucratique, la domination  de  divers  commissaires, la  perte  de  l'indépendance  des  soviets  locaux  eten pratique,  le rejet du modèle de l'État-commune administré par en bas  »''. Boukharine remarquait :  ''« C'est très bien  d'écrire  comme  Lénine  l'a  fait  (dans l'État  et la  Révolution) que  chaque  cuisinière devrait  apprendre  à diriger  l'État.  Mais  qu'arrive-t-il  quand  chaque  cuisinière  a  derrière  elle  un commissaire qui lui donne constamment des ordres ? »''.
  
Un dernier numéro du journal, publié en mai 1918, l'est comme «&nbsp;journal privé fractionnel&nbsp;». Le 5 de ce même mois, dans un article de la ''[[Pravda|Pravda]]'', [[Lénine|Lénine]] dénonce les positions de ''Kommunist'' avec vigueur&nbsp;: ''«&nbsp;nos “communistes de gauche”, qui aiment aussi se qualifier de “communistes prolétariens”, car ils n'ont pas grand-chose de prolétarien et sont surtout des petits-bourgeois, ne savent pas réfléchir au rapport des forces ni à la nécessité d'en tenir compte&nbsp;»'', ce qui signe l'arrêt de mort de ce courant. Certains anciens de Kommunist, comme [[Karl_Radek|Karl Radek]], rentrèrent dans le rang, mais d'autres, à des degrés divers, ([[Alexandra_Kollontaï|Alexandra Kollontaï]], [[Gavril_Miasnikov|Gavril Miasnikov]], [[Nikolaï_Ossinski|Ossinski]], etc.) se retrouveront dans les tendances oppositionnelles qui apparaîtront ultérieurement en Russie ou à l'étranger.
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=== Kommunist 2, avril 1918 ===
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Le  second  numéro du journal contenait  quelques  commentaires  prophétiques  d'[[Ossinsky]] :
  
== Extraits ==
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«  Nous sommes  partisans  de  la  construction  d'une  société  prolétarienne  par  la  créativité  de  classe  des travailleurs eux-mêmes, et non par des oukases des capitaines d'industrie (...). Si le prolétariat lui-même ne sait pas créer les conditions nécessaires d'une organisation socialiste du travail, personne ne peut le faire  à  sa  place.  Et  personne  ne  peut  l'y  contraindre.  Si  le  bâton  se  lève  contre  les  ouvriers,  il  se trouvera  dans  les  mains,  ou  d'une  autre  force  sociale,  ou  du  pouvoir  soviétique  lui-même.  Mais  le pouvoir  soviétique  sera  alors  obligé  de  chercher  l'appui  d'une  autre  classe  (la  paysannerie,  par exemple) contre le prolétariat, et, par là, il se détruira lui-même en tant que dictature du prolétariat. Le socialisme et l'organisation socialiste seront établis par le prolétariat lui-même ou ne seront pas ; à leur place, apparaîtra autre chose : le capitalisme d'État »<ref>Ossinsky, « O stroitelslve stsjalisma » [Sur la construction du socialisme ] Kommounist, N° 2, avril 1918</ref>
  
=== À propos du pouvoir soviétique, Kommunist 4, juin&nbsp;1918 ===
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===À propos du pouvoir soviétique, Kommunist 4, juin&nbsp;1918===
 
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Tout le monde connaît les causes qui ont arrêté le développement ultérieur de notre révolution et qui l’ont obligée à quitter sans combat les positions occupées et à entamer une retraite progressive&nbsp;: la complexité de la situation internationale, le contretemps dans l’éclatement de la révolution en Europe occidentale, les habitudes et le mode de vie petit-bourgeois de la majorité de la population, la désorganisation colossale de l’économie,&nbsp;etc. Dans cette liste, néanmoins, on oublie d’inclure encore un facteur qui a une influence négative sur le développement de la révolution russe, c’est le conservatisme des organisations soviétiques elles-mêmes, conservatisme conditionné tant par la situation matérielle (sociale) de l’armée nombreuse des permanents des Soviets que par la psychologie originale qui commence à se former chez eux en vertu de cette situation.
 
Tout le monde connaît les causes qui ont arrêté le développement ultérieur de notre révolution et qui l’ont obligée à quitter sans combat les positions occupées et à entamer une retraite progressive&nbsp;: la complexité de la situation internationale, le contretemps dans l’éclatement de la révolution en Europe occidentale, les habitudes et le mode de vie petit-bourgeois de la majorité de la population, la désorganisation colossale de l’économie,&nbsp;etc. Dans cette liste, néanmoins, on oublie d’inclure encore un facteur qui a une influence négative sur le développement de la révolution russe, c’est le conservatisme des organisations soviétiques elles-mêmes, conservatisme conditionné tant par la situation matérielle (sociale) de l’armée nombreuse des permanents des Soviets que par la psychologie originale qui commence à se former chez eux en vertu de cette situation.
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Enfin, le parti lui-même, qui est relativement mieux assuré contre la décomposition, doit renforcer son contrôle sur les fractions dans les Soviets et faire en sorte que les permanents des organisations sociales lui soient subordonnés et lui rendent des comptes.<ref>Cité par Marc Ferro, dans ''Des soviets au communisme bureaucratique'' (1980)</ref>
 
Enfin, le parti lui-même, qui est relativement mieux assuré contre la décomposition, doit renforcer son contrôle sur les fractions dans les Soviets et faire en sorte que les permanents des organisations sociales lui soient subordonnés et lui rendent des comptes.<ref>Cité par Marc Ferro, dans ''Des soviets au communisme bureaucratique'' (1980)</ref>
 
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== Liens externes ==
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*Boukharine, Ossinski, Radek, Smirnov, [http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=1483 La Revue Kommunist (Moscou, 1918)], Toulouse, Collectif d'édition Smolny, 2011&nbsp;; ouvrage réunissant l'intégralité des 4 numéros de la publication quasi-hebdomadaire moscovite.  
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*Boukharine, Ossinski, Radek, Smirnov, [http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=1483 La Revue Kommunist (Moscou, 1918)], Toulouse, Collectif d'édition Smolny, 2011&nbsp;; ouvrage réunissant l'intégralité des 4 numéros de la publication quasi-hebdomadaire moscovite.
 
*[http://www.marxists.org/glossary/periodicals/k/o.htm Courte présentation de la publication ''Kommunist''], [[Archives_Internet_des_marxistes|marxists.org]]  
 
*[http://www.marxists.org/glossary/periodicals/k/o.htm Courte présentation de la publication ''Kommunist''], [[Archives_Internet_des_marxistes|marxists.org]]  
*Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1918/05/vil19180505.htm ''Sur l'infantilisme "de gauche" et les idées petites-bourgeoises''], ''[[Pravda|Pravda]]'', 15 mai 1918&nbsp;: critique des Communistes de Gauche.
 
  
[[Category:Gauche communiste]] [[Category:Partis]] [[Category:Russie / URSS]]
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Version du 13 décembre 2019 à 20:50

Premier numéro de la révue éditée par le comité de Moscou

Le nom de Kommunist désigne le groupe et la publication des « Communistes de gauche » du Parti bolchevik, militant contre la direction léniniste du Parti. Kommunist, édité par le comité de Pétrograd du Parti bolchevik, paraît du 4 mars au 19 mars 1918 (11 numéros sous la forme journal) puis édité par le comité de Moscou d'avril à juin une revue (4 numéros).

(Ne pas confondre avec le numéro unique publié en 1915 par Lénine, Boukharine, Preobrajenski et Bosch.)

L'agitation organisée par Kommunist est aussi vive que brève. Ses principaux leaders retrouvent la ligne générale rapidement dès l'introduction du « communisme de guerre ».

1 Historique

Kommunist s'oppose aux efforts de Lénine pour trouver un terrain d'entente avec les milieux industriels et plus globalement au capitalisme d’État. Il se prononce contre les dispositions relatives à la discipline du travail et au rendement, contre le taylorisme et la gestion personnelle, contre l'octroi de postes de responsabilité aux spécialistes bourgeois. À l'inverse, les Communistes de gauche — Boukharine, Ossinski, Preobrajenski, Piatakov etc. — sont partisans d'une large autonomie des Soviets et de la création d'une armée prolétarienne. « Le Parti devra vite décider jusqu'à quel degré la dictature d'individus devra être étendue des chemins de fer et d'autres branches de l'économie au Parti lui-même »[1]

Dès le 7 mars 1918, la Conférence du parti de Leningrad, convoquée à la hâte, condamne les communistes de gauche (Boukharine, Radek, etc.) hostiles à Brest-Litovsk et à la politique ouvrière du parti, et les met en demeure de renoncer à leur existence en tant qu’organisation indépendante. (L'interdiction officielle des tendances n'aura lieu qu'au Xe Congrès — en 1921).

Kommunist dut interrompre sa publication et les organisations du groupe durent se réfugier à Moscou.

Lénine réagit violemment dans un article de la Pravda. Les thèses des « Communistes de gauche » étaient une «  honte insigne », un «  total abandon du communisme dans la pratique », un « ralliement total à la petite bourgeoisie ». Les « communistes de gauche », « pénétrés jusqu'à la moelle de la psychologie de l'intellectuel petit-bourgeois déclassé », «  se sont laissé prendre à la provocation des Issouv [leader menchevik] et autres Judas capitalistes ».[2] « Nos “communistes de gauche”, qui aiment aussi se qualifier de “communistes prolétariens”, car ils n'ont pas grand-chose de prolétarien et sont surtout des petits-bourgeois, ne savent pas réfléchir au rapport des forces ni à la nécessité d'en tenir compte ».

Durant les mois qui suivirent, les léninistes réussirent à s'emparer de la direction de l'organisation du Parti dans des régions qui avaient au départ soutenu la « gauche ». Vers la fin du mois de mai, l'organisation du Parti de la région de l'Oural (dont la composition était essentiellement prolétarienne), dirigée par Préobrajenski, et le Bureau régional de Moscou, furent « conquis » par les partisans de la direction du Parti. Le quatrième et dernier numéro de Kommounist (mai 1918) dut être publié comme l'organe «  privé » d'une tendance.

Certains anciens de Kommunist, comme Karl Radek, rentrèrent dans le rang, mais d'autres, à des degrés divers, (Alexandra Kollontaï, Gavril Miasnikov, Ossinski, etc.) se retrouveront dans les tendances oppositionnelles qui apparaîtront ultérieurement en Russie ou à l'étranger.

2 Extraits

2.1 Kommunist 1, avril 1918

Ce numéro contenait les « Thèses sur la situation actuelle » du comité de rédaction. La revue dénonçait « une politique du travail destinée à imposer une discipline aux travailleurs, sous couvert d'«  auto-discipline », l'introduction du travail obligatoire, le salaire aux pièces et l'allongement de la journée de travail. » Elle affirmait que «  l'introduction de la discipline du travail en liaison avec la restauration de la gestion capitaliste dans l'industrie ne peut pas augmenter vraiment la productivité du travail, mais elle diminuera l'initiative de classe, l'activité et la capacité d'organisation du prolétariat. Elle menace d'asservir la classe ouvrière et va accroître le mécontentement non seulement parmi les éléments arriérés, mais aussi parmi l'avant-garde du prolétariat. Pour réaliser dans la pratique ce système, étant donné la haine qui règne dans le prolétariat contre «  les saboteurs capitalistes », le Parti Communiste devra s'appuyer sur la petite-bourgeoise, contre les ouvriers ». Et ce faisant «  il se détruira lui-même en tant que parti du prolétariat ». Le premier numéro de cette nouvelle revue contenait aussi un sérieux avertissement de Radek :

« Si la Révolution russe était renversée par la violence de la contre-révolution bourgeoise, elle renaîtrait de ses cendres comme le Phénix ; mais si elle perdait son caractère socialiste et décevait ainsi les travailleurs, ce coup aurait des conséquences dix fois plus terribles pour l'avenir de la révolution russe et internationale »

Le même numéro mettait en garde contre la « centralisation bureaucratique, la domination de divers commissaires, la perte de l'indépendance des soviets locaux et, en pratique, le rejet du modèle de l'État-commune administré par en bas ». Boukharine remarquait : « C'est très bien d'écrire comme Lénine l'a fait (dans l'État et la Révolution) que chaque cuisinière devrait apprendre à diriger l'État. Mais qu'arrive-t-il quand chaque cuisinière a derrière elle un commissaire qui lui donne constamment des ordres ? ».

2.2 Kommunist 2, avril 1918

Le second numéro du journal contenait quelques commentaires prophétiques d'Ossinsky :

«  Nous sommes partisans de la construction d'une société prolétarienne par la créativité de classe des travailleurs eux-mêmes, et non par des oukases des capitaines d'industrie (...). Si le prolétariat lui-même ne sait pas créer les conditions nécessaires d'une organisation socialiste du travail, personne ne peut le faire à sa place. Et personne ne peut l'y contraindre. Si le bâton se lève contre les ouvriers, il se trouvera dans les mains, ou d'une autre force sociale, ou du pouvoir soviétique lui-même. Mais le pouvoir soviétique sera alors obligé de chercher l'appui d'une autre classe (la paysannerie, par exemple) contre le prolétariat, et, par là, il se détruira lui-même en tant que dictature du prolétariat. Le socialisme et l'organisation socialiste seront établis par le prolétariat lui-même ou ne seront pas ; à leur place, apparaîtra autre chose : le capitalisme d'État »[3]

2.3 À propos du pouvoir soviétique, Kommunist 4, juin 1918

Tout le monde connaît les causes qui ont arrêté le développement ultérieur de notre révolution et qui l’ont obligée à quitter sans combat les positions occupées et à entamer une retraite progressive : la complexité de la situation internationale, le contretemps dans l’éclatement de la révolution en Europe occidentale, les habitudes et le mode de vie petit-bourgeois de la majorité de la population, la désorganisation colossale de l’économie, etc. Dans cette liste, néanmoins, on oublie d’inclure encore un facteur qui a une influence négative sur le développement de la révolution russe, c’est le conservatisme des organisations soviétiques elles-mêmes, conservatisme conditionné tant par la situation matérielle (sociale) de l’armée nombreuse des permanents des Soviets que par la psychologie originale qui commence à se former chez eux en vertu de cette situation.

Pour nous orienter dans la question que nous abordons, nous essayerons d’approcher le problème comme le ferait un sociologue qui s’occuperait d’analyser l’origine et la composition de tel ou tel groupe social, de rechercher ses intérêts et ses tendances de groupe.

Après avoir détruit l’ancien appareil d’État et écarté les fonctionnaires qui l’avaient servi, la révolution d’Octobre a mis la classe ouvrière devant la nécessité de créer une nouvelle machine étatique, adaptée au changement de régime social. Un vaste champ s’est ouvert pour un travail actif d’organisation et des dizaines de milliers de gens ont reçu la possibilité d’utiliser leurs dons et leurs capacités dans les organisations soviétiques. De qui se composait cette vaste armée de permanents des Soviets qui s’est ruée sur les divers commissariats et commissions, directions et sections, bureaux et comités ?

Évidemment, les vieux militants expérimentés du parti y ont pénétré en priorité ; cependant, si nous voulons être de sobres réalistes, il nous faut reconnaître que seule une partie insignifiante d’entre eux est suffisamment active et infatigable pour penser au développement ultérieur de la révolution, à son mouvement en avant ; quant à la majorité des membres du parti, fatigués des longues pérégrinations de l’émigration, de l’activité épuisante de la clandestinité, de la vie pleine de dangers du révolutionnaire, aujourd’hui, après la victoire du prolétariat, elle aspire à une activité tranquille et pacifique lors de la construction du socialisme : ce groupe est enclin à considérer sa présence dans les organisations soviétiques comme l’achèvement naturel et le couronnement de son dur travail préalable et, malgré lui, il commence à adopter une attitude hostile et à éprouver une crainte cachée à l’égard de toutes les mesures extrêmes, susceptibles de troubler la tranquillité acquise avec tant de peine.

Est venue également travailler dans les organisations soviétiques cette couche semi-intellectuelle, pas très riche de connaissances, qui n’avait pas de débouché sous l’ancien régime, alors qu’aujourd’hui, grâce au sabotage du personnel technique bien instruit, quiconque possède ne fût-ce que des connaissances quelconques ou même sait simplement compter, lire et écrire est devenu un homme précieux et nécessaire, auquel on se raccroche des deux mains.

Ces semi-intellectuels (commis de boutique, secrétaires, petits fonctionnaires, petits employés, etc.) qui n’auraient même pas pu songer à une « carrière » quelconque sous l’ancien régime, aujourd’hui « s’en sont sortis pour devenir quelqu’un » grâce à la révolution d’Octobre qui a provoqué une énorme demande pour toute espèce de techniciens et spécialistes ; dans l’ensemble (nous ne parlons pas des gens isolés « qui ont des convictions » ni même des groupuscules) ils sont, bien entendu, intéressés à conserver leur situation privilégiée, et cette situation est effectivement privilégiée : un certain « poids » et une certaine considération aux yeux des gens de leur entourage, un traitement décent, une ration alimentaire supérieure, une multitude de petites faveurs et priorités, tout cela fait que le permanent soviétique moyen tient à sa place et cela ne le prédispose absolument pas à l’audace révolutionnaire […].

Dans la composition de l’armée des employés soviétiques, il faut encore inclure ce public sans vergogne qui est prêt à servir n’importe qui et sous n’importe quel régime et qui aujourd’hui, sans la moindre lutte intérieure, « s’est infiltré » dans le pouvoir soviétique ; enfin, signalons encore la multitude de techniciens et spécialistes de toute sorte qui n’éprouvent absolument aucune sympathie pour le pouvoir des Soviets et qui ne se sont mis à son service que pour toucher beaucoup d’argent, vu que les gens cultivés sont si nécessaires à la jeune république.

Ce groupe est peut-être le plus réactionnaire : c’est seulement la recherche d’un salaire (et souvent aussi la tendance à la concussion) qui pousse les membres de ce groupe à offrir leurs connaissances et leur savoir à la classe ouvrière ; l’existence même des Soviets les effraye et ils ne sont prêts à s’y résigner que dans le cas où les Soviets dégénèrent, s’adaptent au philistin, deviennent acceptables pour les larges couches de la démocratie bourgeoise ; comme les cercles dirigeants comptent avec ce groupe, l’apprécient, y tiennent, il a la possibilité d’exercer de l’intérieur une pression sur la politique des Soviets dans le sens conservateur et même réactionnaire indiqué plus haut.

Telle est la composition de ce nouveau groupe social que l’on appelle le personnel des permanents soviétiques. Vu le manque général de culture, le retard de la Russie et sa pauvreté en forces intellectuelles, elle ne pouvait pas être différente : des couches et des groupes en partie fatigués, en partie peu sûrs en qualité de fond d’ensemble et de tout petits germes et noyaux de permanents convaincus, actifs et infatigables, en qualité d’exception.

On voit d’après notre analyse que le personnel des permanents soviétiques, intéressé dans l’ensemble à conserver sa situation privilégiée et ses intérêts purement professionnels, est enclin à jouer le rôle d’un groupe social conservateur ; d’où une certaine méfiance à l’égard des masses ouvrières, une tendance à s’isoler d’elles, à se barricader, des velléités d’échapper au contrôle du parti (ce dont les journaux provinciaux du parti se plaignent tant), une crainte des secousses, une attention pas toujours suffisante aux besoins des ouvriers, un penchant aux compromis, une tendance à adapter le pouvoir soviétique effrayant au philistin petit-bourgeois moyen, une lenteur paperassière, etc.

Nous sommes loin de soutenir que le personnel soviétique s’est déjà transformé en une bureaucratie de la dernière édition, aussi irrémédiablement coupée des masses que ce qui est arrivé, par exemple, avec les cadres supérieurs des syndicats allemands, mais il est incontestable qu’il existe une tendance dans ce sens. Il va de soi qu’il n’est pas question ici de la mauvaise volonté d’individus isolés ni d’une quelconque originalité de la révolution russe : un tel danger menace n’importe quelle révolution socialiste, car le régime capitaliste a pris toutes les mesures pour détruire à la racine toute initiative des masses et pour les habituer à l’idée que l’administration de l’État doit se faire en dehors d’elles par des gens spécialement instruits pour cela (les fonctionnaires). En tout cas, il faut lutter pour éviter que la révolution d’Octobre ne soit utilisée pour servir les intérêts d’un groupe relativement insignifiant, et il n’y a qu’un moyen pour cela : entraîner les larges masses des ouvriers dans l’activité sociale, faciliter et renforcer le contrôle des ouvriers sur ce personnel qui a pour vocation de servir leurs besoins, supprimer tous les privilèges pour les permanents des organisations sociales.

Enfin, le parti lui-même, qui est relativement mieux assuré contre la décomposition, doit renforcer son contrôle sur les fractions dans les Soviets et faire en sorte que les permanents des organisations sociales lui soient subordonnés et lui rendent des comptes.[4]

3 Notes et références

  1. Preobrajenski, Kommunist, mai 1918.
  2. Lénine, Sur l'infantilisme "de gauche" et les idées petites-bourgeoises, Pravda, 5 mai 1918 : critique des Communistes de Gauche.
  3. Ossinsky, « O stroitelslve stsjalisma » [Sur la construction du socialisme ] Kommounist, N° 2, avril 1918
  4. Cité par Marc Ferro, dans Des soviets au communisme bureaucratique (1980)

4 Liens externes