Iskra

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L'Iskra (littéralement L'Étincelle) était un journal marxiste du début du 20e siècle en Russie. C'était l'organe du POSDR, le Parti ouvrier social-démocrate de Russie. Il fut publié pendant trois ans à partir de 1900, sous la direction de Lénine, Martov et Plekhanov. Son but était le rassemblement des différents courants du mouvement ouvrier en Russie et la formation d'une plateforme commune.

L'Iskra fut le noyau autour duquel s'est constituée l'équipe dirigeante du POSDR.

Une revue théorique était associée à l'Iskra, la Zaria (« Aurore »), dont 4 numéros sortent d'avril 1901 à 1902. Pour Lénine « La revue doit servir surtout à la propagande, le journal surtout à l’agitation », même si tous les aspects du mouvement doivent être présents au sein des deux publications.

1 Contexte

Vers la fin du 19e siècle, ceux qui constestent l'autocratie tsariste sont principalement des libéraux bourgeois (parti KD), mais de plus en plus mollement, et surtout des socialistes. Le socialisme russe est alors dominé par le courant populiste, qui vise soit à faire une révolution à partir de la paysannerie, soit à faire des attentats contre des dignitaires du régime.

En 1883, la première cellule marxiste de Russie, Libération du Travail, est formée par d'anciens populistes : Gueorgui Plekhanov, Pavel Axelrod, Vera Zassoulitch, etc. Une grande partie de l'intelligentsia sera gagnée au marxisme au tournant du 20e siècle, mais le populisme reste influent, avec en particulier la formation en 1901 du Parti socialiste-révolutionnaire (SR). Sur le modèle de l'Internationale ouvrière, les marxistes se nomment alors « social-démocrates ». Les partis seront aussi beaucoup désignés par les diminutifs эсер (« essère », S-R) et эсдек (« essdek », S-D).

Des cercles social-démocrates, d'intellectuels ou d'ouvriers, se forment un peu partout dans l'Empire russe, mais avec une certaine hétérogénéité et sans coordination. En mars 1898, un congrès (clandestin) est organisé à Minsk pour tenter d'unifier en un parti diverses organisations marxistes ou ouvrières. Il est considéré comme le premier congrès du POSDR, mais n'a pas vraiment réussi son objectif.

2 Histoire

2.1 Le besoin d'un organe central

Un petit groupe de marxistes se retrouve dans le milieu des émigrés russes (en raison de la répression) en Europe, et cherche à fonder un véritable parti, autour d'un organe central, un journal, l’Iskra. Ce groupe (les « iskristes ») est composé d'anciens, comme Plekhanov, et de jeunes, comme Martov, et Lénine, qui est particulièrement convaincu et investi dans ce projet.  La fonction de la presse ouvrière occupait l’attention de Lénine bien avant la création du POSDR. Il consacra plusieurs années de sa vie à étudier sa pertinence et son insertion dans la classe ouvrière émergente. Le slogan de l’Iskra était « De l'étincelle jaillira la flamme », une formule lancée par le poète Alexandre Odoïevski suite à l'emprisonnement des décembristes.

Pendant qu’il était en Sibérie, Lénine correspondait avec deux autres déportés, Martov et Potressov, qui étaient fondamentalement d’accord avec lui sur le plan pour un journal et une organisation nationaux. Ils s’écrivaient longuement sur l’avenir du journal : qui devrait écrire pour lui, quand devait-il être imprimé, comment devait-il être introduit clandestinement dans les villes, quelle serait sa position sur toute une série de questions. Les trois étaient très proches, ayant à peu près le même âge (Potressov ayant un an de plus, Martov trois ans de moins que Lénine), leur temps de déportation devant se terminer plus ou moins en même temps, et tous trois partant à l’étranger pour poursuivre le plan de lancement du journal. Ils considéraient tous trois Plékhanov comme leur maître. Ils étaient si proches, en fait, que Lénine les appelait « la triple alliance ».

Lénine défendait la nécessité d'un organe central dans un article intitulé Notre tâche immédiate, rédigé vers la fin de 1899, ou encore dans Une question urgente, écrit à la même époque.

2.2 Le lancement fin 1900

En décembre 1900, le premier numéro de l’Iskra est achevé.  L'éditorial intitulé Les tâches les plus urgentes de notre mouvement est l'œuvre de Lénine lui-même, et il affirme « la nécessité d’organiser un parti révolutionnaire en coordonnant toute l’activité des groupes locaux et permettant d’organiser un travail révolutionnaire régulier ». Lénine résume encore cet objectif dans Par où commencer ?, article publié en mai 1901, dans le quatrième numéro. Il y met en avant l'importance du journal comme lien organique du Parti, permettant de mener une « politique pour toute la Russie ». Le journal est le fil conducteur permettant de bâtir une organisation efficace, rassemblant et organisant toutes les forces révolutionnaires. Lénine évoque, à cet égard, la nécessité d’établir, précisément par la réalisation d’un journal commun, produit d’une œuvre commune, une « liaison effective » entre tous les « collaborateurs », permettant de construire la médiation pratique incitant « à progresser constamment dans toutes les voies nombreuses qui mènent à la révolution ».

Le journal devait tenir un langage clair mais qui permettait, à son tour, d’élever la conscience politique des travailleurs. Lénine tenait aussi particulièrement à ce que le journal paraisse régulièrement pour devenir un point de repère.

2.3 Les débuts difficiles

Cependant le chemin n'est pas facile. Lénine reprend l'impression du journal en Allemagne, alors que Gueorgui Plekhanov voulait s'installer en Suisse. Des sociaux-démocrates allemands aident Lénine à s'installer et à trouver du matériel d'impression permettant l'impression des caractères cyrilliques. Ils collaborent également au transport clandestin et illégal du journal à travers la frontière germano-russe. L'Iskra, interdite, devait être introduite en Russie en contrebande. Mais elle devint vite le journal clandestin le plus lu depuis 50 ans.[1]

Le premier tirage aurait été fait à Leipzig le 1er décembre 1900. Selon d'autres sources, ce serait le 24 décembre[2]. Enfin selon d'autres, bien que le processus d'impression soit en cours, il est finalement retardé et le premier tirage aurait vu le jour en janvier 1901. Lénine termine la rédaction de l'Iskra, et le premier numéro peut être publié.

L’Iskra s'attache à polémiquer contre les libéraux, les narodniks, mais aussi contre divers courants qui se revendiquent du marxisme mais qui s'en éloignent : les « marxistes légaux » (abandonnant tout réel travail politique subversif), les « économistes » (abandonnant la politique au nom de la priorité aux luttes économiques)... Dans ces années-là, le pays traverse une période de politisation sociale active avec des milliers de jeunes qui se rapprochent des idées marxistes. Pour l’Iskra, il s'agit de disputer l'influence à ces courants opportunistes.

De 1901 à juillet 1903 sortent 44 numéros de l’Iskra. L'œuvre célèbre de Lénine Que faire ? (Что делать?) (1902) rassemble les développements du journal en matière d'organisation. Que faire est alors écrit au nom de toute la rédaction.

Quand Lénine était à Londres (1902–1903), le journal était édité dans un petit bâtiment au 37a Clerkenwell Green, EC1[3], avec l'aide de Henry Quelch pour le travail d'impression.[4]

Trotsky intègre le comité de rédaction de l’Iskra en 1902, sous le pseudonyme de Pero (« la plume »). Lénine l'avait proposé pour ses qualités d'écriture, et pour contrebalancer les vieux marxistes de plus en plus opportunistes (Plekhanov, Zassoulitch, Axelrod). Pendant que Lénine devenait le directeur politique du journal, sa femme Kroupskaïa était chargée de maintenir les relations avec les comités russes qui alimentaient le journal en nouvelles et dénonciations ouvrières. Trotski raconte qu'à l'automne 1902, il passait « à Samara où s'était concentré à cette époque l'état-major intérieur, c'est-à-dire non émigré, de l'Iskra. Il avait à sa tête, sous un pseudonyme de conspirateur (Clair), l'ingénieur Krjijanovsky »[5].

2.4 La rédaction tenue par les émigrés

La rédaction de l'Iskra était de fait aux mains des émigrés, qui avaient de fait beaucoup plus de facilités pour s'organiser que les cadres « de l'intérieur » (en Russie tsariste). Trotski raconte :

« J'étais arrivé à l'étranger avec cette idée que la rédaction devait se "subordonner" au comité central. Telle était la disposition d'esprit de la majorité des adeptes de l'Iskra.
_Ça ne marchera pas, me répliquait Lénine. La proportion des forces ne se présente pas ainsi. Voyons, comment feront-ils pour nous diriger du fond de la Russie ? Ça ne marchera pas... Nous sommes un centre stable, nous sommes idéologiquement plus forts, et c'est nous qui dirigerons d'ici.
_Alors, c'est la complète dictature de la rédaction? demandai-je.
_Et qu'y voyez-vous de mal? répliqua Lénine. C'est ainsi qu'il en doit être dans la présente situation. »[6]

2.5 La rupture de 1903

Au deuxième congrès du POSDR (1903), une division sur la question organisationnelle apparaît entre deux courants, l'un partisan de Lénine, l'autre de Martov. Lénine obtient une majorité (notamment avec l'aide de Plékhanov), et demande donc la majorité pour ses partisans dans la rédaction de l'Iskra. C'est suite à ce vote qu'ils seront nommés bolcheviks (de bolchinstvo, « majorité »), par opposition aux mencheviks (de menchinstvo, « minorité »). Mais ces dénominations s'imposeront plus tard. Sur le moment, on parle d'un clivage « martovistes / léninistes », ou « doux / durs ». Trotsky témoigne ainsi :

« Les collaborateurs de l'Iskra se divisèrent en "durs" et "doux". Ces appellations, comme on sait, eurent cours dans les premiers temps, prouvant que s'il n'existait pas encore de ligne de partage, il y avait pourtant une différence dans la façon d'aborder les questions, dans la décision, dans la persévérance vers le but. Pour ce qui est de Lénine et de Martov, on peut dire que même avant la scission et avant le congrès Lénine était déjà un "dur", tandis que Martov était un "doux". »[7]

Sur son propre positionnement, Trotski ajoute :

« Pourquoi me suis-je trouvé au congrès parmi les "doux"? De tous les membres de la rédaction, j'étais le plus lié avec Martov, Zassoulitch, et Axelrod. Leur influence sur moi fut indiscutable. Dans la rédaction, jusqu'au congrès, il y avait eu des nuances, mais non des dissentiments nettement exprimés. J'étais surtout éloigné de Plékhanov: après les premiers conflits, qui n'avaient en somme qu'une importance secondaire, Plékhanov m'avait pris en aversion. Lénine me traitait fort bien. Mais c'était justement lui, alors, qui, sous mes yeux, attaquait une rédaction formant à mon avis un ensemble unique et portant le nom prestigieux de l'Iskra. L'idée d'une scission dans le groupe me paraissait sacrilège.

En 1903, il ne s'agissait tout au plus que d'exclure Axelrod et Zassoulitch de la rédaction de l'Iskra. A leur égard, j'étais pénétré non seulement de respect, mais d'affection. Lénine, lui aussi, les estimait hautement pour leur passé. Mais il en était arrivé à conclure qu'ils devenaient de plus en plus gênants sur la route de l'avenir. Et, en organisateur, il décida qu'il fallait les éliminer des postes de direction. C'est à quoi je ne pouvais me résigner. Tout mon être protestait contre cette impitoyable suppression d'anciens qui étaient enfin parvenus au seuil du parti. De l'indignation que j'éprouvais alors provint ma rupture avec Lénine au IIe congrès. Sa conduite me semblait inacceptable, impardonnable, révoltante. Pourtant, cette conduite était juste au point de vue politique et, par conséquent nécessaire pour l'organisation. La rupture avec les anciens qui étaient restés figés dans l'époque préparatoire était de toutes façons inévitable. Lénine l'avait compris avant les autres. Il fit encore une tentative pour conserver Plékhanov, en le séparant de Zassoulitch et d'Axelrod. Mais cet essai, comme le montrèrent bientôt les événements, ne devait donner aucun résultat.

Ainsi, ma rupture avec Lénine eut lieu en quelque sorte sur un terrain "moral", et même sur un terrain individuel. Mais ce n'était qu'en apparence. Pour le fond, nos divergences avaient un caractère politique qui ne se manifesta que dans le domaine de l'organisation. Je me considérais comme centraliste. Mais il est hors de doute qu'en cette période je ne voyais pas tout à fait à quel point un centralisme serré et impérieux serait nécessaire au parti révolutionnaire pour mener au combat contre la vieille société des millions d'hommes. »

Les 3 membres du Comité central élus (Lengnik, Noskov et Krjijanovsky) sont des partisans de Lénine. Le comité de rédaction de l'Iskra est réduit de 6 à 3 membres (Lénine, Plekhanov et Martov). Mais aussitôt après le vote du congrès, les minoritaires vont exercer un chantage à la scission, et Plékhanov va se rallier à eux au nom de l'unité.

Lénine quitte la rédaction le 1er novembre 1903, et l'Iskra devient donc un journal « menchévik » (« minoritaires » en russe, nom donné par les partisans de Lénine). Les bolchéviks (« majoritaires ») désignaient aussi leurs rivaux de « néo-iskristes » pour différencier la nouvelle Iskra de celle de 1901-1903, à partir du numéro 53.

L'Iskra continuera à être publiée sous la direction de Plékhanov jusqu'en 1905. Elle avait un tirage d'environ 8000 exemplaires.

3 Rédacteurs

puis :

4 Voir aussi

5 Anecdotes

Il a existé un hebdomadaire satirique russe, également intitulé Iskra, qui a paru à Saint-Pétersbourg de 1859 à 1873.[8]

6 Notes et références

  1. Rice, Christopher (1990). Lenin: Portrait of a Professional Revolutionary. London: Cassell. ISBN 978-0-304-31814-8.
  2. Selon Hélène Carrère d'Encausse dans L'URSS de la Révolution à la mort de Staline
  3. Glancey, Jonathan. G2: Architecture, The Guardian, 21 June 2004
  4. John Saville,
  5. Léon Trotsky, Ma vie, 10. Première évasion, 1930
  6. Léon Trotsky, Ma vie, 12. Le congrès du parti et la scission, 1930
  7. Léon Trotsky, Ma vie, 12. Le congrès du parti et la scission, 1930
  8. Voir Искра (журнал) sur la wikipedia russe.

7 Lien externe