Insurrection d'Octobre

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Jusqu'en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui avait à l'époque 13 jours de retard sur le calendrier grégorien. Le 23 février « ancien style » correspond donc au 8 mars « nouveau style » (n.s.).

L'insurrection des 24-25 octobre 1917 (n.s : 6-7 novembre) est le point de basculement qui marque la Révolution d'Octobre. Dans la nuit, le Comité militaire révolutionnaire - dirigé par les bolchéviks et quelques socialistes-révolutionnaires de gauche - s'empare des points stratégiques de la capitale, Petrograd. Le lendemain s'ouvre le Second congrès pan-russe des soviets d'ouvriers et de soldats, qui prend les premières mesures révolutionnaires et vote la mise en place du nouveau gouvernement.

1 Conditions de l'insurrection

1.1 Majorité populaire

Juste après l'insurrection de Février 1917, dans les soviets qui se forment partout, la majorité appartient aux socialistes modérés et conciliateurs (en faveur de la coalition avec les libéraux bourgeois) : les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires (SR). Un premier congrès pan-russe des soviets d'ouvriers et de soldats se réunit en juin, et les bolchéviks n'y ont alors que 13% des délégués.

Mais au fil du temps, le gouvernement provisoire et les socialistes qui le soutenaient se sont fortement discrédités. Ils poursuivaient la guerre qui exaspéraient les paysans-soldats, ils refusaient de satisfaire les revendications paysannes de partage des terres, et les revendications ouvrières. Ils reportaient toute question d'importance à la future Assemblée constituante qui devait se tenir plus tard, mais sans cesse reportée au prétexte de la guerre. Les socialistes bolchéviks, eux, ne faisaient que se renforcer. Depuis avril, ils revendiquaient « tout le pouvoir aux soviets », comme seuls organes réellement populaires.

Les bolchéviks, en tant que marxistes, ne souhaitaient pas et ne pensaient pas possible de réaliser une véritable révolution par un coup d'Etat qui ne représente pas les aspirations des larges masses. En cela ils se différencient du blanquisme. Mais à partir de septembre, cette condition est réunie : les bolchéviks obtiennent la majorité parmi les ouvriers et les soldats, et des soulèvements éclatent dans les campagnes, que le gouvernement fait tout pour réprimer. Les bolchéviks prennent la majorité au soviet de Petrograd le 31 août et au soviet de Moscou 5 septembre.

Dans les insitutions représentatives classiques, comme les Doumas municipales et les zemstvos, le poids des bolchéviks est plus réduit que dans les soviets. Les masses ne sont pas en contact, ne discutent pas entre elles et votent dans l'isoloir, la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie sont plus présentes directement et idéologiquement... Par ailleurs les élections ont eu lieu il y a longtemps et beaucoup de zemstvos ont été élus au suffrage censitaire. Mais néanmoins en Octobre les voix pour les bolchéviks progressent partout, au fur et à mesure des réélections[1]. En revanche dans les institutions plus prolétariennes que les soviets, comme les syndicats et les comités d'usine, l'hégémonie des bolchéviks était quasi-totale.

A ce moment-là, le mot d'ordre du « pouvoir aux soviets » s'était déjà fortement matérialisé. Dans de nombreuses localités des ouvriers se mettaient en lien d'autres usines pour s'approvisionner, court-circuitant les patrons et les administrations. Face au dysfonctionnement généralisé du pays et au sabotage des possédants, le contrôle ouvrier montait comme une revendication populaire.

Milioukov craignait à raison que cette force soit devenue invincible : « De soi-même se posait la question fatale : N'est-il pas trop tard ? N'est-il pas trop tard pour déclarer la guerre aux bolcheviks ? »[2]

1.2 Convaincre le parti

Dès le 12 septembre, Lénine envoyait au Comité central bolchévik une lettre allant droit au but : « Ayant obtenu la majorité aux Soviets des députés ouvriers et soldats des deux capitales, les bolchéviks peuvent et doivent prendre en mains le pouvoir. Ils le peuvent, car la majorité agissante des éléments révolutionnaires du peuple de [Moscou et Petrograd] suffit pour entraîner les masses »[3] A ce moment-là, on n'est pas certain d'une majorité exacte pour les bolchéviks. Mais Lénine défend une vision dynamique : «  Attendre une majorité "formelle" serait naïf de la part des bolchéviks : cela aucune révolution ne l'attend ». Vu la montée des révolutionnaires, les réactionnaires vont frapper si on leur en laisse le temps. A l'inverse, si l'on agit, « en proposant sur-le-champ une paix démocratique, en donnant aussitôt la terre aux paysans, en rétablissant les institutions et les libertés démocratiques foulées aux pieds et anéanties par Kérenski, les bolchéviks formeront un gouvernement que personne ne renversera ».

On s'inquitétait alors particulièrement d'une prise de Petrograd par les Allemands, qui aurait porté un coup dur au coeur révolutionnaire, et que le gouvernement aurait pu mettre à profit. Ce danger-là s'est éloigné par la suite.

Le 29 septembre (a.s), Lénine écrit (de sa clandestinité) un article intitulé La crise est mûre, qui reconnaît ce moment historique : « Que nous ayons maintenant avec les socialistes-révolutionnaires de gauche la majorité à la fois dans les Soviets, dans l'armée et dans le pays, cela ne fait pas l'ombre d'un doute »[4]. Il souligne que l'ensemble des couches populaires, y compris petite-bourgeoises, sont en révolte. Il ajoute que des mutineries viennent d'éclater parmi les matelots de la flotte allemande en août, et replace la Russie dans un processus mondial de transformation de la guerre mondiale en révolution internationale.

Il en déduit qu'il est impératif que le parti bolchévik prenne ses responsabilités et renverse le gouvernement provisoire, sans attendre le congrès des soviets ni l'Assemblée constituante, car ce serait laisser le temps au gouvernement de réprimer les paysans, de truquer les élections, donc ce serait laisser se refermer la situation révolutionnaire. «  Tout l'avenir de la révolution ouvrière internationale pour le socialisme est en jeu. »[4]

Dans une partie privée destinée au Comité central, Lénine insistait plus explicitement sur l'urgence de l'insurrection, dénonçant avec agacement le courant «  en faveur de l'attente du Congrès des Soviets et hostile à la prise immédiate du pouvoir, hostile à l'insurrection immédiate ». Il conclut en menaçant de démissionner pour être libre de faire de la propagande dans le parti. En effet il y avait de fortes réticences dans le parti. Zinoviev et Kamenev renouvelaient leur opposition aux thèses d'avril, affirmant que la prise du pouvoir par la classe ouvrière était impossible. Trotsky lui, était pour l'insurrection mais préconisait d'attendre le Congrès des soviets, alors prévu le 20 octobre.

Lénine répondait qu'attendre officiellement le Congrès pour décider de la question du pouvoir revenait à annoncer publiquement la date de l'insurrection. « On réunira les cosaques pour le jour sottement « fixé » (...) On peut prendre le pouvoir aujourd'hui, mais du 20 au 29 octobre, on ne vous le laissera pas prendre ».

1.3 Pays en ébullition

Août et septembre deviennent les mois d'une rapide aggravation de la situation économique. Déjà, pendant les journées korniloviennes, la ration de pain avait été réduite, à Moscou comme à Pétrograd, à une demi-livre par jour. Dans le district de Moscou, on commença à ne plus délivrer que 2 livres par semaine. Les contrées de la Volga, le Midi, le front et l'arrière tout proche, toutes les régions du pays passent par une terrible crise d'approvisionnement. Dans la région textile voisine de Moscou, certaines fabriques commencèrent à être affamées au sens littéral du mot.

Les journaux, chaque jour, enregistraient de nouveaux et de nouveaux foyers de conflits et de révoltes. Les protestations venaient des ouvriers, des soldats, du petit peuple des villes. Beaucoup d’ouvriers se mettent en grève, sans suivre les appels à la prudence des soviets, des syndicats, du parti. Mais les plus avancés, déjà passés par ces étapes de débrayes, de politisation, d'organisation, considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé. Ils comprenaient bien que des grèves ne pouvaient quasiment plus rien apporter dans le contexte actuel. Convaincus de la direction révolutionnaire proposée par le parti bolchévik, ils se rallient à l’objectif de l’insurrection. Paradoxalement, c'était Pétrograd qui restait le plus calme dans le mois qui précède l'insurrection.

2 Préparatifs de l'insurrection

2.1 Les agitateurs

Vers octobre, un certains nombre de leaders bolchéviks manquent : à la fois du fait de la répression (en particulier Lénine), et du fait des désaccords de certains d'entre eux avec l'insurrection (Zinoviev, Kamenev...). Quant à Staline, il n'a eu qu'un rôle mineur dans la révolution, et il ne semble avoir presque jamais pris la parole devant les masses. Une agitation sans relâche était menée par Volodarsky, Lachévitch, Kollontaï, Tchoudnovsky, Sverdlov, Lounatcharsky... et des dizaines d'agitateurs de moindre calibre. Mais de l'avis de la plupart des observateurs de l'époque (les proches comme les Blancs), c'est Trotsky , le président du Soviet de Petrograd, qui fut le principal agitateur. Soukhanov raconte :

« S'arrachant au travail de l'état-major révolutionnaire [il] volait de l'usine Oboukhovsky à l'usine Troubotchny, de l'usine Poutilov à l'usine Baltique, du manège aux casernes, et, semblait-il, parlait simultanément dans tous les endroits. Il était connu personnellement et avait été entendu de chaque ouvrier et soldat de Petrograd. Son influence, et dans les masses, et dans l'état-major, était écrasante. Il était la figure centrale de ces jours-là et le héros principal de cette page remarquable de l'histoire. »

Mais l'immense majorité de la diffusion des idées révolutionnaires fut faite par des bolchéviks anonymes, ouvriers, matelots, soldats... Trotsky parle « d'agitation moléculaire ». Ils achevaient de convaincre les hésitants, se cotisaient pour partir convaincre dans les villes périphériques, les campagnes dont ils étaient originaires...

« Des mois de vie politique fébrile avaient créé d'innombrables cadres de la base, avaient éduqué des centaines et des milliers d'autodidactes qui s'étaient habitués à observer la politique d'en bas et non d'en haut et qui, par conséquent, appréciaient les faits et les gens avec une justesse non toujours accessible aux orateurs du genre académique. »[1]

2.2 L'enjeu de la garnison de Petrograd

Le contrôle de la garnison de Petrograd est en des enjeux cruciaux. Les soldats de Petrograd, qui se sont révoltés en Février, jouissent d'un grand prestige dans les classes populaires. Le Gouvernement provisoire s'était engagé en mars (auprès du Comité exécutif soviétique auquel ils étaient liés) à ne pas les envoyer au front, ce qui était le fondement du double pouvoir. La promesse a été trahie après la répression de Juillet où les régimes les plus radicaux ont été éloignés de la capitale.

Le 8 septembre, la section des soldats du soviet réclame le retour à Petrograd des régiments évacués en Juillet. Le gouvernement et les conciliateurs cherchaient au contraire à évacuer les autres régiments, en voie de radicalisation.

En août les conciliateurs prédominaient encore dans la garnison. Les calmonies contre les bolchéviks agents de l'Allemagne ont fait beaucoup de mal. Courant septembre, la méfiance laisse place à des sympathies ou a une neutralité expectative. Mais pas encore à une sympathie active. Et il restait une minorité à peu prés irréductible hostile aux bolcheviks (de cinq à six mille junkers, 3 régiments de Cosaques, un bataillon d'automobilistes, une division d'autos blindées). L'issue du conflit n'était donc pas encore certaine.

3 L'insurrection

3.1 Prise de la capitale

3.2 Prise du palais d'Hiver

4 Suites immédiates

La prise de Moscou fut plus violente, et dura du 28 octobre au 2 novembre. Les bolchéviks occupent le Kremlin puis la direction locale hésite et signe une trêve avec les autorités SR locales avant d’évacuer le bâtiment. Les troupes gouvernementales en profitent alors pour abattre à la mitrailleuse 300 gardes rouges désarmés, sous les ordres du maire SR Roudnev. Les SR s'associent à des monarchistes pour mener une sanglante répression. Il faudra une semaine de combats acharnés avant que les bolcheviks, conduits par Boukharine, ne s’emparent finalement de la ville.

5 Notes

6 Bibliographie