Journées de juillet 1917

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Jusqu'en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui avait à l'époque 13 jours de retard sur le calendrier grégorien. Le 23 février « ancien style » correspond donc au 8 mars « nouveau style » (n.s.).
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Petrograd, 4 juillet 1917. Dispersion de la foule sur la perspective Nevski après l'ouverture du feu par les troupes du gouvernement provisoire.

Les Journées de juillet désignent les troubles qui éclatent à Petrograd, en Russie, entre le 3 et le 7 juillet 1917 (a.s) pendant lesquels des soldats et des ouvriers de la ville se révoltent contre le gouvernement provisoire. Le mouvement échoue et une vague de répression s'abat sur les bolchéviks. Lénine entre dans la clandestinité, tandis que les autres dirigeants sont arrêtés, ce qui entraîne une baisse temporaire de l'influence bolchevik.

1 Contexte

Depuis la révolution de Février, la Russie connaît une situation de double pouvoir. Le pays s'est couvert de soviets, en particulier dans les villes, mais il reste dominé par le gouvernement provisoire de Kerensky.

Etant donné que le gouvernement de collaboration de classe refuse les revendications populaires (la paix, la journée de 8 heures, la réforme agraire), les bolchéviks mènent une agitation de plus en plus efficace avec les mots d'ordre « La paix, le pain et la terre » et « Tout le pouvoir aux Soviets ». Ils progressent rapidement, mais surtout dans les milieux ouvriers urbains.

Le 3 juin 1917 s'ouvre le premier Congrès des Soviets de Russie. Les bolcheviks n'y ont que 105 délégués contre 285 pour les socialistes-révolutionnaires et 248 pour les mencheviks[1],[2], mais ils dénoncent vigoureusement l'entente avec la bourgeoisie, et Lénine déclare que le Parti bolchevik est prêt à exercer le pouvoir[3]. Dans le même temps, la tension monte parmi les soldats de Petrograd. Le Congrès des Soviets organise pour le 18 juin une manifestation de soutien aux soviets qui prend un caractère pro-bolchevik.

Alexandre Kerensky, alors ministre de la Guerre et de la Marine, persuadé que la démocratie russe ne pouvait survivre qu'avec une armée forte et disciplinée et que le moral de celle-ci avait besoin du prestige d'une victoire militaire, ordonne pour le 12 juin[4] une vaste offensive contre les forces austro-hongroises, l'« offensive Kerensky ». Le 16 juin, l'armée déclenche d'intenses pilonnage d'artillerie contre les Autrichiens pendant deux jours[5], puis passe à l'attaque. D'abord avec succès. Puis les soldats se mutinent et refusent les ordres d'attaque. Refus qui se transforme bientôt en débandade[6].

Le 20 juin, le 1er Régiment de mitrailleurs, fort de 10000 hommes, la plus importante unité de la capitale, cantonnée à Vyborg, dans la périphérie de Petrograd, reçoit l'ordre d'envoyer 500 mitrailleuses et leurs servants au front, soit la moitié de ses forces[7]. L'objectif est double : d'une part, apporter un renfort sur le front, et d'autre part se débarrasser de troupes agitées. Le régiment se mutine sous l'instigation d'agitateurs bolcheviks[8], mais cela va à l'encontre des engagements pris par le Gouvernement provisoire : les soldats ayant fait la révolution de Février à Pétrograd ne seraient pas envoyés au front, leur tâche étant de défendre la ville contre une « contre-révolution »[7].

Malgré leurs premiers succès sur le front, les Russes sont battus (les Allemands interviennent en soutien de l'armée autrichienne) et l'opération se termine le 2 juillet, aussitôt suivie par une contre-offensive des forces allemandes et austro-hongroises, le 6 juillet. L'armée est en décomposition, les désertions se multiplient, les protestations de l'arrière contre la guerre enflent.

2 Les événements

2.1 Manifestations spontanées

Après des rumeurs concernant un renforcement de la discipline dans l'armée, les soldats de la garnison de Petrograd craignent d'être envoyés au front[9]. La popularité de Kerensky se dégrade et les slogans réclamant le renversement du gouvernement provisoire trouvent un écho particulier.

Les nouvelles de l'échec de l'offensive russe en Galicie déclenchent le 3 juillet à Petrograd une vague de protestations qui se prolongent pendant quatre jours. Les 3 et 4 juillet, les soldats stationnés dans la capitale refusent de repartir au front. Rejoints par les ouvriers et les marins de Kronstadt, ils manifestent « dans le but de confier le pouvoir » au Soviet de Petrograd[10]. Les protestations des travailleurs se sont rapidement transformées en de violentes émeutes.

En parallèle, la défaite en Galicie ouvre une crise ministérielle : le prince Lvov démissionne, et Kerensky se retrouve à la tête du gouvernement provisoire. C'est lui qui prendra des mesures répressives en juillet pour maintenir l'ordre.

2.2 Hésitations des bolchéviks

Les bolcheviks s'opposent à une insurrection prématurée, estimant qu'il est encore trop tôt pour renverser le gouvernement provisoire : ils ne sont majoritaires qu'à Petrograd et Moscou. Dans le reste du pays, les conciliateurs (menchéviks et socialistes-révolutionnaires) conservent une influence majoritaire, ce qui signifie qu'un renversement du gouvernement provisoire ne serait pas soutenu et conduirait à l'échec. Ils préfèrent attendre que le gouvernement se discrédite encore un peu plus.

Mais les soldats et ouvriers de Petrograd qui viennent de se radicaliser ne sont pas des militants organisés suivant les directives du parti, et manifestent spontanément. Le Parti bolchevik est alors face à un dilemme : soit jeter son poids derrière les manifestations et, éventuellement, être écrasé, soit s'abstenir, avec le risque que de nombreux travailleurs perdent confiance en eux.

Les bolcheviks décident finalement de se joidre aux manifestations, pour se lier à cette avant-garde. Mais ils ne cherchent pas à pousser trop loin les actions. Lorsqu'il revient le 4 juillet, Lénine s'adresse aux manifestants du balcon de l'hôtel particulier de la Kschessinska, mais sans enthousiasme[9].

2.3 La répression

Les manifestations sont durement réprimées par le gouvernement, qui en profite pour viser le parti bolchévik.

Le gouvernement provisoire, effrayé du soutien qu'apporte la Garde rouge aux bolcheviks, fait venir des troupes dans la capitale, interdit la Pravda et donne l'ordre d'arrêter les dirigeants bolcheviques. Une vague de calomnie est lancé sur les bolchéviks, les accusant d'être des traîtres anti-patriotes qui reçoivent de l'argent allemand pour favoriser la défaite russe. Lénine et Grigori Zinoviev fuient et entrent dans la clandestinité en Finlande, mais beaucoup d'autres dirigeants bolcheviks sont arrêtés, entre autres Kamenev, puis Lounatcharski le 22 juillet. Trotsky est également arrêté le 22 juillet.

3 Conséquences

Avec la répression de la frange la plus révolutionnaire du mouvement, la réaction relève la tête. Le parti KD évolue de plus en plus vers la droite monarchiste et est prêt à sacrifier provisoirement la démocratie pour rétablir l'ordre. Les possédants misent sur le général Kornilov, qui a fait la démonstration dans ses troupes qu'il est prêt à rétablir une discipline de fer. Kerensky accepte de le nommer général des armées, mais la vague réactionnaire le déborde, et Kornilov tente un putsch en lançant ses troupes sur Petrograd (« affaire Kornilov »).

Le congrès du Parti bolchevik qui se tient au début d'août 1917 décide de suspendre le mot d'ordre : « Tout le pouvoir aux soviets ».

4 Débats historiographiques

Des historiens remettent en question la version défendue par les bolchéviks. Par exemple l'histoire de droite Richard Pipes écrit :

« Nul événement en Russie n'a d'avantage fait l'objet de mensonges délibérés que l'insurrection de juillet 1917. La raison en est simple, ce fut la faute la plus lourde de Lénine, une erreur de jugement qui faillit anéantir le Parti bolchevique, comparable au putsch de Munich d'Hitler en 1923. Afin de nier leur responsabilité, les bolcheviks se portèrent à des extrémités peu communes, présentant le putsch comme une manifestation spontanée qu'ils se seraient évertués à rendre pacifique. »[11]

Plus généralement les journées de juillet 1917 sont une question historiographique encore débattue. En particulier, la question du rôle exact des bolcheviks reste ouverte. Avaient-ils l'intention de renverser le Gouvernement provisoire[12] ? En avaient-ils les moyens[13],[14] ? Ont-ils essayé de le faire ? Ou la crainte d'être débordés par un mouvement spontané les a-t-ils dissuadés d'y participer trop activement[15] ? Ont-ils - en particulier Lénine - manqué de résolution ? Ont-ils délibérément joué l'apaisement pour attendre une heure plus propice ?

5 Bibliographie

  • Alexandre Rabinowitch,Les Bolcheviks prennent le pouvoir ; la révolution de 1917 à Pétrograd, traduit de l'anglais par Marc Saint-Upéry,Paris la Fabrique Editions, 2016.
  • Orlando Figes (trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, préf. Marc Ferro), La Révolution russe : 1891-1924 : la tragédie d'un peuple, Paris, Denoel, , 1107 p. (ISBN 978-2-207-25839-2)
  • Richard Pipes, La Révolution russe, Paris, P.U.F., coll. « Connaissance de l'Est », , 866 p. (ISBN 978-2-130453734), chap. 10 (« Les bolcheviks en quête du pouvoir »)
  • Michel Heller et Aleksandr Nekrich (trad. Wladimir Berelowitch et Anne Coldefy-Faucard), L'Utopie au pouvoir : Histoire de l'U.R.S.S. de 1917 à nos jours, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l'esprit », (1re éd. 1982), 680 p. (ISBN 2-7021-1397-4), chap. 1 (« Les prémisses »)
  • Georges Haupt, « Journées de juillet 1917 », Encyclopædia Universalis.
  • Collectif, Histoire du Parti communiste /bolchévik/ de l'U.R.S.S : Précis rédigé par une commission du Comité central du P.C.(b) de l'U.R.S.S, Moscou, Éditions en langues étrangères, (1re éd. 1938), 408 p., chap. VIII (« Le Parti bolchévik prépare et accomplit la révolution socialiste d'octobtre »)
  • Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, t. II : La révolution d'octobre, Le seuil, coll. « Points Essais », (1re éd. 1950), 766 p. (ISBN 2-02-026130-8), « Les bolcheviks pouvaient-ils prendre le pouvoir en Juillet ? »
  1. Pipes 1993, p.380.
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  3. Pipes 1993, p.388.
  4. Pipes 1993, p.386.
  5. Figes 2007, p.527.
  6. Pipes 1993, p.390.
  7. 7,0 et 7,1 Figes 2007, p.531.
  8. Pipes 1993, p.392.
  9. 9,0 et 9,1 Heller 1985, p.25.
  10. Marc Ferro, La Révolution de 1917, Albin Michel, Paris, 1997, p. 501.
  11. Pipes 1993, p.391.
  12. Pipes 1993, p.391.
  13. Figes 2007, p.530.
  14. Figes 2007, p.539 et 541.
  15. Figes 2007, p.535.