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[[File:PlanPetrograd1917.jpg|right|395x327px|PlanPetrograd1917.jpg]]{{InfoCalendrierJulien}}L''''insurrection des 24-25 octobre 1917''' (n.s : 6-7 novembre) est le point de basculement qui marque la [[Révolution_d'Octobre|Révolution d'Octobre]]. Dans la nuit, le [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] - dirigé par les [[Bolchéviks|bolchéviks]] et quelques [[Parti_socialiste-révolutionnaire|socialistes-révolutionnaires de gauche]] - s'empare des points stratégiques de la capitale, [[Petrograd|Petrograd]]. Le lendemain s'ouvre le [[Deuxième_congrès_pan-russe_des_soviets|Second congrès pan-russe des soviets d'ouvriers et de soldats]], qui prend les [[Premières_mesures_du_gouvernement_soviétique|premières mesures révolutionnaires]] et vote la mise en place du [[Soviet_des_commissaires_du_peuple|nouveau gouvernement]].
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[[File:PlanPetrograd1917.jpg|right|395x327px|PlanPetrograd1917.jpg]]  
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{{InfoCalendrierJulien}}L''''insurrection des 24-25 octobre 1917''' (n.s : 6-7 novembre) est le point de basculement qui marque la [[Révolution_d'Octobre|Révolution d'Octobre]]. Dans la nuit, le [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] - dirigé par les [[Bolchéviks|bolchéviks]] et quelques [[Parti_socialiste-révolutionnaire|socialistes-révolutionnaires de gauche]] - s'empare des points stratégiques de la capitale, [[Petrograd|Petrograd]]. Le lendemain s'ouvre le [[Deuxième_congrès_pan-russe_des_soviets|Second congrès pan-russe des soviets d'ouvriers et de soldats]], qui prend les [[Premières_mesures_du_gouvernement_soviétique|premières mesures révolutionnaires]] et vote la mise en place du [[Soviet_des_commissaires_du_peuple|nouveau gouvernement]].
    
== Conditions de l'insurrection ==
 
== Conditions de l'insurrection ==
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Mais au fil du temps, le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]] et les socialistes qui le soutenaient se sont fortement discrédités. Ils poursuivaient [[Première_guerre_mondiale|la guerre]] qui exaspéraient les paysans-soldats, et refusaient de satisfaire les [[Mouvement_paysan_en_1917|revendications paysannes]] de partage des terres, et les revendications ouvrières. Ils reportaient tout à la future [[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]] qui devait se tenir plus tard, mais sans cesse différée au prétexte de la guerre. Les socialistes [[Bolchéviks|bolchéviks]], eux, ne faisaient que se renforcer. Depuis avril, ils revendiquaient ''« tout le pouvoir aux soviets »'', comme seuls organes réellement populaires, la [[Paix_de_Brest-Litovsk|paix]], la [[Mouvement_paysan_en_1917|terre aux payans]], le [[Contrôle_ouvrier|contrôle ouvrier]]...
 
Mais au fil du temps, le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]] et les socialistes qui le soutenaient se sont fortement discrédités. Ils poursuivaient [[Première_guerre_mondiale|la guerre]] qui exaspéraient les paysans-soldats, et refusaient de satisfaire les [[Mouvement_paysan_en_1917|revendications paysannes]] de partage des terres, et les revendications ouvrières. Ils reportaient tout à la future [[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]] qui devait se tenir plus tard, mais sans cesse différée au prétexte de la guerre. Les socialistes [[Bolchéviks|bolchéviks]], eux, ne faisaient que se renforcer. Depuis avril, ils revendiquaient ''« tout le pouvoir aux soviets »'', comme seuls organes réellement populaires, la [[Paix_de_Brest-Litovsk|paix]], la [[Mouvement_paysan_en_1917|terre aux payans]], le [[Contrôle_ouvrier|contrôle ouvrier]]...
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En septembre, les bolchéviks obtiennent la majorité parmi les ouvriers et les soldats (au [[Soviet_de_Petrograd|soviet de Petrograd]] le 31 août, au [[Soviet_de_Moscou|soviet de Moscou]] 5 septembre...). Dans les insitutions représentatives classiques, comme les [[Douma_municipale|Doumas municipales]] et les [[Zemstvos|zemstvos]], le poids des bolchéviks est plus réduit que dans les [[Soviets|soviets]]. La bourgeoisie et la petite-bourgeoisie y sont plus présentes directement et influencent plus les "[[Citoyens|citoyens]]" atomisés. Par ailleurs les élections ont eu lieu il y a longtemps et beaucoup de [[Zemstvos|zemstvos]] ont été élus au [[Suffrage_censitaire|suffrage censitaire]]. Mais néanmoins en Octobre les voix pour les bolchéviks progressent partout, au fur et à mesure des réélections<span>​</span><ref name="TK41">Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr41.htm Histoire de la révolution russe - 41. Sortie du préparlement et lutte pour le congrès des soviets]'', 1930</ref>. En août-septembre, les garnisons se bolchévisent rapidement. Et dans les institutions plus prolétariennes que les soviets, comme les [[Syndicats_en_Russie|syndicats]] et les [[Comités_d'usine|comités d'usine]], l'hégémonie des bolchéviks était quasi-totale.
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En septembre, les bolchéviks obtiennent la majorité parmi les ouvriers et les soldats (au [[Soviet_de_Petrograd|soviet de Petrograd]] le 31 août, au [[Soviet_de_Moscou|soviet de Moscou]] 5 septembre...). Dans les insitutions représentatives classiques, comme les [[Douma_municipale|Doumas municipales]] et les [[Zemstvos|zemstvos]], le poids des bolchéviks est plus réduit que dans les [[Soviets|soviets]]. La bourgeoisie et la petite-bourgeoisie y sont plus présentes directement et influencent plus les "[[Citoyens|citoyens]]" atomisés. Par ailleurs les élections ont eu lieu il y a longtemps et beaucoup de [[Zemstvos|zemstvos]] ont été élus au [[Suffrage_censitaire|suffrage censitaire]]. Mais néanmoins en Octobre les voix pour les bolchéviks progressent partout, au fur et à mesure des réélections​<ref name="TK41">Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr41.htm Histoire de la révolution russe - 41. Sortie du préparlement et lutte pour le congrès des soviets]'', 1930</ref>. En août-septembre, les garnisons se bolchévisent rapidement. Et dans les institutions plus prolétariennes que les soviets, comme les [[Syndicats_en_Russie|syndicats]] et les [[Comités_d'usine|comités d'usine]], l'hégémonie des bolchéviks était quasi-totale.
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[[Milioukov|Milioukov]] craignait à raison que cette force soit devenue invincible&nbsp;: ''«&nbsp;De soi-même se posait la question fatale&nbsp;: N'est-il pas trop tard&nbsp;? N'est-il pas trop tard pour déclarer la guerre aux bolcheviks&nbsp;?&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr38.htm Histoire de la révolution russe - 38. La dernière coalition]'', 1930</ref>'' Il diagnostiqua lui même que&nbsp;: ''«&nbsp; La république bourgeoise, défendue seulement par les socialistes de tendances modérées, qui ne trouvaient plus d'appui dans les masses, ne pouvait se maintenir.&nbsp;»''
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[[Milioukov|Milioukov]] craignait à raison que cette force soit devenue invincible&nbsp;: ''«&nbsp;De soi-même se posait la question fatale&nbsp;: N'est-il pas trop tard&nbsp;? N'est-il pas trop tard pour déclarer la guerre aux bolcheviks&nbsp;?&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr38.htm Histoire de la révolution russe &ndash; 38. La dernière coalition]'', 1930</ref>'' Il diagnostiqua lui même que&nbsp;: ''«&nbsp; La république bourgeoise, défendue seulement par les socialistes de tendances modérées, qui ne trouvaient plus d'appui dans les masses, ne pouvait se maintenir.&nbsp;»''
    
=== Pays en ébullition ===
 
=== Pays en ébullition ===
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Août et septembre deviennent les mois d'une rapide aggravation de la situation économique. Dans le district de Moscou, on commença à ne plus délivrer que 2 livres par semaine, et un début de famine touche même certaines zones. La Volga, le Midi, le front et l'arrière tout proche, toutes les régions du pays passent par une terrible crise d'approvisionnement.
 
Août et septembre deviennent les mois d'une rapide aggravation de la situation économique. Dans le district de Moscou, on commença à ne plus délivrer que 2 livres par semaine, et un début de famine touche même certaines zones. La Volga, le Midi, le front et l'arrière tout proche, toutes les régions du pays passent par une terrible crise d'approvisionnement.
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Les journaux recensaient chaque jour de nouveaux foyers de révoltes des ouvriers, des soldats, du petit peuple des villes. Beaucoup d’ouvriers se mettent en [[Grève|grève]], sans suivre les appels à la prudence des [[Soviets|soviets]], des [[Syndicats_en_Russie|syndicats]], du [[Parti_bolchevik|parti]]. Mais les plus avancés, déjà passés par ces étapes de débrayes, de politisation, d'organisation, considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé. Ils comprenaient bien que des grèves ne pouvaient quasiment plus rien apporter dans le contexte actuel. Convaincus par le parti bolchévik, ils se rallient à l’objectif de l’insurrection. Paradoxalement, c'était Pétrograd qui restait le plus calme dans le mois qui précède l'insurrection.
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Les journaux recensaient chaque jour de nouveaux foyers de révoltes des ouvriers, des soldats, du petit peuple des villes. Beaucoup d’ouvriers se mettent en [[Grève|grève]], sans suivre les appels à la prudence des [[Soviets|soviets]], des [[Syndicats_en_Russie|syndicats]], du [[Parti_bolchevik|parti]]. Mais les plus avancés, déjà passés par ces étapes de débrayes, de politisation, d'organisation, considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé. Ils comprenaient bien que des grèves ne pouvaient quasiment plus rien apporter dans le contexte actuel. Convaincus par le parti bolchévik, ils se rallient à l’objectif de l’insurrection. Paradoxalement, c'était Pétrograd qui restait le plus calme dans le mois qui précède l'insurrection. Dans beaucoup de localités on va plus loin et le pouvoir effectif est de fait entre les mains des soviets.
    
En septembre, des soulèvements éclatent [[Mouvement_paysan_en_1917|dans les campagnes]]. Cela signifie que la majorité du peuple bascule côté révolutionnaire, et donc peut soutenir les bolchéviks s'ils neutralisent le gouvernement qui lui, tente de réprimer les paysans.
 
En septembre, des soulèvements éclatent [[Mouvement_paysan_en_1917|dans les campagnes]]. Cela signifie que la majorité du peuple bascule côté révolutionnaire, et donc peut soutenir les bolchéviks s'ils neutralisent le gouvernement qui lui, tente de réprimer les paysans.
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Il ne fait aucun doute qu'un des camps ([[Réaction|réaction]] ou [[Révolution_socialiste|révolution]]) devait prendre l'initiative. Dès juillet-août, [[Milioukov|Milioukov]] résumait&nbsp;: ''«&nbsp;ou Kornilov ou Lénine&nbsp;»''. Or Kornilov avait essayé et échoué... La presse bourgeoise, avec en tête la ''Rietch'' des [[Parti_KD|KD]], répétait de jour en jour qu'il ne fallait pas laisser aux bolcheviks la possibilité ''«&nbsp;de choisir leur moment pour déclarer la guerre civile&nbsp;»''.
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Il ne fait aucun doute qu'un des camps ([[Réaction|réaction]] ou [[Révolution_socialiste|révolution]]) devait prendre l'initiative. Dès juillet-août, [[Milioukov|Milioukov]] résumait&nbsp;: ''«&nbsp;ou Kornilov ou Lénine&nbsp;»''. Or [[Putsch_de_Kornilov|Kornilov avait essayé]] et échoué... La presse bourgeoise, avec en tête la ''Rietch'' des [[Parti_KD|KD]], répétait de jour en jour qu'il ne fallait pas laisser aux bolcheviks la possibilité ''«&nbsp;de choisir leur moment pour déclarer la guerre civile&nbsp;»''.
    
== Convaincre le parti ==
 
== Convaincre le parti ==
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=== ''«&nbsp;Les bolchéviks doivent prendre le pouvoir en mains&nbsp;»'' ===
 
=== ''«&nbsp;Les bolchéviks doivent prendre le pouvoir en mains&nbsp;»'' ===
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Dès le 12 septembre, [[Lénine|Lénine]] envoyait au Comité central bolchévik une lettre allant droit au but&nbsp;: ''«&nbsp;Ayant obtenu la majorité aux Soviets des députés ouvriers et soldats des deux capitales, les bolchéviks peuvent et doivent prendre en mains le pouvoir. Ils le peuvent, car la majorité agissante des éléments révolutionnaires du peuple de [Moscou et Petrograd] suffit pour entraîner les masses&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170925.htm Les bolchéviks doivent prendre en mains le pouvoir]'', 12 septembre 1917</ref> A ce moment-là, on n'est pas certain d'une majorité exacte pour les bolchéviks. Mais Lénine défend une vision dynamique&nbsp;: ''«&nbsp; Attendre une majorité "formelle" serait naïf de la part des bolchéviks&nbsp;: cela aucune révolution ne l'attend&nbsp;»''. Vu la montée des révolutionnaires, les réactionnaires vont frapper si on leur en laisse le temps. A l'inverse, si l'on agit, ''«&nbsp;en proposant sur-le-champ une paix démocratique, en donnant aussitôt la terre aux paysans, en rétablissant les institutions et les libertés démocratiques foulées aux pieds et anéanties par Kérenski, les bolchéviks formeront un gouvernement que personne ne renversera&nbsp;»''.
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Dès le 12 septembre, [[Lénine|Lénine]] envoyait au Comité central bolchévik deux lettres allant droit au but&nbsp;: ''«&nbsp;Ayant obtenu la majorité aux Soviets des députés ouvriers et soldats des deux capitales, les bolchéviks peuvent et doivent prendre en mains le pouvoir. Ils le peuvent, car la majorité agissante des éléments révolutionnaires du peuple de [Moscou et Petrograd] suffit pour entraîner les masses&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170925.htm Les bolchéviks doivent prendre en mains le pouvoir]'', 12 septembre 1917</ref> A ce moment-là, on n'est pas certain d'une majorité exacte pour les bolchéviks. Mais Lénine défend une vision dynamique&nbsp;: ''«&nbsp; Attendre une majorité "formelle" serait naïf de la part des bolchéviks&nbsp;: cela aucune révolution ne l'attend&nbsp;»''. Vu la montée des révolutionnaires, les réactionnaires vont frapper si on leur en laisse le temps. A l'inverse, si l'on agit, ''«&nbsp;en proposant sur-le-champ une paix démocratique, en donnant aussitôt la terre aux paysans, en rétablissant les institutions et les libertés démocratiques foulées aux pieds et anéanties par Kérenski, les bolchéviks formeront un gouvernement que personne ne renversera&nbsp;»''.
    
On s'inquitétait alors particulièrement d'une prise de Petrograd par les Allemands, qui aurait porté un coup dur au coeur révolutionnaire, et que le gouvernement aurait pu mettre à profit. Ce danger-là s'est éloigné par la suite, mais Lénine en voyait bien d'autres, en cas d'inaction. Plus globalement, dans cette période, Lénine critiquait constamment sur la gauche le comité central, qui accorde trop d'attention au [[Comité_exécutif_central_panrusse|Comité exécutif conciliateur]], à la [[Conférence_démocratique_(Russie)|Conférence démocratique]], et aux bavardages parlementaires en général, et ne s'occupe pas assez activement de préparer les masses à l'insurrection.
 
On s'inquitétait alors particulièrement d'une prise de Petrograd par les Allemands, qui aurait porté un coup dur au coeur révolutionnaire, et que le gouvernement aurait pu mettre à profit. Ce danger-là s'est éloigné par la suite, mais Lénine en voyait bien d'autres, en cas d'inaction. Plus globalement, dans cette période, Lénine critiquait constamment sur la gauche le comité central, qui accorde trop d'attention au [[Comité_exécutif_central_panrusse|Comité exécutif conciliateur]], à la [[Conférence_démocratique_(Russie)|Conférence démocratique]], et aux bavardages parlementaires en général, et ne s'occupe pas assez activement de préparer les masses à l'insurrection.
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Pendant la [[Conférence_démocratique_(Russie)|Conférence démocratique]] (14-22 septembre), Lénine propose de cerner le bâtiment et prendre le pouvoir. Le [[Comité_central_bolchévik|Comité central]] repousse unanimement la proposition, pour des raisons différentes&nbsp;: certains sont contre l'insurrection en général, d'autres ([[Trotsky|Trotsky]]) considèrent que ce n'est pas le moment. Le comité central repousse même l'idée de [[Boycott|boycott]] du [[Pré-parlement_(Russie)|pré-parlement]] issu de la Conférence<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170922b.htm Notes d'un publiciste]'', 22-23-24 septembre 1917</ref>.
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Pendant la [[Conférence_démocratique_(Russie)|Conférence démocratique]] (14-22 septembre), Lénine propose de cerner le bâtiment et prendre le pouvoir<span>​</span><ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170926.htm Le marxisme et l'insurrection]'', Rédigé entre les 12 et 14 septembre</ref><span>​</span>. Le [[Comité_central_bolchévik|Comité central]] repousse unanimement la proposition, pour des raisons différentes&nbsp;: certains sont contre l'insurrection en général, d'autres ([[Sverdlov|Sverdlov]], [[Trotsky|Trotsky]], [[Boukharine|Boukharine]]) considèrent que ce n'est pas le moment. Le comité central repousse même au début l'idée de [[Boycott|boycott]] du [[Pré-parlement_(Russie)|pré-parlement]] issu de la Conférence<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170922b.htm Notes d'un publiciste]'', 22-23-24 septembre 1917</ref>.
    
=== ''«&nbsp;La crise est mûre&nbsp;»'' ===
 
=== ''«&nbsp;La crise est mûre&nbsp;»'' ===
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Le 29 septembre (a.s), [[Lénine|Lénine]] écrit (de sa clandestinité) un article intitulé ''La crise est mûre'', qui reconnaît ce moment historique&nbsp;: ''«&nbsp;Que nous ayons maintenant avec les socialistes-révolutionnaires de gauche la majorité à la fois dans les Soviets, dans l'armée et dans le pays, cela ne fait pas l'ombre d'un doute&nbsp;»''<ref name="CriseMure">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171029.htm La crise est mûre]'', 29 septembre 1917</ref>. Il souligne que l'ensemble des couches populaires, y compris petite-bourgeoises, sont en révolte. Il ajoute que des mutineries viennent d'éclater parmi les matelots de la flotte allemande en août, et replace la Russie dans un processus mondial de transformation de la [[Première_Guerre_mondiale|guerre mondiale]] en [[Révolution_internationale|révolution internationale]]. Pour être des [[Internationalistes|internationalistes]] en acte, il faut que les révolutionnaires russes allument l'étincelle de leur côté. Il faut qu'ils renversent le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]], sans attendre le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]] ni l'[[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]], car ce serait lui laisser le temps de réprimer les paysans, de truquer les élections, de préparer une contre-offensive type Kornilov, et donc ce serait laisser se refermer la [[Situation_révolutionnaire|situation révolutionnaire]]. ''«&nbsp; Tout l'avenir de la révolution ouvrière internationale pour le socialisme est en jeu.&nbsp;»<ref name="CriseMure" />''
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Le 29 septembre (a.s), [[Lénine|Lénine]] écrit un article intitulé ''La crise est mûre'', qui reconnaît ce moment historique&nbsp;: ''«&nbsp;Que nous ayons maintenant avec les socialistes-révolutionnaires de gauche la majorité à la fois dans les Soviets, dans l'armée et dans le pays, cela ne fait pas l'ombre d'un doute&nbsp;»''<ref name="CriseMure">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171029.htm La crise est mûre]'', 29 septembre 1917</ref>. Il souligne que l'ensemble des couches populaires, y compris petite-bourgeoises, sont en révolte. Il ajoute que des mutineries viennent d'éclater parmi les matelots de la flotte allemande en août, et replace la Russie dans un processus mondial de transformation de la [[Première_Guerre_mondiale|guerre mondiale]] en [[Révolution_internationale|révolution internationale]]. Pour être des [[Internationalistes|internationalistes]] en acte, il faut que les révolutionnaires russes allument l'étincelle de leur côté. Il faut qu'ils renversent le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]], sans attendre le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]] ni l'[[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]], car ce serait lui laisser le temps de réprimer les paysans, de truquer les élections, de préparer une [[Putsch_de_Kornilov|contre-offensive type Kornilov]], et donc ce serait laisser se refermer la [[Situation_révolutionnaire|situation révolutionnaire]]. ''«&nbsp; Tout l'avenir de la révolution ouvrière internationale pour le socialisme est en jeu.&nbsp;»<ref name="CriseMure" />''
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Paradoxalement, de sa retraite clandestine, Lénine est peut-être plus sensible à la situation intenable des masses, étant loin des cercles conciliateurs petit-bourgeois. ''«&nbsp;A quoi bon tolérer encore trois semaines de guerre&nbsp;?&nbsp;»''<ref name="Smilga" /> Il faisait venir dans son refuge divers bolcheviks, les interrogeait à fond, envoyait des lettres à des militants plus près de la base pour susciter des pressions sur les sommets. Il s'appuie sur [[Ivar_Smilga|Smilga]], qui dirige les soviets de Finlande et qui est à l'extrême gauche du parti<ref name="Smilga">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170927.htm Lettre à  I. Smilga, président du comité régional de l'armée, de la flotte et des ouvriers de Finlande]'', 27 septembre 1917</ref>. Fin septembre, le Bureau régional de Moscou prit une résolution accusant le Comité central d'irrésolution et de confusionnisme, lui demandant de prendre ''«&nbsp;une ligne claire et déterminée vers l'insurrection&nbsp;»''.
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Paradoxalement, de sa retraite clandestine, Lénine est peut-être plus sensible à la situation intenable des masses, étant loin des cercles conciliateurs petit-bourgeois. ''«&nbsp;A quoi bon tolérer encore trois semaines de guerre&nbsp;?&nbsp;»''<ref name="Smilga" /> Il faisait venir dans son refuge divers bolcheviks, les interrogeait à fond, envoyait des lettres à des militants plus près de la base<ref name="LenLettre11017">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171001b.htm Lettre au comité central, au comité de Moscou, au comité de Pétrograd, aux membres bolchéviks des Soviets de Pétrograd et de Moscou]'', écrit le 1er  octobre 1917</ref><ref name="LenLettrePetro">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171007.htm Lettre à la conférence de la ville de Pétrograd]'', écrit le 7 octobre 1917</ref> pour susciter des pressions sur les sommets. Il s'appuie sur [[Ivar_Smilga|Smilga]], qui dirige les soviets de Finlande et qui est à l'extrême gauche du parti<ref name="Smilga">Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170927.htm Lettre à  I. Smilga, président du comité régional de l'armée, de la flotte et des ouvriers de Finlande]'', 27 septembre 1917</ref>. Fin septembre, le Bureau régional de Moscou prit une résolution accusant le Comité central d'irrésolution et de confusionnisme, lui demandant de prendre ''«&nbsp;une ligne claire et déterminée vers l'insurrection&nbsp;»''.
    
Dans une partie privée de sa lettre du 29 destinée au Comité central, [[Lénine|Lénine]] dénonçait le courant ''«&nbsp; en faveur de l'attente du Congrès des Soviets et hostile à la prise immédiate du pouvoir, hostile à l'insurrection immédiate&nbsp;»''. Il conclut en menaçant de démissionner pour être libre de faire de la propagande dans le parti. En effet il y avait de fortes réticences. [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Kamenev|Kamenev]] renouvelaient leur opposition aux [[Thèses_d'avril|thèses d'avril]], affirmant que la prise du pouvoir par la classe ouvrière était impossible. [[Trotsky|Trotsky]] était pour l'insurrection mais préconisait d'attendre le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]], alors prévu le 20 octobre. Lénine répondait qu'attendre officiellement le Congrès pour décider de la question du pouvoir revenait à annoncer publiquement la date de l'insurrection. ''«&nbsp;On réunira les cosaques pour le jour sottement "fixé" (...) On peut prendre le pouvoir aujourd'hui, mais du 20 au 29 octobre, on ne vous le laissera pas prendre&nbsp;»''.
 
Dans une partie privée de sa lettre du 29 destinée au Comité central, [[Lénine|Lénine]] dénonçait le courant ''«&nbsp; en faveur de l'attente du Congrès des Soviets et hostile à la prise immédiate du pouvoir, hostile à l'insurrection immédiate&nbsp;»''. Il conclut en menaçant de démissionner pour être libre de faire de la propagande dans le parti. En effet il y avait de fortes réticences. [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Kamenev|Kamenev]] renouvelaient leur opposition aux [[Thèses_d'avril|thèses d'avril]], affirmant que la prise du pouvoir par la classe ouvrière était impossible. [[Trotsky|Trotsky]] était pour l'insurrection mais préconisait d'attendre le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]], alors prévu le 20 octobre. Lénine répondait qu'attendre officiellement le Congrès pour décider de la question du pouvoir revenait à annoncer publiquement la date de l'insurrection. ''«&nbsp;On réunira les cosaques pour le jour sottement "fixé" (...) On peut prendre le pouvoir aujourd'hui, mais du 20 au 29 octobre, on ne vous le laissera pas prendre&nbsp;»''.
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Le 5 octobre, le Comité central décida de quitter le préparlement lors de son ouverture, le 9. [[Trotsky|Trotsky]] y fait une déclaration de sortie qui se termine par ''«&nbsp;Vive la lutte directe et ouverte pour le pouvoir révolutionnaire dans le pays&nbsp;!&nbsp;»'' Ce jour également est lancée la création du [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] (CMR) de Petrograd.
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Le 5 octobre, le Comité central décide finalement de quitter le préparlement lors de son ouverture, le 9. [[Trotsky|Trotsky]] y fait une déclaration de sortie qui se termine par ''«&nbsp;Vive la lutte directe et ouverte pour le pouvoir révolutionnaire dans le pays&nbsp;!&nbsp;»'' Ce jour également est lancée la création du [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] (CMR) de Petrograd.
    
=== Le Comité central du 10 octobre ===
 
=== Le Comité central du 10 octobre ===
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Le lendemain même, le 10, le Comité central des bolcheviks tient une réunion secrète, avec Lénine (chez [[Soukhanov|Soukhanov]] et à son insu). La motion de Lénine, faisant de l'insurrection armée la tâche pratique des journées les plus prochaines, est adoptée à 10 voix contre 2 (Zinoviev et Kamenev). Il fut convenu oralement que l'insurrection devait avoir lieu avant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]] (alors prévu le 20 octobre) et si possible avant le 15. A noter que certains membres du Comité central auraient sûrement voté contre s'ils avaient présents, comme [[Rykov|Rykov]] et [[Noguine|Noguine]]. Un certain nombre d'autres cadres dans le parti étaient contre ou très sceptiques&nbsp;: [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]], [[Tomsky|Tomsky]], [[Volodarsky|Volodarsky]], [[Mikhaïl_Vassilievitch_Frounze|Frounze]], [[Manouilsky|Manouilsky]]... Beaucoup de cadres de l'Organisation militaire du parti ([[Krylenko|Krylenko]], [[Lachevitch|Lachevitch]], [[Podvoïsky|Podvoïsky]]) avaient tendance à surestimer les difficultés techniques et à sous-estimer le soutien politique pour les bolchéviks.
 
Le lendemain même, le 10, le Comité central des bolcheviks tient une réunion secrète, avec Lénine (chez [[Soukhanov|Soukhanov]] et à son insu). La motion de Lénine, faisant de l'insurrection armée la tâche pratique des journées les plus prochaines, est adoptée à 10 voix contre 2 (Zinoviev et Kamenev). Il fut convenu oralement que l'insurrection devait avoir lieu avant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]] (alors prévu le 20 octobre) et si possible avant le 15. A noter que certains membres du Comité central auraient sûrement voté contre s'ils avaient présents, comme [[Rykov|Rykov]] et [[Noguine|Noguine]]. Un certain nombre d'autres cadres dans le parti étaient contre ou très sceptiques&nbsp;: [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]], [[Tomsky|Tomsky]], [[Volodarsky|Volodarsky]], [[Mikhaïl_Vassilievitch_Frounze|Frounze]], [[Manouilsky|Manouilsky]]... Beaucoup de cadres de l'Organisation militaire du parti ([[Krylenko|Krylenko]], [[Lachevitch|Lachevitch]], [[Podvoïsky|Podvoïsky]]) avaient tendance à surestimer les difficultés techniques et à sous-estimer le soutien politique pour les bolchéviks.
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Le vote du 10 met en action toute une frange du parti. Mais elle déclenche aussi un sursaut des opposants. [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Kamenev|Kamenev]] diffusent le lendemain un appel aux membres du parti&nbsp;: ''«&nbsp;Devant l'Histoire, devant le prolétariat international, devant la révolution russe et la classe ouvrière de Russie nous n'avons pas le droit maintenant de jouer tout l'avenir sur la carte de l'insurrection armée.&nbsp;» ''Ils envisageaient la cohabitation pacifique des [[Soviets|soviets]] bolchéviks et d'une [[Assemblée_constituante_(Russie)|Constituante]] bourgeoise, et une montée [[Gradualisme|graduelle]] de l'influence bolchévique. Enfin, beaucoup de dirigeants étaient officiellement avec la majorité, mais ne faisaient rien de concret.
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Le vote du 10 met en action toute une frange du parti. Mais elle déclenche aussi un sursaut des opposants. [[Zinoviev|Zinoviev]] et [[Kamenev|Kamenev]] diffusent le lendemain un appel aux principales organisations du parti<ref>Zinoviev et Kamenev, ''Sur le moment présent'', 11 octobre 1917</ref>, qui condamne l'insurrection, et envisage la cohabitation pacifique des [[Soviets|soviets]] bolchéviks et d'une [[Assemblée_constituante_(Russie)|Constituante]] bourgeoise, et une montée [[Gradualisme|graduelle]] de l'influence bolchévique. Enfin, beaucoup de dirigeants étaient officiellement avec la majorité, mais ne faisaient rien de concret.
    
La motion du 10 fixait une tâche au parti sans mention des soviets. Pour Lénine, il ne restait plus que les aspects techniques à résoudre. Mais ils étaient importants&nbsp;: outre le choix (arbitraire&nbsp;?) d'une date, quel organe devait réaliser l'insurrection&nbsp;? Comment concilier la légitimité d'une émanation des soviets avec son pluralisme et les préparatifs nécessairement secrets&nbsp;? C'est dans ce sens que [[Ioffé|Ioffé]] (pro-insurrection), objectait à Lénine&nbsp;: ''«&nbsp;Il n'est pas exact qu'à présent la question soit purement technique&nbsp;; même maintenant, la question du soulèvement doit être considérée du point de vue politique&nbsp;»''.
 
La motion du 10 fixait une tâche au parti sans mention des soviets. Pour Lénine, il ne restait plus que les aspects techniques à résoudre. Mais ils étaient importants&nbsp;: outre le choix (arbitraire&nbsp;?) d'une date, quel organe devait réaliser l'insurrection&nbsp;? Comment concilier la légitimité d'une émanation des soviets avec son pluralisme et les préparatifs nécessairement secrets&nbsp;? C'est dans ce sens que [[Ioffé|Ioffé]] (pro-insurrection), objectait à Lénine&nbsp;: ''«&nbsp;Il n'est pas exact qu'à présent la question soit purement technique&nbsp;; même maintenant, la question du soulèvement doit être considérée du point de vue politique&nbsp;»''.
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En août les conciliateurs prédominaient encore dans la garnison. Les calmonies contre les ''«&nbsp;bolchéviks agents de l'Allemagne&nbsp;»'' ont fait beaucoup de mal. Courant septembre, la méfiance laisse place à des sympathies ou a une neutralité expectative. Mais pas encore à une sympathie active. Et il restait une minorité à peu prés irréductible hostile aux bolcheviks, les&nbsp;éléments les plus qualifiés de l'armée (5000 [[Junkers|junkers]], 3 régiments de [[Cosaques|cosaques]], un bataillon d'automobilistes, une division d'autos blindées). L'issue du conflit n'était donc pas encore certaine, et il fallait être prudent.
 
En août les conciliateurs prédominaient encore dans la garnison. Les calmonies contre les ''«&nbsp;bolchéviks agents de l'Allemagne&nbsp;»'' ont fait beaucoup de mal. Courant septembre, la méfiance laisse place à des sympathies ou a une neutralité expectative. Mais pas encore à une sympathie active. Et il restait une minorité à peu prés irréductible hostile aux bolcheviks, les&nbsp;éléments les plus qualifiés de l'armée (5000 [[Junkers|junkers]], 3 régiments de [[Cosaques|cosaques]], un bataillon d'automobilistes, une division d'autos blindées). L'issue du conflit n'était donc pas encore certaine, et il fallait être prudent.
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Si les franges les plus radicales des ouvriers et soldats bolchéviks étaient impatientes, aux yeux de larges masses indécises, la légitimité dépendait largement de qui était responsable d'une agression. Par ailleurs le gouvernement et la presse réactionnaire tentait de monter le front contre ''«&nbsp;l'oisiveté&nbsp;»'' des soldats de Pétrograd qui refusaient d'y aller. Le [[Soviet_de_Pétrograd|Soviet de Pétrograd]] restait prudent, insistait sur l'attitude défensive des soviets face à la [[Contre-révolution|contre-révolution]], et affirmait qu'après l'expérience de Kornilov, il fallait que les soviets contrôlent eux-mêmes les besoins militaires. Ce fut une [[Revendication_transitoire|revendication transitoire]] extrêmement efficace vers le pouvoir des soviets.
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Si les franges les plus radicales des ouvriers et soldats bolchéviks étaient impatientes, aux yeux de larges masses indécises, la légitimité dépendait largement de qui était responsable d'une agression. Par ailleurs le gouvernement et la presse réactionnaire tentait de monter le front contre ''«&nbsp;l'oisiveté&nbsp;»'' des soldats de Pétrograd qui refusaient d'y aller. Le [[Soviet_de_Pétrograd|Soviet de Pétrograd]] restait prudent, insistait sur l'attitude défensive des soviets face à la [[Contre-révolution|contre-révolution]], et affirmait qu'après [[Putsch_de_Kornilov|l'expérience de Kornilov]], il fallait que les soviets contrôlent eux-mêmes les besoins militaires. Ce fut une [[Revendication_transitoire|revendication transitoire]] extrêmement efficace vers le pouvoir des soviets. Le 6 octobre, face à des rumeurs de fuite du gouvernement à Moscou devant les Allemands, [[Trotsky|Trotsky]] obtient un vote unanime de la section des soldats du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet]]&nbsp;: ''«&nbsp;Si le gouvernement provisoire est incapable de défendre Petrograd, il a l'obligation de signer la paix, ou bien de céder la place à un autre gouvernement.&nbsp;»''
    
=== Le Comité militaire révolutionnaire ===
 
=== Le Comité militaire révolutionnaire ===
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C'est dans ce but que l'idée du [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] (CMR) est actée par l'exécutif du Soviet le 9 octobre. C'était la pièce venant résoudre le dilemme des [[Bolchéviks|bolchéviks]], qui cherchaient à créer un organe qui émane des soviets, donc composant avec les partis hostiles, mais qui soit capable de se préparer à l'insurrection. Le Comité central bolchévik du lendemain prit la décision de l'insurrection. Le CMR s'insérait dans la perspective de la lutte immédiate pour la conquête du pouvoir.&nbsp; Comme le dira [[Trotsky|Trotsky]]&nbsp;:
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C'est dans ce but que l'idée du [[Comité_militaire_révolutionnaire|Comité militaire révolutionnaire]] (CMR) est actée par l'exécutif du Soviet le 9 octobre. C'était la pièce venant résoudre le dilemme des [[Bolchéviks|bolchéviks]], qui cherchaient à créer un organe qui émane des soviets, donc composant avec les partis hostiles, mais qui soit capable de se préparer à l'insurrection. Le Comité central bolchévik du lendemain prit la décision de l'insurrection. Le CMR s'insérait dans la perspective de la lutte immédiate pour la conquête du pouvoir. A ce moment selon Trotsky, l'issue de l'insurrection ''«&nbsp;était déjà prédéterminée aux trois quarts&nbsp;»''<ref name="TKlecon">Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/09/19240915g.htm Les leçons d'Octobre - Autour de la révolution d'Octobre]'', 1924</ref>.
<blockquote>«&nbsp;À partir du moment où nous, le Soviet de Petrograd, avions invalidé l'ordre de Kerensky de transférer deux tiers de la garnison au front, nous étions réellement entré dans un état d'insurrection armée... les résultats de l'insurrection du 25 octobre ont été au moins aux trois quarts réglés&nbsp;» <ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/09/19240915f.htm Les leçons d'Octobre]'', 1924</ref></blockquote>
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[[Pavel_Lasimir|Lasimir]], jeune [[SR_de_gauche|SR de gauche]] proche des bolchéviks, fut placé à la tête de la commission d'élaboration des statuts&nbsp;: se mettre en liaison avec l'arrondissement militaire de Petrograd, le front Nord, le [[Tsentrobalt|Tsentrobalt]] et le soviet régional de Finlande pour élucider la situation au front, recenser les régiments de Petrograd et des environs, faire l'inventaire des armes et munitions, maintenir la discipline dans les masses des soldats et des ouvriers. On flirte avec la limite entre défense de Petrograd et revue des forces pour l'insurrection&nbsp;: Comme le sougline [[Trotsky|Trotsky]], ce n'était pas seulement une manoeuvre conspirative&nbsp;:
 
[[Pavel_Lasimir|Lasimir]], jeune [[SR_de_gauche|SR de gauche]] proche des bolchéviks, fut placé à la tête de la commission d'élaboration des statuts&nbsp;: se mettre en liaison avec l'arrondissement militaire de Petrograd, le front Nord, le [[Tsentrobalt|Tsentrobalt]] et le soviet régional de Finlande pour élucider la situation au front, recenser les régiments de Petrograd et des environs, faire l'inventaire des armes et munitions, maintenir la discipline dans les masses des soldats et des ouvriers. On flirte avec la limite entre défense de Petrograd et revue des forces pour l'insurrection&nbsp;: Comme le sougline [[Trotsky|Trotsky]], ce n'était pas seulement une manoeuvre conspirative&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;Ces deux problèmes, qui s'excluaient jusqu'alors l'un l'autre, se rapprochaient maintenant en fait&nbsp;: ayant pris en main le pouvoir, le soviet devra se charger aussi de la défense militaire de Petrograd. L'élément du camouflage de la défense n'était point introduit par force du dehors, mais procédait jusqu'à un certain degré des conditions d'une veille d'insurrection. &nbsp;»''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;Ces deux problèmes, qui s'excluaient jusqu'alors l'un l'autre, se rapprochaient maintenant en fait&nbsp;: ayant pris en main le pouvoir, le soviet devra se charger aussi de la défense militaire de Petrograd. L'élément du camouflage de la défense n'était point introduit par force du dehors, mais procédait jusqu'à un certain degré des conditions d'une veille d'insurrection. &nbsp;»''</blockquote>  
Le 12, le Comité exécutif examina les dispositions élaborées par la commission de Lasimir. Les menchéviks, indignés mais impuissants, comprenaient très peu où les bolchéviks voulaient en venir. Le 13, c'est la section des soldats du soviet qui débat de la question du CMR. [[Dybenko|Dybenko]], président du [[Tsentrobalt|''Tsentrobalt'']], expliqua dans un langage cru que la [[Flotte_de_la_Baltique|Flotte]] avait rompu définitivement avec le gouvernement et n'hésiterait pas à pendre l'amiral. Il dément aussi les ordres de l'Etat major&nbsp;:
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Le 12, le Comité exécutif examina les dispositions élaborées par la commission de Lasimir. Les menchéviks, indignés mais impuissants, comprenaient très bien où les bolchéviks voulaient en venir. Le 13, c'est la section des soldats du soviet qui débat de la question du CMR. [[Dybenko|Dybenko]], président du [[Tsentrobalt|''Tsentrobalt'']], expliqua dans un langage cru que la [[Flotte_de_la_Baltique|Flotte]] avait rompu définitivement avec le gouvernement et n'hésiterait pas à pendre l'amiral. Il dément aussi les ordres de l'Etat major&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;On parle de la nécessité de faire marcher la garnison de Petrograd pour la défense des approches de la capitale et, en partie, de Reval. N'y croyez pas. Nous défendrons Reval nous-mêmes. Restez ici et défendez les intérêts de la révolution... Quand nous aurons besoin de votre appui, nous vous le dirons nous-mêmes et je suis certain que vous nous soutiendrez.&nbsp;»''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;On parle de la nécessité de faire marcher la garnison de Petrograd pour la défense des approches de la capitale et, en partie, de Reval. N'y croyez pas. Nous défendrons Reval nous-mêmes. Restez ici et défendez les intérêts de la révolution... Quand nous aurons besoin de votre appui, nous vous le dirons nous-mêmes et je suis certain que vous nous soutiendrez.&nbsp;»''</blockquote>  
 
Dans l'enthousiasme général, on vote pour le projet avec 283 voix contre une, avec 23 abstentions.
 
Dans l'enthousiasme général, on vote pour le projet avec 283 voix contre une, avec 23 abstentions.
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Des religieux réactionnaires et des [[Cosaques|cosaques]] fixèrent le même jour une procession dans les rues, certains espérant sans doute créer une provocation. [[John_Reed|J. Reed]] témoigne du renforcement de la sécurité&nbsp;: ''«&nbsp;Il devint dès lors peu facile d'entrer à l'Institut Smolny, le système des laissez-passer était modifié à des intervalles de quelques heures, car des espions pénétraient constamment à l'intérieur&nbsp;»''.
 
Des religieux réactionnaires et des [[Cosaques|cosaques]] fixèrent le même jour une procession dans les rues, certains espérant sans doute créer une provocation. [[John_Reed|J. Reed]] témoigne du renforcement de la sécurité&nbsp;: ''«&nbsp;Il devint dès lors peu facile d'entrer à l'Institut Smolny, le système des laissez-passer était modifié à des intervalles de quelques heures, car des espions pénétraient constamment à l'intérieur&nbsp;»''.
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[[File:Octoberrevolution 198.jpg|right|304x369px|Octoberrevolution 198.jpg]]
 
La Conférence de la garnison du 21 discuta de la préparation du 22 et confirma l'hégémonie des révolutionnaires. Dans la journée on apprit que la procession était annulée sur pression des autorités.
 
La Conférence de la garnison du 21 discuta de la préparation du 22 et confirma l'hégémonie des révolutionnaires. Dans la journée on apprit que la procession était annulée sur pression des autorités.
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Les bataillons motocyclistes, moins révolutionnaires, basculent à partir du 24. Certains désertent leur poste de garde du Palais d'Hiver. Parmi la petite minorité de l'armée non gagnable politiquement, la&nbsp;plupart n'osa pas s'engager dans la lutte au moment décisif. La majorité des soldats, tout en votant pour les bolchéviks, n'étaient pas réellement en état de se battre. Ils étaient réservistes depuis longtemps, et ils voulaient plus que tout rentrer dans leur campagne et procéder au [[Partage_des_terres|partage des terres]]. Mais il y avait suffisamment de soldats et de [[Garde_rouge_(Russie)|gardes rouges]] fiables pour vaincre.
 
Les bataillons motocyclistes, moins révolutionnaires, basculent à partir du 24. Certains désertent leur poste de garde du Palais d'Hiver. Parmi la petite minorité de l'armée non gagnable politiquement, la&nbsp;plupart n'osa pas s'engager dans la lutte au moment décisif. La majorité des soldats, tout en votant pour les bolchéviks, n'étaient pas réellement en état de se battre. Ils étaient réservistes depuis longtemps, et ils voulaient plus que tout rentrer dans leur campagne et procéder au [[Partage_des_terres|partage des terres]]. Mais il y avait suffisamment de soldats et de [[Garde_rouge_(Russie)|gardes rouges]] fiables pour vaincre.
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Pendant ce temps au [[Pré-parlement_(Russie)|pré-parlement]], [[Kerensky|Kerensky]] stigmatise la ''«&nbsp;populace&nbsp;»'' et annonce que désormais les bolchéviks ''«&nbsp;sont sujets à une liquidation immédiate, résolue et définitive&nbsp;»''. Il demande alors le soutien de l'assemblée, mais les divers socialistes sont frileux de se solidariser du gouvernement et débattent de formules tout l'après-midi. Finalement ils reprennent hypocritement une formule de [[Martov|Martov]] qui désigne le gouvernement comme co-responsable de la situation et lui demande de remettre la terre aux comités agraires et d'engager des pourparlers de paix immédiatement. Au moment des votes, les soutiens inconditionnels du gouvernement ([[Parti_KD|KD]], leaders [[Cosaques|cosaques]], [[Coopératives|coopérateurs]]) sont en minorité, ce qui décrédibilise encore plus [[Kerensky|Kerensky]].
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Pendant ce temps au [[Pré-parlement_(Russie)|pré-parlement]], [[Kerensky|Kerensky]] stigmatise la ''«&nbsp;populace&nbsp;»'' et annonce que désormais les bolchéviks ''«&nbsp;sont sujets à une liquidation immédiate, résolue et définitive&nbsp;»''. Il demande alors le soutien de l'assemblée, mais les divers socialistes sont frileux de se solidariser du gouvernement et débattent de formules tout l'après-midi. Finalement ils reprennent hypocritement une formule de [[Martov|Martov]] qui désigne le gouvernement comme co-responsable de la situation et lui demande de remettre la terre aux comités agraires et d'engager des pourparlers de paix immédiatement. Au moment des votes, les soutiens inconditionnels du gouvernement ([[Parti_KD|KD]], leaders [[Cosaques|cosaques]], [[Coopératives|coopérateurs]]) sont en minorité, ce qui décrédibilise encore plus [[Kerensky|Kerensky]]. Cette nuit-là, l'aile droite des bolchéviks discutait avec les conciliateurs pour essayer à tout prix de désamorcer la crise, et les conciliateurs tranquilisaient Kerensky, lui assurant que les bolchéviks étaient prêts à discuter.<ref name="TKlecon" />
    
Le soir à la réunion du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet]], Trotsky dément encore une insurrection offensive&nbsp;: ''«&nbsp;Le Comité ne permit pas à Kerensky de faire sortir de Petrograd les troupes révolutionnaires et prit la défense de la presse ouvrière. Est-ce là une insurrection&nbsp;? L'Aurore est aujourd'hui là où elle se trouvait la nuit dernière. Est-ce là une insurrection&nbsp;?&nbsp;»'' Il réaffirme que le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès]] disposera de ''«&nbsp;ce demi-pouvoir [qui] attend un coup de balai historique&nbsp;»'', mais prépare toutefois les esprits à ce qui en réalité était déjà prévu pour la nuit&nbsp;: ''«&nbsp;Si, cependant, le gouvernement, dans les 24 ou 48 heures dont il dispose encore, essayait d'en profiter pour planter un poignard dans le dos de la révolution, nous le déclarons une fois de plus&nbsp;: l'avant-garde de la révolution répondra coup pour coup et au fer par de l'acier&nbsp;»''.
 
Le soir à la réunion du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet]], Trotsky dément encore une insurrection offensive&nbsp;: ''«&nbsp;Le Comité ne permit pas à Kerensky de faire sortir de Petrograd les troupes révolutionnaires et prit la défense de la presse ouvrière. Est-ce là une insurrection&nbsp;? L'Aurore est aujourd'hui là où elle se trouvait la nuit dernière. Est-ce là une insurrection&nbsp;?&nbsp;»'' Il réaffirme que le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès]] disposera de ''«&nbsp;ce demi-pouvoir [qui] attend un coup de balai historique&nbsp;»'', mais prépare toutefois les esprits à ce qui en réalité était déjà prévu pour la nuit&nbsp;: ''«&nbsp;Si, cependant, le gouvernement, dans les 24 ou 48 heures dont il dispose encore, essayait d'en profiter pour planter un poignard dans le dos de la révolution, nous le déclarons une fois de plus&nbsp;: l'avant-garde de la révolution répondra coup pour coup et au fer par de l'acier&nbsp;»''.
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Plus tard, des [[Junkers|junkers]] commencent à tirer vers la place, que personne n'occupe encore. Cela renforce l'attentisme des assaillants, qui attendent les matelots de Cronstadt. Ce délai permit à quelques renforts cosaques d'arriver (malgré de fortes frictions parmi eux), puis 40 chevaliers de Saint-Georges, et enfin un [[Bataillons_de_femmes|bataillon de choc féminin]].
 
Plus tard, des [[Junkers|junkers]] commencent à tirer vers la place, que personne n'occupe encore. Cela renforce l'attentisme des assaillants, qui attendent les matelots de Cronstadt. Ce délai permit à quelques renforts cosaques d'arriver (malgré de fortes frictions parmi eux), puis 40 chevaliers de Saint-Georges, et enfin un [[Bataillons_de_femmes|bataillon de choc féminin]].
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[[File:Octoberrevolution 28.jpg|right|375x408px|Octoberrevolution 28.jpg]]
 
Finalement, les matelots de [[Cronstadt|Cronstadt]] arrivent, puis 5 vaisseaux de guerre de la [[Flotte_de_la_Baltique|flotte de la Baltique]]. A présent le palais est encerclé avec plus de forces qu'il n'en faut. Après 18h, le siège du Palais est vraiment étanche. [[Vladimir_Antonov-Ovseïenko|Antonov]] fit transmettre au Palais un ultimatum&nbsp;: ''«&nbsp;Rendez-vous et désarmez la garnison du palais d'Hiver&nbsp;; dans le cas contraire, la forteresse et les vaisseaux de guerre ouvriront le feu&nbsp;; vingt minutes pour réfléchir&nbsp;»''. Les ministres décident de ne pas répondre, et de demander l'aide de la [[Douma_de_Petrograd|Douma municipale]].
 
Finalement, les matelots de [[Cronstadt|Cronstadt]] arrivent, puis 5 vaisseaux de guerre de la [[Flotte_de_la_Baltique|flotte de la Baltique]]. A présent le palais est encerclé avec plus de forces qu'il n'en faut. Après 18h, le siège du Palais est vraiment étanche. [[Vladimir_Antonov-Ovseïenko|Antonov]] fit transmettre au Palais un ultimatum&nbsp;: ''«&nbsp;Rendez-vous et désarmez la garnison du palais d'Hiver&nbsp;; dans le cas contraire, la forteresse et les vaisseaux de guerre ouvriront le feu&nbsp;; vingt minutes pour réfléchir&nbsp;»''. Les ministres décident de ne pas répondre, et de demander l'aide de la [[Douma_de_Petrograd|Douma municipale]].
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La plupart des domestiques du palais s'étaient cachés ou enfuis. De nombreux officiers se saoulent au buffet, ce qui contribue à démoraliser les quelques troupes du Palais. Vers 21h les [[Cosaques|cosaques]] basculent tous du côté du Soviet et quittent le Palais. De discrets agitateurs s'introduisent dans le Palais pour pousser les junkers à se rendre. [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]] pénètre dans le palais pour des pourparlers. D'abord arrêté, il ressort finalement avec une partie des junkers et des chevaliers de Saint-Georges qui se rendent. Le [[Bataillon_de_femmes|bataillon de femmes]] tente alors une sortie mais doit se rendre. Peu après, le gouvernement expédie dans le pays un communiqué affirmant que la première attaque contre le palais d'Hiver a été repoussée, que l'ennemi est faible, et concluant&nbsp;: ''«&nbsp;Que l'armée et le peuple répondent&nbsp;!&nbsp;»''
 
La plupart des domestiques du palais s'étaient cachés ou enfuis. De nombreux officiers se saoulent au buffet, ce qui contribue à démoraliser les quelques troupes du Palais. Vers 21h les [[Cosaques|cosaques]] basculent tous du côté du Soviet et quittent le Palais. De discrets agitateurs s'introduisent dans le Palais pour pousser les junkers à se rendre. [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]] pénètre dans le palais pour des pourparlers. D'abord arrêté, il ressort finalement avec une partie des junkers et des chevaliers de Saint-Georges qui se rendent. Le [[Bataillon_de_femmes|bataillon de femmes]] tente alors une sortie mais doit se rendre. Peu après, le gouvernement expédie dans le pays un communiqué affirmant que la première attaque contre le palais d'Hiver a été repoussée, que l'ennemi est faible, et concluant&nbsp;: ''«&nbsp;Que l'armée et le peuple répondent&nbsp;!&nbsp;»''
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Il était prévu qu'une fois l'encerclement du palais d'Hiver achevé, une lanterne rouge devait être hissée sur le mât de la [[Forteresse_Pierre-et-Paul|forteresse Pierre-et-Paul]], et à qu'à ce signal, l'[[Croiseur_Aurore|''Aurore'']] tire un coup de canon à blanc pour faire peur. Ensuite, le [[Forteresse_Pierre-et-Paul|forteresse]] tirerait avec des projectiles légers sur le Palais. Après de nombreuses défaillances, le tir à blanc est enfin lancé. Un groupe de junkers et de femmes se rend. La forteresse se met alors à tirer pendant plus d'une heure et demi, mais les rares coups qui atteignent leur cible n'endommagent que le revêtement.
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Il était prévu qu'une fois l'encerclement du palais d'Hiver achevé, une lanterne rouge devait être hissée sur le mât de la [[Forteresse_Pierre-et-Paul|forteresse Pierre-et-Paul]], et à qu'à ce signal, l'[[Croiseur_Aurore|''Aurore'']] tire un coup de canon à blanc pour faire peur. Ensuite, la [[Forteresse_Pierre-et-Paul|forteresse]] tirerait avec des projectiles légers sur le Palais. Après de nombreuses défaillances, le tir à blanc est enfin lancé. Un groupe de junkers et de femmes se rend. La forteresse se met alors à tirer pendant plus d'une heure et demi, mais les rares coups qui atteignent leur cible n'endommagent que le revêtement. Il y avait probablement une volonté délibérée d'éviter de toucher la cible.
    
Soudain, un coup de téléphone de la [[Douma_de_Petrograd|Douma municipale]] annonce que des ''«&nbsp;citoyens&nbsp;»'' (des groupes de [[Conciliateurs|conciliateurs]]) se mettent en route pour converger en aide vers le Palais. Certains conciliateurs quittent le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]] en appelant à venir mourir avec eux... Cette colonne de 3 ou 400 personnes se heurta à un barrage de matelots et retourna piteusement sur ses pas. Ailleurs dans Petrograd, les milieux bourgeois et nobles continuaient de fréquenter les théâtres et les cinémas.
 
Soudain, un coup de téléphone de la [[Douma_de_Petrograd|Douma municipale]] annonce que des ''«&nbsp;citoyens&nbsp;»'' (des groupes de [[Conciliateurs|conciliateurs]]) se mettent en route pour converger en aide vers le Palais. Certains conciliateurs quittent le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]] en appelant à venir mourir avec eux... Cette colonne de 3 ou 400 personnes se heurta à un barrage de matelots et retourna piteusement sur ses pas. Ailleurs dans Petrograd, les milieux bourgeois et nobles continuaient de fréquenter les théâtres et les cinémas.
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A 2h16 le 26 octobre, entrant dans la salle des ministres, Antonov dit au nom du CMR&nbsp;: ''«&nbsp;Je vous déclare, à vous, membres du gouvernement provisoire, que vous êtes en état d'arrestation&nbsp;»''. Quand ils sont emmenés dans la cour, certains expriment leur rage ''«&nbsp;Fusillez-les&nbsp;! A mort&nbsp;!&nbsp;»'' Mais les [[Garde_rouge_(Russie)|gardes rouges]] les escortent jusqu'à la forteresse pour y être enfermés. Ils sont 18 en comptant les sous-secrétaires d'Etat.
 
A 2h16 le 26 octobre, entrant dans la salle des ministres, Antonov dit au nom du CMR&nbsp;: ''«&nbsp;Je vous déclare, à vous, membres du gouvernement provisoire, que vous êtes en état d'arrestation&nbsp;»''. Quand ils sont emmenés dans la cour, certains expriment leur rage ''«&nbsp;Fusillez-les&nbsp;! A mort&nbsp;!&nbsp;»'' Mais les [[Garde_rouge_(Russie)|gardes rouges]] les escortent jusqu'à la forteresse pour y être enfermés. Ils sont 18 en comptant les sous-secrétaires d'Etat.
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Aussitôt après la prise du palais d'Hiver, des bruits se répandent dans les cercles bourgeois au sujet de lynchages, d'exécutions, de viols de [[Bataillons_de_femmes|combattantes]], de pillages. Des soldats ont effectivement commencé à se servir dans un sous-sol en porcelaines, linge, etc. Mais aussitôt des gardes rouges sont intervenus : ''«&nbsp;Camarades, ne touchez à rien, c'est la propriété du peuple.&nbsp;»'' Des junkers fouillés sont aussi retrouvés avec les poches pleines. Quelques heures après, [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]] est nommé commandant du palais.
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Aussitôt après la prise du palais d'Hiver, des bruits se répandent dans les cercles bourgeois au sujet de lynchages, d'exécutions, de viols de [[Bataillons_de_femmes|combattantes]], de pillages. Des soldats ont effectivement commencé à se servir dans un sous-sol en porcelaines, linge, etc. Mais aussitôt des gardes rouges sont intervenus&nbsp;: ''«&nbsp;Camarades, ne touchez à rien, c'est la propriété du peuple.&nbsp;»'' Des junkers fouillés sont aussi retrouvés avec les poches pleines. Quelques heures après, [[Tchoudnovsky|Tchoudnovsky]] est nommé commandant du palais.
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Du côté du gouvernement il n'y eut aucune perte, et du côté insurgés, 5 marins<ref>Richard Pipes, ''La Révolution russe'', PUF, 1993</ref> et 1 soldat tués<ref>William Henry Chamberlin, ''The Russian revolution, 1917-1918: from the overthrow of the czar to the assumption of power by the bolsheviks'', 1976</ref>.
    
== Suites immédiates ==
 
== Suites immédiates ==
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=== Prise de Moscou ===
 
=== Prise de Moscou ===
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La prise de Moscou fut plus violente, et dura du 28 octobre au 2 novembre. Les bolchéviks occupent le Kremlin puis la direction locale hésite et signe une trêve avec les autorités [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] locales avant d’évacuer le bâtiment. Les troupes gouvernementales en profitent alors pour abattre à la mitrailleuse 300 [[Gardes_rouges|gardes rouges]] désarmés, sous les ordres du maire [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] [[Vadim_Roudnev|Roudnev]]. Les SR s'associent à des monarchistes pour mener une sanglante répression. Il faudra une semaine de combats acharnés avant que les bolcheviks, conduits par [[Boukharine|Boukharine]], ne s’emparent finalement de la ville.
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Lénine avait envisagé de commencer l'insurrection par Moscou<ref name="CriseMure" /><ref name="LenLettre11017" /><ref name="LenLettrePetro" /> (moins défendue), pour porter un coup imprévu. Mais il s'agissait de l'avis de beaucoup d'une mauvaise idée.
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La prise de Moscou fut plus violente, et dura du 28 octobre au 2 novembre. Les bolchéviks occupent le Kremlin puis la direction locale hésite et signe une trêve avec les autorités [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] locales avant d’évacuer le bâtiment. Les troupes gouvernementales en profitent alors pour abattre à la mitrailleuse 300 [[Gardes_rouges|gardes rouges]] désarmés, sous les ordres du maire [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] [[Vadim_Roudnev|Roudnev]]. Les SR s'associent à des monarchistes pour mener une sanglante répression. Il faudra une semaine de combats acharnés avant que les bolcheviks, conduits par [[Boukharine|Boukharine]], ne s’emparent finalement de la ville. Cela était en partie dû à des différences sociologiques et politiques objectives entre Petrograd et Moscou, mais aussi au manque de résolution de la direction locale. Ce ne fut que le 25 octobre qu'un Comité militaire révolutionnaire fut établi par le [[Soviet_de_Moscou|Soviet de Moscou]].
    
=== Répercussions ailleurs ===
 
=== Répercussions ailleurs ===
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=== L'insurrection évitable&nbsp;? ===
 
=== L'insurrection évitable&nbsp;? ===
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Après la débâcle de Kornilov, [[Lénine|Lénine]] interpelle les [[Menchéviks|menchéviks]] et les [[Parti_SR|SR]]&nbsp;: qu'ils prennent le pouvoir, et qu'on s'en remette ensuite au [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]]. Mais les conciliateurs s'obstinent dans la coalition avec la bourgeoisie, ce qui ferme cette possilité de développement pacifique de la révolution. Lénine presse alors le comité central bolchévik de se fixer comme tâche l'[[Insurrection_d'Octobre_1917|insurrection]] avant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]], pour lui remettre tout le pouvoir.
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Après la [[Putsch_de_Kornilov|débâcle de Kornilov]] et jusqu'à la [[Conférence_démocratique_(Russie)|Conférence]], [[Lénine|Lénine]] [[Interpellation|interpelle]] les [[Menchéviks|menchéviks]] et les [[Parti_SR|SR]]&nbsp;: qu'ils prennent le pouvoir, et qu'on s'en remette ensuite au [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]]. Pendant ce cours laps de temps, il soutient qu'il y a une possibilité de développement pacifique de la révolution. Mais les conciliateurs s'obstinent dans la coalition avec la bourgeoisie, ce qui referme cette possilité. Lénine presse alors le comité central bolchévik de se fixer comme tâche l'[[Insurrection_d'Octobre_1917|insurrection]] avant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|congrès des soviets]], pour lui remettre tout le pouvoir.
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Kamenev et Zinoviev, contre Lénine, soutenaient que l'insurrection n'était pas nécessaire, et qu'on pourrait conquérir graduellement et pacifiquement la majorité, en laissant cohabiter soviets et institutions bourgeoises. Selon Trotsky&nbsp;: ''«&nbsp;Si les bolcheviks n'avaient pas pris le pouvoir en octobre-novembre, ils ne l’auraient vraisemblablement jamais pris. &nbsp;»''
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[[Kamenev|Kamenev]] et [[Zinoviev|Zinoviev]], contre Lénine, soutenaient que l'insurrection n'était pas nécessaire, et qu'on pourrait conquérir graduellement et pacifiquement la majorité, en laissant cohabiter soviets et institutions bourgeoises. Selon Trotsky&nbsp;: ''«&nbsp;Si les bolcheviks n'avaient pas pris le pouvoir en octobre-novembre, ils ne l’auraient vraisemblablement jamais pris. &nbsp;»''
    
=== La clémence des révolutionnaires ===
 
=== La clémence des révolutionnaires ===
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Mais précisément, les ouvriers et soldats de Petrograd avaient déjà connu cette fusion populaire, principalement en Février, et de plus en plus fortifiée au fil des mois. Le niveau d'organisation des casernes et des quartiers ouvriers n'avait fait que se renforcer. Ces masses populaires formaient une unité politique de masse comme il y en a rarement eu dans l'histoire, et cet ensemble avait incontestablement confiance dans les leaders bolchéviks. Des explosions spontanées avaient déjà eu lieu, comme en juillet, et avaient échoué parce qu'elles manquaient de vision d'ensemble pour choisir le bon moment. En ces journées d'Octobre, toutes les conditions étaient réunies. Pourquoi les bolchéviks n'auraient-ils pas pris la décision de frapper le plus méthodiquement possible pour l'emporter&nbsp;?
 
Mais précisément, les ouvriers et soldats de Petrograd avaient déjà connu cette fusion populaire, principalement en Février, et de plus en plus fortifiée au fil des mois. Le niveau d'organisation des casernes et des quartiers ouvriers n'avait fait que se renforcer. Ces masses populaires formaient une unité politique de masse comme il y en a rarement eu dans l'histoire, et cet ensemble avait incontestablement confiance dans les leaders bolchéviks. Des explosions spontanées avaient déjà eu lieu, comme en juillet, et avaient échoué parce qu'elles manquaient de vision d'ensemble pour choisir le bon moment. En ces journées d'Octobre, toutes les conditions étaient réunies. Pourquoi les bolchéviks n'auraient-ils pas pris la décision de frapper le plus méthodiquement possible pour l'emporter&nbsp;?
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=== Révisionnisme stalinien ===
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Dans la [[Pravda|''Pravda'']] du 7 novembre 1918, [[Staline|Staline]] écrit un article pour l'anniversaire de l'Insurrection d'Octobre. Il tentait déjà d'atténuer le rôle de Trotsky, en soulignant qu'il y avait eu une direction générale du comité central (alors qu'à ce moment-là, Lénine était caché en Finlande, Kamenev, Zinoviev, Rykov, et Kalinine s'opposaient à l'insurrection, Staline ne se mouillait pas...). Mais Staline était forcé d'écrire ceci&nbsp;:
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''«&nbsp;Tout le travail d'organisation pratique de l'insurrection se fit sous la direction immédiate de Trotsky, président du soviet de Pétrograd. On peut dire en toute assurance que le parti doit avant tout et surtout au camarade Trotsky la rapide adhésion de la garnison du soviet et l'habile organisation du comité de guerre révolutionnaire.&nbsp;»''
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Il fallut encore plusieurs années pour que Staline ait le rapport de force pour pouvoir réviser l'histoire et dire que Trotsky n'a joué aucun rôle particulier ni dans le parti, ni dans la révolution d'Octobre.
    
== Notes ==
 
== Notes ==
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== Bibliographie ==
 
== Bibliographie ==
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{{Article détaillé|Bibliographie sur la révolution russe de 1917}}
    
*John Reed, [[Dix_jours_qui_ébranlèrent_le_monde|''Dix jours qui ébranlèrent le monde'']], 1919  
 
*John Reed, [[Dix_jours_qui_ébranlèrent_le_monde|''Dix jours qui ébranlèrent le monde'']], 1919  
*Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr42.htm Histoire de la révolution russe - 42. Le Comité militaire révolutionnaire]'', 1930
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*Raskolnivov, ''Kronstadt et Petrograd en 1917'', 1925
*Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr43.htm Histoire de la révolution russe - 43. Lénine appelle à l'insurrection]'', 1930
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*Léon Trotsky, ''Histoire de la révolution russe'', 1932
*Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr44.htm Histoire de la révolution russe - 44. L'art de l'insurrection]'', 1930
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**''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr42.htm 42. Le Comité militaire révolutionnaire]''  
*Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr45.htm Histoire de la révolution russe - 45. La prise de la capitale]'', 1930
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**''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr43.htm 43. Lénine appelle à l'insurrection]''  
*Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr46.htm Histoire de la révolution russe - 46. La prise du palais d'Hiver]'', 1930
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**''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr44.htm 44. L'art de l'insurrection]''  
*Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr47.htm Histoire de la révolution russe - 47. L'insurrection d'Octobre]'', 1930
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**''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr45.htm 45. La prise de la capitale]''  
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**''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr46.htm 46. La prise du palais d'Hiver]''  
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**''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr47.htm 47. L'insurrection d'Octobre]''  
    
[[Category:Russie / URSS]] [[Category:Histoire]] [[Category:Révolution]]
 
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