Différences entre les versions de « Impérialisme »

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
m
m
Ligne 85 : Ligne 85 :
 
Avec l'incomparable avantage que conférait aux conquérants la technologie moderne en constant développement, le monde fut vite quasi-entièrement englobé dans les sphères d'influence de telle ou telle métropole, que ce soit par occupation directe ou par tutelle économique. Pour les capitalistes, le passage obligé pour changer la donne était alors la guerre entre puissances. L'Allemagne, qui connaissait la plus forte croissance d'Europe, n'avait pas de colonies et bouillonnait à l'intérieur de ses frontières. Le jeu des alliances diplomatiques en fonction des intérêts de chaque puissance a tôt eu fait d'entraîner la [[Première_guerre_mondiale|première guerre mondiale]].
 
Avec l'incomparable avantage que conférait aux conquérants la technologie moderne en constant développement, le monde fut vite quasi-entièrement englobé dans les sphères d'influence de telle ou telle métropole, que ce soit par occupation directe ou par tutelle économique. Pour les capitalistes, le passage obligé pour changer la donne était alors la guerre entre puissances. L'Allemagne, qui connaissait la plus forte croissance d'Europe, n'avait pas de colonies et bouillonnait à l'intérieur de ses frontières. Le jeu des alliances diplomatiques en fonction des intérêts de chaque puissance a tôt eu fait d'entraîner la [[Première_guerre_mondiale|première guerre mondiale]].
  
 +
=== Le pacifisme bourgeois de la Société des Nations ===
 +
 +
Trotsky avait par ailleurs dénoncé la [[Société_des_nations|Société des nations]], depuis l’origine. Aussi bien lorsqu’elle n’était qu’une idée du président des États-Unis&nbsp;: ''«&nbsp;la démarche de Wilson était une tentative faite par les ploutocrates de New-York et de Chicago pour assujettir l’Europe et le monde entier&nbsp;''»<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1920/12/lt19201215.htm ''Discours prononcé au deuxième Congrès de l'Internationale Communiste''], 1920</ref>… que sous la forme qu’elle a finalement prise (sans les États-Unis), jusqu’à voler en éclats au milieu des tensions des années 1930&nbsp;:
 +
<blockquote>
 +
''«&nbsp;Tous les gouvernements ont peur de la guerre. Mais aucun n'est libre de son choix. […]&nbsp;La SDN, qui, selon son programme officiel, devait «organiser la paix», et qui était en réalité conçue pour perpétuer le système de Versailles, neutraliser l'hégémonie des Etats-Unis et constituer un bastion contre l'Orient rouge, n'a pu surmonter le choc des contradictions impérialistes.&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1934/06/34061000.htm ''La guerre et la IVe Internationale''], 1934</ref>
 +
</blockquote>
 
== Evolutions des formes de l'impérialisme ==
 
== Evolutions des formes de l'impérialisme ==
  

Version du 4 mars 2016 à 23:49

L'impérialisme a un sens général, de domination et d'expansionnisme de la part d'un pays sur d'autres, et un sens particulier de stade impérialiste du capitalisme.

1 L'impérialisme, en général

L'impérialisme, en tant qu'expansionnisme par les conquêtes d'une nation sur d'autres est un trait très ancient des sociétés humaines. Depuis que des classes dominantes existent, organisées en différents États, elles sont sans cesse engagées dans des rivalités pour l'obtention de richesses, le contrôle de ressources naturelles ou d'esclaves.

« L'histoire a connu l'impérialisme de l'Etat romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc. »[1]

Les Grecs et les Phéniciens ont fait un pacte vers -500 pour se partager la péninsule ibérique : les Phéniciens avaient le contrôle sur les terres au sud de l’Ebre. Un des enjeux était le contrôle des mines.

Conflit entre Rome et Carthage autour de la Sicile entre -264 et -241.

2 L'impérialisme vu par Marx et Engels

Marx et Engels n’employaient pas le terme d’impérialisme, sauf en tant que synonyme de bonapartisme. Mais ils ont écrit, de fait, sur les rapports de domination entre nations. Dans leurs premiers écrits, ils affichent un enthousiasme sans limite sur le « progrès » de la mondialisation capitaliste. Même s'ils dénoncent les méthodes brutales, cela les conduit à voir d'un bon oeil les politiques d'expansion des capitalistes occidentaux qui diffusent le mode de production capitaliste, et donc, prochainement, la révolution socialiste.

En ce qui concerne le positionnement politique en cas de guerre, Marx et Engels n’ont jamais produit de schéma simple et systématique. Ils reprenaient une opposition qui était alors courante entre « guerre dynastique » (pour les intérêts des despotes) et « guerre nationale » (ou « guerre populaire », progressiste). Comme les démocrates de l’époque, ils sont restés marqués par les conquêtes de Napoléon 1er, jugées « progressistes » parce que diffusant les idées et les transformations de 1789.

Ils cherchaient à déterminer le camp dont la victoire pourrait favoriser des révolutions démocratiques-bourgeoises et des unifications nationales. A l’inverse, ils souhaitaient la défaite des Empires aristocratiques comme l’Autriche-Hongrie et surtout la Russie tsariste qui exerçait une « suprématie en Europe » et qui était « l'ennemi de tous les peuples occidentaux, même des bourgeois de tous ces peuples ».

3 Débats dans la social-démocratie

Le terme d’impérialisme commence à être utilisé à la fin du 19e siècle dans la politique anglaise, où certains le dénoncent, et d’autres comme le premier ministre Chamberlain le revendiquent. A cette époque, les marxistes parlaient de « politique internationale », de colonialisme ou de militarisme. Kautsky l’emploie au plus tard en 1900.[2]

3.1 Le colonialisme et la guerre

L’opposition à la guerre qui menaçait faisait officiellement consensus dans la Deuxième internationale. Cette guerre était même caractérisée comme « impérialiste ». Mais lors du congrès de Stuttgart (1907), les délégués allemands, y compris les centristes, refusent de s’engager sur la grève générale, au motif qu’elle désintègrerait le parti. Finalement, Lénine et Luxemburg, entre autres, obtiennent les voix du centre sur cette formulation : « Au cas où la guerre éclaterait [les socialistes] ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

La social-démocratie condamnait également le colonialisme. Mais il y avait une aile droite, comme Eduard Bernstein qui disait en 1896 : « Nous condamnons certaines méthodes pour soumettre les sauvages. Mais nous ne condamnons pas l’idée que les sauvages doivent être soumis ». Il était régulièrement mis en minorité (mais jamais exclu), et combattu par les théoriciens « centristes » (Karl Kautsky, Rudolf Hilferding, Otto Bauer...).

Mais l’opportunisme allait croissant dans l’appareil social-démocrate. Une fièvre nationaliste déferle sur l’Allemagne en 1907 après un massacre colonial en Namibie, et le SPD perd soudain la moitié de ses votes. Bien que la majorité du congrès international de Stuttgart réaffirme sa condamnation du colonialisme, la droite et même des membres du centre prônent une adaptation. Bernstein osait dire que le SPD devait « développer en positif une politique coloniale socialiste ». Au Reichstag, les députés socialistes assouplissent de plus en plus leur position antimilitariste.

3.2 Premières théories sur l'impérialisme

En 1898, Kautsky expliquait le militarisme allemand par les intérêts des « éléments précapitalistes » de la classe dirigeante (seigneurs féodaux et junkers). Il a rapidement ajouté que certains capitalistes aussi (secteur minier, ferroviaire...) avaient intérêt à investir à l'étranger, et demandaient la protection militaire pour garantir leurs profits.

Bernstein affirme que les cartels internationaux créent des intérêts communs et sont vecteurs de paix. Kautsky répond que ces cartels sont des constructions fragiles, et que : « les droits de douane protecteurs sont plus faciles à introduire qu'à abolir, en particulier dans une telle période où la concurrence fait rage sur le marché mondial ».[3] Rosa Luxemburg également pense que les cartels « s’accompagnent toujours d’une guerre douanière générale »[4]. Kautsky défend que le militarisme est soutenu par les « rois de la finance moderne [qui] dominent les nations directement par des cartels et des trusts ». Il estime que les industriels eux n’ont pas intérêt aux guerres (à cause des impôts, des ruptures des échanges...), mais que « la finance domine de plus en plus l'industrie. » Kautsky voit aussi venir une période de guerres et de révolutions (socialistes, mais aussi anti-coloniales), et décrit l’impérialisme comme « le dernier refuge du capitalisme ». Il se plaint du racisme présent y compris dans la social-démocratie. Et par ailleurs il développe l’idée d’aristocratie ouvrière.[5]

L’analyse[6] de John A. Hobson (1902), un intellectuel libéral anglais, a marqué les théoriciens social-démocrates. Il soutient qu’en raison de la sous-consommation des ouvriers, les financiers préfèrent investir dans des colonies (en s’appuyant sur les militaires), transformant en États-rentiers l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Belgique...

Poursuivant l’analyse, Rudolf Hilferding affirme[7] que le capital financier (monopoles industriels et bancaires) attise un protectionnisme offensif et s’appuie sur l’Etat pour assurer ses investissements plus rentables à l’étranger. Mais il dit à la fois que le capital financier « veut non pas la liberté, mais la domination » (ce que retiendra Lénine), et qu’il crée une possibilité de dépassement des rivalités si l’Etat intervient (ce que retiendra Jaurès).

Dans son ouvrage[8] de 1913, Luxemburg donne une analyse du capitalisme centrée sur le problème des débouchés. Selon elle, la reproduction du capital a « comme première condition un cercle d’acheteurs qui se situent en dehors de la société capitaliste ». Ainsi le capitalisme a besoin d’élargir toujours ses marchés, notamment par les colonies. Son but était de réfuter les révisionnistes, en prouvant qu’il y avait forcément une limite au capitalisme (les colonies ne sont pas infinies) et que le capital engendre forcément une politique impérialiste. Par ailleurs elle remarquait « dans les pays coloniaux les formes hybrides entre le salariat moderne et les régimes d'exploitation primitive » ce qui peut rappeler ce que Trotsky appellera plus tard développement_inégal_et_combiné.

Les autres théoriciens de la gauche du parti (Lénine, Boukharine, Pannekoek, Trotsky) ont eux aussi, chacun à leur manière (et largement influencés par ces débats), cherché à établir que le colonialisme et la guerre impérialiste étaient intrinsèquement issus du capitalisme, et donc que seule la révolution socialiste pouvait y mettre fin.

3.3 L'ultra-impérialisme

Kautsky commence à parler en 1911 d’une possibilité que la bourgeoisie rejette la guerre, après qu’un conflit entre l’Allemagne et la France pour la domination du Maroc n’ait finalement pas éclaté. Il souligne que la course aux armements coûte cher et que le militarisme n’est pas rationnel économiquement. Mais il ne fait pas que discuter de tendances, il dit qu’il ne faut pas hésiter à soutenir les pacifistes bourgeois[9]. Rosa Luxemburg est une des seules à vraiment réagir[10].

La même année en France, Jaurès tient le même discours (en contradiction lui aussi avec son passé : « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage »[11]). Dans un discours à l’Assemblée[12], il déclare : « Avec l'internationalisme croissant des affaires, les intérêts de tous les peuples sont à ce point enchevêtrés qu'un désastre de l'un est un désastre pour tous ». Il vantait les vertus pacifistes de « trois forces »: l’internationalisme ouvrier, les États-Unis, et le « capitalisme moderne ». Il entendait par ce dernier la dématérialisation du capital (capital par action) qui permettait une plus grande mobilité, un plus grand « enchevêtrement » des intérêts. Il disait que la fin de la domination des propriétaires fonciers entraînerait la fin de la motivation des conquêtes territoriales, concluant : « Ce que je vous dis là, c'est le résumé affaibli de l'œuvre magistrale que publiait, il y a quelques mois, un disciple de Marx, Hilferding, dans une œuvre de premier ordre sur le capital et la finance. »

Au moment du déclenchement de la guerre, Kautsky rend son adresse à la bourgeoisie de façon plus ouvertement opportuniste :

« l’industrie capitaliste est menacée par les conflits entre les différents gouvernements. Tout capitaliste conscient devrait en appeler à ses semblables : Capitalistes de tous pays, unissez-vous ! »[13]  « C'est par la démocratie pacifique, et non par les méthodes violentes de l'impérialisme, que les tendances du capital à l'expansion peuvent être le mieux favorisées. »[14]

A partir de ce moment, il se met à parler abondamment de son « ultra-impérialisme » (ou « super-impérialisme ») :

 « D'un point de vue purement économique, il n’est donc pas impossible que le capitalisme entre maintenant dans une nouvelle phase, marquée par le transfert des méthodes des trusts à la politique internationale, une sorte de super-impérialisme. La classe ouvrière serait forcé de lutter contre cette nouvelle forme de capitalisme comme contre l'ancien, mais le danger serait d’une autre nature. »[13]

Répondant à Lénine, il maintient que l'impérialisme n’est « pas une nécessité économique », n’est « pas un stade du capitalisme ». Après la guerre, il soutient ardemment la tentative de Wilson (président des Etats-Unis) pour établir une Société des nations.

4 L'impérialisme comme aboutissement du capitalisme

4.1 Centralisation du capital

Au tournant du 20ème siècle, le capitalisme n'a plus la structure qu'il avait au 19ème. Au sein du règne de la libre-concurrence, de grandes entreprises se sont fortifiées jusqu'à absorber leurs rivales et à étendre leur influence sur le monde. De grands conglomérats ont commencé à voir le jour, ainsi que des ententes et des cartels entre eux, créant de plus en plus de situations de quasi-monopoles. C'est ce que l'on appelle la centralisation du capital.

4.2 Naissance du capital financier

Cette concentration a engendré une interpénétration toujours plus grande entre capital bancaire et capital industriel. De grandes banques possèdent désormais un capital mondial colossal, qu'elles investissent dans les entreprises industrielles qui leurs sont liées, tout en gardant les yeux rivés sur leur taux de profits. On donne le nom de capital financier à cette forme achevée du capital.

« Le 20ème siècle marque le tournant où l'ancien capitalisme fait place au nouveau, où la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général. » [15]

4.3 Aristocratie ouvrière

Le capitalisme impérialiste a un double effet sur la lutte des classes. L'accentuation de la concentration des travailleurs sur de grandes unités de travail, l'uniformisation mondiale des méthodes d'exploitation ou encore la concentration du pouvoir économique et politique tendent à aiguiser la conscience de classe. Dans le même temps, les taux de profits sans précédant permettent aux capitalistes d'aller relativement loin dans les concessions face aux luttes des travailleurs. Notamment, la frange la plus organisée au travers des grands syndicats (cas historique de la social-démocratie allemande) s'est peu à peu désolidarisée de la grande masse du prolétariat. Cette aristocratie ouvrière ayant l'inconvénient de faire pencher l'ensemble des organisations ouvrières dans le réformisme...

4.4 Colonisation directe et indirecte

La colonisation n'est pas le fait du capitalisme : les puissances européennes notamment avaient déjà formé des empires coloniaux aux 17ème et 18ème siècles. Mais au sein du capitalisme, posséder des colonies devient soudain bien plus important. Cela permettait d'avoir des matières premières et des sources d'énergie peu chères à disposition, ce qui permet de diminuer le coût du capital constant (et contrebalancer la baisse du taux de profit). Cela permet aussi d'avoir des débouchés pour l'investissement des capitaux.

« Si on exporte des capitaux, ce n’est pas qu’on ne puisse absolument les faire travailler dans le pays. C’est qu’on peut les faire travailler à l’étranger à un taux de profit plus élevé »[16]

D'où le regain de rivalité entre puissances européennes. Mais la colonisation n'est qu'une des formes de domination impérialiste. Plus généralement, la plupart des pays du monde sont des semi-colonies partagées entre grandes puissances, que ce soit des pays qui sont toujours restés officiellement indépendants (Chine, Turquie, Amérique Latine...) ou des ex-colonies où l'ex Métropole exerce souvent un néocolonialisme.

En France, la période qui est souvent appelée "la colonisation" a eu lieu sous la Troisième République, de 1871 à 1914. Ses motivations sont bien expliquées par des bourgeois comme Jules Ferry :

« L’Europe peut être considérée comme une maison de commerce qui voit depuis un certain nombre d’années décroître son chiffre d’affaires. La consommation européenne est saturée ; il faut faire surgir des autres parties du globe de nouvelles couches de consommateurs sous peine de mettre la société européenne en faillite et de préparer pour l’aurore du 20ème siècle une liquidation sociale par voie de cataclysme dont on ne saurait calculer les conséquences. »

Pour appuyer cette domination d'autres peuples, les bourgeoisies occidentales ont développé des idéologies réactionnaires et oppressives comme le racialisme. Il est symptomatique qu'un dirigeant européen (Berlusconi) puisse s'exprimer ainsi :

« On ne peut pas mettre sur le même plan toutes les civilisations. Il faut être conscient de notre supériorité, de la supériorité de la civilisation occidentale. L'Occident continuera à occidentaliser et à s'imposer aux peuples. »[17]

4.5 Guerres pour le repartage du monde

Avec l'incomparable avantage que conférait aux conquérants la technologie moderne en constant développement, le monde fut vite quasi-entièrement englobé dans les sphères d'influence de telle ou telle métropole, que ce soit par occupation directe ou par tutelle économique. Pour les capitalistes, le passage obligé pour changer la donne était alors la guerre entre puissances. L'Allemagne, qui connaissait la plus forte croissance d'Europe, n'avait pas de colonies et bouillonnait à l'intérieur de ses frontières. Le jeu des alliances diplomatiques en fonction des intérêts de chaque puissance a tôt eu fait d'entraîner la première guerre mondiale.

4.6 Le pacifisme bourgeois de la Société des Nations

Trotsky avait par ailleurs dénoncé la Société des nations, depuis l’origine. Aussi bien lorsqu’elle n’était qu’une idée du président des États-Unis : « la démarche de Wilson était une tentative faite par les ploutocrates de New-York et de Chicago pour assujettir l’Europe et le monde entier »[18]… que sous la forme qu’elle a finalement prise (sans les États-Unis), jusqu’à voler en éclats au milieu des tensions des années 1930 :

« Tous les gouvernements ont peur de la guerre. Mais aucun n'est libre de son choix. […] La SDN, qui, selon son programme officiel, devait «organiser la paix», et qui était en réalité conçue pour perpétuer le système de Versailles, neutraliser l'hégémonie des Etats-Unis et constituer un bastion contre l'Orient rouge, n'a pu surmonter le choc des contradictions impérialistes. »[19]

5 Evolutions des formes de l'impérialisme

Rosa Luxemburg écrivait en 1913 que dans la « phase impérialiste de l'accumulation », la concurrence mondiale du capital « a le monde entier pour théâtre. Ici les méthodes employées sont la politique coloniale, le système des emprunts internationaux, la politique de la sphère d'intérêts, la guerre. La violence, l'escroquerie, le pillage se déploient ouvertement, sans masque. »[20]

Depuis le début du 20ème siècle, ce schéma mondial avec des centres impérialistes (Europe, États-Unis, Japon) et des périphéries dominées est dans les grandes lignes resté valable. Mais l'impérialisme a varié dans sa forme, et certains pays ont connu des émancipations partielles.

5.1 Variation du dynamisme des métropoles

La grande dépression des années 1930 a affaibli les métropoles occidentales, et l'accentuation de la lutte des classes en leur sein a contribué à rendre l'impérialisme moins agressif. Puis la seconde guerre mondiale a pour un temps créé un repli de l'Europe sur elle-même, tout en propulsant l'impérialisme états-unien au rang de superpuissance mondiale. Dès lors, celui-ci allait mener une politique étrangère de plus en plus agressive, qui avait déjà commencé dès la fin du 19ème (domination sur Cuba, l'annexion des Philippines...), mais qui faisait maintenant de l'Amérique Latine sa chasse gardée, et s'étendait toujours plus.

5.2 Décolonisation et néocolonialisme

SoldatFrIndochine.jpg

Dans le sillage de la décolonisation, les luttes contre l'impérialisme ont été nombreuses. Elles se sont aussi inscrites dans un contexte de guerre froide : beaucoup de pays ont reçu le soutien intéressé de l'URSS qui tentait également de pérenniser sa sphère d'influence. C'est pourquoi de nombreux mouvements (petits-)bourgeois nationalistes ont pris le paravant idéologique du "communisme" dans l'Après-guerre (castrisme, socialisme arabe...). Qu'ils aient l'intention de réaliser une plannification dictatoriale ou simplement un timide réformisme social, ces courants gênaient l'impérialisme, qui a bien souvent réussi à les déstabiliser.

La plupart des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, qu'ils aient ou non connus des gouvernements anti-impérialistes, sont rapidement repassés sous la coupe des occidentaux dans l'Après-guerre. Même si leurs gouvernements sont formellement indépendants, ils sont en réalité sous la domination des multinationales étrangères et de leurs Etats. Ainsi, il y a une forme de domination impérialiste qui perdure, que l'on peut appeler néocolonialisme ou semi-colonisation.

Le discours dominant actuel de la bourgeoisie reconnaît que chaque peuple a la droit à disposer de lui-même, que chaque Etat doit être indépendant, etc... reléguant la domination a la sphère économique. Le passé colonial est alors présenté globalement comme "une erreur regrettable". Néanmoins, la fierté du dominant est conservée par les forces d'extrême droite, et la droite tend à glisser dans ce registre. Par exemple au cours de son mandat, le président Sarkozy a affirmé "son refus de toute repentance", en clamant que la France n'avait jamais commis de crime contre l'humanité, passant sous silence la torture en Algérie, l'esclavage, le régime de Vichy, les Kanaks, les zoo humains...

5.3 Émancipations ?

Certains grands pays d'Amérique Latine ont pu au début du 20ème siècle acquérir une autonomie relative et s'industrialiser partiellement.

A la fin du 20ème siècle, de nombreux pays qui étaient devenus relativement indépendants de l'impérialisme ont donné des signes d'allégeance pragmatiques au capital étranger (Libye, Syrie, Iran, Yémen...).

Enfin, il faut aussi penser que même les pays qui refusent tout lien avec l'impérialisme sont tout de même largement affectés, notamment par les politiques d'embargo (Cuba, Corée du Nord, Chine sous Mao...).

La Chine ou plus généralement les "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont l'objet de nombreux débats parmi les marxistes. Sont-ils devenus des pays impérialistes ? Sont-ils toujours dominés ?

6 Vieillissement du capitalisme

Le fait que le capitalisme ait au moins connu ce changement qualitatif majeur qu'a été la formation de l'impérialisme pose la question du vieillissement de ce système.

Pour Rosa Luxemburg, le capitalisme a un besoin permanent de nouveaux marchés et transforme pour cela le monde entier, mais les limites de ces marchés constituent une contradiction supplémentaire du capitalisme, facteur de crise.[21]

Pour les communistes de la Troisième internationale, qui reprennent les analyses de Lénine, l'impérialisme, "stade suprême du capitalisme", est la phase du "pourrissement", de la décadance du capitalisme. Ils théorisent alors l'impossibilité pour l'économie capitaliste de faire croître davantage les forces productives, ce qu'ils traduisent sur le plan historique par le fait que la bourgeoisie n'est plus du tout une classe progressiste, mais est désormais uniquement réactionnaire face au prolétariat montant. L'alternative se réduit alors à la formule "socialisme ou barbarie".

La première moitié du 20ème siècle, avec ses deux Grandes boucheries mondiales et de nombreuses autres guerres, a corroboré cette analyse. En revanche, la longue période d'expansion des Trente glorieuses a soulevé bien des questions.

7 Débats sur l'impérialisme

7.1 Super-impérialisme

Au début du 20ème siècle, le marxiste Karl Kautsky défend l'idée que le capitalisme va vers un super-impérialisme, qui entre autre a pour effet d'éloigner la perspective de guerres entre puissances (ceci à la veille de la Première guerre mondiale...). Lénine et Boukharine ont combattu sa théorie. D'autres thèses plus récentes reprennent des éléments similaires, comme l'Empire de Negri et Hardt.

7.2 Facteur économique ou militaire ?

On peut se demander si les changements de rapports de force sont avant tout économiques, avant tout militaires, ou si ces deux facteurs sont d'importance comparable. Lénine semblait considérer la question comme ouverte :

« les capitalistes se partagent le monde [...] "proportionnellement aux capitaux", "selon les forces de chacun", car il ne saurait y avoir d'autre mode de partage en régime de production marchande et de capitalisme. Or, les forces changent avec le développement économique et politique; pour l'intelligence des événements, ils faut savoir quels problèmes sont résolus par le changement du rapport des forces; quant à savoir si ces changements sont "purement" économiques ou extra-économiques (par exemple, militaires), c'est là une question secondaire qui ne peut modifier en rien le point de vue fondamental sur l'époque moderne du capitalisme. »[15]

7.3 Impérialisme soviétique

Face aux agissements de la bureaucratie stalinienne, de nombreux marxistes (et non-marxistes) ont dénoncé un impérialisme soviétique. Trotski n'était pas absolument opposé à parler d'une certaine forme d'impérialisme, mais il ne voulait pas que soit tiré de trait d'égalité entre l'impérialisme soviétique et l'impérialisme des pays capitalistes.

« Peut-on qualifier d'impérialisme la politique d'expansion actuelle du Kremlin? Avant tout il faudrait s'entendre sur le contenu social que nous conférons à ce terme. L'histoire a connu l'impérialisme de l'Etat romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc. La force motrice de la bureaucratie soviétique réside, sans aucun doute, dans sa volonté d'accroître son pouvoir, son prestige, ses revenus. C'est ce même élément d'impérialisme - pris dans le sens le plus large du terme - qui fut dans le passé la marque spécifique de toutes les monarchies, oligarchies, castes dirigeantes, classes et milieux divers. Pourtant, dans la littérature politique contemporaine, du moins dans la littérature marxiste, par "impérialisme" on entend la politique d'expansion du capital financier qui a un contenu économique bien défini. Appliquer à la politique du Kremlin le terme d'impérialisme sans expliquer en fait ce que l'on entend par-là, cela revient tout simplement à identifier la politique de la bureaucratie bonapartiste avec la politique du capitalisme monopoliste, en se fondant sur le fait que l'un et l'autre utilisent la force militaire à des fins d'expansion. Une telle identification, propre seulement à semer la confusion, convient à des démocrates petits-bourgeois plutôt qu'à des marxistes. »[1]

8 Notes et sources

Boukharine, L´économie mondiale et l´impérialisme, 1915

  1. 1,0 et 1,1 Trotsky, Encore et encore une fois sur la nature de l'URSS, 1939 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « EncoreUneFois » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  2. Karl Kautsky, Germany, England and the World­Policy, 1900
  3. Karl Kautsky, Bernstein et le programme social-démocrate, 1899
  4. Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou révolution, 1899
  5. Alencontre.org, Lénine en 1914. La «nouvelle époque de guerre et révolution»
  6. J.A. Hobson, Imperialism : A study, 1902
  7. Rudolf Hilferding, Le capital financier, 1910 (le livre est en fait presque écrit dès 1905)
  8. Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital, 1913
  9. Karl Kautsky, Guerre et paix, 1911
  10. Rosa Luxemburg, Peace Utopias, mai 1911
  11. Jean Jaurès, Discours du 7 mars 1895
  12. Jean Jaurès, Discours à l’Assemblée du 13 janvier 1911 et du 20 novembre 1911
  13. 13,0 et 13,1 Karl Kautsky, L’impérialisme et la guerre, 11 septembre 1914 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « ImpGuerreKautsky » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  14. Karl Kautsky, Nationalstaat, imperialistischer Staat und Staatenbund, 1915
  15. 15,0 et 15,1 L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine, 1916 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « LenineImperialisme » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  16. Karl Marx, Le Capital, Livre III, Tome 1, Chapitre XV
  17. Silvio Berlusconi, Le Figraro, 28 septembre 2001
  18. Trotsky, Discours prononcé au deuxième Congrès de l'Internationale Communiste, 1920
  19. Trotsky, La guerre et la IVe Internationale, 1934
  20. Rosa Luxembourg, L’accumulation du capital, 1913
  21. Rosa Luxembourg, L’accumulation du capital, 1913